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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 143 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 14 mai 2019

[Enregistrement électronique]

  (0850)  

[Traduction]

    Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue à la 143e réunion du Comité permanent de la condition féminine. La réunion d'aujourd'hui est publique.
    Nous poursuivons notre étude sur la situation des femmes au ministère de la Défense nationale. Pour cela, j'ai le plaisir d'accueillir Sandra Perron, Laura Nash, Natalie MacDonald et Julie Lalonde, qui comparaissent à titre personnel.
    Nous allons d'abord entendre le témoignage de sept minutes de chacune, avant de passer à notre série de questions. Nous commencerons par Sandra Perron.
    Vous avez la parole et vous disposez de sept minutes.
    Bonjour, mesdames et messieurs, distingués invités. Je vous remercie de cette invitation.
    Dernièrement, je portais le même t-shirt qu'aujourd'hui à un événement. Il est écrit dessus « Vous me devez 21 cents ». L'idée était de provoquer une discussion sur l'écart salarial entre les hommes et les femmes. Un de mes amis, un ancien combattant avec qui j'étais dans le bataillon des services, m'a dit qu'heureusement, nous n'avions pas ce problème dans les forces armées grâce au principe de solde égale pour grade égal. Je n'en revenais pas.
    Aujourd'hui, j'aimerais vous dire ce que je lui ai répondu. Je lui ai d'abord dit que lorsque 15 % des effectifs sont des femmes et qu'elles ne représentent que 10 % des officiers généraux, on me doit 21 ¢. Quand 90 % des militaires déployés sont des hommes, cela veut dire que près de 90 % des conjoints qui restent à l'arrière, gardent le fort, tiennent la maison — et s'occupent des enfants et souvent de personnes âgées aussi, au détriment de leur propre carrière — sont des femmes, donc on me doit 21 ¢. Quand 38 % des hommes prennent un congé parental et que la plupart d'entre eux ne prennent même pas les deux semaines accordées, nous concluons là encore que les femmes tiennent le fort au détriment de leur carrière et qu'on me doit donc 21 ¢.
    Voilà pourquoi le problème est si important. J'organise actuellement dans tout le pays des journées de réflexion avec des femmes ex-militaires et des épouses de militaires. Elles sont déracinées et loin de leur famille et elles n'ont pas de « tribu ».
    Voici nos thèmes généraux, en dehors du harcèlement et de la violence.
    Le premier est qu'elles sont fatiguées. Elles sont épuisées quand elles quittent les forces armées. Elles ont essayé de tout faire et, surtout, elles ont essayé de s'occuper de front des enfants, de la maison, de leur carrière, de leur féminité, et elles se sentent épuisées quand elles quittent les forces armées pour retourner à la vie civile.
    Le deuxième est qu'elles sont amères. Elles sont amères parce que pendant toutes ces années, elles ont fait passer la carrière de quelqu'un d'autre avant la leur. Elles ont peur aussi, peur d'être seules, peur du prochain chapitre de leur vie. Leur corps a changé. Beaucoup se sentent brisées. Elles ont beaucoup déménagé. Les enfants ont grandi. Elles n'ont plus de centre de gravité. Elles n'ont plus de tribu.
    Voilà ce que je vois dans tout le pays. Je rentre tout juste de Comox, de ma dernière journée de réflexion, et ces thèmes étaient très présents.
    Voici donc ce que nous devons faire, selon moi. La première chose est qu'il faut continuer de soutenir, et de chercher des moyens de soutenir, les familles des militaires. Nous faisons des choses extraordinaires en ce moment dans les Forces armées canadiennes — je dis « nous » même des années après avoir quitté les forces armées — et nous devons continuer ainsi.
    Nous devons aussi faire pression sur les hommes pour qu'ils soient plus présents comme aidants naturels, avec les enfants, mais aussi avec les personnes âgées. Nous devons changer les préjugés chez les militaires au sujet du congé parental et encourager et féliciter les hommes qui le prennent. Nous avons besoin de programmes de mentorat et d'entrevues de départ. Nous avons besoin de données, car nous devons évaluer ceux qui sont encadrés et savoir combien d'entrevues de départ nous faisons avec des membres des groupes désignés.
    Surtout, nous devons garder le cap.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à Natalie MacDonald.
    La parole est à vous pour sept minutes.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Bonjour, membres du Comité et distingués invités. Merci beaucoup de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui sur ce sujet très important relatif à la situation des femmes au ministère de la Défense nationale.
    Je suis avocate en droit du travail depuis plus de 20 ans et j'ai écrit un manuel sur le sujet. En fait, le droit du travail et le harcèlement en milieu de travail ainsi que le harcèlement sexuel font partie de mes spécialités. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de la vraie héroïne assise à mes côtés, Laura Nash, que je suis fière de représenter depuis quatre ans.
    Mme Nash a choisi de consacrer sa carrière au service de notre pays. En retour, dans les Forces armées canadiennes, elle a été confrontée à une culture de discrimination et de harcèlement fondés sur son sexe, sa situation matrimoniale et de famille, qui était tellement poussée que non seulement elle a fini par essayer de s'ôter la vie, mais en plus, elle se retrouve dans une situation économique, physique et sociale précaire.
    Mme Nash s'est enrôlée dans les Forces armées canadiennes en 2010 et elle a été stationnée au Centre d'instruction des officiers de marine Venture à la BFC Esquimalt. La même année, elle est tombée enceinte de son fils Ronin et s'est retrouvée parent seul. À cause de sa grossesse, on l'a immédiatement retirée du Programme d’instruction sur l’environnement naval. Comme elle ne faisait plus partie du programme, on lui a refusé la possibilité de suivre les deux autres cours auxquels elle souhaitait s'inscrire.
    À cause des exigences de son entraînement militaire, du manque de logement dans les Forces armées canadiennes pour les parents seuls et de la difficulté à payer une garderie sur un salaire d'officier subalterne, Mme Nash a pris la décision déchirante d'envoyer son fils d'un an vivre avec ses parents en Ontario et de reprendre la mer.

  (0855)  

    Madame MacDonald, si vous pouviez ralentir un peu pour les interprètes, ce serait fantastique.
    Certainement, madame la présidente. Merci.
    Seule à la BFC Esquimalt, Mme Nash s'est trouvée en butte à une culture de discrimination et de harcèlement parce qu'elle est mère célibataire. Pour finir, on l'a exclue d'un cours MAR SS de six mois à trois jours seulement de la fin parce que, d'après le comité d'examen de l'instruction, elle avait trop de « questions familiales à régler ». Cette décision reposait aussi sur de fausses preuves fournies au comité dans un grief qui n'a jamais été corrigé.
    Quand Mme Nash a demandé à passer à un travail qui ne l'obligerait pas à partir en mer longtemps, afin d'avoir du temps pour Ronin, sa demande a été rejetée et on lui a dit que « tout le monde » a des problèmes en tête « quand on est déployé » et qu’il fallait s’occuper de son forfait de cellulaire, par exemple.
    Mme Nash a demandé à plusieurs reprises à être transférée au sein des forces armées afin de ne pas être loin de chez elle et de son enfant pendant des périodes prolongées, mais ces transferts ne lui ont jamais été accordés.
    La discrimination, le harcèlement et la séparation de son enfant ont eu des répercussions sur la santé mentale de Mme Nash qui s'est détériorée au point qu'elle a eu des envies de suicide. Malheureusement, le cas de Mme Nash est confirmé par le rapport de Statistique Canada de 2013, qui conclut que les femmes dans les Forces armées canadiennes risquent 815 fois plus de se suicider que les femmes dans l'ensemble de la population.
    Le 29 novembre 2013, Mme Nash a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne pour discrimination fondée sur le sexe, la situation matrimoniale et la situation de famille. Cependant, la Commission canadienne des droits de la personne a refusé d'entendre la plainte tant que Mme Nash n'aurait pas épuisé la procédure de règlement des griefs et la procédure d'examen auxquelles elle avait accès par l'intermédiaire des Forces armées canadiennes. Et ce malgré le fait que ces griefs seraient entendus par les personnes mêmes qui étaient responsables du harcèlement et de la discrimination infligés et qui n'avaient aucune compétence en droits de la personne.
    Laura Nash a donc déposé deux griefs. L'un contestait la décision de l'exclure du cours MAR SS parce que cette décision était injuste et fondée sur de fausses informations. Ce grief a été déposé le 11 février 2014. Le second, déposé le 28 février 2014, était un grief de principe alléguant que les politiques du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes étaient discriminatoires et qu'elles étaient préjudiciables pour les mères célibataires.
    Il a fallu plus de deux ans pour obtenir une décision finale du système de griefs des Forces armées canadiennes sur les griefs déposés par Laura Nash. Pour finir, aucun n'a abouti. La procédure de règlement des griefs interne aux Forces armées canadiennes n'a pas reconnu que le comité d'examen de l'instruction était de parti pris et n'a pas jugé les politiques du ministère ou des Forces armées canadiennes discriminatoires.
    Le 26 juin 2016, j'ai écrit à la Commission canadienne des droits de la personne pour l'aviser de la conclusion des deux griefs et lui demander officiellement d'entendre sa plainte pour discrimination. La Commission canadienne des droits de la personne a répondu qu'elle devait déterminer si les allégations avaient fait l'objet d'une décision finale au terme de la procédure de règlement des griefs des Forces armées canadiennes. Nous avons découvert par la suite, par une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, que les Forces armées canadiennes avaient fait savoir à la Commission canadienne des droits de la personne que les griefs de Mme Nash n'avaient pas fait l'objet d'une décision finale.
    Le 31 juillet 2017, Laura Nash a été libérée de la Force régulière après avoir reçu un diagnostic d'« affection liée au service », à savoir un trouble d'adaptation chronique. Par cette désignation, les Forces armées canadiennes la jugeaient médicalement inapte au service actif à cause d'une incapacité chronique à s'adapter à la vie militaire.
    À cause de sa grossesse et de son choix d'être à la fois officier et mère, Laura Nash a été contrainte de renoncer à une brillante carrière dans les forces armées et elle est incapable de travailler à cause de l'angoisse et de la dépression profondes dont elle souffre depuis la façon déplorable dont elle a été traitée dans les forces armées.

  (0900)  

    Elle vit actuellement avec son fils. Le ministère des Anciens Combattants et la Financière SISIP lui versent des prestations d'invalidité. Malgré son diagnostic et son statut d'ex-militaire qui a servi notre pays, Mme Nash doit continuellement se battre pour obtenir de l'aide, y compris l'accès à une thérapie et des soins médicaux et dentaires. Il est choquant de voir combien les ressources fournies aux anciens combattants sont limitées.
    Sans explication, les Forces armées canadiennes n'ont pas respecté la dernière date butoir du 19 janvier 2019 fixée par la Commission pour lui fournir la décision de l'autorité de dernière instance. Au lieu de cela, les Forces armées canadiennes ont attendu que la Commission publie un rapport avec ses recommandations avant d'enfin produire cette décision tant attendue qui a retardé de plusieurs années la plainte de Mme Nash.
    Les Forces armées canadiennes estiment à présent que la Commission canadienne des droits de la personne ne devrait pas entendre la plainte de Mme Nash parce qu'elles l'auraient traitée et auraient conclu que Mme Nash n'a pas fait l'objet de discrimination. Mme Nash prétend avoir été victime d'une discrimination fondée sur le sexe, ce qui veut dire que le groupe comparable est masculin à un poste semblable à celui de Mme Nash. Elle a fait l'objet d'une différence de traitement défavorable par rapport à ses collègues masculins.
    Mme Nash prétend également avoir été victime d'une discrimination fondée sur sa situation matrimoniale et familiale. Les politiques et les programmes des Forces armées canadiennes sont manifestement conçus pour les militaires parents qui ont une conjointe ou un conjoint et qui ne sont pas parents seuls. De plus, quand elles fournissent une aide financière pour déménager des meubles et des effets personnels, cette aide est plus importante pour les militaires mariés que pour les militaires célibataires avec enfants.
    Il a beaucoup été question de Mme Nash dans les médias, sur les ondes de la CBC, pendant l'été 2017. J'ai été interviewée, tout comme Mme Nash, et j'ai dit que cette situation est détestable, après quoi le premier ministre Justin Trudeau a déclaré ceci:
C'est très simple. Il est inacceptable que Laura ait eu à faire pareil choix. C'est inacceptable au Canada.
Cette situation est très difficile pour Laura, mais nous savons aussi qu'il faut y mettre fin. Ce n'est pas la première fois, j'imagine, dans l'histoire des forces canadiennes que cela se produit, mais j'espère en tout cas que ce sera une des toutes dernières.
    Depuis, ravies des propos du premier ministre Trudeau, nous lui avons écrit, mais nous n'avons encore reçu aucune réponse à ce jour.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, madame MacDonald.
    La parole est à vous, madame Nash. Merci beaucoup de faire part de votre histoire.
    Merci à toutes et tous de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui. C'est un réel honneur de me trouver parmi vous.
    J'ai été athlète professionnelle. J'ai fait partie d'Équipe Canada de nombreuses fois. Je suis diplômée de l'Université de Victoria. J'étais championne de lutte au secondaire. J'ai remporté deux prix en formation militaire de base, et j'étais dans les premiers de ma classe au Programme d’instruction sur l’environnement naval.
    Je suis convaincue que j'avais un brillant avenir devant moi, mais au milieu de ma formation dans la Marine, mon mari violent nous a quittés, mon fils d'un an et moi. Je n'avais aucune aide. Je n'avais pas les moyens de prendre une nourrice. Je n'avais pas de famille qui puisse m'aider à des milliers de kilomètres à la ronde. La base de Victoria n'a que 20 places de garderie pour une base d'environ 3 000 personnes. Il n'y a pas assez de places. Mon fils a été inscrit sur une liste d'attente de deux ans, mais seulement pour les heures normales de garderie, ce qui n'aide pas du tout quand on navigue.
    Entretemps, j'ai pris un vol pour emmener mon enfant à l'autre bout du pays chez mes parents pour pouvoir prendre la mer. J'étais donc déployable, mais après que j'ai avisé l'école navale de ma situation, les officiers supérieurs de l'école ont commencé à me traiter très différemment.
    Trois jours avant la remise des diplômes, après une année d'entraînement, et alors que j'étais déjà affectée au NCSM Winnipeg, j'allais avoir ma promotion et une augmentation de solde qui m'aiderait à payer les frais de garderie et les vols, mais James Brun, l'officier instructeur de mon cours...

  (0905)  

    Je suis désolée, mais pourriez-vous ralentir juste un peu? Merci.
    Oh, oui. Je suis désolée.
    James Brun a menti au conseil scolaire et déclaré qu'il me restait 17 tâches à remplir et pas assez de temps, et on m'a donc exclue du cours. Ce n'était pas vrai. Il ne m'en restait que quatre et j'avais un manuel qui le prouvait. Je l'ai dit dans mon grief et on a conclu que je disais la vérité et pas lui. Mais j'ai perdu mon emploi. Il ne lui est rien arrivé à lui.
    Karen Belhumeur m'a dit, à la réunion du conseil, qu'en raison de cette information, il était mis fin à ma formation avec effet immédiat et que j'avais trop de questions familiales à régler. Mon fils était à des milliers de kilomètres à l'époque. J'ai été virée du navire et j'ai perdu mon augmentation de solde, ma promotion, et mon nom a été retiré de la liste de l'équipage. J'ai déposé une plainte pour harcèlement contre James Brun, et un grief, mais on a découvert il y a des années qu'il n'y serait pas donné suite.
    Ensuite, je suis allée voir l'officier de sélection du personnel de la base, l'OSPB, qui est la personne des ressources humaines qui nous aide à changer de métier. Je lui ai expliqué qu'il n'était pas tenable de faire faire tous ces allers-retours en avion à mon bébé pour des histoires de garderie et que j'aimerais passer à n'importe quel autre métier. J'aurais accepté n'importe quel autre travail dans les forces. Il y en avait des centaines que j'aurais pu faire, même si ça me brisait le coeur de ne plus pouvoir naviguer, parce que c'était ce que je voulais faire. L'OSPB m'a répondu que les Forces armées canadiennes ne reconnaissent pas un bébé comme motif pour changer de métier et qu'elle ne m'aiderait pas.
    Je suis allée trouver Karen Belhumeur, la chef de département de mon école, et un autre officier supérieur, Kim Chu, pour leur demander leur aide. Elles m'ont emmenée dans leur bureau pour me dire, une fois les portes closes, que si je ne me débarrassais pas de mon enfant, je serais renvoyée. Je n'arrivais pas à croire que mon propre gouvernement canadien m'obligerait à donner mon bébé, sans quoi il mettrait fin à mon emploi, alors que tout ce que je voulais, c'était servir mon pays.
    J'étais prête à accepter n'importe quel emploi possible. J'avais déjà manqué toute la deuxième année de mon fils pour pouvoir servir dans la Marine et être en mer, et j'étais menacée de perdre mon emploi si je ne me débarrassais pas de lui de manière plus permanente. C'était sans issue. Je ne voulais pas vivre sans lui, mais je ne savais pas quoi faire sans emploi. Alors, j'ai commencé à avoir des idées suicidaires.
    Je me suis portée volontaire à la logistique et j'y ai travaillé pendant un an en espérant obtenir un transfert dans ce métier parce qu'il comporte beaucoup moins de temps en mer. J'ai expliqué à la commandante de la logistique de la base, la commandante Roberts, que je subissais beaucoup de discrimination. Elle m'a répondu que j'aurais dû avorter et que c'était de ma faute si j'avais des problèmes parce que j'avais eu un enfant trop tôt dans ma carrière. Elle m'a aussi dit que je n'étais pas la seule à être deux ans sur la liste d'attente pour une place de garderie militaire et qu'elle ne m'aiderait pas.
    Après avoir demandé en vain son aide à l'aumônier, je suis allée à l'unité de santé mentale, où j'ai raconté que ma chaîne de commandement essayait de m'obliger à abandonner mon enfant. Le médecin m'a placée dans une catégorie médicale temporaire, ce qui m'empêchait de partir en mer. Je pensais que ce serait une bonne occasion pour remplir mes papiers et, avec un peu de chance, obtenir mon transfert à Cornwall, en Ontario, pour suivre une formation de contrôleur aérien et être proche de ma famille, de mon réseau de soutien. Je ne naviguerais plus avec ces horaires changeants qui sont impossibles pour un parent seul. J'étais prête à changer de métier, mais mon médecin, la Dre Boylan, m'a dit qu'elle ne signait pas mes papiers de transfert parce que j'avais consulté l'unité de santé mentale pour trois raisons.
    J'étais coincée dans les forces armées sans métier, sans faire pleinement partie d'une unité, sans aucune chance de promotion ou d'avancement avant quatre ans. J'étais un paria et ma santé s'est vraiment dégradée.
    La seule chose que je pouvais faire, c'était de me porter volontaire une fois de plus. J'ai donc travaillé aux affaires publiques. Je gagnais beaucoup moins que tous les autres dans le bureau parce que j'étais bloquée pendant sept ans au bas l'échelle des officiers. Je faisais du bon travail. J'ai attendu que ma note médicale expire pour pouvoir être transférée aux affaires publiques parce que je faisais du bon travail, mais la Dre Boylan refusait de signer mes documents médicaux. J'étais bloquée.
    J'allais travailler tous les jours, coincée en bas de l'échelle des officiers pour sept ans. Il m'était tout simplement impossible de progresser dans ma carrière. Autour de moi, tous mes collègues avançaient dans leur carrière. Ils obtenaient des promotions et ils gagnaient plus d'argent. J'étais bloquée.
    Dépressive et tentant de repousser les idées suicidaires qui me taraudaient, j'ai essayé d'utiliser mon aide au déplacement en congé, ce que Mme MacDonald a mentionné, pour prendre un vol pour aller passer Noël en famille. J'ai découvert qu'en ayant un enfant, j'ai perdu cette prestation qui permet de rentrer voir sa famille parce que mon fils est devenu mon proche parent. Tous mes amis militaires célibataires avaient deux vols gratuits par an, mais je devais payer parce que j'avais eu un enfant.

  (0910)  

    J'ai reçu un courriel qui me disait que, parce que j'avais un bébé, on me rétrogradait à une catégorie de second niveau sur les Airbus militaires pour rentrer à la maison pour Noël, alors que tous les autres qui étaient célibataires voyageaient gratuitement. J'ai attendu. Un mois plus tard, j'ai fait une demande, qui a été rejetée parce que tous les vols étaient complets.
    On m'a refusé les prestations à cause de ma situation familiale, et les politiques discriminatoires sont encore en vigueur aujourd'hui.
    Par ailleurs, les forces armées retiraient 700 $ de ma solde pour la garderie, une fois que mon fils a enfin eu droit à une place, et 915 $ de loyer. Cependant, un officier homme qui était assis à côté de moi pendant le même cours était nourri et logé par les forces armées parce qu'il avait une épouse et une maison chez lui, au Nouveau-Brunswick, conformément à la politique sur les meubles et les effets personnels. Il y avait un écart salarial de 3 000 $ entre mon collègue masculin marié qui n'avait pas d'enfant et moi. Ce chiffre n'incluait même pas la rémunération.
    Entourée d'ennemis en milieu de travail, j'ai dû lutter quotidiennement contre les envies de suicide. Mes officiers instructeurs se sont ligués contre moi. Ceux qui étaient censés m'aider à changer d'emploi ont refusé, et le soutien médical m'a, en fait, planté un poignard dans le dos. Si je n'étais jamais allée demander de l'aide à l'unité de santé mentale, je n'aurais pas perdu mon emploi parce qu'on m'aurait changée de poste.
    Si je suis allée à l'unité de santé mentale, c'était uniquement pour un problème de femme, et je n'y ai trouvé aucun soutien.
    J'ai su que je touchais le fond le jour où je me suis retrouvée en larmes sur mon vélo en route pour le travail. Tout en roulant, je sanglotais et j'avais du mal à respirer. Alors, j'ai compris que je n'allais pas bien. La nuit, je me réveillais en pleurs, paniquée parce qu'on m'obligeait à choisir entre mon enfant et perdre ma carrière et mon logement parce que les forces armées me fournissaient un logement et je savais que j'allais le perdre aussi. Les choix à faire étaient trop durs.
    La Marine essayait de m'obliger à reprendre la mer, où James Brun m'avait harcelée, et je savais que je devais une fois de plus vider mon compte en banque pour emmener mon enfant à l'autre bout du pays et lui dire au revoir pour pouvoir naviguer. C'était la seule solution.
    À ce stade, j'ai décidé que, si je prenais encore une fois un avion pour aller confier mon enfant à quelqu'un d'autre pour les forces armées qui me torturaient, je remettrais mon fils à mes parents une dernière fois et je mettrais fin à mes jours...
    Prenez votre temps, madame Nash.
    ... et je mettrais ainsi fin à mes souffrances.
    Je ne pouvais plus vivre sans mon enfant et je ne supportais plus le harcèlement et l'ostracisme que je ressentais tous les jours dans les forces armées.
    Depuis que j'ai été renvoyée des forces armées, je sais aussi, malheureusement, comment le gouvernement traite les anciens combattants.
    J'ai été renvoyée des forces armées pour raison médicale, mais on ne m'a pas donné de médecin de famille et on ne m'a pas aidée à en trouver un. La liste d'attente pour un médecin de famille dans ma ville était de huit mois. J'ai donc été libérée sans soins médicaux. Si cela m'est arrivé, je pense que ça arrive probablement à beaucoup de personnes.
    J'ai dû me battre avec le ministère des Anciens Combattants pendant huit mois pour obtenir une aide pour un de mes maux, le bruxisme. Quand le traitement a enfin été approuvé au bout de huit mois, ça n'avait aucun sens: Anciens Combattants Canada n'approuvait que la moitié du traitement, mais l'autre moitié était nécessaire et ne prenait que 20 secondes.
    Il est très clair que les employés d'Anciens Combattants Canada ne sont ni des médecins ni des dentistes, et il est évident qu'ils refusent des soins médicaux aux anciens combattants, alors que l'an dernier, 360 millions de dollars qui leur étaient destinés n'ont pas été utilisés.
    Le problème avec Anciens Combattants Canada n'est pas un problème de financement. C'est un problème de mauvais employés qui sont cruels et qui ne sont pas compétents pour prendre des décisions médicales dont la vie des anciens combattants peut dépendre. Ils nous refusent les soins dont nous avons besoin.
    J'ai eu un autre grave accès de dépression Noël dernier quand les gestionnaires de cas d'Anciens Combattants Canada m'ont appris qu'il était peu probable que j'aie encore droit longtemps aux prestations parce que j'ai un diplôme en anglais. Des employés d'Anciens Combattants Canada m'ont menacée trois fois de mettre fin à mes prestations et c'est très stressant.
    Je suis ici aujourd'hui pour m'assurer que ce qui m'est arrivé n'arrive à aucune autre femme, et je suis prête à faire tout mon possible pour changer les pratiques et les politiques discriminatoires qui existent encore dans les Forces armées canadiennes. Maintenant que je vois clairement les problèmes à Anciens Combattants Canada, j'aimerais aussi aider à y apporter des changements positifs. Je crois qu'il faut reconnaître que les anciens combattants peuvent obtenir l'aide dont ils ont besoin et aussi que les anciennes combattantes ont des problèmes différents — pas seulement moi, mais toutes les femmes qui ont combattu ou pas. Quels que soient leurs problèmes, il se peut qu'ils ne correspondent pas au statu quo et aux politiques en place parce que, généralement, les prestations sont pour les hommes.
    Merci beaucoup de votre attention.

  (0915)  

    Je vous remercie, Laura.
    Comme le Comité le sait, nous avons un peu dépassé le temps avec certains de nos témoignages, mais j'espère que vous m'avez accordé la latitude de laisser les témoins poursuivre.
    Julie, vous avez maintenant la parole pour sept minutes, plus ou moins.
    Je vous remercie.

[Français]

     Bonjour, tout le monde.

[Traduction]

    J'aimerais commencer par vous remercier, Laura et Sandra, de votre courage, pas seulement ce matin, mais de parler publiquement de ce que vous avez vécu. Ce qui vous est arrivé à toutes les deux est épouvantable et aurait pu être évité. Ce genre de situation peut être évité et nous devons en parler de cette manière.
    Je m'appelle Julie S. Lalonde. Depuis 16 ans, je m'emploie à mettre fin à la violence masculine contre les femmes dans ce pays. Mon père était fier de faire partie des Forces armées canadiennes, mais je me suis retrouvée plongée dans cette conversation en raison de mon expérience au Collège militaire royal, où j'ai présenté un exposé à l'automne 2014.
    Le Collège militaire royal m'avait demandé, en raison de mes compétences, de venir former tous les cadets sur place — soit un millier d'élèves — sur le thème de l'intervention des spectateurs et de la violence sexuelle.
    Le projet m'emballait vraiment. J'ai l'impression que c'était il y a une éternité, mais 2014, c'était avant que l'affaire Gomeshi éclate et avant #MoiAussi. Personne ne parlait de violence sexuelle — bien moins qu'aujourd'hui. Alors, pour moi, une institution qui me demandait de venir former tous les cadets semblait d'avant-garde.
    Malheureusement, j'ai compris en arrivant que non seulement le sujet n'était pas pris au sérieux, mais que le Collège militaire royal se contentait, en fait, de cocher une case et vouait mon intervention à l'échec à plusieurs égards, ce que j'expliquerai plus tard. C'était aussi un échec institutionnel de la part du Collège militaire royal, et les cadets comptent parmi les pires personnes auxquelles j'ai eu affaire dans toute ma vie.
    Ils étaient grossiers et irrespectueux. J'ai été sifflée. On m'a accusée de détester les hommes. Voici ce qu'on m'a dit: « Pourquoi croyez-vous qu'on va vous prendre au sérieux? Vous êtes venue en robe et vous êtes une civile. » Des cadettes m'ont déclaré qu'elles n'allaient pas me prendre au sérieux simplement parce que j'étais une femme, ce à quoi je leur ai répondu qu'elles étaient des femmes dans cette institution et que leur attitude faisait qu'elles ne seraient jamais prises au sérieux non plus.
    Ça a été une expérience horrible. Il est à noter, à mon sens, que les troisièmes années étaient les pires. Ces personnes étaient depuis trois ans au Collège militaire royal. Nous ne parlons donc pas de jeunes de 18 ans qui viennent d'intégrer l'établissement, mais de personnes qui y étaient endoctrinées depuis trois ans.
    Je me suis plainte officiellement auprès de l'établissement. Il était évident que les cadets savaient que je n'en resterais pas là. Alors, ils ont porté plainte contre moi. Ils avaient accès à la chaîne de commandement et pas moi. Par conséquent, j'ai fait l'objet d'une enquête de la GRC qui a duré cinq mois, les allégations portées contre moi étant que j'accusais les hommes d'être tous des « violeurs », ce qui était risible, je l'espérais, mais la GRC prenait la chose au sérieux. Environ cinq mois plus tard, la GRC a conclu que j'avais, en fait, été harcelée et j'ai reçu des excuses par écrit du MDN.
    Peu après, la juge Deschamps a écrit son rapport et, si vous vous rappelez, les Forces armées canadiennes n'étaient pas ravies de ses recommandations. C'était du temps du général Lawson. C'était silence radio. Personne ne s'avançait à appuyer ce que la juge Deschamps disait.
    Parce que je suis une civile et que j'avais reçu des excuses par écrit, j'étais bien placée pour appuyer ce qu'elle affirmait. Alors, je l'ai fait et ça a fait la une de la presse nationale, ce qui était très bien pour lancer la conversation, mais j'ai aussi reçu un flot de menaces de violence et de mort. En fait, quelqu'un a été arrêté et inculpé pour menaces de mort, et je suis une civile qui a reçu des excuses par écrit du MDN reconnaissant que j'avais été harcelée.
    Ce que je veux qu'on comprenne bien, c'est qu'en tant que civile lauréate d'un prix du gouverneur général et en tant que personne ayant reçu des excuses par écrit, j'ai été vertement calomniée. De plus, la calomnie ne venait pas de trolls aléatoires sur Internet. Peter Mansbridge a interrogé directement le général Lawson sur mon expérience à la télévision nationale et ce dernier a insinué que je mentais. Il était odieux de la part du général — qui accordait alors un entretien de départ à Peter Mansbridge à la télévision nationale — d'insinuer que je mentais. Ce n'est pas normal.
    Je le répète, je suis une civile. Je ne dois rien aux forces armées. Je pourrais ne jamais remettre les pieds dans ces institutions que je m'en porterais bien. Contrairement aux femmes assises à cette table, qui leur ont consacré leur vie, j'avais peu à perdre et on m'a traitée de cette manière. Je ne comprends donc pas comment nous pouvons penser aller au cœur de ce problème quand nul n'est à l'abri en dénonçant ce qui se passe.
    Il y a des réponses, mais une partie de l'institution militaire, ce que je vois aussi quand je travaille sur les campus, croit à tort qu'à moins de faire partie de l'institution, on n'a pas les réponses. Il est notoire que tout se joue à huis clos dans les forces armées et que les gens de l'extérieur n'y sont pas les bienvenus. Elles sont convaincues aussi d'avoir les réponses. Chaque fois qu'une institution militaire déclare avoir les réponses à la violence sexuelle, elle se ridiculise en reconnaissant qu'elle a la réponse depuis des années, mais qu'elle ne l'a pas mise en œuvre. Il faut voir les choses comme cela. Les forces armées n'ont pas les compétences.

  (0920)  

    Le général Lawson était pilote. Il pouvait donc passer aux nouvelles pour expliquer comment on pilote un avion, et je n'aurais pas pu le corriger sur le sujet. Mais il n'était pas plus habilité à parler de violence sexuelle que les personnes qui le font depuis des décennies. Il faut vraiment parler de « compétences » en l'occurrence. Si on construit un pont, on fait appel à un ingénieur. Si on essaie de s'attaquer à la violence sexuelle qui est répandue dans l'institution, on doit faire appel aux spécialistes.
    Enfin, je crois qu'il est important de reconnaître que, si je suscite encore aujourd'hui autant de réactions haineuses, c'est en partie parce que nous estimons que les forces armées sont le dernier endroit où les hommes peuvent se comporter comme des hommes. Nous devons, selon moi, avoir le courage de le dire. Au Collège militaire royal, les femmes, qui sont fières d'être cadettes, sont sincèrement convaincues d'y être en sursis, autrement dit, qu'on les y a admises, mais que dès qu'elles font un pas de travers, on leur rappellera qu'elles ne sont là que par le bon vouloir de l'institution.
    Encore une fois, c'est une question de sexe, mais aussi de race. Le Collège militaire royal est un établissement très blanc. Les forces armées sont très blanches. Très hétérosexuelles. On le rappelle constamment aux personnes marginalisées pour quelque raison que ce soit, « Si vous marchez droit et que vous agissez comme nous, nous vous autoriserons à rester, mais fondamentalement, ici, nous laissons les hommes se comporter comme des hommes ». Le fait que je remette en question cette institution a été perçu comme une remise en question de toute la masculinité, et c'est pourquoi je pense que les réactions ont été aussi haineuses.
    Voilà comment j'ai été traitée en tant que civile. Je ne peux donc imaginer la dose de courage qu'il faut pour s'exprimer quand on est membre actuel ou passé des Forces armées canadiennes. Je tiens à exprimer de nouveau mon immense gratitude à Laura, à Sandra et à toutes les autres qui ont pris la parole. Il faut énormément de courage pour le faire et j'en suis consciente.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup, Julie.
    Nous allons commencer une série de questions, d'abord de sept minutes.
    Je vais laisser la parole à Rachel Bendayan.
    Vous avez sept minutes.
    Je vous remercie.
    Je me ferai l'écho de ce que vient de dire Mme Lalonde. Merci infiniment d'être venues raconter votre histoire aujourd'hui. Il faut un courage incroyable.
    Je suis particulièrement touchée par votre histoire, madame Nash. J'ai été élue il y a juste deux mois. Mon bébé est à la maison et je fais l'aller-retour à Ottawa. Ce n'est rien comparé à ce que vous avez vécu. Je le fais chaque semaine et je n'arrive toujours pas à m'y habituer. Et vous avez été privée de votre fils pendant si longtemps pour faire le travail que vous aimiez... C'est très difficile et absolument incroyable.
    J'aimerais vous demander ce que nous pouvons faire pour régler certaines de ces questions pour les mères célibataires et pour les parents seuls dans les Forces armées canadiennes.
    Je vous adresse la question, Laura, ainsi qu'à vous, madame MacDonald, en qualité de professionnelle dans le domaine.
    Je mentionnais dans mon deuxième grief certaines politiques qui changeraient vraiment les choses, selon moi.
    L'une d'elles est de ne pas nous retirer nos vols dès que nous accouchons, c'est-à-dire changer les règles en ce qui concerne le proche parent. Je n'ai jamais demandé qu'on paie la place de mon bébé. Je voulais seulement les mêmes droits que tous les autres, c'est-à-dire au moins mon billet.
    La politique sur les meubles et les effets personnels est dure. Si on déménage ses meubles et ses effets personnels, on perd toute sa pension, c'est-à-dire le loyer, la nourriture et ce genre de choses.
    Il n'y a pas assez de places de garderie.

  (0925)  

    Mais même les places de garderie ne vous aideraient pas si vous êtes en mer.
    Elles n'aident pas du tout. C'est vrai.
    Dans ce cas, et dans mon cas, si une politique permettait à l'officier de sélection du personnel de la base, l'OSPB, d'autoriser quelqu'un qui vient lui demander de l'aider à changer de métier... Il existe une centaine de métiers dans les forces armées. Il y a de la place pour tout le monde. Il se trouve que j'étais très ambitieuse avant d'avoir un bébé. Je voulais vraiment naviguer. C'est ce que je voulais faire. Quand mon mari m'a quittée, ce n'était plus possible... J'aurais pu continuer en renonçant à mon bébé.
    S'il existait une politique qui permette à l'OSPB de tenir compte des besoins de garderie particuliers d'une personne comme motif de changement de métier et de carrière, ce serait, selon moi, une bonne solution.
    Madame MacDonald, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Oui, en fait. Merci beaucoup, madame Bendayan. Je peux certainement vous dire que j'y ai beaucoup réfléchi. Selon moi, nous pouvons régler les problèmes de trois façons et je suis heureuse de pouvoir formuler quelques conseils par rapport à ce que je vois.
    Tout d'abord, je crois qu'il faut remanier le système des griefs dans les Forces armées canadiennes parce qu'on ne peut pas et on ne devrait pas attendre cinq ans pour obtenir une décision. Les Forces armées canadiennes doivent mettre en place des mécanismes de contrôle afin que, si on découvre un mensonge en plein grief et qu'il est prouvé qu'il s'agit d'un mensonge, il soit reconnu comme tel. Il n'y a eu aucune correction dans le cas de Mme Nash, et cela a été le début de la pire période de sa vie. Pour que ces mécanismes de contrôle fonctionnent, il faut, à mon sens, que les Forces armées canadiennes demandent à une partie impartiale, indépendante des Forces armées canadiennes, de se charger de la procédure de règlement des griefs. Je dis cela parce que les personnes qui tranchent les griefs sont les mêmes qui perpétuent la discrimination et le harcèlement. En droit pénal, l'arrêt Jordan rendu par la Cour suprême du Canada a vraiment eu un effet pour ce qui est de traiter rapidement et efficacement les affaires pénales. Pourquoi n'en irait-il pas de même de la Commission canadienne des droits de la personne, la Commission canadienne des droits de la personne? Nous devons légiférer en ce sens, mais il nous faut une sentinelle.
    Il existe, selon moi, une deuxième manière de remanier la procédure de règlement des griefs. La Commission canadienne des droits de la personne ne peut pas être le dernier recours d'un plaignant une fois cette procédure épuisée parce que cela lui permet d'adopter un rôle passif. Très franchement, il faut modifier la loi, l'alinéa 41.1a), afin de permettre à quiconque dans le secteur fédéral de s'adresser au tribunal expert pour obtenir qu'une décision d'expert soit rendue. Je crois qu'il faut en passer par là parce que, tout au long de son cas, Mme Nash n'a pas eu affaire à des spécialistes des droits de la personne.
    Pour plus de précision, vous parlez d'un processus d'appel des décisions de la Commission canadienne des droits de la personne, n'est-ce pas?
    Ce serait probablement plus que ça, chère madame. J'irais jusqu'à éliminer l'alinéa 41.1a) tout entier. Les gens pourraient décider s'ils veulent passer par le système des griefs ou s'ils veulent que leur cause soit entendue par le Tribunal canadien des droits de la personne. Ça fait un moment que je fais cela, et je vois ce mur s'élever constamment. L'alinéa 41.1a) empêche les affaires relatives aux droits de la personne d'avancer, parce qu'il renvoie à un autre système de grief où elles tendent à perdre leur élan. Troisièmement, à mon avis, on ne devrait pas permettre aux auteurs mêmes de la discrimination et du harcèlement de se prononcer à leur sujet. C'est aussi simple que ça. Il y a une certaine partialité et tout porte à croire que Mme Nash n'aurait pas pu avoir gain de cause contre les personnes qu'elle accusait.
    Il y a une autre chose qui contribuerait à rectifier le système. Les politiques des Forces armées canadiennes sont discriminatoires et elles doivent être modifiées. Les définitions de harcèlement sexuel et d'inconduite sexuelle dans les politiques actuelles sont trop étroites et ne mentionnent même pas le problème des blagues et des insinuations dans le milieu de travail qui peuvent être considérées comme faisant partie de la définition. Aussi, l'agression sexuelle n'est pas définie de la même façon qu'elle l'est dans le Code criminel. Je crois aussi que les politiques sont conçues pour les familles traditionnelles, celles à deux parents...
    Excusez-moi, madame la présidente. Je suis désolée de m'étendre plus longtemps que prévu; j'ai beaucoup de choses à dire.

  (0930)  

    Certainement. Nous pourrions peut-être en entendre durant la période des questions. Je veux que ce soit équitable pour tout le comité.
    Assurément. Puis-je simplement dire la troisième chose, puis la développer davantage plus tard?
    Allez-y, je vous en prie.
    La troisième façon consiste à accorder une attention approfondie aux soins médicaux pour les membres des Forces armées canadiennes — les femmes dans les Forces armées canadiennes — qui sont bien plus susceptibles de se suicider que la population en général.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Rachael Harder, vous avez la parole pendant sept minutes.
    Madame MacDonald, aimeriez-vous parler davantage de ceci? Je vous céderai une ou deux autres minutes avec plaisir.
    Merci beaucoup, madame Harder. J'aimerais bien, parce que j'ai vraiment beaucoup travaillé pour le comprendre.
    Le problème des politiques, c'est qu'elles sont conçues pour les familles traditionnelles à deux parents, et non pas pour la famille monoparentale ou non traditionnelle. C'est une chose qui doit être reconnue. Les forces armées doivent finir par arriver en 2019. Le fait est qu'il y a plus de femmes célibataires qui font tout pour être à la fois mère et officier, et nous devons le reconnaître.
    La politique sur les vols dont Mme Nash a parlé est l'Aide au déplacement en congé. Quand elle a accouché, elle a perdu le droit de retourner en avion voir sa famille, alors que ses amies célibataires bénéficiaient de deux vols gratuits. Il y a quelque chose qui ne va pas du tout là-dedans. C'est carrément discriminatoire. Le courriel qu'elle a reçu, lui disant que le fait qu'elle avait eu un bébé la rétrogradait à une catégorie de second niveau pour les vols Airbus, constitue une discrimination flagrante.
    La politique sur les meubles et effets dont Mme Nash a parlé porte sur le déménagement des meubles et des effets personnels. Mme Nash était de la même classe qu'un officier homme dont le logement et les repas ont été couverts; or, les siens ne l'ont pas été. Il n'y a pas plus discriminatoire que les politiques que j'ai mentionnées.
    Ensuite, il y a les services de garderie. Vingt places de garderie pour 3 000 personnes et une liste d'attente de deux ans n'aident personne. Soyons réalistes, après cette attente, l'enfant aura déjà grandi. Les personnes qui veulent servir notre pays ont besoin des services de garderie. Nos enfants méritent que l'on s'en occupe bien. Il doit y avoir des places dans des garderies pour les mamans célibataires courageuses comme Laura Nash.
    En manquant à l'obligation d'accommodement, ce dont j'ai été témoin pendant des années, les Forces armées canadiennes sont autorisées à discriminer. Dans le secteur privé, cela donnerait lieu à d'énormes poursuites, mais ce n'est pas la même chose dans les forces armées. Une amende de peut-être 2 000 $ est imposée et c'est insuffisant. Les forces armées doivent reconnaître que le fait d'avoir un bébé est un motif d'avancement de carrières et d'accommodement, et non pas un obstacle rigide à la capacité de changer d'emplois ou d'être redéployée. Elles doivent se rendre compte qu'elles ne peuvent pas menacer de renvoyer une femme de son emploi si elle a un bébé. Dans le secteur privé, nous savons tous qu'un tel acte donnerait lieu à l'octroi de dommages-intérêts extraordinaires, et c'est le sujet de mon livre — responsabilité morale, mesures punitives, actions en responsabilité délictuelle et tout ce à quoi on peut penser dans le domaine du droit du travail. Ces manquements à l'obligation d'accommodement se fondent sur la situation familiale et de l'état matrimonial et, si cela n'est pas permis dans le secteur privé, pourquoi le serait-ce pour les Forces armées canadiennes? Ces droits ne sont pas du tout reconnus.
    Enfin, en troisième lieu, j'ai dit que les soins médicaux laissent grandement à désirer à l'heure actuelle. En congé temporaire pour raison médicale, comme Mme Nash, ou en transition vers Anciens Combattants Canada, il est crucial que les femmes obtiennent les soins et le counselling dont elles ont besoin, tout comme l'obtient un homme qui a perdu sa jambe à la suite d'une explosion. La femme a besoin des mêmes soins, et ceux-ci ne sont pas offerts. Il n'y a aucune ressource de counselling, pas plus que pour la dépression, l'anxiété ou le trouble chronique de l'adaptation. Le taux de suicide mentionné dans le rapport de Statistique Canada m'effare, et il ne fera qu'augmenter en l'absence de ces soins essentiels. Vous avez entendu le témoignage de Mme Nash sur tout ce par quoi elle est passée. Je l'ai suivie pas à pas dans ce trajet à quatre sens, et laissez-moi vous dire que ça m'a fendu le cœur d'apprendre la difficulté qu'elle a eue à trouver un médecin et un dentiste pour soigner le bruxisme qui était un résultat direct de la discrimination et du harcèlement.

  (0935)  

    Je crois que nous pouvons accomplir cela. Je crois que nous devons décider de le faire, examiner les lois et changer l'attitude dans les Forces armées canadiennes.
    Merci beaucoup, Madame Harder, de m'avoir donné un peu plus de temps. Je vous en suis reconnaissante.
    Vous êtes la bienvenue.
    Madame MacDonald, qui a la responsabilité de la mise en œuvre de ces changements? Comment cela se fait-il?
    Je crois que cela se fait sur trois niveaux. À mon sens, il faut faire participer les officiers supérieurs des Forces armées canadiennes. La Commission canadienne des droits de la personne doit participer pour prendre conscience du blocage créé. À dire franchement, il faut une excellente organisation des ressources humaines pour le remaniement de ces politiques et procédures. Elles doivent être neutres pour ce qui est du sexe et tenir compte de ce qu'une femme peut vivre.
    Nous passons maintenant à Christine Moore.
    Christine.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    En 2005, j'ai suivi ma formation d'élève officier, offerte à Saint-Jean-sur-Richelieu à ce moment-là. Le cours sur le harcèlement était un cours obligatoire d'une heure, donné dans le cadre de la formation de recrue ou d'élève officier. La majorité des cours étaient donnés par des instructeurs masculins, à qui il revenait aussi de donner le cours sur le harcèlement. Nous avions l'impression que la personne qui donnait ce cours ne voyait pas cela comme une récompense, mais un peu comme une punition.
    Il en était tout autre, par exemple, pour le cours de premiers soins, souvent donné par d'autres instructeurs. On allait chercher des adjoints médicaux pour le cours de premiers soins, parce que l'on considérait que les instructeurs sur place n'avaient peut-être pas le niveau de compétence requis.
    À votre avis, les cours sur le harcèlement devraient-ils être donnés par des spécialistes soit civils, soit militaires, qui seraient vraiment formés à cet égard, au lieu de confier cette tâche à des instructeurs de la formation en général?
    Pensez-vous qu'une heure, c'est suffisant? Sinon, combien de temps devrait-on allouer à ce cours dans le cadre de la formation de base des recrues ou des élèves officiers?
    C'est une excellente question.
    À mon avis, c'est évident que nous avons besoin d'une formation plus exhaustive. Nous savons qu'une heure, ce n'est absolument pas suffisant, que ce soit dans un bureau, sur la Colline ou dans une école primaire. Une heure ne sert à rien; c'est un début.
    De plus, si les gens ne suivent pas de cours d'appoint six ou huit mois après avoir suivi une formation sur le rôle de l'entourage ou sur l'intervention de témoins, ils oublieront ce qu'ils ont appris et ils perdront la confiance qui leur permet d'agir.
    Présentement, il y a beaucoup de personnes qui interviennent comme témoins, mais sans la permission de la victime. Donc, elles voient quelque chose se passer comme témoin et se disent qu'elles doivent agir pour que, si cela devient public, les gens sachent qu'elles ont fait la bonne chose. Alors, elles se dépêchent à déposer une plainte sans la permission de la victime. La victime perd le courage de faire quoi que ce soit, parce qu'elle n'a pas donné sa permission. Ensuite, cela dissuade d'autres personnes de faire quelque chose, parce que la plainte est restée sans suite.
    Alors, c'est évident que nous avons besoin d'une formation sur le rôle des témoins, d'une durée au moins de trois, quatre ou cinq heures. Il faudrait que cette formation soit suivie d'un cours d'appoint après six ou huit mois, pour mettre l'accent sur les outils, et aussi pour donner aux gens la confiance pour faire quelque chose. C'est cela qui manque.
    Nous savons de façon absolue que la personne qui donne la formation doit être une experte. Je n'ai aucune confiance quant à la présence d'experts dans l'armée à l'heure actuelle. Nous savons aussi que le modèle le plus efficace, c'est le cours donné par un homme et une femme, ensemble. De cette manière, ils peuvent renforcer leur pouvoir, mais aussi se donner plus de confiance. En fait, nous savons que c'est le format qui fonctionne le mieux — la femme est l'experte et l'homme est là pour l'appuyer et corroborer ses dires. Nous voyons que cela fonctionne dans n'importe quel contexte. Selon moi, dans l'armée en particulier, il faut qu'il y ait un homme et une femme, ensemble, pour donner la formation. Je pense que c'est la clé.

  (0940)  

    Par exemple, si des changements faisaient qu'une formation d'une journée soit donnée par des instructeurs spécialisés, en début de carrière et avec des cours d'appoint tous les six mois, vous croyez que cela serait plus efficace que ce qui existe actuellement. Est-ce bien cela?
     Absolument.
    Merci beaucoup, madame Lalonde.
    Madame MacDonald, j'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de la pratique suivante. C'est une question ouverte.
    Avant de commencer leur formation de recrue ou de leadership, tous les futurs soldats doivent aller au bureau médical, où ils passent différents tests pour vérifier leurs habiletés. Toutes les femmes doivent aussi se soumettre à un test de grossesse pour prouver qu'elles ne sont pas enceintes avant de commencer ce cours.
    Que pensez-vous de cette pratique?

[Traduction]

    Je crois que c'est une discrimination flagrante.

[Français]

    Merci beaucoup.
    Bien sûr, ce sont souvent des femmes qui se retrouvent chefs de famille monoparentale, mais il y a aussi des hommes dans cette situation. J'ai l'impression que l'armée a un gros problème en ce qui concerne les chefs de famille monoparentale. De manière générale, leur déploiement est plus difficile à gérer. On les pousse donc à sortir des forces armées, surtout si elles sont à un rang militaire débutant, par exemple soldat, caporal, élève officier, sous-lieutenant et lieutenant. La situation est moins mauvaise pour les militaires comptant 20 ans de service, car on peut leur trouver un travail plus administratif où ils n'auront pas à être déployés.
    Selon votre expérience, les parents célibataires se font-ils pousser vers la porte ou fait-on en sorte qu'ils n'aient plus le goût de rester à cause de l'ambiance et des commentaires? Je ne parle pas ici de l'aspect administratif ou financier.
    Je pense que cela a été très clair dans le cas de Mme Nash.
    Madame Perron, que pensez-vous de tout cela?
    J'ai fait ma carrière un peu avant Mme Nash. Ceux qui ont lu mon livre savent que j'ai pris l'autre décision. Pour ceux qui ne me connaissent pas, j'ai été dans l'infanterie. Au cours de ma carrière, j'ai eu deux avortements pour donner la priorité à ma carrière. J'ai eu un premier avortement parce que j'avais été violée au sein des Forces canadiennes et le second, parce que j'allais perdre ma carrière dans l'infanterie si j'avais un enfant. J'ai donc facilité les choses sur le plan de ma carrière pour réussir dans l'infanterie.
    On parle de changer les politiques et les règles. Je pense qu'il n'y aura jamais assez de politiques, de règles, d'instructions permanentes d'opérations ou d'ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes pour régler les problèmes ou les défis auxquels font face les chefs de famille monoparentale.
    Il faut changer la culture de leadership au sein des Forces armées canadiennes, afin que les leaders puissent prendre des décisions sans s'appuyer tout le temps sur le livre. Je suis convaincue que si les officiers supérieurs de Mme Nash étaient allés en cour, ils ou elles auraient dit avoir suivi les règles. Il faudrait qu'on leur donne le pouvoir nécessaire pour qu'ils ou elles puissent dire avoir fait face à une situation particulière.

  (0945)  

[Traduction]

    Leadership ne signifie pas traiter tout le monde de la même façon; c'est traiter tout le monde équitablement.
    Merci beaucoup, madame Perron.
    Mme Salma Zahid, vous avez sept minutes.
    Merci, madame la présidente, et merci aux témoins. Merci, madame Nash et madame Perron de nous avoir fait part de vos histoires; elles fendent le cœur.
    Je m'adresse d'abord à Mme Nash. Je trouve très triste que vous ayez eu à choisir entre votre enfant et votre carrière. Mère de deux garçons, je sais que je ferais toujours passer mon enfant en premier.
    Compte tenu des exigences d'une carrière dans la Marine et des probabilités du temps passé en mer, pouvez-vous nous expliquer comment les Forces armées canadiennes peuvent modifier leurs politiques et leur structure pour tenir compte des défis auxquels les mères sont confrontées, surtout les mères célibataires?
    J'ai entendu dire que certains navires ont des horaires alternés; par exemple, une alternance de blocs de trois mois. Cela aurait fonctionné, parce que j'aurais pu mettre mon fils chez mes parents pendant les trois mois où j'étais en mer, puis, revenue à terre, passer trois mois avec mon fils. C'est un grand sacrifice et j'aurais été triste loin de lui pendant trois mois, mais c'est ce que je faisais de toute façon dans mon métier. Ça aurait marché.
    Le problème des horaires dans la Marine à l'heure actuelle, c'est qu'on peut être en mer un jour et sur terre cinq, puis retourner en mer trois jours et revenir une semaine, puis encore être en mer trois mois puis à terre un mois. C'est tout à fait imprévisible.
    Ça va, parce que c'est opérationnel, et si le navire doit fonctionner ainsi, qu'il le fasse, mais ce serait une grande aide si les membres avaient l'option de le faire pendant trois mois; par exemple, ils pourraient faire trois mois de ces sorties en mer imprévisibles, puis passer les autres trois mois aux côtés de leur famille ou à faire du travail administratif, de la formation ou autre chose du genre.
    Dans le cadre de cette étude, d'autres témoins aussi nous ont dit avoir eu de la difficulté avec le processus de la Commission des droits de la personne qui exige que tous les recours internes dans son propre milieu de travail aient été épuisés d'abord, et que ces processus internes soient au point mort. Une des propositions que nous avons entendues, c'est que le processus de plainte des Forces armées canadiennes soit géré par une organisation distincte, hors de la chaîne de commandement de la personne plaignante. Pensez-vous que ce serait une bonne chose?
    Oui. Le premier grief que j'ai déposé était contre une femme appelée Karen Bellehumeur, et la personne qui a été chargée du dossier pour le régler était son ami dont le bureau était à côté du sien. Quand j'allais à une réunion concernant mon grief, je devais attendre devant leurs bureaux, les entendant bavarder, rire et plaisanter. Peut-être qu'ils faisaient ça sciemment pour mes oreilles. Une fois qu'ils avaient fini leurs échanges amicaux, ils réintégraient leurs bureaux et lui me disait: « Bon, vous pouvez entrer maintenant. » Je ne vois pas comment cela pouvait être juste, ni que des résultats auraient pu être en ma faveur.
    Madame MacDonald, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
    Je suis tout à fait d'accord avec Mme Nash. D'après son expérience et la mienne, personnellement et dans mon cabinet, il est clair qu'il faut faire quelque chose, parce que ce n'est pas juste. Cela ne nous aide pas, et n'a certainement pas aidé Mme Nash.
    Mme Nash a été placée en situation de péril économique, physique et social à cause de ce qui lui est arrivé. Elle a absolument besoin que sa plainte soit entendue par des personnes expertes dans le domaine de son grief. C'est ce qui manque dans le processus des griefs, je le crains, et c'est pourquoi j'ai avancé l'idée d'éliminer l'alinéa 41(1)a) de la loi. Ainsi, la Commission canadienne des droits de la personne ne ferait plus obstacle à des plaintes légitimes. Les tribunaux dans l'ensemble du Canada, à l'échelle tant provinciale que fédérale, sont des experts en la matière et nous devons permettre aux personnes, surtout les membres des Forces armées canadiennes, d'y recourir.

  (0950)  

    Je m'adresse à Mme Perron pour ma question suivante. Vous avez parlé dans votre témoignage d'un soutien aux familles militaires. La proportion des femmes dans les forces armées et des épouses qui prennent soin de leur famille est faible. Bien que ce n'était pas au Canada, je suis la fille d'un officier de l'armée et donc connais le stress que les familles subissent. Que proposeriez-vous en ce qui concerne le soutien pour les familles?
    À l'heure actuelle, les centres de ressources pour les familles des militaires, les CRFM, ont quelques initiatives de soutien pour les familles. Ils organisent des réseaux de soutien pour que les personnes, comme Mme Nash, trouvent peut-être un clan ou un réseau où obtenir de l'aide pour les services de garde d'un jour ou des services de garde en période de congé prolongé. Il n'est pas nécessaire que les centres pour les familles suivent toujours les règles, règlements et politiques militaires. Ils doivent sortir de ce contexte afin d'examiner chaque cas, puis improviser pour offrir le soutien requis selon du cas.
    Une des choses que j'entends des recrues un peu partout dans le pays, c'est que les femmes ont été, dès le départ dans leurs carrières, déracinées, ballottées et arrachées à leurs familles. Elles n'ont pas les parents ou les belles-mères qui les aident à prendre soin de leurs enfants. La plupart des initiatives des CRFM à l'heure actuelle visent à trouver des moyens d'aider les femmes plutôt que de faire des pressions sur les hommes pour qu'ils aident les femmes. C'est ce sur quoi je centre mon attention à l'heure actuelle, ainsi que les choses comme les Mères de la Croix d'argent.
    Tous les ans, à l'heure actuelle, on choisit une Mère de la Croix d'argent qui dépose une couronne au pied du Cénotaphe le 11 novembre. Cela perpétue la notion que les femmes sont les principales dispensatrices des soins et davantage responsables des enfants. Il devrait y avoir des familles de la Croix d'argent ou des parents de la Croix d'argent pour que, avant tout, les préjugés soient éliminés. Les hommes devraient être traités équitablement aussi. Il ne faut pas perpétuer l'idée que seules les femmes souffrent quand elles perdent un enfant. Cela serait aussi un signe de diversité. De nos jours, nos soldats ont parfois deux pères ou deux mères ou grands-parents. Comment choisir? Allons-y pour les parents de la Croix d'argent, les familles de la Croix d'argent.
    Soit dit en passant, je l'ai proposé à la Légion royale canadienne, au gouverneur général, au ministre de la Défense nationale et au ministre des Anciens Combattants. Je leur ai tous envoyé une lettre, et pourtant, nous avons encore des Mères de la Croix d'argent.
    Nous passons maintenant à Rachael, puis à Sonia.
    Madame Lalonde, en parlant des Forces armées canadiennes, vous avez dit qu'aucune personne qui dénonce ce qui se passe n'est en sécurité. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Oui, je crois que le témoignage de Sandra et de Laura aujourd'hui, ainsi que les histoires que Sandra entend en sillonnant le pays sont une indication de cela, mais là encore, je suis une civile blanche, éduquée, bilingue qui a reçu des excuses écrites du ministère de la Défense nationale. À l'époque, le général m'a jeté aux orties à la télévision nationale. Les médias ont permis aux gens d'avoir des sections de commentaires où des personnes pouvaient me menacer. Mon cas était tout à fait clair. Le fait que le commandant se soit excusé de la façon dont j'ai été traitée dans cette organisation est très révélateur, à mon avis.
    Je ne connais pas une seule femme qui se soit avancée pour mettre au défi une organisation, que ce soit les Forces armées canadiennes, la Gendarmerie royale du Canada ou les pompiers. Qui l'a fait et a été traitée d'héroïne à ce moment-là? Personne. Peut-être que, des années plus tard, nous reconnaîtrons le sacrifice que ces personnes ont fait, mais nous n'avons pas d'exemples de personnes dénonçant une situation et obtenant un soutien sans équivoque. C'est très dur.
    Il faut engager des avocats, si l'on peut se le permettre. Il faut trouver des personnes qui offrent un soutien et qui viennent à la rescousse. En rétrospective, l'histoire vous place du côté des bons, mais cela ne fait rien pour protéger votre gagne-pain dans l'immédiat.
    Je suis une civile qui ne pouvait pas prendre la parole en public sans des gardes du corps, et je parle de mettre fin à la violence contre les femmes en tant que femme blanche. Je ne pense pas que je pourrais être plus directe que ça. Je ne pouvais pas aller dans des groupes communautaires et parler de mettre fin à la violence sans demander à la Police provinciale de l'Ontario de venir s'assurer que personne ne m'attaque. Les gens me menaçaient en personne et en ligne, et je devais faire appel à la police. Ça m'est réellement arrivé. Combien de femmes se contentent de quitter les forces armées et de ne pas parler de ce qui se passe? Des multitudes.
    C'est une organisation qui a un plafond; elle vise 21 % de femmes dans les forces armées. Ce pourcentage est tellement faible qu'il est risible. Ça n'arrivera pas tant que les gens qui tentent de changer les choses sont des parias dans leur communauté.

  (0955)  

    Mme MacDonald a décrit certaines étapes systémiques concrètes qui doivent avoir lieu dans les Forces armées canadiennes. Si, d'après votre expertise, vous deviez décrire d'autres étapes pratiques qui permettraient d'augmenter le nombre de femmes dans les forces armées, quelles seraient ces étapes?
    Tout d'abord, à ce stade, je n'encouragerais pas plus de femmes à entrer dans les forces armées. Ce n'est pas le bon objectif à avoir. Il faut d'abord régler le problème. Il ne s'agit pas simplement d'« ajouter des femmes et mélanger », ce qui a été l'approche traditionnelle jusqu'à présent.
    Premièrement, je crois que les Forces armées canadiennes ratent une énorme occasion, car le milieu change de nombreuses façons. L'idée de la force brutale et du combat dans les tranchées comme à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale... Les forces armées ont besoin de personnes qui font de la diplomatie, qui font le décryptage de codes, qui travaillent à l'ordinateur, qui travaillent dans le domaine des TI. C'est là le visage des nouvelles forces armées.
    On pourrait faire un remaniement qui que « Les Forces armées canadiennes changent de nombreuses façons ». Cela pourrait viser la diversité, mais pourrait aussi viser le fait que l'on recherche des personnes intelligentes, n'est-ce pas? C'est ce que recherchent les forces armées: des forces plus instruites. Ce pourrait être une nouvelle image. Je crois qu'on accorderait ainsi moins d'attention à l'Opération Honour et au recrutement d'un plus grand nombre de femmes en faisant plutôt valoir des changements excitants au sein des forces armées.
    Deuxièmement, elles auront besoin d'experts de l'extérieur. Les gens doivent pouvoir signaler leur situation à quelqu'un qui ne fait pas partie de la chaîne de commandement. Le nouveau centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle est bien, mais pas extraordinaire. D'ailleurs, il n'est même pas encore établi. À mon avis, de façon générale, ce dont nous devons débattre en tant que nation, c'est de la question: les Forces armées canadiennes devraient-elles faire enquête sur les agressions sexuelles au sein de l'appareil militaire? Pour ma part, c'est un non catégorique. Là encore, elles n'ont pas les experts, et nous continuons à leur permettre de dire: « Nous trouverons bien comment. »
    Donc, un soutien externe, des conseillers externes, des experts externes pour former leurs gens, des gens de l'extérieur pour traiter de leurs plaintes, ainsi qu'une conversation massive sur la façon dont les forces armées changent. Il faut présenter cela de façon positive au lieu de laisser les hommes qui veulent que le système reste le même se sentir menacés. C'est de là que vient le réflexe d'être sur la défensive.
    Ils pensent que nous leur enlevons quelque chose par le fait que nous avons un congé parental. Qu'est-ce que cela nous dit sur cette organisation?
    Nous avons jusqu'à 10 h 15; il nous restera donc encore du temps après Sonia.
    Sonia, vous avez la parole pendant cinq minutes.
    Merci beaucoup de nous relater vos expériences.
    En ce qui concerne l'atmosphère non accueillante envers ceux qui sont à l'extérieur des Forces armées canadiennes, madame Lalonde, vous avez dit que nous pouvons changer cette culture.
    Pouvez-vous nous parler un peu plus de cela?
    Tout d'abord, il faut cesser de dire que c'est un grand navire qui ne peut pas faire demi-tour rapidement. J'en ai marre de la métaphore du navire que j'ai entendue des centaines de fois au cours des cinq dernières années.
    L'autre phrase, c'est: « La violence sexuelle n'est pas l'apanage des forces armées. Le sexisme n'est pas l'apanage des forces armées. On le voit partout. » C'est la dérobade la plus mesquine que j'ai jamais entendue.
    C'est une organisation qui surveille même l'apparence de nos dessous. Ne mâchons pas les mots. Chaque facette de votre vie est contrôlée quand vous vous joignez aux Forces armées canadiennes, et nous prétendons que nous ne pouvons rien faire au sujet de ces clowns enfantins qui harcèlent les femmes, de ces personnes qui se moquent d'elles quand elles se plaignent.
    Il faut du courage, il faut un leadership solide pour pouvoir dire qu'il ne s'agit pas seulement de l'élimination de la violence sexuelle, qu'il faut trouver les 20 violeurs au sein des forces et s'en débarrasser. Il faut parler de la façon dont la masculinité est ancrée dans les forces armées. L'uniforme est masculin. Pour entrer dans les forces armées, il faut éliminer tout aspect de sa féminité. Il faut choisir entre son enfant et une carrière. Il faut avoir l'air d'un homme.
    C'est littéralement la recette « ajouter des femmes et remuer ». Il faut un leadership fort pour pouvoir le dénoncer, dire que la masculinité a été trop longtemps la clé de la réussite dans ce métier, et qu'il n'en sera plus de même. Aussi, être blanc a manifestement été un élément intégral de l'appartenance aux forces armées, être hétéro — des choses dont nous nous écartons.
    C'est une organisation hiérarchique, et donc, si le général Vance pouvait déclarer et faire des choses plus audacieuses, cela descendra tout le long de la chaîne. C'est une organisation hiérarchique, et ses membres attendent ses directives.

  (1000)  

    Madame Perron, merci d'avoir pris cette initiative au sujet des Mères de la Croix d'argent. Je suis de Brampton Sud, où nous avons Diana Abel, que j'ai rencontrée. Je vous remercie d'avoir envoyé la lettre concernant les Mères de la Croix d'argent.
    Nous avons aussi compris la question des 20 places de garderie. Qui a pris la décision de limiter à 20 les places de garderie dans les forces armées?
    N'importe laquelle d'entre vous peut répondre. C'est une question ouverte.
    À vrai dire, je l'ignore.
    Je parlais du bâtiment du CRFM dans lequel se trouve la garderie à Esquimalt. C'est un très très grand bâtiment. Une des salles de garderie était gardée vide pour que des personnes de la collectivité puissent la louer pour des fêtes d'anniversaire les fins de semaine. Comme nous payons tous 700 $ par mois, c'est 7 000 $, ce devrait être un programme qui s'autofinance. Cela ne devrait pas coûter plus que ça aux forces armées ni au CRFM.
    Je ne sais pas exactement qui en a la responsabilité, mais je crois qu'il y a là une occasion d'augmenter le nombre de ces places en garderie et de les rapprocher de la base. La garderie à Esquimalt a été fermée, et la plus proche se trouvait à 9 kilomètres de là, soit 40 minutes le matin dans la circulation. Ma place en garderie se trouvait à 40 minutes de la base en pleine circulation.
    En ce qui concerne des forces armées favorables aux familles, estimez-vous qu'une des solutions serait d'augmenter le soutien de la garde des enfants.
    Absolument, oui.
    Madame Perron, aimeriez-vous ajouter quelque chose là-dessus?
    Je suis tout à fait d'accord. Il faut offrir aux familles un meilleur soutien, et cela signifie leur offrir la garde des enfants sur la base et tout ce qui va avec ça. Cela coûtera, bien sûr, mais il ne devrait pas y avoir une limite précise du nombre de places. Nos soldats et nos officiers ont besoin de disposer d'autant de places en garderie que nécessaire pour pouvoir être déployés.
    Que pourrait faire d'autre le gouvernement fédéral? Mes collègues ont posé cette question. Avez-vous d'autres solutions ou suggestions?
    C'est une question ouverte à vous toutes.
    Allez-y.
    Merci, madame Perron. Je ne vais pas mâcher mes mots: il faut propulser les forces armées en l'an 2019. Pour le faire, il faut admettre qu'elles ont des problèmes sur divers plans et que ceux-ci doivent être réglés.
    Merci.
    Madame Harder, c'est votre tour, vous avez cinq minutes.
    Vraiment? Fantastique.
    Oui, nous sommes ici jusqu'à 10 h 15.
    Madame MacDonald, je ne sais pas si vous vous souvenez avoir dit dans vos observations préliminaires que vous aviez écrit au premier ministre Trudeau au sujet de ses paroles, mais vous n'avez pas donné plus de détail sur la nature de ces paroles. Vous avez aussi dit que vous n'aviez pas encore reçu de réponse de lui. Quelles étaient les paroles qu'il a prononcées et au sujet desquelles vous lui avez écrit...
    J'ai un appel au Règlement. Un instant.
    Allez-y.
    Je suis désolé, ce n'est pas un appel au Règlement. Je veux simplement poser une question.
    Ah, bon. Cette question est-elle pour l'une des dames ici, ou...
    J'aimerais simplement avoir mon tour de cinq minutes, si possible.
    Vous n'êtes pas sur la liste des membres qui prennent la parole. Si vous voulez vérifier avec Salma au sein de votre propre groupe... Nous poursuivons avec Rachael.
    Je ne voulais pas interrompre. Je suis désolé.
    C'est bien. Pas de souci.
    Allez-y, Rachael.
    Madame MacDonald, je me demandais simplement si vous pouviez nous dire quelles étaient ces paroles.
    Certainement. Nous étions pleines d'espoir, madame Harder, après que le premier ministre Trudeau ait dit que c'était une situation absolument horrible pour Laura. Nous avions beaucoup d'espoir que les choses changeraient.
     Malheureusement, nous n'avons rien vu; alors, je lui ai écrit en septembre 2017, après le segment de l'émission The National, pour lui dire que je voulais lui rafraîchir la mémoire au sujet de Mme Nash et de ce qu'elle avait fait. Je lui ai demandé précisément de nous aider à arriver à une résolution, parce que nous étions bloquées dans le processus de la Commission canadienne des droits de la personne. Comme Mme Nash et moi-même l'avons mentionné, nous n'étions pas arrivées à avancer. J'avais besoin d'aide. J'avais besoin de quelqu'un qui pouvait faire quelque chose et j'espérais que le premier ministre Trudeau serait cette personne. Malheureusement, nous n'avons pas eu de réponse de lui ni de son bureau.

  (1005)  

    Merci.
    Madame Nash, s'il y avait une seule chose dont vous aimeriez que ce comité tienne compte dans son étude du traitement des femmes dans les Forces armées canadiennes, qu'espérez-vous que nous retirions de votre expérience après vous avoir entendue aujourd'hui?
    Les quotas me préoccupent — et Julie en a parlé un tout petit peu; si tout ce que nous faisons, c'est augmenter le nombre de femmes dans les forces armées, il reste encore beaucoup de pièges dans lesquels elles peuvent tomber et beaucoup de mauvaises situations dans lesquelles elles peuvent se trouver. S'il était possible de changer quelques-unes des politiques... Je ne crois pas qu'il serait difficile de changer quelque chose qui améliorerait le contexte pour elles.
    Je crains que nous vouions les femmes à l'échec si elles ont des bébés et finissent... Si leur mari les quitte, si elles ont d'autres problèmes, si elles sont victimes d'une agression sexuelle, ou d'autres choses de ce genre... Aussi, il devrait y avoir des soins de santé un peu plus axés sur les femmes. Je ne crois pas qu'ils en sont là encore.
    Merci beaucoup.
    Nous passons à Emmanuella Lambropoulos.
    Madame Lambropoulos, vous avez la parole.
    Merci à tous nos témoins de leur présence aujourd'hui.
    Madame Nash, reprenez-moi si j'ai tort, parce que je n'ai aucune expérience des forces armées. J'ai vu un documentaire que je comprends mieux maintenant, après vous avoir entendu parler de la culture dans les forces armées. Dans ce documentaire, les soldats parlaient, de leur camp de formation, du principal objectif de ce que les forces armées leur faisaient au cours de leur formation. Vous avez dit qu'au gré des années, les choses empirent progressivement parce que les recrues de troisième année étaient celles qui se sont le plus mal comportées envers vous.
    Je me demandais s'il y avait du vrai dans ce que j'avais entendu. En résumé, les soldats disaient que l'objectif était de déshumaniser une personne pour en créer un soldat et en faire quelqu'un qui est capable de faire des choses qui vont à l'encontre de ce qu'il a appris depuis son plus jeune âge. Leur éducation leur avait inculqué certaines valeurs et la nécessité d'avoir un sens moral et d'agir d'une certaine façon. Une fois dans les forces armées, ils doivent désapprendre certaines choses pour apprendre comment être un soldat.
    Croyez-vous que c'est ce procédé qui mène à la culture virile et masculine qui règne? Comment serait-il possible de maintenir une bonne formation qui permette aux soldats d'être efficaces dans le théâtre des opérations, tout en n'augmentant pas la discrimination contre les femmes et en n'en faisant pas avant tout une question de masculinité, mais de toutes les autres choses qui en feraient des militaires endurcis?
    Il est important de reconnaître que le ministère de la Défense nationale compte près de 70 000 employés, si je ne m'abuse, et seuls quelques milliers seront en réalité des francs-tireurs ou des membres des forces spéciales. Les forces armées ont littéralement des dizaines de milliers de personnes dans des rôles de soutien et des emplois administratifs, comme tant d'autres Canadiens. Je doute que ces Canadiens aient besoin d'être déshumanisés pour ces rôles précis. Si une personne veut faire partie des forces spéciales ou veut devenir un franc-tireur, elle pourrait alors se soumettre à ce processus.
    Durant votre formation, n'avez-vous pas senti qu'on vous apprenait à vivre différemment parce que vous étiez dans la Marine ou parce que vous vous formiez à ce que vous faisiez là-bas?
    Oui. Nous avons appris à plier nos habits, remplir nos sacs et prendre soin de nos affaires, ce qui est différent. Quant à déshumaniser les soldats, nous ne sommes pas en guerre, et c'est donc différent. Il y a tant de rôles administratifs pour lesquels la formation est une formation de bureau.

  (1010)  

    Où est la nécessité d'un tel environnement dur? Pourquoi pensez-vous que, au fil des années, les gens sont devenus de plus en plus négatifs à l'égard des femmes? Pouvez-vous commenter cela?
    Je crois que le fond de votre question touche en réalité la nature fondamentale des forces armées. Je crois qu'il y a là un lien avec le taux élevé de suicides et de traumatismes au sein des forces armées. Si les hommes doivent supprimer ce qu'ils ressentent parce que leur masculinité et leur machisme constituent la caractéristique clé qui leur permettra de réussir dans les forces armées, il est concevable que cela crée chez eux des taux élevés de traumatisme et l'incapacité d'y faire face, et aussi l'incapacité de parler de l'importance pour eux des activités de garde des enfants et de parentage, pour en revenir à ce que Mme Sandra Perron disait.
    Pour moi, ce qui est important dans le contexte du Collège militaire royal, c'est que j'ai eu connaissance de deux agressions sexuelles et deux suicides en très peu de temps. Le Collège militaire royal est un désastre. C'est embarrassant, parce que c'est une organisation militaire de prestige dont les gens sortent avec un grade et un diplôme. C'est un endroit huppé où aller à l'école, et si nous ne pouvons même pas mettre de l'ordre là, ça en dit long sur le reste des Forces armées canadiennes.
     Vous pourriez me dire que les élèves de première année sont tout simplement un peu fous et tout excités de faire partie des forces armées. Si c'est un élève de troisième année — ce qui signifie qu'il est à une année près de diriger peut-être des troupes — qui juge approprié de se lever durant un exposé et de crier « Pourquoi est-ce que tu hais tant les hommes? C'est embarrassant. Pourquoi es-tu là? Je ne devrais pas avoir à écouter cette femme », c'est la preuve que c'est l'organisation qui l'a rendu ainsi ou a nourri quelque chose qui existait déjà en lui. Un des aspects de cela est la notion de l'homme fort, un combattant et un guerrier.
    Pour en revenir à ce que disait Mme Nash, ce n'est pas ça les forces armées en réalité; alors, pourquoi recrutons-nous des gens avec cette idée qu'ils vont, comme dans les annonces publicitaires, sauter d'un hélicoptère en vol et faire... Ce n'est pas ce que la plupart des gens font.
    Premièrement, on se trouve à attirer des gens qui recherchent une chose qu'ils n'obtiendront pas, et nous encourageons une image de ce que cela signifie d'être un bon membre des Forces armées canadiennes — des exercices visant à encourager le moral aux courses à obstacles et d'autres choses encore — une image qui n'est pas le reflet de la vie réelle dans les forces armées.
    Cela doit changer s'il faut recruter des femmes, mais mon souci premier est la rétention des femmes. Si elle veut atteindre ce plafond de 21 %, l'organisation doit commencer par avoir une conversation avec elle-même parce que ce plafond est embarrassant. Dans quel autre secteur serait-il acceptable d'avoir un plafond si bas? Aussi, quel plan de rétention l'organisation a-t-elle? Je ne crois pas qu'elle en ait un, ce que nous prouve l'approche « ajouter les femmes et remuer ».
    Excellent. Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant vers Christine Moore pour notre dernière question.
    Madame Moore.

[Français]

     Parmi les recrues, on se rend souvent compte qu'il y a une différence de traitement entre une femme recrue qui aurait choisi d'être cuisinière, par exemple, et une autre qui aurait choisi un métier d'armes de combat, comme les blindés.
     Souvent, cela se perpétue aussi à l'intérieur de l'unité. Quand on a choisi un métier d'armes de combat, où on est à peu près la seule femme, il y a beaucoup de pression. Au début, ces femmes veulent montrer qu'elles sont capables, mais, après un certain temps, elles abandonnent et elles vont travailler dans le quartier maître. Souvent, elles se rendent compte qu'elles n'auront jamais accès au cours pour devenir caporales-chefs et qu'elles sont bloquées éternellement au grade de caporales. C'est sûr que c'est ma perception selon mon expérience dans les forces.
    À votre avis, cela a-t-il changé? Les femmes qui choisissent les métiers non traditionnels ont-elles vu un changement de culture avec les années ou y a-t-il encore un problème au sein des Forces canadiennes? Même si, sur papier, on permet aux femmes d'être dans les métiers d'armes de combat et les métiers les plus difficiles, il reste que, sur le plan de la culture, après un certain temps, on se rend compte que c'est simplement impossible et que c'est du sadomasochisme de vouloir poursuivre dans cette voie.
    Je vais me permettre de répondre.
    Les métiers d'armes de combat sont difficiles. Il y a beaucoup de défis physiques, émotionnels, moraux et intellectuels. Dire qu'on veut des soldats qui ne sont pas de bons humains, c'est faux, même pour les métiers d'armes de combat. Cela dit, on ne peut pas être déployé et avoir un enfant à nos côtés. C'est un métier opérationnel.
    La culture change. En ce qui concerne les métiers d'armes de combat, il faut comprendre qu'il y a le métier et que, ensuite, il y a des périodes dans la vie où on a des obligations et différentes priorités. Donc, les métiers de combat devront être plus flexibles et s'adapter aux familles, aux familles monoparentales ou aux personnes ayant la responsabilité de leurs parents âgés. Ils doivent s'adapter plus que les autres métiers, parce que les militaires sont déployés.
     Cela vient de quelqu'un qui a été en Bosnie et en Croatie. J'ai fait deux tours des Nations unies et je peux vous dire que nos meilleurs soldats sont ceux et celles qui sont plus humains et qui se sont adaptés à cela. Ce sont aussi ceux qui font de meilleurs leaders.

  (1015)  

[Traduction]

    Excellent.
    Au nom du Comité, j'aimerais remercier mesdames Sandra Perron, Laura Nash, Nathalie MacDonald et Julie Lalonde de nous avoir présenté leurs connaissances spécialisées aujourd'hui.
    Je vous remercie toutes de vos histoires. Merci de nous les avoir contées.
    Nous allons lever la séance, mais nous nous retrouverons de nouveau à 15 h 30 au 425 Wellington pour notre groupe de témoins suivant.
    La séance est levée.
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