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ETHI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique


NUMÉRO 018 
l
2e SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 1er février 2021

[Enregistrement électronique]

  (1230)  

[Traduction]

    La séance est ouverte. Bienvenue à la 18e séance du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique. Je m'excuse du retard, mais tout le monde est maintenant en ligne.
    Nous allons entendre deux témoins: Mme Serena Fleites et M. Michael Bowe, du cabinet d’avocats Brown Rudnick. M. Bowe est l’avocat de Mme Fleites, mais il a aussi un témoignage à faire ce matin.
    Pour les deux témoins qui viennent de se joindre à nous, sur le plan technique, je vous rappelle qu’il y a des services d’interprétation. Vous pouvez y avoir accès au bas de votre écran. Si vous cliquez sur le bouton d’interprétation, vous pouvez sélectionner l’anglais. On vous posera peut-être plus tard des questions en français. Je voulais juste le mentionner.
    Madame Fleites, merci beaucoup d’être disposée à comparaître devant notre comité pour raconter votre histoire. Nous tenons à ce que vous ne répondiez qu’aux questions qui vous conviennent. Nous voulons faire preuve de souplesse aujourd’hui pour nos deux témoins. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir accepté de venir.
    Nous allons commencer par vous donner l’occasion de faire vos déclarations liminaires. Nous aurons ensuite des questions pour vous. Encore une fois, nous nous efforcerons de faire preuve de souplesse pour que vous puissiez répondre aux questions en étant le plus à l’aise possible.
    Madame Fleites, vous pourriez peut-être commencer par votre déclaration liminaire, et nous passerons ensuite à M. Bowe, si cet ordre vous convient.
    Oui, c'est bien.
    J'ai grandi dans un petit village de montagne, et je n'avais pas le WiFi ni même l'électricité. Je n'ai jamais eu de iPod, de téléphone ou d'accès à Internet avant de déménager en ville. L'école que j'ai fréquentée était aussi très petite. Il n'y avait qu'une seule école dans la ville, de la prématernelle à la 8e année. C'est l'école de mon enfance. Ensuite, lorsque j'ai déménagé à Bakersfield, l'école comptait 3 500 enfants pour seulement deux années. Je suis passée de cinq enfants dans ma classe toute la journée à 30, dans huit classes différentes par jour. Tout cela était tout à fait nouveau pour moi.
    Je n'avais jamais eu de béguin, de petit ami ou quoi que ce soit du genre avant, et on m'a donc beaucoup pris pour cible au cours des premières semaines d'école. On se moquait de moi parce que je n'étais pas au courant de tout. Comme je venais des montagnes, je ne connaissais pas l'argot et ne savais pas ce qui était populaire. Donc, quand un garçon m'a finalement remarquée et s'est intéressé à moi — ou du moins, c'est ce que je pensais —, j'ai commencé ma première relation. Après un certain temps, ses amis venaient nous voir à l'heure du dîner pour nous demander toutes sortes de questions et tenter de faire pression sur moi pour que je fasse différentes choses comme l'embrasser — alors que je n'avais jamais eu mon premier baiser. Ils disaient toutes sortes de choses.
    Un soir — c'était pendant le dernier semestre de ma 7e année —, le garçon que je fréquentais m'a demandé d'envoyer une vidéo de moi. Je n'ai pas tout de suite compris ce qu'il voulait dire. Il m'a envoyé une vidéo de Pornhub où une fille se déshabillait et se montrait à la caméra. Il m'a demandé d'en faire autant, et je lui ai dit que je n'étais pas vraiment à l'aise, et il a donc continué de me le demander chaque soir après l'école. Je m'étais alors procuré mon premier iPod et une application de messagerie appelée Kik pour parler à du monde à l'école.
    Il m'écrivait sur cette application tous les soirs après l'école pour me demander d'envoyer la vidéo, et je lui disais toujours non. Je n'étais pas à l'aise et je ne savais même pas quoi faire. Et il me disait que c'était tout à fait normal, que tout le monde le faisait, toutes les personnes de notre âge, que si nous étions vraiment en relation, si je l'aimais vraiment, je lui enverrais quelque chose du genre. J'ai continué de refuser pendant un certain temps. Je n'étais vraiment pas à l'aise avec l'idée. Après deux ou trois semaines, il m'a dit que puisque c'était comme ça, ce n'était même pas une vraie relation, qu'il ne savait pas pourquoi il continuerait de me déranger si je n'étais même pas disposée à lui envoyer quelque chose qu'il m'enverrait à son tour, que ce serait fini, à moins que je lui envoie la vidéo et qu'il m'en envoie ensuite une aussi.
    J'ai donc fait une petite vidéo courte, d'environ une minute, que je lui ai envoyée, et je n'ai remarqué aucun changement pendant les premiers jours. Son groupe d'amis a toutefois commencé à venir nous voir à l'heure du dîner pour faire des commentaires sur mon corps et dire à quel point j'étais anormale et qu'ils aimeraient que leurs petites amies fassent ce genre de choses. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me fâcher, car j'avais l'impression qu'il leur avait montré la vidéo, alors qu'il m'avait dit qu'il la supprimerait juste après.
    J'ai ensuite remarqué qu'encore plus de jeunes à l'école me regardaient ou me faisaient de petits commentaires. C'était environ une semaine et demie ou deux semaines après avoir envoyé la vidéo. C'est alors que j'ai appris que la majorité de l'école l'avait reçue. Au début des vacances d'été, j'avais mis fin à la relation parce que j'avais appris qu'il avait envoyé la vidéo à ses amis et que ses amis l'avaient envoyée à leurs amis. L'école entière l'avait vue, tout comme les écoles avoisinantes.
    Pendant les vacances d’été, avant ma huitième année, nous sommes déménagés, et je pensais donc que les choses s’amélioreraient. Je ne savais pas encore que d’autres personnes l’avaient vue ou qu’elle avait été mise en ligne. Environ deux semaines après avoir commencé à fréquenter la nouvelle école, une personne qui avait créé un compte anonyme sur Kik m’a envoyé un lien. C’était la vidéo que j’avais envoyée à mon ancien petit ami. On l’avait mise en ligne sur Pornhub avec la légende « Brunette de 13 ans qui se dénude pour la caméra ».
    J’ai ensuite commencé à rater très souvent mes cours. Je commençais à être très déprimée. J’ai commencé à consommer de la drogue. J’ai supplié ma mère pour changer d’école. Je lui ai dit que le programme était beaucoup trop avancé par rapport à ce que nous apprenions dans les montagnes, que mes connaissances n’étaient donc pas à jour. Je lui ai demandé si je pouvais tout simplement suivre les cours à la maison, pour pouvoir faire du rattrapage. Elle était très occupée et devait prendre soin seule de cinq autres enfants. Elle a donc évidemment dit non.
    J’ai tout juste réussi à faire ma huitième année. Avant toute cette situation, j’étais première de classe. Mon nom figurait toujours au tableau d’honneur ou sur la liste du directeur. J’obtenais toujours une reconnaissance après chaque trimestre et à la fin de l’année. Vers le dernier trimestre de ma 7e année et pendant toute ma 8e année, c'est à peine si je passais mes cours. Mes notes ont commencé à se détériorer rapidement. C'était surtout parce que je ne fréquentais plus régulièrement l'école. Même les jours où j'y allais, je me cachais dans un cabinet de toilette pendant presque toute la journée, ou j’essayais de partir si je le pouvais.
    J’ai ensuite écrit à Pornhub pour que la vidéo soit retirée. J’ai fait semblant d’être ma mère. Je ne voulais pas lui en parler parce qu’elle était mère monoparentale de six enfants. Elle a eu une enfance catholique. Elle avait des points de vue très stricts sur ce genre de choses. Je savais qu’elle serait fâchée. Je savais que cela lui causerait des ennuis. Je ne voulais pas lui dire.
    J’ai tenté de régler le problème moi-même en écrivant dans la section prévue pour signaler un problème à propos de la vidéo. J’ai dit que c’était ma fille, qu’elle n’avait que 14 ans et que c’était de la pornographie juvénile, et je les ai priés de retirer la vidéo. Il leur a fallu une ou deux semaines pour répondre. Quand ils ont enfin répondu, ils ont dit qu’ils allaient la retirer, et j’ai ensuite attendu encore deux semaines avant que la plateforme la retire enfin.
    J’ai fait mes recherches, et on m’a dit que selon le système en place, lorsqu’une vidéo sur le site est considérée comme de la pornographie juvénile, elle est fichée, et il n’est plus possible de la remettre en ligne. C’était évidemment faux, car une semaine plus tard, on l’avait remise en ligne. Toutes les personnes de mon âge — quelques années au-dessus et même quelques années au-dessous — l’avaient vue, même si je fréquentais après ma 8e année une école secondaire qui se trouvait à l'autre bout de la ville. Les élèves avaient également tous vu la vidéo. J'ai ensuite essentiellement décroché du réseau d'écoles publiques.
    Depuis, j’ai... Les vidéos... Les gens les trouvent et me les envoient. Ils me les envoient sans cesse en me disant: « Mon Dieu, est-ce que c’est toi? » Des gens sur Internet, des gens que je n’ai jamais rencontrés en personne, trouvent mes comptes sur les réseaux sociaux et m’envoient la vidéo en me disant: « C’est bien toi, non? » Ils essaient ensuite de me poser des questions, me tiennent des propos inquiétants, ou ils menacent de divulguer des renseignements ou tentent de harceler les membres de ma famille. Beaucoup de personnes dans les années au-dessus de la mienne, surtout des garçons, tentent de me harceler ou de me faire chanter, en me disant qu’ils enverront la vidéo à ma famille si je ne fais pas certaines choses avec eux ou que je ne leur envoie pas d’autres vidéos. Ils l’enverront à ma grand-mère, à ma mère, à mes sœurs et à mon frère.
    Je me suis retirée des médias sociaux pendant un certain temps. J’ai arrêté de fréquenter l’école. J’ai fini par être très déprimée. Je pensais qu’à partir du moment où je n’allais plus être dans le public autant, où j’allais arrêter de fréquenter l’école, les gens arrêteraient de remettre la vidéo en ligne. Mais ce n’est pas ce qu’il s’est produit, car on l’avait déjà téléchargée partout dans le monde. Elle sera toujours remise en ligne, sans cesse. Peu importe le nombre de fois qu’elle est retirée, elle reviendra toujours.

  (1235)  

    C'est la raison pour laquelle j'ai fini par m'adresser à M. Bowe.

  (1240)  

    Merci.
    Souhaitez-vous ajouter autre chose pour terminer votre déclaration liminaire?
    Dans la négative, nous allons maintenant passer à M. Bowe.
    C'est bon.
    Merci beaucoup de nous avoir raconté votre histoire.
    Monsieur Bowe, nous vous écoutons.
    Je vais me présenter brièvement au Comité. Je m'appelle Michael Bowe. Je suis associé au cabinet d'avocats Brown Rudnick à Manhattan.
    J'enquête sur Pornhub et MindGeek, sa société mère, et ses autres sites depuis environ un an. Dans le cadre de cette enquête, j'ai pris connaissance de centaines de témoignages semblables à celui de Mme Fleites, du témoignage de femmes mineures ayant été exploitées et dont la vidéo s'est retrouvée sur Pornhub, de femmes majeures victimes de viol dont la vidéo s'est retrouvée sur Pornhub, de femmes victimes de la traite des personnes qui ont vu des vidéos d'elles sur Pornhub. Toutes sortes d'autres actes non consensuels se retrouvent sur Pornhub.
    Dans le peu de temps que j'ai, je veux aborder quatre sujets qui, je l'espère, serviront un peu de feuille de route pour les questions et la suite: la véritable raison de notre présence ici; ce qui nous a menés ici; la décision consciente de MindGeek de commercialiser ce genre de comportement; et ce que nous pouvons faire maintenant.
    Tout d'abord, pourquoi sommes-nous ici? Il faut vraiment se demander ce que nous ne sommes pas venus faire. Dans une seconde, je vais expliquer pourquoi je pose la question d'emblée. Il est question de viols, pas de pornographie. Il est question de la traite des personnes, de la diffusion de performances ou de contenu d'adultes non consentants. Il n'est pas question de surveiller des activités d'adultes consentants. Il n'est pas question de religion. Je pense que, même à notre époque, tout le monde convient qu'aucune industrie ne devrait commercialiser ou tirer profit du viol, de mauvais traitements infligés à des enfants et de contenu issu de la traite des personnes. Je crois que nous nous attendons tous à ce qu'une entreprise ou une industrie légitime ne le fasse pas et fasse tout ce qu'elle peut pour éviter que ce genre de contenu pollue son produit.
    Je le mentionne parce que, l'année dernière, lorsque le public a commencé à porter attention à MindGeek, une entreprise canadienne, au fait qu'elle commercialisait ce genre de contenu et en tirait profit en toute connaissance de cause, plutôt que de reconnaître le problème et de s'y attaquer rigoureusement, elle a rigoureusement mené une campagne de détournement dans les médias traditionnels et les médias sociaux pour discréditer les victimes et détourner l'attention du problème en rejetant le blâme sur d'autres choses. Je vais en parler dans une minute.
    C'est un véritable problème, dans le sens où c'est concret; il ne s'agit pas de cas isolés, et c'est terrible. C'est considérable; il ne s'agit pas d'une ou deux personnes ici et là ou de certaines choses qui sont passées à travers les mailles. Comme je vais l'expliquer dans une minute, ce genre de contenu fait partie du modèle d'affaires, non seulement pour MindGeek, qui revêt une importance particulière pour le Comité en tant qu'entreprise canadienne, mais aussi pour ses concurrents et dans l'industrie.
    Pour souligner à quel point c'est réel, je vais vous donner quelques exemples d'autres victimes à qui nous avons parlé et que nous avons confirmés.
    Une fille de 15 ans se fait violer, et une vidéo est mise en ligne sur Pornhub et distribuée dans une collectivité. Pornhub refuse de retirer la vidéo pendant trois semaines et dit ensuite qu'elle a été retirée alors qu'elle demeure en ligne encore deux mois, ce qui signifie plusieurs centaines de milliers de visionnements supplémentaires, des téléchargements et une distribution dans la collectivité.
    Un enfant n'ayant pas encore 10 ans est victime de la traite des personnes et du milieu de la pornographie juvénile pendant près de 10 ans. Ces vidéos ont été distribuées sur diverses plateformes de MindGeek où elles ont pu rester au moins jusqu'à la fin de l'année dernière.
    Une fille de 15 ans est filmée à son insu par des pirates informatiques et forcée de faire d'autres vidéos. Ces vidéos sont versées sur Pornhub avec ses renseignements personnels, elles sont largement distribuées, y compris dans sa collectivité et à sa famille, et elle subit alors de mauvais traitements et se fait harceler pendant longtemps. Lorsqu'elle a fait part du problème à Pornhub, la plateforme a refusé de chercher les vidéos ou de prendre d'autres mesures proactives pour prévenir leur distribution. Le traumatisme lui a fait envisager le suicide.
    Une femme est violée et filmée, et la vidéo est mise en ligne sur Pornhub, et notamment distribuée dans sa collectivité.
    Une fille de 17 ans est enregistrée à son insu par un petit ami mineur, et la vidéo se retrouve sur Pornhub. Elle circule dans son milieu scolaire et est transmise à sa famille, ce qui lui fait subir du harcèlement et de l'extorsion.

  (1245)  

    Une femme est droguée et violée après un rendez-vous galant. Le viol est filmé et téléversé sur Pornhub. Nous croyons qu'il a été vendu à Pornhub par la personne qui l'a mise en ligne.
    Une fille de 14 ans est filmée à son insu par son petit ami, qui publie la vidéo sur Pornhub et la fait circuler, encore une fois, à son école et dans sa collectivité.
    De la pornographie juvénile publiée sur Pornhub est visionnée des centaines de milliers de fois et téléchargée on ne sait combien de fois. Lorsqu'elle est signalée à Pornhub, la plateforme ne la signale pas aux autorités. C'est une chose dont je vais parler dans une seconde.
    Une fille de 16 ans est contrainte de commettre un acte sexuel qui est filmé et téléversé sur Pornhub à son insu et sans son consentement.
    Une fille de 16 ans est achetée par deux Américains qui la filment dans des actes sexuels. En fait, c'est pour cela qu'on la vendue. Ces vidéos sont mises en ligne sur Pornhub. Cette fille connaît d'autres femmes dans ce réseau de traite des personnes qui ont été vendues dans le même but.
    Une fille mineure est exploitée pendant des années par un collègue d'affaires de son père. Les vidéos sont publiées sur Pornhub pour faire de l'argent. Elle a signalé les vidéos, mais doit attendre longtemps avant qu'elles soient retirées.
    Une fille mineure tente à maintes reprises de se suicider et trouve refuge dans la drogue lorsque des vidéos d'elle sont publiées sur Pornhub.
    Ce ne sont que quelques exemples. Nous en avons trouvé un très grand nombre. Nous avons enquêté sur des centaines de cas. Nous avons parlé à plusieurs dizaines de victimes dont nous avons pu confirmer l'histoire. Nous avons parlé à des intervenants, à des enquêteurs, à des journalistes, à des personnes dans l'industrie et à des lanceurs d'alerte. Ce ne sont pas des cas isolés. C'est un véritable problème.
    Comment en sommes-nous arrivés là? Eh bien, nous en sommes arrivés là comme nous arrivons à beaucoup d'endroits en ce moment dans notre culture: parce que l'Internet a grandement perturbé l'industrie de la pornographie. Avant les sites qui s'inspirent de YouTube, l'industrie de la pornographie avait un mécanisme de contrôle. Il y avait des lois. Nous avons aux États-Unis l'article 2257 selon lequel toute personne voulant produire du matériel pornographique doit avoir un consentement par écrit qui confirme l'âge et que les actes sont consensuels. Pour distribuer le contenu, le vendre ou le diffuser en continu sur le centre de divertissement Acme Hotel Company, le diffuser sur une chaîne par câble, il fallait toujours cette entente de divulgation qui confirmait le respect de ces règles. Ce système fonctionnait relativement bien. Il n'était pas parfait, mais il fonctionnait.
    Il y a ensuite eu les sites inspirés de YouTube, où tout le monde peut mettre en ligne ce qu'il veut à tout moment. Des millions de vidéos ont été publiées chaque année. À notre avis, l'article 2257 s'applique à la majeure partie du modèle d'affaires de MindGeek. Peut-être pas à tout. Il est évident que MindGeek et l'industrie estiment qu'il ne s'applique pas du tout. Par conséquent, les personnes qui mettaient du contenu en ligne n'avaient aucune exigence à satisfaire. Les sites inspirés de YouTube ne se conformaient à aucune exigence.
    S'ajoute à cela le fonctionnement du modèle d'affaires de ces sites et l'optimisation pour les moteurs de recherche. L'objectif, bien entendu, est d'arriver en tête de liste dans les recherches sur Google de sorte que lorsque quelqu'un écrit « porno » et un sujet donné dans Google, le site apparaît en premier. Tous ces sites — MindGeek et ses concurrents — se livraient essentiellement à une course aux armements pour être au premier rang.
    Je suis loin d'avoir assez de temps, ni probablement assez de connaissances, pour bien expliquer tous les éléments de l'optimisation des moteurs de recherche, mais je peux vous donner quelques réalités simples. Le contenu est roi. Les moteurs de recherche sont roi. Les longs termes de recherche sont rois. Les descriptions sont rois. Plus on a de contenu, plus on a de titres, plus on obtient d'étiquettes — tout cela vaut son pesant d'or [Difficultés techniques] optimisation.
    Donc [Difficultés techniques] pas par le [Difficultés techniques], y compris par cette entreprise canadienne, qui est essentiellement devenue la Monsanto de la porno, que tout simplement rien ne viendrait limiter le contenu mis en ligne sur le site. Nous avons parlé à des dénonciateurs et à des gens de l'industrie. Dès qu'on essaie d'une façon ou d'une autre de surveiller et de filtrer le contenu sur un site, on commence à en perdre. On commence à allonger les temps de téléchargement. On commence à perdre la course à l'optimisation pour les moteurs de recherche.

  (1250)  

    Le fait est qu'on était au courant et qu'on a décidé de ne rien faire.
    Comment savons-nous qu'on était au courant? Les preuves sont accablantes. Tout d'abord, avant les sites inspirés de YouTube, tout le monde savait dans l'industrie qu'à défaut d'exercer une surveillance, du contenu non consensuel — des enfants, des femmes victimes de la traite des personnes et des vidéos de viol, soit la métaphore d'un film de pornographie meurtrière — se retrouverait sur le marché. C'est pour cette raison que nous avons des lois, des études et des audiences du Congrès sur la question. C'était bien connu. Il était impossible d'être dans l'industrie et de ne pas savoir que sans ces mesures, si on pouvait simplement tout distribuer, on allait se retrouver avec ce genre de contenu.
    Il y a ensuite le fait que l'optimisation pour les moteurs de recherche est au cœur de leurs activités. En fait, si vous vous rendez sur le site Web de MindGeek, vous ne verrez pas que c'est la plus grande entreprise de pornographie au monde. Vous allez penser que c'est une entreprise de haute technologie. C'est ainsi qu'elle se décrit. Elle se décrit comme une experte de l'optimisation pour les moteurs de recherche, ce qui signifie qu'elle doit savoir ce qui se trouve sur son site, vendre un espace publicitaire à des gens qui veulent avoir accès aux utilisateurs, le vendre de manière intelligente et profitable, et revendre les données liées au produit à ces personnes. Autrement dit, à propos d'être au courant, une entreprise d'optimisation pour les moteurs de recherche comme MindGeek qui applique ce modèle d'affaires sur ses sites sait autant ce qui s'y trouve que ce que la NASA sait sur ce qui se fait dans sa capsule spatiale. Autrement dit, elle est au courant de tout ce qui se trouve sur le site. C'est ce qu'elle fait jour après jour. Elle optimise ce contenu en temps réel.
    Au milieu de tout cela se trouve un algorithme. Si vous vous rendez sur le site à la suite d'une recherche, l'algorithme choisit alors d'autres contenus à vous montrer. Il doit savoir exactement ce qui se trouve sur le site pour savoir quoi montrer aux gens. Lorsqu'une personne cherche de la pornographie juvénile ou des titres qui y sont assurément liés, MindGeek — son algorithme — fait une recherche et aiguille de plus en plus l'utilisateur vers ce genre de contenu. L'entreprise savait autant ce qui se trouvait sur son site que ce que la NASA sait du contenu de sa capsule spatiale.
    Les modérateurs sont censés passer en revue tout le contenu téléversé. Selon les déclarations publiques de MindGeek, l'entreprise passe d'ailleurs en revue tout le contenu téléversé vers son site, ce qui revient à admettre qu'elle a passé en revue toute la pornographie juvénile qui s'y trouve.
    Les personnes qu'elle qualifie de modérateurs à l'externe n'ont pas le même nom à l'interne. Elle les appelle des « formateurs ». C'est important, car on voit où l'accent est mis. Ce ne sont pas vraiment des modérateurs qui contrôlent du contenu. Ce sont des formateurs qui veillent à ce que ce contenu soit dans le bon format dans le but de maximiser l'optimisation pour les moteurs de recherche. Pour ce faire, ils se demandent si le titre est bon, si les étiquettes sont bonnes, si la vidéo a la bonne longueur.
    Appelez-les comme vous voulez; ils ont passé en revue le contenu. C'est sur leur site. Ils savaient qu'il y était et ils ont choisi de le laisser là.
    Leur traitement des plaintes, des commentaires et des signalements... Vous avez entendu l'histoire de Mme Fleites. Vous avez lu des témoignages dans la presse — et sans aucun doute de la part de victimes, de bons samaritains, d'utilisateurs consternés. Au fil des ans, lorsque quelqu'un portait plainte, on a essentiellement donné des réponses évasives. Il est inexact de dire que l'entreprise n'a pas répondu aux plaintes, car elle a adopté une approche hostile, décourageante et conçue pour se débarrasser des gens.
    Je répète qu'une entreprise d'optimisation pour les moteurs de recherche comprend et se sert de tout ce contenu pour en maximiser la valeur et pour maximiser ses profits.

  (1255)  

    Dans les sections de commentaires de bon nombre de ces vidéos, des gens disent explicitement qu'il s'agit, de toute évidence, d'un viol lorsqu'une femme est clairement ivre et inconsciente — à preuve, l'individu qui filme lui ouvre les yeux pour y enfoncer son doigt — ou encore, ils mentionnent que la personne n'a clairement même pas 12 ans. MindGeek passe en revue tout ce contenu et sait ce qui se trouve sur son site; pourtant, ces vidéos sont demeurées en ligne pendant des années, et il y en avait bien d'autres.
    En ce qui concerne le traitement du contenu illégal, quand l'entreprise a été dénoncée et quand elle a été contrainte de faire quelque chose... On pourrait penser que le tout serait retiré, que le compte de l'utilisateur serait supprimé, que les employés de MindGeek examineraient les autres comptes de l'utilisateur pour y repérer tout contenu semblable et qu'ils interdiraient un tel contenu. Or, dans les faits, la seule chose qui arriverait, c'est que la vidéo serait désactivée. Le lien est toujours là, de même que la page, les termes de recherche et les balises. Tout est là parce qu'ainsi, MindGeek peut continuer à s'en servir pour tenter de maximiser l'optimisation pour les moteurs de recherche.
    En fait, la semaine dernière, j'ai tapé le titre d'un exemple notoire de viol d'enfant, sachant que la vidéo avait été supprimée à peu près à la même période, l'année dernière. Même si MindGeek avait retiré 10 millions de ses vidéos et que la vidéo en question avait été supprimée au printemps sous l'œil attentif du public, Google m'a ramené, à ma grande surprise, directement à Pornhub au moyen de ces termes de recherche précis. On voit bien comment cela fonctionne et pourquoi ces balises sont restées intactes. Tout cela est laissé en ligne. Certes, l'utilisateur n'a peut-être plus accès à la vidéo, parce que celle-ci a été désactivée, mais l'algorithme le dirige alors vers d'autres contenus semblables — d'autres contenus qui... les gens ont cliqué là-dessus pour ensuite visionner autre chose.
    Souvent, lorsque ces vidéos faisaient l'objet d'un examen minutieux de la part du public ou lorsque le NCMEC, l'autorité américaine en la matière, demandait à MindGeek de les retirer, elle affichait un message disant « Retiré sur ordre du NCMEC », ce qu'elle est tenue de faire, je crois. Lorsqu'elle est obligée de retirer ce contenu, elle utilise souvent la mention « Retiré pour violation du droit d'auteur », même si elle sait que ce n'est pas le cas. Nous avons également des exemples de cas où un examen minutieux des commentaires et des balises a permis de repérer du contenu non consensuel, mais l'entreprise s'est alors contentée de retirer le contenu et les balises, mais pas la vidéo proprement dite.
    L'autre élément qui prouve la connaissance et l'intention de MindGeek, pour un avocat plaidant comme moi, c'est la façon dont l'entreprise a agi au cours de la dernière année, lorsque toute cette affaire a enfin été soumise au regard scrutateur du public, comme il se devait. Une de mes fonctions étant de conseiller des entreprises qui se retrouvent parfois dans le pétrin parce qu'un employé, une unité ou l'entreprise au complet a fait quelque chose qu'elle n'aurait pas dû faire, je dirais que nous savons tous quelle est la bonne formule: reconnaître le problème, s'engager à le résoudre, embaucher quelqu'un de l'extérieur et lui attribuer les ressources nécessaires à cette fin, puis aller de l'avant et faire ce qui s'impose. C'est ce que font les vraies entreprises, les entreprises responsables — du moins, les entreprises qui font des affaires dans des secteurs aussi lucratifs que celui-ci.
    Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. La raison pour laquelle j'ai commencé mon exposé par des observations qui vous ont peut-être paru évidentes — la question de savoir pourquoi nous sommes ici et ce que nous ne sommes pas venus faire ici —, c'est que pendant un an, en réponse à cette situation, et malgré le fait que personne ne savait mieux que Pornhub et MindGeek ce qu'il y avait sur le site Pornhub, MindGeek a mené une campagne de détournement qui a nié l'existence et l'ampleur du problème, discrédité les victimes et leurs défenseurs et, en somme, tenté de faire taire tout le monde et de détourner l'attention. L'entreprise persiste à dire encore aujourd'hui... Non seulement MindGeek, mais aussi ses agents, ses alliés, ses réseaux industriels mènent une campagne brutale de désinformation populaire orchestrée sur les médias sociaux en essayant de dénigrer tous ceux qui se manifestent pour parler de ce qui se passe réellement. En même temps, ils prétendent que ces allégations sont fausses, tout en disant que les gens qui font de telles affirmations cherchent à induire délibérément le public en erreur et qu'ils mentent. Non, ces gens ne mentent pas.

  (1300)  

    L'entreprise a accusé les gens de soulever ces questions pour des motifs cachés, parce qu'ils ont un problème avec la pornographie ou les actes consensuels ou qu'ils sont en quelque sorte des fanatiques religieux. Le fait est qu'il ne s'agit de rien de tout cela. C'est juste une façon de détourner l'attention du véritable problème.
    Bien sûr, le New York Times a exposé le problème après s'être penché là-dessus et après avoir fait le même constat que tout le monde — et, par la suite, Visa et Mastercard en ont été informées, mais elles n'y ont pas prêté attention, elles non plus, jusqu'à ce que le New York Times publie son article. C'est alors seulement que MindGeek, tout en continuant de prétendre qu'il prenait tout cela très au sérieux et l'a toujours fait, a retiré 10 millions de vidéos parce qu'elle ne savait évidemment pas si ces vidéos étaient consensuelles ou non.
    La campagne de désinformation populaire orchestrée sur les médias sociaux a fini par divulguer les renseignements personnels des gens. Certaines personnes ont été victimes de piratage. Nous représentions une victime à Montréal qui se sentait menacée, qui avait peur pour sa sécurité, qui avait vu ses pneus lacérés et qui a ensuite disparu. Je ne sais pas où elle se trouve. Nous avons des enquêteurs qui essaient de la retrouver. Nous parlons aux forces de l'ordre. J'ai reçu un message texte de quelqu'un qui prétendait être sa colocataire, qui disait qu'elle avait eu un accident de voiture et qu'elle était dans le coma. Ce n'était pas vrai. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé.
     J'ai d'autres exemples de ce genre. C'est ce qui se passe en coulisses. L'objet de l'enquête que nous menons cette année consiste, en partie, à savoir qui était à l'origine de ces actes. Je ne vais pas révéler cette information aujourd'hui, mais nous le ferons bientôt. C'est une campagne très dangereuse et imprudente qui est menée pour tenter de défendre l'indéfendable.
     Quelles sont les solutions? Très rapidement, premièrement, nous devons faire notre travail et défendre les victimes qui sont victimisées et qui continuent de l'être par des gens qui répandent des mensonges à leur sujet et, dans certains cas, les victimes qui ont subi des comportements bien pires. Nous allons nous en occuper.
    Qu'est-ce qui empêche une telle situation de perdurer? MindGeek a retiré 10 millions de vidéos, mais elle a des concurrents qui n'ont pas été soumis à un examen minutieux. C'est comme un vaisseau amiral. Voilà une métaphore pour toute l'industrie. Il s'agit d'un gros problème. Toutefois, le problème va beaucoup plus loin.
    Il me semble qu'il y a deux choses. Premièrement, il y a bien des années, avant qu'Internet ne perturbe tant nos vies, en bien comme en mal, tout le monde était d'accord pour dire qu'en matière de pornographie, il était raisonnable d'imposer certaines exigences aux personnes qui allaient produire, distribuer ou transférer du contenu, afin de s'assurer que c'était consensuel. À l'époque, ce système fonctionnait plutôt bien, parce que l'industrie était quelque peu limitée et de plus petite taille, comparativement à ce qu'elle est sur Internet.
    Cela fonctionnait. Il y avait des ententes de divulgation. Les gens devaient s'en assurer. Ils devaient conserver les documents. De plus, si vous alliez en faire la distribution, vous deviez vous assurer que les personnes en cause avaient ces documents. C'était logique à l'époque, et ce l'est encore aujourd'hui. Il n'est pas question d'y mettre fin ou d'instaurer des mécanismes efficaces pour limiter le tout, à moins de disposer de certains de ces mécanismes. Je ne pense pas que ce soit très difficile, et je ne pense pas qu'il soit injuste d'exiger d'une industrie qui gagne des milliards de dollars par an qu'elle se conforme à certaines exigences de base et qu'elle les surveille.
    Selon moi, il y a d'autres mesures que nous devons prendre. Le Canada, les États-Unis et la plupart des pays ont l'équivalent du NCMEC, auquel est envoyé tout contenu de pornographie juvénile et qui peut ensuite donner des instructions pour faire retirer les vidéos et avertir les forces de l'ordre. Il y a certaines choses qui me paraissent évidentes. L'ampleur de ce problème à l'ère d'Internet exige que ces fonctions soient établies et renforcées de façon considérable et qu'elles deviennent beaucoup plus robustes.
    Deuxièmement, je pense qu'il faut plus de transparence. [Difficultés techniques] le rapport [Difficultés techniques] peut examiner la question avec beaucoup plus de transparence, parce qu'il est évident que cela fera toute la différence. C'est ce qui aidera à empêcher les entreprises de nier les problèmes, tout simplement parce qu'elles savent ce qui se passe, et pas nous.

  (1305)  

    Par-dessus tout, cette industrie doit commencer à agir comme une véritable industrie commerciale qui se soucie réellement de ce qu'elle vend, au lieu d'agir à la manière d'une certaine entreprise de produits chimiques des années 1970 qui s'en fichait éperdument, mais qui gagnait de l'argent en empoisonnant les gens. Ce n'est pas pour rien que MindGeek est appelée « la Monsanto de la porno ». Ce que nous devons tous faire, c'est rendre une telle position impossible à maintenir dans cette industrie.
     Je vous remercie.
    Merci, monsieur Bowe.
    Nous allons maintenant passer aux questions des députés. C'est Mme Stubbs qui va commencer.
    Chers collègues, je le répète, je veux m'assurer que nous faisons preuve de souplesse afin que tout le monde ait le temps de poser des questions. Prenez le temps qu'il vous faut, mais si vous n'utilisez pas toute la période à laquelle vous avez droit, nous passerons à l'intervenant suivant.
    Madame Stubbs, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Fleites, merci d'être là et de nous parler de vos expériences. Je tiens à vous dire qu'il est rare, dans la vie, d'être en présence de quelqu'un qui possède la force et la résilience exceptionnelles et incomparables dont vous avez clairement fait montre ici. J'espère que, grâce à cette démarche, vous serez en mesure de reprendre votre vie en main. Ce pouvoir vous appartient. Personne ne vous le donne; cela fait partie intégrante de vous-même, et c'est bien clair. C'est une force puissante qui est en vous. J'espère aussi que vous prendrez conscience maintenant — ou un jour — de la portée et de l'ampleur de ce que vous faites, non seulement en votre nom, mais aussi — manifestement, d'après votre témoignage et celui de votre avocat — pour des millions de personnes dans le monde qui vivent la même expérience. Je vous remercie tous les deux.
    Madame Fleites, je me demande s'il y a autre chose que vous voudriez nous dire au sujet de vos expériences et du contrecoup que vous avez subi lors de vos entretiens avec les représentants pour essayer de supprimer ces images. Y a-t-il autre chose que vous voudriez que nous sachions sur la façon dont ces expériences continuent de bouleverser votre vie?
    Dans son exposé, M. Bowe vous a parlé de certaines des autres victimes. Je suis une de celles qui se sont retrouvées sans abri, qui ont abandonné l'école, qui se sont tournées vers la drogue, qui se sont complètement détachées de leur famille. J'ai fini par essayer de me suicider à plusieurs reprises. Je me suis retrouvée dans des hôpitaux psychiatriques. À certains moments, la vidéo avait été visionnée 2,7 millions de fois, et elle est restée sur Pornhub malgré des centaines de commentaires disant: « Oh, c'est carrément de la pornographie juvénile. Cette fille ne doit pas avoir plus de 14 ou 13 ans. » Et pourtant, Pornhub ne la retirait toujours pas, même après les nombreux messages que j'avais envoyés à ses représentants. Il fallait une éternité, et quand je recevais une réponse, ils me harcelaient en me demandant de fournir tous ces autres détails. Je devais suivre tout le processus en envoyant sans cesse des photos de moi à côté de ma carte d'identité pour prouver que cette vidéo constituait bel et bien de la pornographie juvénile. Même après avoir prouvé tout cela, ils tardaient encore à la retirer, ce qui signifiait des centaines de milliers de visionnements supplémentaires.
    Comme M. Bowe l'a dit, ils optimisent ce contenu. Les titres disaient toujours quelque chose comme « préado », « jeune ado », « quatorze », « treize ». Ils précisaient toujours un âge ou une catégorie d'âge dans le titre même, ainsi que dans les balises. En fait, c'est quelque chose qu'on pouvait chercher sur Pornhub avant que la plateforme procède à la suppression massive des vidéos, ce qui a permis d'en retirer un grand nombre.
    J'en subis encore les conséquences. Je souffre d'anxiété encore aujourd'hui. J'ai toujours été une personne très joyeuse, ouverte et amicale. Je le suis encore, sauf que j'ai perdu ma jovialité habituelle. Je ne me rapproche pas des gens. Je n'ai pas vraiment beaucoup d'amis. Je me suis éloignée de tout le monde. Depuis, je passe plus de temps avec mes chiens qu'avec les êtres humains, car le simple fait d'être en présence d'autres personnes est maintenant une source d'anxiété pour moi, à cause de ce qui s'est passé durant la période où j'ai subi le plus de tort lorsque la vidéo a été mise en ligne sur Pornhub. Les garçons de l'école me suivaient littéralement jusque chez moi après l'école, me harcelant tout le long du chemin pour que je prenne part à des actes sexuels avec eux, pour que je fasse des vidéos avec eux ou pour que je leur envoie plus de contenu. Ils me disaient: « De toute façon, c'est déjà en ligne. Pourquoi lui as-tu envoyé la vidéo si tu ne peux pas en faire autant avec nous? On voit bien que cela ne te dérange pas. C'est sûrement toi qui l'as mise en ligne sur le site. » Ils disaient toutes ces choses et, en plus de cela, ils essayaient de me faire chanter en me disant qu'ils enverraient la vidéo à ma mère, qu'ils l'enverraient aux autres membres de ma famille. C'est ce qui a provoqué en moi cette énorme accumulation d'anxiété et de dépression, qui m'a poussée à me tourner vers la drogue pour essayer d'oublier cette situation et qui m'a amenée à envisager le suicide pour essayer d'en finir.
    Encore aujourd'hui, il est difficile d'en parler et d'y faire face, parce que même après la publication de l'article du New York Times... Pornhub a fini par supprimer tout un tas de vidéos, mais les commentaires à mon sujet n'ont pas cessé. Ils ne m'étaient pas envoyés directement parce que j'avais activé le mode « privé » et changé les noms sur la plupart de mes comptes de médias sociaux. Les gens faisaient des commentaires dans d'autres articles ou dans des discussions sur mon compte Twitter. Ils mentionnaient mon nom, en disant que j'avais gâché leur vie parce qu'ils ne pouvaient plus regarder leurs vidéos préférées. Puis, il y a ceux qui réussissaient à trouver mes comptes de médias sociaux. Même si j'avais changé mon nom, changé les photos de mon profil, changé tous les paramètres de mon profil pour qu'il soit difficilement repérable, notamment en rendant mes comptes privés, ces gens m'envoyaient toujours un message et essayaient de m'envoyer une demande d'amitié en disant des choses comme: « Oh, j'ai vu tes vidéos. Tu as vraiment un beau corps. » J'avais 13, 14 ans, dans ces vidéos.
    Cela m'affecte encore aujourd'hui, même après tout ce que Pornhub s'est engagée à faire pour remédier à la situation.

  (1310)  

    D'accord.
    Eh bien, vous êtes une figure de proue dans ce que vous faites en ce moment. Notre rôle ici est de trouver ce que nous pouvons faire pour vous aider à redresser les choses.
    Si vous en aviez l’occasion, que voudriez-vous que nous sachions sur ce que vous diriez aux gens de MindGeek, à ses dirigeants?
    Je leur dirais qu’ils sont vraiment égoïstes. Ils doivent vraiment se regarder dans le miroir parce qu’ils font passer l’argent et le contenu avant la vie de personnes bien réelles, parce qu’il est évident qu’ils ne s’en soucient pas tant que ça. Ils n’ont pas fait grand-chose avant que les banques décident de ne plus les soutenir. Ils ont toujours détourné les faits et nié quelque allégation à leur égard... Ils disaient qu’elles étaient toutes fausses. Lorsque mes vidéos étaient téléchargées encore et encore, ils se disaient toujours qu’ils ne pouvaient rien faire tant qu'elles n'étaient pas signalées, mais même lorsqu’elles l'étaient, ils tardaient toujours à faire quoi que ce soit pour régler le problème.
     Je leur dirais de se regarder dans le miroir et de se remettre en question. Ils doivent établir quelles sont leurs véritables priorités et ne pas se focaliser sur l’argent et le contenu plutôt que sur la vie de gens bien réels et sur ce qu’ils leur font.

  (1315)  

    Merci.
    Madame Shanahan, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Moi aussi, madame Fleites, je vous suis très reconnaissante du courage dont vous avez fait preuve en venant ici aujourd’hui et en nous faisant part de votre expérience. Je pense à d’autres jeunes femmes qui ont peut-être été dans la même situation que vous. Il est certain que le fait d’en parler ouvertement nous aide à tenir cette discussion. Je pense aux parents, aux enseignants, aux adultes. Lorsque vous avez décrit ce qui s’est passé dans votre école, j’ai eu le sentiment que vous aviez été déçue à bien des égards et que vous aviez été forcée de faire face à cela toute seule, en tant que mineure.
    Que voudriez-vous que les autres jeunes femmes sachent ou que leur diriez-vous de l’expérience que vous avez vécue?
    En ce qui me concerne, j’ai mis énormément de temps avant de pouvoir le dire à quelqu’un. J’ai toujours essayé d’y faire face moi-même et j'ai vécu à cause de cela des années et des années d’anxiété et de dépression, dont je dois encore gérer les effets aujourd’hui. À cause de ce qui s'est passé et du fait que j'ai essayé de me débrouiller toute seule avec cela, j’ai toujours du mal à communiquer avec les gens et à sortir dans le monde — comme de sortir de ma chambre et de me retrouver dans la vraie vie.
     Je leur dirais de parler à quelqu’un en qui elles ont confiance. Si elles ont l’impression qu’elles ne peuvent pas le dire à leur mère ou à leur père, il y a peut-être une tante ou un oncle ou une autre personne à qui elles peuvent se confier, comme un directeur ou un conseiller à l’école. J’ai attendu deux jours avant que l’article ne sorte pour mettre ma famille au courant. Pendant toutes ces années, ils n’ont jamais su ce qui se passait. Bien sûr, au début, ils étaient un peu contrariés, mais une fois qu’ils ont réalisé que toutes leurs hypothèses précédentes sur les raisons pour lesquelles je quittais l’école, les raisons pour lesquelles j’avais des problèmes de santé mentale, les raisons pour lesquelles j’avais essayé de me suicider, les raisons pour lesquelles je m’étais tourné vers la drogue, que tout cela était basé sur juste, vous savez... Ils n’avaient aucune idée de ce qui se passait vraiment.
    Je leur dirais à quel point il est important d'en parler à quelqu'un. Cela ne va pas les aider que d'essayer de faire face à cela par elles-mêmes.
    Je vous remercie. Merci beaucoup, madame Fleites. Je crois que vos paroles ici aujourd’hui vont aider beaucoup d’autres personnes qui se trouvent dans une situation similaire, alors merci beaucoup du courage soutenu dont vous faites montre en acceptant de parler de cela.
    Vous avez décrit les mesures que vous avez prises pour signaler le matériel à Pornhub et MindGeek. Je ne peux que m'imaginer la frustration que vous avez dû ressentir en envoyant ce message sans savoir ce qui allait s'en suivre. Je me demande si vous ou M. Bowe pouvez nous dire si ces processus étaient adéquats dans le cadre de la réglementation actuelle. Ces processus sont-ils appropriés? Les améliorations nécessaires ont-elles été apportées aux processus pour permettre la suppression des contenus illégaux et préjudiciables? En fait, je cherche à voir s'il y a une différence entre les processus et l’application de ces processus.
    Je ne suis pas très au fait de tous les types de processus, mais ce que je peux dire, c’est que les gens de Pornhub ont toujours dit qu’ils n’avaient aucune idée de ce qui se trouvait sur leur site. N’importe qui pouvait y afficher quelque chose et télécharger ce qui s’y trouvait. Alors, ils ignoraient ce qu'il y avait sur leur site, sauf si quelqu'un signalait ou rapportait quelque chose de particulier. Ils disaient en outre qu’ils allaient prendre au sérieux tout ce qui leur était signalé et rapporté, qu’ils l’examineraient et le retireraient. Or, malgré cela et avant que tout cela n’arrive, avant que l’article du New York Times ne soit publié et que les banques ne les soutiennent plus, même lorsque les gens commentaient directement la vidéo, lorsqu’ils la signalaient et la rapportaient, et même lorsque je leur envoyais message après message pour leur dire l’âge réel que j'avais dans cette vidéo, que c’était manifestement de la pornographie juvénile et que c’était moi dans les vidéos et que je voulais qu’elles soient retirées, ils mettaient encore un certain temps à me répondre. Et puis, lorsqu’ils me répondaient, ils essayaient toujours de feindre l’ignorance. Ils disaient qu'ils étaient désolés de ne pas avoir vu ce contenu auparavant. Ils ne s’excusaient pas. Ils disaient: « Oh, nous n'avions pas vu cela avant maintenant. » Ensuite, ils me disaient essentiellement que je ne leur disais pas vraiment la vérité. Ils ont demandé encore et encore à vérifier mon identité afin de s’assurer que j’étais vraiment la fille qui était dans la vidéo.
    C’était très frustrant de leur parler, parce que je m’asseyais là et je tapais un message sincère sur ce que je ressentais vraiment à propos de cette vidéo et du tort qu’elle me faisait, et ils me répondaient « prouvez-nous que c’est vous » et « nous sommes désolés, mais nous ne pouvons pas faire grand-chose d’autre ». Même lorsque c’était très clair... J’ai encore l’air jeune maintenant. Je suis un peu maquillée, mais on me dit tout le temps que j’ai l’air beaucoup plus jeune que je ne le suis en réalité. La raison en est que j’ai atteint la puberté très tard à cause d’un trouble hormonal qui me fait vieillir très lentement. Donc, quand j’avais 13 et 14 ans, j’avais encore l’air d’avoir 9 ou 10 ans, et il était très évident que c’était de la pornographie juvénile. Même sans que j'aie à prouver mon identité encore et encore pour faire retirer cette vidéo, ils pouvaient toujours voir que, de toute évidence, la fille de la vidéo était une enfant.
    En outre, ils m’ont dit qu’une fois qu’une vidéo était signalée comme étant de la pornographie juvénile, elle était envoyée aux autorités, aux personnes qui s’occupent de la pornographie juvénile en Amérique, puis qu'elle était cataloguée et marquée de manière à empêcher qu'elle soit téléchargée à nouveau sur leur site. Il est évident que ce n’était pas vrai, car la vidéo allait être réaffichée de nombreuses fois encore. Elle n’était pas si difficile à trouver. Elle portait généralement le même nom, ou le même titre et les mêmes balises. Il y avait toujours les mots « pre-teen » ou « young teen », « teen brunette » ou « petite 13-year-old » ou « small 14-year-old girl ». Il était très évident qu’elle était commercialisée à l'intention des personnes qui recherchaient de la pornographie juvénile.
    Je crois qu’ils ne voulaient pas du tout changer les choses et que, même une fois exposés publiquement, ils se sont vraiment traîné les pieds pour s’y mettre, pour faire ce qu’ils avaient dit qu’ils allaient faire. Il a fallu que l’argent soit en jeu, que les deux grandes banques se retirent et disent qu’elles ne permettraient plus à l'entreprise de se servir de leur plateforme. Puis, du jour au lendemain, on s'aperçoit que Pornhub peut faire ce qu’il veut des vidéos qu'il héberge. L'entreprise peut supprimer 10 millions de vidéos en une journée, alors qu’auparavant, cela leur prenait des semaines et parfois même des mois à réagir, préférant laisser les vidéos d'une jeune fille de 14 ans obtenir jusqu’à 3 millions de visionnements avant de les supprimer.
    Je ne connais pas toutes les lois et tout le reste, mais je crois que la réaction de Pornhub a été très tardive et qu'elle a été très axée sur l’argent, et non sur la protection des enfants ou des personnes en général.

  (1320)  

    Je vous remercie.
    Madame Gaudreau, vous avez la parole.

[Français]

    C'est tout un honneur pour nous.
    Tout d'abord, Serena, j'aimerais...

[Traduction]

    Excusez-moi. Je vous prie de m'excuser, mais je veux simplement m’assurer que nos deux témoins ont activé la traduction.
    Au bas de votre écran, vous pouvez voir une icône qui dit « Interpretation ».
    Oui. Je viens de l'allumer.
    Parfait.
    Nous allons revenir à ma collègue.
    Elle devra se répéter.

[Français]

     Je vais parler tranquillement pour que vous puissiez bien comprendre l'interprétation, d'accord?

[Traduction]

    D'accord.

[Français]

    J'aimerais tout d'abord te féliciter pour ton courage. Je suis moi-même mère de deux jeunes adultes comme toi. Je te vois honnêtement comme un modèle. J'espère que tu as conscience que chaque geste que tu poses peut contribuer à faire changer les lois. Ce sont des gens comme toi qui vont nous permettre d'y arriver. Il y a déjà eu des changements, notamment du côté des entreprises de crédit.
    On entend souvent l'expression « les affaires sont les affaires », mais nous parlons ici d'êtres humains. Il est clair qu'on n'a pas respecté ta vie personnelle, et encore moins ton consentement. J'espère que tout ce que tu as dit aujourd'hui t'aura non seulement fait du bien, mais aussi redonné encore plus de confiance. Je te regarde présentement, et c'est tout à fait clair que l'avenir t'appartient. Tu es extrêmement bien accompagnée. Toutes les propositions amenées par M. Bowe aujourd'hui vont nous permettre d'aller un peu plus loin.
    J'ai une question pour toi, si tu veux bien y répondre: as-tu envie que nous gardions un lien avec toi afin de t'expliquer les différentes étapes de ce processus légal? Cela pourrait être bénéfique pour toi ainsi que pour toutes les autres qui suivront.
    J'aimerais connaître ton opinion. Tu nous as vraiment fait part d'encore plus d'éléments que nous ne pouvions en espérer et je t'en remercie beaucoup.

  (1325)  

[Traduction]

    Je vous remercie. Merci de votre sollicitude.
    J’aimerais continuer à être informée de l’évolution des lois, de ce qui sera exigé de Pornhub et MindGeek, et de ce que cela impliquera pour eux. Je ne suis pas tellement à jour. Mes connaissances des lois sont passablement limitées.
    Je vous remercie.
    Nous allons maintenant passer à M. Angus.
    Merci, madame Fleites et monsieur Bowe...
    Je pense que je dois désactiver l'interprétation.
    Bien vu.
    D’accord. Maintenant, je peux vous entendre.
    Pouvons-nous recommencer du début?
    Je vous en prie, oui.
    Merci.
    Madame Fleites et monsieur Bowe, je tiens à vous remercier de votre témoignage extraordinaire et de ce que vous avez fait en vous présentant comme témoins. C’est vous qui avez mis Pornhub en déroute. Ce ne sont pas les MasterCard et Visa de ce monde. C’est votre volonté de prendre la parole et de sauter dans l'arène. Pour faire écho à ce qu'a dit ma collègue, Mme Gaudreau, nous vous remercions de votre courage.
    Quant à la raison pour laquelle nous sommes ici, au-delà de cette simple dynamique d'un groupe de personnes sur un écran qui semblent poser des questions étranges, sachez que c’est ainsi que nous faisons les lois dans notre pays. Nous recevons des témoignages. Vous nous dites que vous n’êtes pas une spécialiste des lois. Eh bien, vous aidez à façonner les lois du futur pour protéger d’autres personnes qui chercheront à s'en sortir. Votre témoignage est très important pour nous aujourd’hui, parce que nous allons prendre des mesures en conséquence. Nous allons demander des comptes à ces gens. C’est notre travail en tant que législateurs et en tant que parents, parce que le système vous a laissé tomber.
    Vous nous avez tant donné. Je ne vous ferai pas répéter toutes les choses surprenantes que vous avez évoquées, mais j’ai été vraiment frappé par ce que vous avez dit sur la façon dont ils vous ont harcelé quand vous, enfant, essayiez de reprendre le contrôle de votre vie après avoir subi cette exploitation, après ces actes criminels dont vous avez été la cible. Ces gens-là vous ont harcelée avec tout le poids de leur très grande entreprise.
    Pouvez-vous m’expliquer ce que cela pourrait signifier? Selon vous, que devrions-nous exiger d'eux pour faire en sorte qu'ils ne puissent plus harceler une seule autre jeune femme dans le monde?
    En gros, lorsque les vidéos ont été mises en ligne pour la première fois et que je ne voulais pas en parler à ma mère — et je me suis fait passer pour elle —, ils ont dit des choses comme « Oh, eh bien, ce n’est pas vraiment vous qui êtes dans la vidéo, alors pour nous prouver que c’est votre fille et qu’elle est mineure, vous allez devoir nous fournir ceci ou cela... », comme des photos de moi à côté d’une pièce d’identité donnée. Ils demandaient plein de différentes choses. Même après que je leur ai envoyé une photo de moi à côté de la pièce d'identité qu'ils exigeaient, ils ont demandé une autre photo à côté d’une autre pièce d’identité, etc. Ils ont fait traîner les choses pendant si longtemps, alors qu’il était évident que la personne dans la vidéo était une enfant. Même si ce n’avait pas été moi dans la vidéo, ils pouvaient quand même voir que c'était une enfant, et pourtant ils faisaient encore traîner les choses en longueur. Ils ne voulaient pas retirer la vidéo parce qu’elle avait, à ce moment-là, des millions de visionnements. Cela leur rapportait des revenus publicitaires et des clics sur leur site. Elle était en tête de liste des recherches dans Google.
    Je suis sidérée de savoir qu’ils continuent à faire cela même après avoir entendu que tant d’autres personnes sont passées par là et en sachant que je n’étais pas la seule à qui ils allaient le faire. Je ne comprends pas comment ils peuvent être d’accord avec cela et comment ils peuvent rester assis et se dire: « Bon, ce n’est pas la fille de la vidéo, ou je vais lui faire prouver encore et encore que c’est elle dans la vidéo, même si on peut voir que c’est de la pornographie juvénile. Nous allons juste nous assurer que c’est elle qui veut la voir disparaître avant de nous exécuter ». Or, ils se disaient cela alors qu'ils auraient dû la retirer parce que c’était de la pornographie juvénile.

  (1330)  

    Merci.
    Je vais interroger M. Bowe à ce sujet. Si MindGeek fait la promotion d’une vidéo qui dit « fille de 13 ans » ou « fille de 14 ans », au Canada, nous avons des mesures législatives très sévères en matière de pornographie juvénile, et ces dispositions stipulent que cela concerne toute personne de moins de 18 ans. Le fait que la réponse de l’entreprise à cette jeune femme, cette enfant, était qu’elle ne croyait pas qu’elle était la personne dans la vidéo ou qu’elle ne croyait pas qu’elle était la mère de cette fille — elle prétendait être sa propre mère —, le fait que l'entreprise exige une preuve d'une telle ampleur, alors que ce qu’elle promeut est un comportement criminel...
    Aux termes de la loi américaine ou de la loi canadienne — nous examinons la loi canadienne —, pensez-vous que ces gens pourraient être poursuivis au criminel compte tenu du fait qu’ils étaient au courant de ce qui se passait et qu’ils faisaient la promotion de la pornographie juvénile en ligne auprès de leurs visiteurs à des fins lucratives?
    Oui, je pense que c'est un point sur lequel la loi peut être améliorée, parce que la loi a été écrite avant les sites Internet comme YouTube. Cependant, je ne doute pas que la loi américaine prévoie des infractions pénales dans ce cas.
    Par exemple, j'ai évoqué l'article 2257 pour une raison. C'est tellement simple. Avant Internet, la loi américaine exigeait que pour produire du matériel pornographique, du matériel explicite, il fallait avoir des documents montrant que la personne était majeure et qu'elle était consentante, et il fallait conserver ces documents. Ensuite, si vous remettiez le matériel pornographique à quelqu'un pour qu'il le vende, le diffuse ou autre, vous deviez avoir une clause de non-responsabilité indiquant « Voici ce que j'ai fait et voici où vous pouvez trouver les documents. »
    Le fait est que c'était aux producteurs qu'il revenait de s'assurer que les actes étaient consensuels, et si vous alliez distribuer le matériel, le transférer ou le montrer, vous deviez veiller à ce que ces personnes s'en soient assuré. C'est une question de bon sens. Cette loi n'était pas controversée lorsqu'elle a été adoptée dans les années 1990. Je pense que nous devrions tous être d'accord sur ce point maintenant.
    Mais ce secteur est, par défaut, consensuel et adulte jusqu'à preuve du contraire, ce qui ne devrait pas être la norme, ne peut pas être une norme efficace et, selon moi, n'est pas vraiment la norme. Les avocats pourraient débattre des aspects des activités de MindGeek auxquels l'article 2257 s'applique et de ceux auxquels il ne s'applique pas, mais il s'applique clairement au transfert de matériel pornographique.
    Les avocats pourraient faire valoir que, lorsqu'une personne télécharge vers Pornhub, le site ne fait que recevoir l'information. Selon les diverses définitions qui existaient avant les sites comme YouTube, ils pourraient déterminer si l'article 2257 est applicable dans ce cas. Je pense que oui, mais la question soulève un argument, et c'est pourquoi les législateurs devraient probablement actualiser cette loi.
    Mais les responsables de Pornhub prennent ensuite presque immédiatement ce contenu pour le diffuser sur leurs autres sites, ce qui relève clairement de l'article 2257, à mon avis. Ils n'ont pas les documents requis, et leur contenu ne fait l'objet d'aucune clause de non-responsabilité.
    Donc, toute cette industrie... L'un des membres a posé des questions sur le processus. Je suis avocat depuis 30 ans. [Difficultés techniques] Je n'ai jamais vu une situation où il y avait autant de mépris et d'indifférence à l'égard de ce qui était manifestement de la pornographie juvénile, du viol, du trafic de contenu — de contenu illégal — sur ce site. Il n'y a pas eu de processus.
    C'est pourquoi cette question du détournement cognitif m'importe autant. Tout au long de l'année, les déclarations publiques de MindGeek, de ses agents dans son réseau d'acteurs et autres, et de ses alliés dans l'industrie portaient à croire qu'avec son processus et toute sa technologie, les cas comme ceux qui nous intéressent ne sont que de simples erreurs qui ont été commises.
    Je vous dis que lorsque nous aurons terminé et que la preuve sera établie... Si vous êtes capable de mener le type d'enquête que nous avons menée, vous découvrirez que ce ne sont que des foutaises. Il n'y avait pas de processus.
    Les modérateurs...

  (1335)  

    Je suis désolé. C'est vraiment important. Je pense que nous allons devoir vous faire revenir pour témoigner à nouveau sur ce point, mais je m'en remets à la présidence.
    Le paragraphe 162(1) du Code criminel canadien stipule qu'il est illégal d'enregistrer ou de filmer une personne qui a « une attente raisonnable de protection en matière de vie privée ». La distribution ou la possession d'un tel contenu constitue une infraction. C'est une infraction de distribuer ce contenu si la personne n'a pas donné son consentement. Cela nous amène à l'article 163, sur la distribution de la pornographie juvénile.
    Ce sont les lois. Nous avons également une loi de 2011 sur l'obligation des fournisseurs de services Internet de rapporter les exemples de pornographie juvénile signalés, et pourtant Mme Fleites soulève des problèmes connus de pornographie juvénile et se fait dire: « Avant que nous fassions quoi que ce soit, vous devez nous le prouver. »
    Je veux juste vous demander, avec le temps qu'il me reste... Je vais lire une autre déclaration. Elle est tirée du mandat de Pornhub. Pornhub prétend que:
Les sites Web adoptent une position ferme contre toute forme d'exploitation des enfants ou de traite des êtres humains. Si nous découvrons qu'un contenu implique des personnes mineures ou toute forme de violence, de fraude ou de coercition, nous retirerons ce contenu et soumettrons un rapport aux autorités compétentes chargées de l'application de la loi. Si vous avez connaissance d'un tel contenu, vous acceptez de le signaler aux sites Web en contactant legal@pornhub.com.
    Je terminerai par une question simple pour Mme Fleites et M. Bowe. Cette promesse faite par Pornhub vaut-elle le papier sur lequel elle est imprimée?
    Madame Fleites, qu'en pensez-vous?
    Non. Comme le montre l’étude, les responsables de Pornhub ont signalé un nombre limité de cas de pornographie juvénile sur leur site, et ils essaient toujours de faire porter la responsabilité aux personnes qui téléchargent le contenu, alors qu’il s’agit de leur site. Ils devraient exiger des gens qu’ils confirment leur âge et leur identité et qu’ils prouvent qu’ils sont bien les personnes qui figurent dans la vidéo avant de la télécharger. C’est ce qu’ils devraient faire au lieu de permettre le téléchargement de n’importe quel matériel sur leur site et depuis leur site pour ensuite obliger les gens à prouver qu’il s’agit bien de pornographie juvénile avant de faire quelque chose après un signalement.
    En fin de compte, ils ne veulent vraiment pas retirer les vidéos. En réalité, tout leur processus aurait dû, dès le départ, consister à demander aux gens de confirmer leur âge et leur identité avant même que la vidéo puisse être téléchargée. Je pense donc que leur promesse ne vaut pas du tout le papier sur lequel elle est imprimée.
    Monsieur Bowe, devrions-nous les croire sur parole quand ils affirment que si ces problèmes sont signalés, ils prendront des mesures pour les régler?

  (1340)  

    Ces déclarations sont des mensonges catégoriques, tout simplement. « Si vous découvrez », « si nous découvrons »... Qu’entend-on par « découvrir »? Quelqu’un doit-il obtenir un jugement et prouver quelque chose parce que vous n’en croyez pas vos yeux? Cela signifie-t-il que les victimes ne peuvent pas elles-mêmes leur dire ces choses? « Si nous découvrons »... non.
    Regardez, ils ont dit... J’insiste sur ce point parce que ces propos vous montrent à quelle société vous avez affaire. Vous avez affaire à une société malhonnête. Vous ne savez pas à qui elle appartient; je ne sais pas à qui elle appartient; personne ne sait vraiment à qui elle appartient. Son comportement est complètement inacceptable. Elle évolue simplement dans un univers qui diffère de celui dans lequel même les mauvaises entreprises évoluent.
    Ces lois que vous avez citées... Je n’ai aucun doute. Nous en avons des semblables aux États-Unis. Les avocats peuvent discuter des cas dans lesquels elles s’appliquent et à quels égards, mais il est clair qu’elles sont applicables.
    Par exemple, MindGeek a des serveurs aux États-Unis; je crois qu’il en a au Canada. Je pense que ces serveurs ont été parmi les plus grands, sinon les plus grands, dépôts de pornographie juvénile en Amérique du Nord.
    Merci.
    Je vous remercie, chers collègues. Je suis désolé que nous ayons dépassé le temps prévu, mais monsieur Angus, je voulais que vous terminiez ces questions, car de nombreux collègues ont affirmé qu’ils voulaient en fait qu’on y réponde.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Chers collègues, je sais aussi que certains d’entre vous doivent partir maintenant; je suis conscient que nous avons considérablement dépassé le temps qui nous était alloué.
    Madame Fleites et monsieur Bowe, je vous remercie pour votre témoignage. Merci pour votre patience avec les difficultés techniques.
    Nous nous réjouissons à la perspective de poursuivre cette étude. Nous espérons pouvoir compter sur vous deux ultérieurement aussi, peut-être. Je sais que les membres du Comité ont déjà signalé qu’ils aimeraient poursuivre le dialogue avec vous sur un certain nombre de points.
    Monsieur Angus, vous avez la parole.
    Je suis désolé de vous interrompre, monsieur le président.
    Je voulais juste demander à M. Bowe, alors que nous commençons cette étude... C’est un domaine très nouveau pour nous. Nous avons un certain nombre de pouvoirs, en tant que comité parlementaire, pour convoquer des témoins, obtenir des documents et en produire. Si vous pensez que nous devrions nous pencher sur certains domaines, seriez-vous disposé à partager ces informations avec notre greffière afin que nous soyons mieux préparés à entreprendre une étude approfondie? Il s’agira de présenter au Parlement des suggestions de modifications à apporter aux lois, si nous constatons qu’elles n’ont pas fonctionné, et cela nous semble très préoccupant pour l’instant.
    Absolument.
    Merci beaucoup, chers collègues.
    Nous allons nous tourner vers M. Viersen. Je vois qu’il nous signale qu’il a une question.
    Ma question s’adresse à M. Bowe.
    Nous avons invité Feras Antoon et David Tassillo à témoigner devant notre comité. Nous espérons qu’ils viendront. Ce sont quelques-uns des dirigeants de MindGeek que nous avons pu retrouver.
    Êtes-vous d’avis que ce sont les personnes que nous devrions viser? Ou y a-t-il aussi d’autres cadres que nous avons peut-être manqués?
    Je pense que vous devez parler à un monsieur nommé Corey Urman, qui est là. Je pense que vous devez parler à ces personnes pour savoir qui est réellement propriétaire de la société, sous quelle forme, et de qui elles relèvent.
    Je sais que ces personnes ont été présentées publiquement comme les propriétaires. Je suppose que le terme propriétaire peut avoir différents sens, mais selon nos renseignements, et d’autres renseignements publics, les personnes qui sont les propriétaires effectifs, qui gèrent cette société, qui contrôlent réellement les finances, ne sont pas connues. Dans cette situation, elles doivent l’être, car je ne pense pas que les messieurs dont vous avez parlé aient le dernier mot sur la façon dont cette société est gérée.
    Merci.
    Merci, madame Fleites. Merci, monsieur Bowe. Nous vous remercions pour votre témoignage et sommes impatients de nous entretenir à nouveau avec vous.
    Nous allons maintenant lever la séance.
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