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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 031 
l
2e SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 29 avril 2021

[Enregistrement électronique]

  (1100)  

[Traduction]

     La séance est ouverte. Bienvenue à la 31e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
     Aujourd'hui, la députée Pam Damoff remplace Mike Kelloway.
     Bienvenue à nouveau, madame Damoff. Nous sommes très heureux de vous revoir.
    Pour assurer le bon déroulement de la séance, je rappellerai quelques consignes.
     Comme les témoins le savent, des services d'interprétation sont à leur disposition. Vous avez un choix au bas de votre écran Zoom. Choisissez la langue que vous voulez écouter. Vous pouvez parler dans la langue de votre choix. Lorsque vous ne parlez pas, vous devez mettre la sourdine.
     Veuillez attendre que je vous donne la parole avant d'intervenir. Je rappelle à tous que les témoins et les députés doivent toujours s'adresser à la présidence. Pour ce qui est de la liste des intervenants, le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour la tenir à jour et permettre à tout le monde de se faire entendre.
    Avant de passer aux témoins d'aujourd'hui et d'entamer la séance, je voudrais que le Comité veuille bien approuver le budget de fonctionnement qui a été distribué aux membres hier. Il s'élève à 1 775 $, et il servira à payer les dépenses de l'étude en cours. Ai-je l'approbation des membres du Comité?
     D'accord. La motion est adoptée. Merci beaucoup.
    Je vais maintenant souhaiter la bienvenue aux témoins. Nous accueillons, à titre personnel, M. Todd McCarthy, qui est avocat et procureur, ainsi que Joanne Hardie, présidente de la Professional Transcriptionists and Court Reporters Association of Ontario.
    Je signale aux témoins, ainsi qu'aux députés, qu'ils ont cinq minutes pour faire leur déclaration liminaire. J'ai une carte pour signaler qu'il reste une minute et une autre pour signifier qu'il reste 30 secondes. Ainsi, l'intervenant saura à quoi s'en tenir, et nous pourrons respecter l'horaire.
    Commençons par entendre M. Todd McCarthy, qui a donc cinq minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour à vous et aux membres du Comité.
    C'est un honneur et un privilège d'être invité à comparaître pour vous parler de l'incidence de la pandémie de COVID-19 sur le système judiciaire canadien, surtout sous l'angle des retards ou des répercussions sur les procès dans le système de justice pénale.
    Un mot d'abord au sujet du défi à relever. Il y a un an, les tribunaux de tout le pays ont été à peu près complètement fermés parce qu'ils n'étaient guère organisés pour travailler à distance. Pendant près de trois mois, de la mi-mars à la fin juin ou au début juillet, il a été impossible d'entendre des affaires pénales, familiales, civiles et de protection de l'enfance, de les gérer et de rendre une décision, ce qui a fait apparaître un important arriéré. Cela a également eu pour effet de mettre souvent fin aux négociations sur ces affaires. Sans l'accès à l'arbitrage ou sans la menace de l'arbitrage, il arrive souvent que les parties ne soient pas motivées à régler leurs différends.
    Aujourd'hui, la situation est semblable. Nous avons adopté des méthodes de travail à distance dans les tribunaux de première instance en Ontario, c'est-à-dire la Cour supérieure de justice de l'Ontario. À l'échelle du Canada, on parle de Cour du banc de la reine dans de nombreuses provinces et, au Québec, de la Cour supérieure du Québec. Ce sont tous des tribunaux de première instance; ils sont visés par l'article 96. Les juges de ces tribunaux, bien qu'ils relèvent, en matière d'administration de la justice, de la compétence des provinces où ils siègent en vertu de l'article 92 de la Loi constitutionnelle, sont nommés aux termes de l'article 96 par le Cabinet fédéral sur l'avis du ministre fédéral de la Justice. Ce sont des juges de compétence générale, des juges dévoués et travailleurs qui collaborent avec les avocats et s'adaptent à des pratiques de travail à distance dans le contexte de la pandémie. Avec beaucoup de succès, dois-je ajouter.
    Depuis peu, en raison des ordonnances de confinement en Ontario, entre autres provinces, le personnel judiciaire n'a pas accès aux palais de justice. Par conséquent, la technologie Zoom ne peut pas être utilisée à la maison par ce personnel judiciaire dévoué. Les juges ajournent ou annulent donc de nombreuses audiences dans tous ces domaines du droit.
    Quel est l'impact? Bien entendu, les tribunaux visés par l'article 96 et exerçant une compétence générale, ainsi que les juges qui les président tranchent des affaires en matière de droit pénal, de droit de la famille, de protection de l'enfance et de justice civile. Ils peuvent, le matin, participer à la phase précédant l'instruction dans une affaire civile et s'occuper d'un dossier de protection de l'enfance le midi et d'une enquête urgente sur le cautionnement dans une affaire pénale en fin de journée. Ces juges travaillent très fort, et ils agissent dans des domaines très divers du droit.
    Que se passe-t-il lorsqu'il y a des difficultés comme la pandémie? L'arriéré devient plus imposant, et il est difficile d'y faire quoi que ce soit en ce moment. Et la situation va encore s'aggraver. Voilà le problème.
    Le problème est exacerbé par le choix d'orientation que la Cour suprême du Canada a fait dans l'affaire Jordan c. Sa Majesté la Reine en 2016. En effet, elle a décidé que, pour préserver le droit à un procès dans un délai raisonnable, garanti par le paragraphe 11b) de la Charte, qui fait partie de la loi suprême de notre pays, il y aurait des limites de temps précises, soit un maximum de 30 mois pour un procès devant les cours supérieures après une enquête préliminaire. Cela fait 30 mois. Dans l'affaire Jordan, il était reproché à l'accusé de multiples infractions liées aux stupéfiants et au trafic. Il a fallu 44 mois pour le citer à procès devant une cour supérieure. La Cour suprême du Canada a décrété un arrêt des procédures et l'accusé a été libéré. Dans cette affaire, la poursuite a échoué parce que les retards ont été considérés comme un manquement à la Charte.
    Je propose que le Comité étudie sérieusement une solution, si provisoire soit-elle. Il s'agit de la disposition de dérogation, qui fait aussi partie de la loi suprême du Canada et des choix possibles. Elle préserve la suprématie parlementaire. Je peux répondre à d'autres questions à ce sujet.
    Les tribunaux n'ont pas toujours raison. Pour citer M. Hogg, de regrettée mémoire, « il est faux de présumer qu'une décision judiciaire sur une question de droits met fin au débat sur la question. Au contraire, les citoyens et leurs représentants élus au Parlement voudront inévitablement poursuivre le débat et dans certains cas, il y aura un fort sentiment en faveur de l'annulation de la décision de la Cour. »
    Voilà à quoi sert la disposition de dérogation. Il s'agit d'un instrument constitutionnel légitime, typiquement canadien, et reconnu par M. Hogg comme un moyen utile.

  (1105)  

     Je demande au Comité, sous réserve des questions qu'il peut avoir, de réfléchir à la façon dont cette disposition peut être invoquée de façon réfléchie et appliquée pendant cinq ans — car elle ne s'applique que pendant cinq ans, à défaut de renouvellement — pour permettre aux tribunaux de première instance de surmonter la crise, qui touche les affaires pénales, civiles, familiales et de protection de l'enfance.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur McCarthy. Vous avez terminé juste à temps. Je vous en suis très reconnaissante.
    Nous allons maintenant passer à Mme Hardie, qui aura aussi cinq minutes. Prenez votre temps, parlez lentement et clairement, et nous allons y arriver.
    Merci. Je vous en prie, allez-y.

  (1110)  

    J'espère que tout le monde m'entend bien même si je n'ai pas le bon casque d'écoute.
    Je remercie les membres du Comité de m'avoir invitée à représenter la Professional Transcriptionists and Court Reporters Association of Ontario pour discuter de l'impact de la COVID-19 sur le système judiciaire.
    Je vais lire ma déclaration afin de ne pas dépasser les cinq minutes allouées. C'est une très brève introduction.
    La PTCRAO est une association professionnelle sans but lucratif qui compte des membres dans tout l'Ontario. Au cours de ses 55 années d'existence, elle s'est adaptée et a évolué pour relever de nombreux défis. Son mandat n'a jamais changé. Nous sommes déterminés à faire en sorte que les services de transcription des délibérations des tribunaux obéissent aux normes professionnelles les plus élevées. Nous devons maintenant relever notre plus grand défi.
    En Ontario, dès le début de la pandémie, le système de justice a pris des mesures. Les confinements et les restrictions imposées par la COVID ont accéléré la modernisation des tribunaux, et la réaction a été favorable et immédiate. La modernisation est passée directement par Zoom et les téléconférences comme moyen d'exister dans un monde virtuel créé à cause de la COVID.
    Je vais parler de Zoom seulement par souci d'efficacité, mais tout ce que je dirai vaut également pour les téléconférences. Pour aller droit au but, en réaction à la COVID, et dans l'empressement compréhensible de veiller à ce que les tribunaux demeurent fonctionnels, les intervenants et les décideurs ont négligé le fondement le plus important du système de justice, qui est la transcription officielle des délibérations. Ils l'ont remplacée par une solution Zoom à canal unique. Sans un enregistrement audio stable à huit canaux bien préservé et conservé de façon sécuritaire, il est presque impossible de produire une transcription textuelle certifiée. La voix d'une victime ou d'un témoin d'un crime ne peut plus être entendue si des mots se perdent dans un enregistrement sur un seul canal. Voilà notre principale préoccupation et notre priorité, et c'est la raison pour laquelle nous comparaissons.
    En vertu de la réglementation ontarienne, le transcripteur doit être autorisé par le ministère du Procureur général à certifier les transcriptions des audiences. Les transcripteurs judiciaires autorisés seront appelés les TJA.
    Voici quelques exemples des problèmes que présente Zoom. Sur un canal unique, on ne peut pas séparer les intervenants s'ils parlent en même temps. Si, sur un canal unique, rien n'identifie les locuteurs de même sexe, ils sont simplement notés comme « non identifiés ». Sur un canal unique, on peut entendre des bruits gênants comme des chiens qui aboient, des bébés qui pleurent, des portes qui claquent et des bruits de vaisselle, pour ne donner que quelques exemples. Parfois, les connexions Wi-Fi flanchent, l'audio devient instable, le son est déformé et des mots se perdent ou sont embrouillés et déformés. Le signal audio est coupé et rétabli par intermittence. Il y a eu des enquêtes sur cautionnement auxquelles des avocats participaient avec leur téléphone cellulaire depuis leur voiture. Parfois, des participants sont au téléphone, appelant souvent d'établissements de détention. Parfois, ils comparaissent par Zoom, mais la transcription peut tout au plus indiquer qu'ils participent tous à partir de plusieurs endroits inconnus.
    En fin de compte, les transcriptions doivent rendre compte de la vérité, et les lacunes créées par la perte d'audio doivent être notées. La justice n'est pas bien servie si l'exactitude de la transcription ne peut être certifiée. Nous sommes en faveur de tout ce qui permet aux tribunaux de fonctionner plus facilement et plus rapidement, mais en procédant de la sorte et en choisissant ces priorités, nous avons sacrifié l'élément le plus important qui assure la sécurité du système de justice.
     Le logiciel Liberty, qui a été déployé dans tout l'Ontario en 2010 par l'équipe initiale du MPG et des services de transcription judiciaire, était presque impeccable. Nous sommes passés des bandes analogiques à quatre canaux à l'enregistrement numérique et à la transcription à la fine pointe de la technologie sur huit canaux. Les locuteurs pouvaient être identifiés, les voix séparées et les volumes contrôlés. Cette volonté de moderniser les tribunaux pendant la crise de la COVID a anéanti les progrès et les efforts consacrés à la mise au point de cette technologie d'enregistrement numérique de pointe. On a nié à peu près totalement l'importance fondamentale des freins et contrepoids dans le système judiciaire.
    Nous avons lu l'article du National Post qui relate les propos que la juge de la Cour suprême Mona Lynch a tenus devant le Comité:
La juge Lynch raconte: un de mes collègues tenait une audience en droit de la famille par téléphone, et l'une des parties a dit: « Oh, un instant. » Il y a eu un silence. Puis, il a entendu: « Puis-je avoir un café de taille moyenne double sucre et double crème? » L'incident a été amusant et « typiquement canadien », mais il révèle aussi « un manque de respect et d'attention chez les participants lorsque les procédures judiciaires ne se déroulent pas en personne, dans la salle d'audience avec un juge. »
    Nous sommes d'accord avec la juge Lynch à ce sujet et nous sommes ici pour répondre aux questions du Comité.
    Merci.

  (1115)  

    Merci beaucoup, madame Hardie.
    Nous allons maintenant passer à la première série de questions.
    Madame Findlay, vous avez six minutes. Je vous en prie
    Merci beaucoup, madame la présidente, et merci aux témoins d'être là. Nous sommes conscients de vos compétences et comprenons que vous exprimiez peut-être un peu d'irritation.
    Je m'adresse à Todd McCarthy. Je sais que vous êtes un avocat plaidant accompli. Je vous remercie de nous avoir fait part de vos réflexions.
    Lors de notre dernière séance, nous avons entendu un témoin représentant l'Association du Barreau canadien nous parler des difficultés que présentent les audiences virtuelles, y compris un manque de décorum — c'est ce que dit également Mme Hardie — lorsqu'elles se déroulent loin des formalités d'une salle d'audience. Selon le rapport de l'ABC, il peut être difficile d'évaluer la crédibilité à distance.
    D'après votre expérience, quelles sont les difficultés que présentent les audiences de Zoom pour les avocats, les témoins et les tribunaux sur le plan de l'évaluation de la crédibilité?
    Excellente question.
     Pour revenir au point soulevé par Mme Hardie et aux propos de la juge Lynch qu'elle a rapportés, il est vrai que le manque de décorum est un grave problème, tout comme la capacité d'évaluer la crédibilité de façon équitable, car la crédibilité est souvent l'élément central qui détermine l'issue d'une affaire, qu'elle soit pénale, civile, familiale ou de protection de l'enfance.
    Les délibérations à distance, l'audience Zoom, la téléconférence, ont une place et continueront d'en avoir une. Nous avons adopté cette méthode, et la pandémie a accéléré les choses. De là à dire que ce devrait être la position par défaut, surtout lorsque la crédibilité est tellement cruciale... Nous ne pouvons pas nous dispenser des audiences en personne, bien sûr, et nous devons y revenir.
    Pour ce qui est du décorum et de la crédibilité, le fait d'être entendu dans une salle d'audience a un lien avec le respect de la primauté du droit et du processus décisionnel judiciaire, et avec le droit de se faire entendre équitablement. Toutes ces choses ont une incidence sur ceux qui participent au processus, sur leur opinion: l'équité a-t-elle été respectée et la justice a-t-elle été rendue dans le cadre qui convenait?
    Si nos ancêtres ont construit des palais de justice si majestueux partout au Canada, dont beaucoup existent encore, c'est pour honorer la primauté du droit. Nous respectons la primauté du droit, les lieux où on applique la loi. Ce décorum est très important.
    Nous disons toujours que les juges écrivent leurs jugements pour le perdant, n'est-ce pas? Il faut expliquer pourquoi le perdant n'a pas eu gain de cause, et il faut aussi écrire les jugements pour le public. La détermination de la crédibilité fait toujours partie des motifs.
    Lorsque vous préparez des témoins, par exemple, faites-vous attention à des choses comme l'éclairage et les angles de caméra dans un contexte virtuel? Croyez-vous que ces éléments, qui sont propres aux audiences virtuelles, peuvent avoir une incidence sur le résultat ou l'équité d'un procès?
    Absolument. Ce n'est pas tout le monde qui a une grande salle d'ordinateurs et beaucoup d'écrans. Certains utilisent leur téléphone, et alors le type de téléphone compte. Cela crée une injustice.
     Nous ne voudrions jamais qu'un témoin ait plus de chances d'être cru simplement parce qu'il a une meilleure technologie, pas plus que nous ne voudrions qu'il ait plus de chances s'il porte de plus beaux vêtements. La crédibilité ne devrait pas dépendre de ces facteurs.
    Une question qui nous préoccupe tous à juste titre est celle de l'accès à la justice.
     Le ministère de la Justice du Canada a estimé que de 50 à 80 % des plaideurs devant les tribunaux civils et de la famille ne sont pas représentés, un pourcentage qui pourrait continuer d'augmenter à cause du stress attribuable à la pandémie. L'ancienne juge en chef McLachlin a dit qu'il s'agissait d'une crise.
    Les causes où les parties n'ont pas d'avocat prennent-elles plus de temps, contribuant ainsi à faire augmenter l'arriéré? Selon vous, que peut-on faire pour améliorer l'accès à la justice pour ces justiciables?
    Les justiciables non représentés, dans la mesure où c'est leur droit de se passer d'avocat... Cela soulève la question du coût des services juridiques, ce qui est une autre affaire. Il y a aussi les avocats commis d'office, et ainsi de suite. C'est un problème grave. En fait, à l'heure actuelle, cela entraîne d'importants arriérés, parce que de nombreux plaideurs non représentés n'ont pas accès à la technologie, même si les tribunaux y ont accès.
    En toute justice pour les juges qui président, même lors d'une conférence préparatoire, où rien n'est décidé spécifiquement avec un plaideur non représenté, il faut dire qu'ils veulent que les procédures soient enregistrées. Normalement, elles se déroulent en audience publique en présence d'un sténographe judiciaire. Le problème, c'est que nous avons des juges qui disent: « Je ne peux pas et je ne veux pas entendre cette affaire avec des parties non représentées en droit de la famille ou dans tout autre domaine parce que je dois pouvoir faire enregistrer les délibérations. » C'est nécessaire si on veut faire sérieusement le travail.
    C'est un grave problème. Le problème des personnes non représentées exige que des préposés en personne reviennent sur place, ou du moins que notre personnel judiciaire vienne au tribunal et utilise correctement la technologie Zoom.

  (1120)  

     Monsieur McCarthy, il ne nous reste que peu de temps, Je vous le laisse pour que vous puissiez parler un peu plus longuement de ce que le gouvernement fédéral peut faire, selon vous, pour résorber l'arriéré. Vous avez parlé de la disposition de dérogation, ce qui une idée intéressante.
    Il nous reste une trentaine de secondes. Ce n'est pas beaucoup, mais pourriez-vous nous en parler brièvement?
     Je propose un dialogue entre les différents pouvoirs. Les tribunaux n'ont pas toujours raison. L'arrêt Jordan partait d'une bonne intention, mais il a entraîné d'énormes problèmes parce que les tribunaux de compétence générale, ou les tribunaux de première instance, doivent alors accorder la priorité aux affaires pénales.
    Il y a arrêt des procédures dans bon nombre de ces cas à cause de cette limite de temps. Et dans ces conditions, les juges ne sont pas disponibles pour entendre les affaires familiales, civiles et de protection de l'enfance, qui sont également très importantes. Nous devons donc marquer un temps d'arrêt. Le Parlement du Canada a le dernier mot à ce sujet, pas la Cour suprême du Canada, du moins pendant une période de cinq ans.
    Les tribunaux ne devraient pas avoir le droit de dicter cette orientation, et la Charte le dit aussi, mais la disposition de dérogation a mauvaise réputation. Elle ne le devrait pas. C'est un dialogue juste et équilibré entre les trois pouvoirs sur une question constitutionnelle importante, et la disposition est prévue dans la Constitution. C'est dans la Charte. La disposition est là pour être utilisée rarement, mais elle peut l'être de façon appropriée pour affronter une crise comme celle où les tribunaux sont plongés.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur McCarthy.
    Nous allons maintenant passer à M. Maloney, qui aura six minutes.
    Allez-y, monsieur.
    Merci, madame la présidente.
    Merci aux deux témoins.
    Comme je n'ai pas beaucoup de temps, j'entre immédiatement dans le vif du sujet.
    Monsieur McCarthy, tout d'abord, je suis heureux de vous revoir. Il est agréable que vous soyez des nôtres. Merci de votre exposé. Je suis particulièrement heureux de votre présence parce que, chaque fois que nous discutons des systèmes judiciaires et des problèmes des tribunaux, les tribunaux pénaux ont toujours le haut du pavé. Vous êtes un avocat spécialisé en droit civil, comme je l'ai été, et nous sommes souvent sous-représentés. Je suis donc heureux que vous parliez en notre nom.
    On parle beaucoup de ce qui se passe pendant la pandémie de COVID et de ses répercussions. Vous en avez parlé, tout comme Mme Hardie. J'espère qu'elle va se terminer et qu'il n'y aura plus d'incidents comme cette commande chez Tim Hortons.
    La grande question, à mon avis, est de savoir ce que nous allons garder dans le système, car les audiences virtuelles sont là pour rester. Selon moi, les audiences en personne devraient être le choix par défaut non seulement pour les procès, mais aussi pour la phase précédant l'instruction, les interrogatoires préalables, les requêtes et l'ensemble des procédures. On devrait être tenu d'expliquer pourquoi il doit en être autrement, car, comme vous l'avez dit, monsieur McCarthy, les délais imposent des pressions, et ce, à toutes les étapes.
    Selon vous, quels sont les éléments adoptés à cause de la COVID qui deviendront permanents?
     Il ne fait aucun doute que l'audience Zoom pour les affaires qui sont fondées sur une documentation papier est idéale: on ne peut pas simplement présenter des arguments écrits dans des affidavits et demander ensuite au juge de rendre une décision sur-le-champ. L'échange entre la magistrature et le barreau est très important, surtout lorsqu'il peut y avoir des répercussions sur l'évolution du droit. Mais il est possible de travailler efficacement sur Zoom pour une audience, une requête en jugement sommaire, une conférence préparatoire où tout le monde est représenté.
    Les hivers canadiens ont souvent retardé des audiences qui devaient se dérouler en la présence des protagonistes, et la technologie Zoom, en février prochain et en février 2023, sera très bien accueillie quand, par exemple, il sera impossible de prendre l'avion pour aller de Toronto à Pembroke, en Ontario, simplement pour une audience sommaire qui pourrait se dérouler sur Zoom. La beauté de tout cela, c'est qu'il sera possible d'utiliser les ressources des tribunaux au mieux en combinant l'utilisation de Zoom lorsque cela convient, son usage étant conservé, et en recourant par défaut aux audiences en personne.
    Les comités provinciaux des règles essaient maintenant de trouver comment gérer la question. Comme vous le demandez, le choix par défaut devrait-il être Zoom ou l'audience en personne? Je suis d'accord avec vous, monsieur Maloney, mais je pense que pour certaines procédures, Zoom devrait être le choix par défaut.
    On s'entend là-dessus. Je repense à mes voyages à Haileybury, où je devais me rendre pour une conférence préparatoire d'une heure. Cela donnait des journées de 13 heures, ce qui ne plaisait pas beaucoup à mes clients, mais il est parfois important d'être là en personne.
    Vous avez parlé des délais imposés pour la tenue des procès. Il y a une certaine menace lorsqu'on doit assumer des coûts pour cette raison. Cela crée des pressions favorables au règlement, ce qu'il ne faut pas perdre de vue, mais je suis heureux d'apprendre que le comité des règles s'est saisi de la question.
    Je voudrais savoir ce que vous pensez d'une autre chose. S'il y a un procès ou une procédure sur Zoom et s'il y a appel... À l'heure actuelle, les juges font tout ce qu'ils peuvent pour tirer des conclusions fondées sur la crédibilité, pour rendre des décisions dont on ne peut pas faire appel, ou alors difficilement. Mais dans un monde virtuel, croyez-vous que des avocats vont demander l'enregistrement des séances virtuelles, ce qui permettrait alors aux cours d'appel d'examiner les conclusions sur la crédibilité parce qu'elles auront la possibilité de revoir les témoignages?

  (1125)  

    Pour vous répondre, monsieur Maloney, je dirai que la situation est illustrée par un procès récent qui a été mené par Zoom, un procès public dans le système de justice civile, Fabrizi c. Chu. Il y avait un énorme problème de crédibilité à résoudre: qui avait vu quoi? Qui avait le souvenir le plus fidèle? L'affaire a été entendue 12 ans après les faits.
    Qu'il y ait appel ou non, comme dans toute affaire où la crédibilité est en cause, les questions de crédibilité relèvent vraiment du juge des faits qui a vu et entendu le témoin. Comme vous le savez, la Cour d'appel n'examine qu'une transcription. La pratique ne va pas changer parce que la Cour d'appel pourrait voir un enregistrement des témoins, étant donné que le juge de première instance est toujours le mieux placé pour se prononcer, mais les appels se poursuivront...
    Je suis d'accord avec vous, mais je peux imaginer que des avocats demanderont que les délibérations sur Zoom soient enregistrées afin qu'on puisse tenir compte du processus. Je suis d'accord avec vous, et je suis désolé de vous interrompre, mais il ne me reste que quelques minutes et je voudrais m'adresser à Mme Hardie, si vous le permettez.
     Oui, bien sûr.
    Madame Hardie, vous représentez les transcripteurs et les sténographes judiciaires. Je ne sais ni combien de sténographes judiciaires vous représentez ni s'ils sont représentés par un autre groupe ou non, mais j'ai une question à vous poser. S'il est une chose dont nous avons entendu parler pendant la pandémie, c'est bien de la sécurité.
    Tout le monde devait rentrer chez soi et travailler à domicile. Ce qui s'est passé, du moins à Toronto, M. McCarthy en conviendra sans doute, c'est que beaucoup de juges ont travaillé de chez eux grâce à Zoom, mais les sténographes judiciaires, par exemple, ont été obligés d'aller dans les palais de justice parce qu'ils n'avaient pas la technologie à leur disposition. Ils ont dû emprunter les transports en commun et se rendre dans les palais de justice. À l'heure actuelle, pendant le confinement attribuable à la troisième vague, à Toronto, par exemple, les sténographes judiciaires se rendent au palais de justice au centre-ville.
    Quelles mesures peut-on prendre à cet égard?
     Des indications nous donnent à penser que des sténographes travaillent de chez eux et que le dispositif d'enregistrement numérique, qui conserve les délibérations, constitue la salle d'audience virtuelle et est mis en route où que se trouve le sténographe.
    Oui, d'accord. Combien de sténographes judiciaires représentez-vous?
     Aucun.
    D'accord. Merci. Je n'ai sans doute plus de temps.
     Je suppose que le ministère se charge de tout cela.
    D'accord. Merci à vous deux. Je suis désolé d'avoir à précipiter les choses, mais le temps est limité.
    Merci beaucoup, monsieur Maloney.
    Merci, madame Hardie.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Fortin, qui aura six minutes.
    Allez-y, monsieur.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie les témoins d'être avec nous, aujourd'hui.
    J'aurais quelques questions à vous poser, monsieur McCarthy. J'aimerais que vous me parliez davantage de la conversation que vous souhaiteriez voir entamer entre les différents paliers de gouvernement. Dans quelle mesure cette conversation pourrait-elle aider à faire avancer l'administration de la justice au regard des procès en partie virtuels et en partie en présence?

[Traduction]

     Par votre entremise, madame la présidente, je remercie M. Fortin.
    Un autre fait a une influence sur le choix d'un procès à distance ou en personne: les juges qui ont une compétence générale doivent d'abord être affectés aux affaires pénales. Autrement, il y a arrêt des procédures si on met trop de temps à tenir les procès. Tel est l'effet de l'arrêt Jordan. Les conséquences se répercutent dans tout le système, parce que bien souvent, il n'est pas possible de respecter les délais et il y a tout de même arrêt des procédures. Il y a donc arrêt des procédures dans des poursuites légitimes, mais des juges ont été affectés à ces affaires tandis que d'autres justiciables ont dû attendre dans tous les autres domaines du droit relevant de la compétence de ces tribunaux: famille, affaires civiles, protection de l'enfance.
    Dans ces autres domaines du droit, il n'existe pas de droit à un procès dans un délai raisonnable. Le dialogue entre les trois pouvoirs que je propose est, grâce à votre... [Difficultés techniques] ... il y a cinq ans, mais vous n'avez pas vu venir la pandémie et les retards qu'elle allait entraîner. Nous, le Parlement élu, disons qu'il est temps de faire une pause, de marquer un temps d'arrêt. Nous allons suspendre les effets de cet arrêt, et chercher de nouvelles solutions, permettre aux juges de faire leur travail avec des avocats. Nous avons des juges dévoués qui travaillent fort et font de leur mieux, mais le système est en train de s'effondrer. Il faut marquer un temps d'arrêt pour que des affaires pénales ne soient pas mises en péril à cause de cette limite de temps imposée par la cour.
    Je dois dire, monsieur Fortin, que les tribunaux n'ont pas toujours raison. En 1929, la Cour suprême du Canada a déclaré que les femmes ne sont pas des personnes aux fins des nominations au Sénat. Les tribunaux ont parfois affreusement tort sur des questions d'intérêt public. Les juges ne descendent pas de l'Olympe armés d'une extraordinaire sagesse. Comme M. Hogg l'a souligné, ils ont leurs propres lacunes. Ils ne sont pas parfaits. Ils ne prétendent pas l'être non plus. Beaucoup d'entre eux ne réclament pas d'énormes pouvoirs. La disposition de la Charte autorisant les dérogations est là pour qu'on puisse discuter en temps de crise. Ce n'est pas la Loi sur les mesures de guerre. Il s'agit d'avoir un dialogue pondéré sur la façon d'utiliser avec soin les ressources limitées des tribunaux de première instance afin que tous les citoyens aient accès à la justice.

  (1130)  

[Français]

     Je comprends.
    Seul le roi ne peut rien faire de mal, pas le juge.
    On s'entend pour dire que mener les procès seulement en mode virtuel ne semble pas être une solution. Il y a différents problèmes, dont ceux liés à l'évaluation de la crédibilité des témoins. Le droit demeure une science humaine et je crois, en effet, que la présence est essentielle dans la majorité des cas.
    Il n'en demeure pas moins que nous vivons une situation qui nous amène à remettre en question les paramètres usuels de la pratique du droit. Il y aura toujours des séances en présence, mais il y a fort à parier qu'il y aura encore des séances virtuelles au cours des années à venir, probablement même de plus en plus.
    La crise que nous vivons actuellement est ponctuelle. En un an, nous avons complètement changé nos habitudes. Cependant, cette façon d'administrer la justice risque de rester à long terme, du moins en partie.
    Vous nous parlez d'une conversation visant à mettre de côté les délais imposés par l'arrêt Jordan. Cela peut fonctionner sur une courte période. Cependant, à long terme, j'imagine que vous convenez que nous ne pouvons pas revenir à des délais de sept à dix ans avant qu'une décision ne soit rendue dans un procès. Cela doit se faire dans des délais raisonnables.
    En ce sens, l'arrêt Jordan m'apparaît bien fondé.
    À long terme, est-ce qu'une telle conversation pour mettre de côté l'arrêt Jordan serait utile?
    Ne faudrait-il pas plutôt trouver des façons d'être plus efficaces en travaillant en mode virtuel et en présence?

[Traduction]

     Merci. C'est une excellente question, monsieur Fortin.
    N'oubliez pas que c'est temporaire. La disposition de dérogation prévue par la Charte s'applique pendant un maximum de cinq ans. Elle viendra à expiration à moins qu'un futur Parlement n'en reconduise l'application, et l'arrêt Jordan retrouvera tout son effet. La disposition a ses limites.
    Je propose un temps d'arrêt pour tenir ce dialogue. Ce plafond de 30 mois, qui a pour conséquence que les affaires pénales monopolisent les juges de juridiction générale, la négligence de nombreuses autres affaires et l'échec de poursuites légitimes simplement parce que le délai n'est pas respecté, voilà qui n'est pas tolérable, étant donné les délais provoqués par la crise de la COVID-19 dans le système de justice.
    À mon avis, les Canadiens, par l'entremise de leurs représentants élus, devraient pouvoir, en vertu de la Charte, participer à ce dialogue et dire qu'il n'y aura pas de limite de temps pour l'instant.
    Vous avez raison, à long terme, il devrait y avoir des limites de temps. Dans un monde idéal, il doit y en avoir. Il ne faut pas négliger le droit des justiciables; il faut simplement le mettre en veilleuse, le temps que passe cette terrible crise où les tribunaux sont plongés.

[Français]

    Selon vous, quels seront les délais?

[Traduction]

    Votre temps de parole est écoulé.

[Français]

    Je vous remercie, madame la présidente.
    Merci de votre patience, monsieur Fortin.

[Traduction]

    Je l'apprécie.
    Nous allons maintenant passer à M. Garrison, qui aura six minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
     Madame Hardie, ma mère maintenant décédée ne me pardonnerait jamais de ne pas avoir parlé à des transcripteurs et à des sténographes, vu sa longue carrière de sténographe judiciaire au tribunal de la famille.
    Dans votre exposé, vous avez bien décrit certaines des difficultés suscitées par le passage à la technologie Zoom. Je voudrais en savoir un peu plus sur les solutions que vous entrevoyez à court et à long terme.

  (1135)  

     Nous voudrions que le ministère réponde à nos préoccupations. C'est le grand hic; il ne l'a pas fait. Nous voulons simplement que l'enregistrement audio s'améliore et qu'on trouve une plateforme à huit canaux distincts pour les intervenants. À l'heure actuelle, tout passe par un unique canal et il devient impossible de certifier les transcriptions parce qu'il y a tellement d'interruptions et de coupures lorsque le WiFi devient instable. C'est une grave préoccupation. Les transcriptions sont censées refléter ce qui s'est passé dans le système de justice. Nous n'avons pas la peine de mort, mais si vous n'obtenez pas une bonne transcription, il y a des répercussions réelles et graves. Nous formulons une simple demande. C'est notre seule et unique préoccupation: laissez-nous faire notre travail. Pour l'instant, c'est impossible.
    Est-ce une question de choix de plateforme ou bien la plateforme dotée de ces caractéristiques n'existe-t-elle pas?
    Il n'y en a pas. Elle n'est pas connectée; elle n'est pas intégrée à Zoom. La plateforme ou le système qui existe dans chaque salle d'audience n'a pas été intégré à la plateforme Zoom. Nous avons donc un canal unique à partir duquel nous faisons la transcription, c'est tout. Le travail devient impossible. Cela fait 14 mois, et nous voulons simplement savoir où tout cela s'en va. Pourquoi ne peut-on pas régler le problème dès maintenant?
     Des indications vous donnent-elles à penser qu'on travaille à l'adaptation de l'équipement à Zoom ou à une autre plateforme qui s'y prêterait?
     Notre association fait beaucoup de recherche. Nous suivons ce qui se fait, nous nous renseignons, nous lisons des articles et, peut-on dire, nous furetons parce que nous n'obtenons pas vraiment de réponse directe du ministère. Oui, il y a une plateforme disponible, mais nous ne savons pas ce qui se passe ni où elle en est. Cela fait 14 mois. C'est long.
    Je veux être sûr de bien comprendre. Êtes-vous en train de dire que, d'après vos recherches, il existe une autre plateforme qui vous permettrait de faire votre travail directement à ce stade-ci?
    Il y a une possibilité. Les services d'enregistrement Liberty fournissent maintenant tous les systèmes dans les salles d'audience. Nous croyons qu'il y a une plateforme à leur disposition et qu'il serait possible d'assurer immédiatement la connexion.
    C'est une information très importante pour nous. Je vous remercie d'avoir porté ce problème à notre attention.
    Merci.
    Je m'adresserai maintenant à M. McCarthy.
    Aviez-vous les mêmes préoccupations au sujet de l'arrêt Jordan avant la crise de COVID? Auriez-vous proposé la même solution temporaire, c'est-à-dire le recours à la disposition de dérogation, si cette crise n'était pas survenue?
    Voilà une question très importante.
    L'arrêt Jordan a prêté à controverse. Il a imposé des délais maximums précis de 30 mois. C'était un lourd fardeau pour les tribunaux, et l'affectation de ressources judiciaires aux affaires pénales a commencé à retarder le déblocage de ressources pour d'autres types d'affaires. Ce fut l'effet immédiat de l'arrêt Jordan, mais je n'aurais pas recommandé le recours à cette disposition s'il n'y avait pas eu la pandémie de COVID-19. Je propose ce recours comme mesure temporaire en raison des graves répercussions de la pandémie.
    De plus, bien sûr, comme je l'ai précisé dans le mémoire que j'ai présenté au Comité, il ne fait aucun doute que la Cour était bien intentionnée lorsqu'elle a essayé de donner une véritable définition du droit conféré par le paragraphe 11b) de subir un procès « dans un délai raisonnable ». C'est ce que les tribunaux peuvent et doivent faire. Lorsque survient un imprévu, la Cour suprême du Canada ne peut pas revenir sur sa décision tant qu'une affaire ne lui a pas été soumise dans des circonstances particulières.
     Il se pourrait fort bien que cinq des neuf juges, dans une affaire liée à la COVID-19, rappellent que l'article 1 de la Charte dispose que ces droits peuvent être restreints par une règle de droit dans des limites qui soient raisonnables. Le résultat pourrait être différent dans une situation donnée, mais combien de temps faudra-t-il attendre pour qu'une telle affaire se rende jusqu'à la Cour suprême du Canada?
    Les juges ne prennent pas les devants. Ils doivent attendre qu'une affaire leur soit soumise, alors que le Parlement du Canada peut être proactif. Ce n'est pas le moment de rester les bras croisés et d'attendre un nouveau précédent qui pourrait aller dans un certain sens. Le moment est venu d'agir, d'avoir un dialogue. C'est votre droit et votre rôle de parlementaires. À mon avis, c'est ce que les citoyens attendent de leurs parlementaires. C'est un débat qui doit avoir lieu, qui n'aurait probablement pas lieu s'il n'y avait pas eu la COVID, et cette situation ne se reproduira pas.
    Pour revenir à ce que disait M. Fortin, il n'est pas nécessaire que la suspension soit permanente. L'arrêt Jordan s'appliquera de nouveau ensuite, si le Parlement décide de le mettre en veilleuse pendant un certain temps. Vous pouvez même appliquer la disposition de dérogation pendant moins de cinq ans si c'est ce que vous inscrivez dans la loi.

  (1140)  

    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je crois qu'il me reste si peu de temps que j'attendrai le prochain tour.
    Merci beaucoup, monsieur Garrison.
    Nous allons maintenant passer au deuxième tour.
    Monsieur Cooper, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente, et merci aux témoins.
    Je vais adresser mes questions à M. McCarthy.
    Je voudrais revenir sur l'arrêt Jordan. Il va sans dire que, lorsque les plafonds présumés ont été établis, c'était bien avant que le tribunal ne puisse envisager quelque chose comme la COVID. Comment les tribunaux ont-ils abordé la question de la COVID dans le contexte de l'arrêt Jordan jusqu'à maintenant? Y a-t-il lieu de fouiller la question?
    Il est certain que les comparutions à distance dans des affaires pénales courantes sont acceptées. Elles étaient envisagées même avant la COVID, mais elles sont maintenant plus que jamais adoptées.
    Pourquoi faire venir de loin un prévenu en détention — s'il n'a pas obtenu sa libération sous caution dans l'attente de son procès — pour une simple comparution d'une minute devant le tribunal afin de fixer une nouvelle date pour une enquête préliminaire ou un procès? C'est une perte de temps et de ressources.
    Même dans les affaires pénales où la liberté du prévenu est en cause — la liberté du prévenu étant un facteur très important —, la comparution en personne n'est pas toujours requise.
    Les changements de cet ordre peuvent, seront et devraient être permanents, mais il faut reconnaître que la crédibilité est souvent un enjeu important dans les procès au pénal, si bien que les tribunaux ont essayé d'obtenir le plus grand nombre possible de procès en personne. Néanmoins, les restrictions attribuables à la COVID-19, surtout en Ontario récemment, ont par exemple retardé toute possibilité de tenir des procès devant jury en personne jusqu'après le 7 juin dans la plupart des villes en Ontario et jusqu'après le 5 juillet à Toronto et à Peel.
    Les tribunaux doivent gérer. Ils espèrent qu'il y aura des transactions pénales. Ils espèrent une solution. Je peux vous dire, pour m'être occupé de toutes sortes de litiges — je suis un spécialiste du contentieux civil comme M. Maloney—, que j'ai défendu des citoyens accusés d'infractions et que le paragraphe 11b) est une excellente défense. J'y ai eu recours avec succès pour bon nombre de mes clients, à juste titre, en invoquant le droit garanti par la Charte.
    Cela devrait-il devenir pour autant une amnistie de masse? Cela crée-t-il une situation où nous devons, virtuellement ou autrement, affecter des juges aux affaires pénales pour éviter les arrêts de procédure, sans pour autant réussir à respecter les délais, tandis que d'autres affaires sont négligées? Voilà pourquoi nous sommes plongés dans cette crise, et la situation risque de s'aggraver encore avant de s'améliorer.
    Les tribunaux font de leur mieux, mais ils ont besoin de l'aide du Parlement dans ce dossier.
    Je vous remercie.
    J'aurais quelques questions au sujet des audiences virtuelles et de préoccupations qu'elles soulèvent. Par exemple, à notre dernière audience, madame la juge Lynch a rappelé le principe de la publicité des débats judiciaires et s'est demandé s'il était vraiment possible de le respecter dans le contexte des audiences virtuelles. Elle a soulevé des questions concernant la protection de la vie privée — dans le cadre, par exemple, des séances à huis clos. Elle a également parlé des problèmes liés à l'utilisation de plateformes privées du point de vue de la protection des renseignements personnels et de la sécurité.
    Pourriez-vous nous parler de ces trois enjeux?
     Certainement. Cela dépend de la situation, monsieur Cooper.
    Concernant les appels sur des questions de droit, la publicité des débats est en fait améliorée par Zoom, puisqu'un plus grand nombre de gens peuvent avoir accès à une audience devant trois juges d'un tribunal d'appel ou même devant la Cour suprême du Canada par le biais de cette plateforme. Cette nouvelle technologie est magnifique à cet égard, et nous devrions l'adopter.
    Mais vous avez raison. Il y a des procès en première instance où la protection de la vie privée est véritablement un problème, où les gens enregistrent les témoignages même si on leur dit que c'est interdit et qu'ils commettraient une infraction. Comment vérifier? Comment protéger un témoin qui ne veut pas être identifié? Même les jurés du récent procès de George Floyd aux États-Unis ont été tenus à l'écart du grand public pour qu'ils ne puissent pas être identifiés par ceux qui suivaient l'affaire en direct.
    Tout le monde a intérêt à ce que les débats judiciaires soient publics, mais certaines situations supposent effectivement l'exercice du contrôle associé aux audiences en personne, et c'est propre à chaque cas.

  (1145)  

    Votre micro est désactivé, monsieur Cooper.
    Je crois que mon temps est presque écoulé, mais je vais peut-être aborder la question des plateformes privées et de l'utilisation de plateformes comme Zoom. Qu'en pensez-vous du point de vue de la protection des renseignements personnels et de la sécurité?
     Les tribunaux de l'Ontario ont intégralement adopté la technologie Zoom, et elle fonctionne extrêmement bien, tout simplement parce que... C'est une sorte de partenariat entre le secteur privé et le secteur public. C'est une bonne plateforme du secteur privé. Elle a été choisie de préférence à d'autres. Le tribunal était libre de choisir, et il l'a adoptée après mûre réflexion.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Cooper.
    C'est au tour de M. Virani, pour cinq minutes.
    Allez-y, monsieur.
    Merci, madame la présidente.
    Mes questions s'adressent à M. McCarthy.
    Soyez le bienvenu, monsieur McCarthy.
     Compte tenu des problèmes que vous avez soulevés, diriez-vous que, pour les accusés non représentés, le fait de permettre aux fonctionnaires judiciaires de les aider à régler les questions administratives serait un pas dans la bonne direction?
    Deuxièmement, diriez-vous que le fait de permettre à un accusé de comparaître par vidéoconférence dans le cadre d'une enquête préliminaire et d'un procès sur consentement, y compris lorsque des témoignages sont recueillis, serait un pas dans la bonne direction?
     Ce sont deux questions très différentes, mais importantes. J'étais avocat de service quand j'étais jeune, à une époque où il y avait des avocats de service rémunérés. La présence d'une personne qui peut aider l'intéressé et défendre sa cause non seulement aide les plaideurs non représentés dans les affaires familiales et criminelles, mais elle aide aussi le tribunal à s'assurer que les gens sont orientés dans la bonne direction. C'est une fonction très importante. Il incombe aux provinces de financer ce service. Je pense que le bénévolat a aussi sa place parmi les avocats de service.
    Pourriez-vous me rappeler la deuxième question?
    Je parlais des enquêtes préliminaires et de la possibilité que l'accusé comparaisse par vidéoconférence dans le cadre d'une enquête préliminaire et d'un procès sur consentement.
    Ah oui.
    Beaucoup de gens estiment qu'il faudrait mettre fin aux enquêtes préliminaires, parce qu'il s'agit essentiellement d'un mécanisme d'interrogatoire préalable, mais, pour ce qui est de la comparution — une enquête préliminaire sert effectivement à entendre la preuve, peut-être à vérifier la preuve et parfois à obtenir une condamnation pour une infraction moindre —, je pense que c'est effectivement un bon moyen d'éviter que l'accusé ait à comparaître en présentiel, mais qu'il puisse le faire à distance. C'est vraiment un interrogatoire préalable. Sa liberté n'est pas vraiment en jeu dans une enquête préliminaire.
    D'accord.
    J'aimerais aborder certains aspects de l'arrêt Jordan dont vous avez longuement parlé avec certains de mes collègues. Comme ancien avocat plaidant, je conviens que les juges ne sont évidemment pas infaillibles. C'est juste, mais, dans l'affaire Jordan, j'ai l'impression que...
    Ne leur dites pas que j'ai dit cela.
    D'accord. Vous comparaissez encore devant eux, mais pas moi.
    Il me semble que nous faisons peu de cas de la décision elle-même. Les paragraphes 69 à 71 de l'arrêt parlent d'exceptions et de circonstances atténuantes. Ce n'est pas comme si les juges avaient énoncé une règle absolue. À la fin du paragraphe 71, on peut lire ceci:
En fin de compte, la réponse à cette question du caractère « exceptionnel » des circonstances dépendra du bon sens et de l’expérience du juge de première instance. Une liste des circonstances de ce type ne saurait être exhaustive. Ces circonstances se divisent toutefois généralement en deux catégories: les événements distincts et les affaires particulièrement complexes.
    La pandémie ne devrait-elle pas être considérée comme une circonstance exceptionnelle? Qu'en pensez-vous?
     Oui. Effectivement. Un juge qui appliquerait l'arrêt Jordan, pour reprendre les termes avisés que vous venez de citer, invoquerait peut-être, en effet, la pandémie de COVID pour ne pas accorder de sursis. Mais n'oubliez pas que, chaque fois qu'on affecte un juge à une affaire criminelle pour s'occuper de quoi que ce soit, parce qu'elle est plus urgente toutes les autres en raison de l'arrêt Jordan, on n'utilise que des ressources judiciaires qui ne peuvent pas être utilisées dans d'autres types d'affaires non dépendantes de délais.
    Sauf votre respect, vous passez donc à côté de la question. Il faut absolument faire un temps d'arrêt ici afin que les ressources judiciaires ne soient pas déployées en priorité dans les affaires criminelles au détriment de la famille, de la protection des enfants et des affaires civiles. C'est pourtant ce qui se passe. Nous devons suspendre la monopolisation de nos juges dans les cours supérieures du pays en raison des conséquences imprévues de l'arrêt Jordan. Ils n'avaient pas prévu la pandémie. On ne peut pas régler cela au cas par cas, faute de quoi on accapare les ressources judiciaires et on ne fait qu'aggraver le problème.

  (1150)  

    Il ne me reste qu'une minute. Vous avez demandé qu'on en discute, mais que c'est déjà fait. Certains des changements que j'ai rappelés au début de ma réflexion se trouvent déjà dans le projet de loi C-23. Ce projet de loi est le fruit de discussions. Aucun dirigeant provincial ou procureur général n'a jamais demandé au ministre fédéral d'invoquer la disposition dérogatoire.
    Vous me pardonnerez de penser que c'est peut-être un peu idéologique, parce que nous savons qu'elle est invoquée par certains gouvernements, y compris par le gouvernement de ma province. Je sais que vous avez été candidat pour les conservateurs en Ontario et à l'échelle fédérale. Donc, votre inclination à invoquer la disposition dérogatoire ne s'enracine-t-elle pas simplement dans des convictions idéologiques?
    Pas du tout, monsieur Virani. Je vous rappelle que j'ai été candidat pour le Parti conservateur du Canada, mais que j'ai aussi voté pour des candidats libéraux, néo-démocrates et verts, que je respecte et qui se sont présentés dans mes circonscriptions.
    Je n'ai pas de point de vue partisan à ce sujet. Je m'adresse à vous à titre de conseiller juridique et d'avocat plaidant. Je siège actuellement au sous-comité d'experts sur les règles de procédure civile. C'est un appel à l'aide pour nos tribunaux.
    Merci beaucoup, messieurs McCarthy et Virani.
    Nous allons maintenant passer à M. Fortin, pour deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Monsieur McCarthy, je me sens discriminé, puisque vous n'avez pas mentionné avoir déjà voté pour le Bloc québécois. Alors, je suis probablement le seul ici que vous n'avez jamais appuyé.
    Cela dit...

[Traduction]

    Je vote depuis 40 ans, mais je n'ai jamais vécu dans une circonscription du Québec, monsieur Fortin. Désolé. Je voterais probablement pour vous si je le pouvais, parce que je vous respecte beaucoup.

[Français]

    Monsieur McCarthy, rapidement, car je ne dispose que de deux minutes.
    Je comprends le principe de la discussion que vous souhaitez lancer en vue d'abolir les délais imposés par l'arrêt Jordan durant la crise.
    Je comprends également les arguments de mon collègue M. Virani, qui sont exacts. Certaines dispositions permettent d'y déroger, dans des circonstances exceptionnelles.
    Cela étant dit, monsieur McCarthy, ne seriez-vous pas d'accord avec moi pour dire que le problème des délais déraisonnables, en ce qui a trait à l'administration de la preuve, n'a pas débuté il y a un an ou deux? C'était bien avant l'arrêt Jordan. Les problèmes de délais remontent à très longtemps; ils datent de plusieurs années, même de décennies.
    À votre avis, ne serait-ce pas le temps d'envisager une façon différente d'administrer les procès?
    Par exemple, on parle souvent de négociation de plaidoyers. Y a-t-il une façon, même en matière civile, de rendre obligatoire une étape de médiation pour forcer les gens à se parler avant que le tribunal fixe une date de procès?
    La nomination de nouveaux juges ne pourrait-elle pas permettre d'augmenter le nombre de séances et d'éliminer ou d'atténuer ce problème de délais déraisonnables?
    Je désire avoir votre opinion, rapidement, car on me fait signe qu'il me reste une minute.
    À votre avis, outre la suspension de l'arrêt Jordan, pourrait-on mettre en place d'autres mesures pour régler ce problème?

[Traduction]

    Ces mesures ont été mises en oeuvre et sont adoptées. En fait, sans médiation et sans processus préliminaire, le système s'écroulerait.
    Mais on parle ici de l'utilisation des ressources judiciaires dans les tribunaux de compétence générale. Les juges sont monopolisés par des affaires criminelles pour s'occuper d'arbitrage, voire de requêtes de sursis, au détriment d'autres affaires très importantes en matière de protection de la famille et de justice civile.
    C'est là qu'est le problème. Nous parlons du système judiciaire, et non pas des règlements conclus en raison de mesures extérieures au système judiciaire. C'est largement adopté et cela fonctionne. On parle ici d'arbitrage judiciaire.

[Français]

    Excusez-moi, le temps passe.
    Corrigez-moi si je me trompe, mais la médiation obligatoire n'est pas en place, pas même en Ontario. On vous impose peut-être, comme au Québec, de faire un rapport attestant que la médiation a été proposée, mais celle-ci n'est pas obligatoire.
    Y a-t-il une obligation?

[Traduction]

    Il y a, et c'est obligatoire, l'article 24.1 des règles de procédure civile en Ontario.
    Merci beaucoup. Nous allons nous arrêter là.
    La parole est à M. Garrison, pour deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    J'aimerais revenir sur l'arrêt Jordan et sur les délais.
    Je remercie M. Virani d'avoir rappelé que les juges de première instance ont encore le pouvoir discrétionnaire de décider des circonstances exceptionnelles.
    Mais, pour l'avenir, je continue de m'inquiéter de l'utilisation de la disposition dérogatoire et je crois qu'elle devrait être utilisée avec parcimonie. Il me semble que la véritable question à long terme est le manque de ressources de l'ensemble du système judiciaire à l'échelle provinciale. Si les provinces fournissaient suffisamment de ressources pour qu'il y ait un nombre suffisant de juges et d'auxiliaires judiciaires pour faire avancer les procès, il n'y aurait pas de problème de délais.
    J'aimerais connaître le point de vue de M. McCarthy à ce sujet.

  (1155)  

    N'oubliez pas que je parle de l'article 94 concernant les tribunaux et de l'article 96 concernant les juges. Les juges sont nommés non pas par les gouvernements provinciaux, mais par votre gouvernement. C'est le premier point.
    Les postes sont créés par le gouvernement provincial et comblés par le gouvernement fédéral. C'est la province qui décide du nombre de juges, et c'est le gouvernement fédéral qui comble les postes, n'est-ce pas?
    Sauf votre respect, je m'inscris en faux. Le gouvernement fédéral a le pouvoir exclusif de nommer ou non des juges en vertu de l'article 96 et de combler les postes vacants. Il tarde parfois à le faire, ce qui entraîne automatiquement un arriéré, mais ce n'est pas ce dont nous discutons aujourd'hui.
    Le fait est que, oui, effectivement, la disposition dérogatoire devrait être utilisée avec parcimonie, mais on en est au point où elle a très mauvaise réputation et où les points de vue sont marqués par la partisanerie. C'est pourtant un instrument constitutionnel légitime.
    Je vous invite à lire les commentaires de M. Hogg. Il en parle comme d'un instrument unique du droit canadien. En l'occurrence, cela garantirait provisoirement que les juges ne soient pas monopolisés, même pour régler des circonstances exceptionnelles. Ils n'auraient pas à traiter ces demandes de sursis. Cela occupe trop de leur temps. Chaque fois qu'ils doivent tenir une audience, à distance ou autrement, et rendre une décision, on utilise des ressources judiciaires. Cela les empêche de s'occuper d'autres affaires relevant de leur compétence. C'est là le problème.
     Je vous remercie beaucoup d'avoir soulevé cette question. Je pense qu'il est important de l'examiner.
    J'ai terminé, madame la présidente.
    Merci beaucoup, monsieur Garrison.
    Nous approchons de la fin de l'heure, et je vais donc maintenant remercier nos témoins d'être venus aujourd'hui et de nous avoir livré leurs témoignages.
    Si vous pensez que des précisions supplémentaires seraient utiles et si vous souhaitez nous en faire part, veuillez nous les adresser par écrit. Nous vous en serions reconnaissants. Vous pouvez envoyer un courriel au greffier.
    Merci beaucoup.
     Nous allons suspendre temporairement la séance pour permettre au prochain groupe de témoins de s'installer.

  (1155)  


  (1205)  

     Reprenons la séance. Je vais d'abord expliquer certaines choses aux nouveaux témoins.
     Soyez les bienvenus. Merci d'être ici aujourd'hui. Voici quelques règles de fonctionnement interne. Lorsque vous n'avez pas la parole, veuillez désactiver votre micro, et, avant de parler, veuillez attendre que je vous donne la parole. Lorsque vous avez fini de parler, veuillez de nouveau désactiver votre micro.
     Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Le service d'interprétation peut être activé au bas de votre écran. Vous verrez une petite icône représentant un globe terrestre. Choisissez la langue que vous voulez entendre. Vous pouvez parler dans la langue de votre choix, l'anglais ou le français.
    Sur ce, j'accueille nos invités d'aujourd'hui. M. Joshua Sealy-Harrington, professeur adjoint à la Lincoln Alexander School of Law de l'Université Ryerson et avocat chez Power Law, témoignera à titre personnel. Nous avons aussi, de la Criminal Lawyers' Association of Ontario, M. John Struthers, président, et M. Daniel Brown, vice-président. Et nous accueillons également M. Drew Lafond, président de l'Association du Barreau autochtone du Canada.
    Messieurs les témoins, chacun de vous aura cinq minutes pour faire son exposé préliminaire. J'ai une feuille de rappel d'une minute et une autre de trente secondes pour vous aider.
    Nous allons commencer par M. Sealy-Harrington.
    Allez-y, vous avez cinq minutes.
     Je tiens d'abord à remercier le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui pour parler de la pandémie et du système de justice pénale.
    Puisque je n'ai que cinq minutes, j'irai droit au but. À bien des égards, la COVID-19 n'a pas créé de problèmes en matière de justice pénale, mais elle a exacerbé ceux qui existaient déjà.
    Cela étant, l'État ne devrait pas apporter de changements mineurs ici et là pour lutter contre la COVID-19, mais plutôt procéder à des transformations structurelles majeures pour corriger les désavantages systémiques persistants et ainsi respecter les obligations constitutionnelles qu'il a longtemps négligées, notamment à l'égard des Noirs, des Autochtones et des personnes à faible revenu.
    Plus précisément, pour endiguer le flot des poursuites qui surchargent nos tribunaux, j'invite instamment le Comité à ne pas privilégier une augmentation des investissements dans les établissements carcéraux, mais plutôt à réduire notre dépendance à leur égard.
    Concernant le témoignage de M. McCarthy, la réponse qui convient à une violation généralisée de la Constitution n'est pas d'autoriser cette violation au moyen de la disposition dérogatoire, mais plutôt d'y remédier. Soyons clairs, il n'y a rien de non partisan à penser que le meilleur moyen de corriger une faiblesse constitutionnelle est de la laisser durer encore cinq ans.
    J'aborderai brièvement deux éléments essentiels pour développer cette thèse, à savoir, un, le problème et, deux, la solution.
    Commençons par le problème. Ce n'est pas la COVID-19, et le gouvernement canadien l'a concédé dans le budget de cette année. Deux exemples, les drogues et la sécurité, en sont une bonne illustration.
    Pour ce qui est des drogues, le gouvernement canadien reconnaît que l'épidémie d'opioïdes s'aggravait déjà avant le début de la pandémie et que celle-ci n'a fait qu'empirer la crise actuelle de surdoses d'opioïdes au Canada.
    Pour ce qui est de la sécurité, le gouvernement canadien reconnaît que la criminalité a des causes profondes, indépendantes de la COVID-19. Il est vrai que les pertes d'emplois et les pressions financières liées à la pandémie ont fait augmenter, par exemple, les taux de violence sexiste, mais ces conditions structurelles ne sont pas propres à la pandémie. En effet, le gouvernement sait très bien que l'accès à l'emploi, à l'éducation et à un logement stable rend les collectivités plus sûres en contribuant à mettre fin au cycle de la criminalité.
    Quelles solutions le gouvernement devrait-il envisager? Là aussi, les drogues et la sécurité sont des exemples révélateurs.
    Pour ce qui est des drogues, le gouvernement a déclaré qu'il adopterait un point de vue axé sur la santé publique en matière de toxicomanie, mais il persiste à criminaliser la possession simple de drogue. C'est incohérent. Comme l'expliquent les intervenants des collectivités où les populations vulnérables et racialisées sont touchées par les politiques punitives en matière de drogues, il est urgent de décriminaliser, surtout quand un gouvernement prétend s'engager à lutter contre le racisme systémique.
    Pour ce qui est de la sécurité, le gouvernement met trop l'accent sur l'augmentation de la capacité judiciaire et sur le financement et la formation des services de police. En quoi le maintien de l'ordre est-il un moyen de lutter contre les causes profondes et les conditions structurelles qui, selon le gouvernement lui-même, sont à l'origine de la criminalité? Ces conditions ne peuvent être réglées sans investissement important, et, quand on parle d'investissement, on parle de débloquer des fonds publics. C'est pourquoi de très nombreux organismes communautaires se sont unis pour réclamer le retrait du financement de la police, le démantèlement des établissements carcéraux et la création de systèmes de rechange axés sur les conditions mêmes dont le gouvernement lui-même reconnaît qu'elles contribuent à la criminalité, par exemple les problèmes liés au logement, à la santé et à l'éducation.
    Si, comme le gouvernement le reconnaît, les séquelles de la violence sexiste coûtent des milliards de dollars par an aux Canadiens, une politique fiscale tenant compte des conditions de production de cette violence, même si elle exige un investissement public sans précédent, serait une mesure prudente.
    Pour être clair, les positions de principe que je décris ne sont pas sans rapport avec les procédures pénales et les délais judiciaires; elles sont même fondatrices. Par exemple, pour réduire les délais judiciaires, le gouvernement a l'intention d'ajouter 13 nouveaux postes aux cours supérieures. Cela ne fonctionnera pas. Un journaliste a récemment décrit une situation où le personnel judiciaire est complètement débordé et surchargé de travail, où les audiences prévues n'ont pas lieu et où les participants vulnérables saisis dans le système judiciaire sont laissés dans un état de profond désarroi.
    Il paraît que des procès de deux jours sont actuellement prévus pour le mois de mars de l'an prochain. Il est évident que le système est débordé. Le tuyau est en train d'éclater, et on ne peut pas le réparer en bouchant frénétiquement les trous qui, inévitablement, continuent d'apparaître; nous devons plutôt fermer le robinet à la source, autrement dit procéder à des réformes systémiques et, notamment, cesser de verbaliser et de poursuivre les contrevenants pour des infractions à l'administration de la justice et pour possession de drogue.
    En somme, si le Comité veut réduire les délais dans le système de justice pénale, en crise bien avant la pandémie, il doit réduire la criminalisation, les interventions policières et les poursuites. Des mesures d'ajustement modestes ne suffiront tout simplement pas. Plus le gouvernement tardera à mettre en œuvre ce genre de changements, plus il y aura de dénis de justice, aussi bien pour les victimes que pour les accusés.
    Merci.

  (1210)  

     Merci beaucoup, monsieur Sealy-Harrington.
    Nous passons maintenant aux représentants de la Criminal Lawyers' Association of Ontario. Vous avez cinq minutes à vous partager.
     Bonjour, madame la présidente, messieurs les vice-présidents et honorables députés.
    Les affaires pénales sont plus complexes et nécessitent plus de ressources judiciaires que jamais. Nous savons tous que de longs délais judiciaires peuvent porter atteinte au droit constitutionnel d'un accusé à un procès dans un délai raisonnable et entraîner une suspension des accusations. Les retards constants et répétés liés à la pandémie de COVID-19 peuvent également réduire la confiance de la population dans le système de justice pénale, et cette confiance est essentielle à son fonctionnement.
    La réponse ne consiste pas à ne pas tenir compte ou à faire abstraction des droits protégés par la Constitution, comme le préconisait M. McCarthy dans le dernier groupe de témoins. Nous estimons que la solution aux arriérés attribuables à la COVID dans le système judiciaire est d'instaurer des changements stratégiques susceptibles de garantir temps et ressources pour pouvoir privilégier les affaires les plus graves et celles qui ne peuvent tout simplement pas être résolues sans procès.
    Pendant le temps dont nous disposons, nous allons nous concentrer sur trois propositions aptes à éliminer les affaires qui encombrent le système judiciaire, mais qui ne le devraient pas. Premièrement, il faut éliminer les obstacles aux règlements sans procès. Deuxièmement, il faut déjudiciariser les infractions à l'administration de la justice. Troisièmement, il faut décriminaliser la possession de drogue.
    La question de savoir si un accusé devrait subir un procès dépend largement des conséquences de la détermination de la peine infligée pour tel ou tel crime. Une personne est beaucoup moins susceptible de plaider coupable si elle risque des conséquences ayant une incidence sur son statut d'immigrant ou son emploi ou si elle risque une longue peine d'emprisonnement. Ces conséquences font obstacle à un règlement sans procès. Les peines minimales obligatoires sont l'un de ces obstacles. Je ne parle pas seulement des peines d'emprisonnement minimales obligatoires, mais des conséquences minimales obligatoires qui découlent de certaines condamnations au pénal.
    Les condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, par exemple, exigent que le juge qui prononce la peine impose l'ouverture d'un casier judiciaire dans chaque cas, même s'il s'agit d'un primodélinquant qui dépasse à peine la limite légale d'alcoolémie. Ces affaires, par ailleurs faciles à régler, encombrent les tribunaux. Ce n'est pas par hasard que la conduite avec facultés affaiblies est l'une des catégories de causes le plus souvent plaidées et l'une des infractions qui donnent le plus souvent lieu à un dépassement du délai fixé par la Cour suprême dans l'arrêt Jordan. L'élimination des peines obligatoires permettrait de réduire considérablement le nombre de procès et de garantir le règlement rapide d'autres affaires.
    Autre obstacle, il y a la période de 5 à 10 ans qu'une personne reconnue coupable d'un acte criminel doit attendre avant de pouvoir demander la fermeture de son casier judiciaire. Les modifications proposées dans le projet de loi C-22 du gouvernement élimineraient certains de ces obstacles, dont certaines peines minimales obligatoires, mais elles ne s'attaquent pas à d'autres, comme les peines obligatoires pour conduite avec facultés affaiblies. Le projet de loi C-22 ne s'attaque pas non plus aux obstacles à la fermeture du casier judiciaire, notamment aux coûts prohibitifs et aux longs délais d'attente.
    On peut aussi réduire les arriérés en déjudiciarisant toutes les infractions à l'administration de la justice. Ces infractions, par exemple le défaut de comparaître ou le défaut de se conformer à une ordonnance judiciaire, représentent actuellement plus d'une affaire sur cinq. Compte tenu des recommandations formulées par le Sénat en 2017, le gouvernement a modifié le Code criminel pour y prévoir un processus permettant désormais à la police ou aux procureurs de ne pas porter d'accusations et de ne pas intenter de poursuites contre les coupables d'une de ces infractions. Au lieu de cela, ils peuvent les renvoyer au régime des comparutions pour manquement, où un juge pourrait modifier légèrement le plan de libération sous caution ou décider de réincarcérer l'intéressé. Ce régime évite d'accumuler des accusations criminelles, qui s'accompagnent de leurs propres exigences en matière de divulgation, de rencontre avec le procureur, de plaidoyers de culpabilité, de procès et de déclarations de culpabilité.
    Malheureusement, ces mesures de déjudiciarisation ne sont tout simplement pas utilisées par les procureurs de la Couronne ou par les policiers qui seraient censés entamer le processus de renvoi au régime des comparutions pour manquement. Ce nouveau régime, conçu pour réduire d'environ 175 000 le nombre d'affaires en instance, est en veilleuse. La solution ici est simple: il s'agit d'éliminer ces obstacles, qui, selon le cas, empêchent un juge de renvoyer une affaire ou investissent les policiers et les procureurs de la Couronne d'un pouvoir discrétionnaire.
    On s'inquiète également du supplément de pouvoir discrétionnaire accordé dans le cas des poursuites pour des infractions mineures liées aux drogues. Le projet de loi C-22 va dans le sens de la décriminalisation de ces infractions en encourageant les procureurs à déjudiciariser certaines affaires de drogue et à faire appel à des programmes de traitement de la toxicomanie. Le fait de confier entièrement aux procureurs et aux policiers le soin de décider s'il convient ou non de déjudiciariser crée des problèmes évidents. Par exemple, vont-ils effectivement utiliser ce pouvoir discrétionnaire?
    Nous nous demandons également si ce pouvoir discrétionnaire sera appliqué équitablement. Nous savons que la discrimination et les préjugés sont omniprésents dans le système de justice, ce qui nuit beaucoup plus aux accusés autochtones et noirs qu'à tout autre groupe. Si on considère que la toxicomanie est un problème de santé publique, et non un problème de droit pénal, il ne faut pas intenter de poursuites dans ces cas.

  (1215)  

     En conclusion, l'élimination des obstacles au règlement des plaidoyers de culpabilité et la déjudiciarisation des infractions liées aux drogues et à l'accès à la justice permettrait de gagner du temps précieux et de libérer des ressources judiciaires inappréciables, qui pourraient servir à régler d'autres affaires qui risqueraient d'être rejetées pour cause de retard déraisonnable en raison de la pandémie de COVID-19, et de garantir le traitement rapide des affaires judiciaires au profit des victimes et des accusés.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Brown.
    Nous passons maintenant à M. Lafond.
    Monsieur Lafond, je sais que vos écouteurs sont en bas, dans votre salle d'accueil, mais peut-être pourriez-vous parler fort et lentement pour que nous ayons la meilleure interprétation possible. Peut-être pourriez-vous envoyer quelqu'un les chercher, pour que nous puissions mieux capter votre voix, au moins durant la période des questions.
    Allez-y, je vous en prie. Vous avez cinq minutes pour faire votre exposé préliminaire.
    Merci de m'avoir invité aujourd'hui.
    [Le témoin s'exprime en cri ainsi qu’il suit:]
    Mitoni miyo kisêpâyâw kahkiyaw nîtîsânak êkwanima totamahk. Miwâsin mitoni kinaskomitinawaw kahkiyaw asamina ôta ê-pî-tohtêyêk.
    [Les propos en cri sont traduits ainsi:]
    C’est une très bonne matinée. À tous mes frères et sœurs, il est bon de nous réunir. Je tiens encore une fois à tous vous remercier d'être ici.
[Traduction]
    Je m'appelle Drew Lafond et je représente l'Association du Barreau autochtone. J'en suis à la deuxième année de mon mandat de deux ans à la présidence de l'Association. L'ABA est un organisme national sans but lucratif composé d'avocats, de juges et de juristes autochtones...
    Excusez-moi, monsieur Lafond, mais le son ne semble pas passer. Peut-être vaut-il mieux attendre vos écouteurs avant de faire votre exposé préliminaire.
    Entretemps, les membres du Comité accepteraient-ils de passer à la période des questions ou préfèrent-ils attendre l'exposé préliminaire de M. Lafond?
    Allez-y, monsieur Moore.

  (1220)  

    Madame la présidente, je pouvais parfaitement entendre M. Lafond avant qu'il mette ses oreillettes. Je ne sais pas si cela changera quelque chose. Je l'entendais parfaitement tout à l'heure, puis on lui a demandé de mettre des écouteurs, et maintenant, comme vous l'avez dit, c'est devenu très difficile. Je ne sais pas si cela vaut la peine d'essayer d'entendre son témoignage avant la période des questions.
    Le problème, monsieur Moore, c'est l'interprétation, pour que les députés aient accès à l'interprétation en français. C'est le principal problème.
    Monsieur Lafond, si vous voulez essayer de nouveau sans les écouteurs, voyons ce qui se passe.
    Bonjour, m'entendez-vous maintenant?
    Oui, mais je vais vous interrompre un instant pour donner la parole à M. Fortin.
    Monsieur Fortin, entendez-vous l'interprétation? Pouvez-vous comprendre le témoin?

[Français]

     Oui, j'entends l'interprétation en français.
    Je comprends que nous n'avons pas le texte du témoin, ses notes. Elles auraient pu être utiles.
    Nous pourrions débuter par les autres témoins, comme vous l'avez suggéré. Ce serait peut-être plus simple. C'est à vous de voir.

[Traduction]

     D'accord, merci, monsieur Fortin.
    Nous allons peut-être entamer notre première série de questions en attendant les écouteurs de M. Lafond. Nous lui donnerons ensuite ses cinq minutes et nous reviendrons aux questions.
    Nous allons commencer par M. Lewis, pour six minutes.
     Merci, madame la présidente. Je vous en suis très reconnaissant.
    Ma première question s'adresse à M. Brown.
    Monsieur, vous avez beaucoup parlé des arriérés du système judiciaire et de ce genre de traitement. Évidemment, nous en avons gros sur les bras avec tous les gens qui ont reçu des amendes. Je parle ici des gens qui arrivent par avion dans nos aéroports et qui disent: « Écoutez, je ne vais pas m'embêter à m'isoler pendant 14 jours. Donnez-moi donc cette amende. » Je parle des gens qui traversent nos frontières et qui disent: « Je ne ferai pas de quarantaine. Donnez-moi donc cette amende. » Il y aura un énorme arriéré à cet égard, puisque les gens ne paieront pas, évidemment.
    D'après vous, où cela nous mène-t-il? Les tribunaux vont-ils simplement rejeter ces affaires? Vous avez beaucoup parlé des affaires de conduite avec facultés affaiblies, et je respecte cela, mais j'aimerais aborder les choses sous un autre angle. Franchement, je crois que le système judiciaire va être étiré à son extrême limite. Que va-t-il arriver? Vous avez dit, je crois, que les tribunaux envisagent mars de l'an prochain. Cela pourrait aussi bien être mars 2025. Que se passerait-t-il dans ce cas?
    Monsieur Lewis, il n'y a pas que le fait que le dépassement du seuil fixé par les tribunaux constitue automatiquement une atteinte aux droits garantis par la Charte. Il faut aussi examiner la raison pour laquelle ce seuil a été dépassé. Si l'affaire prend trop de temps, il faut se demander pourquoi.
    Comme l'a dit M. Virani dans les échanges du dernier groupe, [Difficultés techniques] le tribunal [Difficultés techniques] circonstances exceptionnelles ou événements exceptionnels distincts. Les facteurs comme la pandémie sont soustraits de l'évaluation des délais. Si le délai est attribuable à la fermeture des tribunaux en raison de la pandémie de COVID-19, c'est comme s'il n'y avait pas de délai.
    On peut supposer, comme vous, que tout le monde va défendre sa cause ou que tout le monde ira en procès. Mais ce n'est pas le cas. Certaines personnes iront en procès. Certaines de ces infractions ne sont pas celles dont le traitement encombre le système de justice pénale. Ce sont les infractions dites provinciales. Ce sont, par exemple, les contraventions pour infraction au code de la route et les contraventions de stationnement. Le ciel n'est pas en train de nous tomber sur la tête. Les tribunaux ont trouvé d'excellents moyens de régler ces problèmes à court terme. Nous vous avons proposé des solutions à long terme pour déjudiciariser certaines affaires. Il y a beaucoup d'autres solutions possibles.
    Je ne crois pas qu'il y ait lieu de s'inquiéter que ces contraventions soient rejetées parce qu'on a trop attendu pour les juger. Les tribunaux vont tenir compte du retard et des raisons du retard pour décider de rejeter ou de classer une affaire.

  (1225)  

    Merci, monsieur Brown.
     Vous avez parlé du fédéral et du provincial, et c'est là le problème, à mon avis. Nos frontières et nos aéroports internationaux sont très, très fédéraux. Si des voyageurs reçoivent un ticket, je l'emploie entre guillemets, est-ce que cela relèverait de la compétence provinciale ou fédérale?
    Monsieur Lewis, cela dépend de qui relève l'infraction. S'il s'agit d'une infraction à un règlement provincial, l'affaire sera traitée par le système provincial. Si c'est un règlement fédéral qui est enfreint, cela s'inscrira dans le système pénal au même que titre que les infractions liées aux drogues ou autres. Quoi qu'il en soit, ce sont les mêmes juges qui vont probablement s'occuper de ces problèmes. Nous devons nous y préparer. Il faut s'y attendre.
    Je ne crois pas que la solution consiste, comme certains témoins l'ont suggéré, à suspendre indéfiniment les droits constitutionnels de quelqu'un en fonction de la capacité judiciaire. À mon avis, elle consiste à envisager d'autres moyens d'alléger le fardeau du système. Il est tragique que la victime d'un crime doive attendre des années et des années avant que sa cause soit entendue, et il en va de même pour l'accusé dont la liberté provisoire limite les déplacements ou qui est en détention. Nous ne pouvons pas permettre que ces affaires traînent indéfiniment. Il faut trouver d'autres solutions.
    Merci.
    Ma dernière question s'adresse également à vous, monsieur Brown. Je suis désolé. Je n'essaie pas de m'en prendre à vous, monsieur. Je respecte vraiment... et j'ai écouté votre témoignage de façon très, très attentive.
    Le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-23 pour essayer de régler une partie de l'arriéré. Avez-vous d'autres réflexions ou commentaires sur ce projet de loi?
     Je vais céder la parole à mon collègue M. Struthers. Je suis certain qu'il aura des choses à dire sur l'importance des procès sur Zoom et de la possibilité de les organiser.
     Madame la présidente, les procès sur Zoom sont une véritable bénédiction. Sans cela, le système aurait complètement échoué. Nous nous en sortons très bien depuis 13 ou 14 mois, grâce à Zoom.
    Concernant les aéroports, les tribunaux et les liens entre les deux, la question n'est pas le comportement de fraudeurs fortunés qui prennent des amendes de 3 000 $ à l'aéroport parce qu'ils veulent rentrer chez eux. Ce n'est pas là qu'est le problème. Sauf votre respect, monsieur, il est franchement insensé de prétendre que le problème de la COVID ou du système de justice est un problème fédéral à l'aéroport. Là n'est pas la question.
    Je serais bien étonné que vous me trouviez quatre personnes au Canada qui, au cours des 12 derniers mois, auraient pris une amende de 3 000 $ pour entrer au Canada et qui auraient dit: « Au diable la quarantaine, je peux me permettre 3 000 $ d'amende ». Là n'est pas la question.
    Sauf votre respect, ce qui se passe, et que M. Sealy-Harrington a très bien expliqué, c'est qu'on ne perd pas de poids simplement en faisant de l'exercice. Il faut perdre du poids en mangeant moins. Il faut digérer moins, et nous avons tout un système qui criminalise la santé mentale, la pauvreté, les problèmes domestiques et la toxicomanie et qui s'attend à ce que les tribunaux règlent tous ces problèmes sociaux. C'est impossible.
    Je vais vous arrêter ici, monsieur Struthers. Excusez-moi. Nous avons largement dépassé le temps prévu.
    Merci, madame la présidente.
    Merci, monsieur Lewis, mais c'était...
    Monsieur Struthers, c'est un euphémisme de dire qu'il y en aurait quatre.
    Merci, monsieur Struthers et madame la présidente.
    Je vois que M. Lafond a maintenant ses écouteurs, tout va bien.
    Monsieur Lafond, si vous voulez faire votre exposé préliminaire de cinq minutes, allez-y.

  (1230)  

     Je vous remercie de votre invitation et je vous présente mes excuses pour le retard. Merci beaucoup de votre patience.
    [Le témoin s’exprime en cri ainsi qu’il suit:]
    Mitoni miyo kisêpâyâw kahkiyaw nîtîsânak êkwani totamahk. Miwâsin, mitoni kahkiyaw kinaskomitinawaw.
    [Les propos en cri sont traduits ainsi:]
    C'est une très bonne matinée. À tous mes frères et sœurs, il est bon de nous réunir. Je tiens à vous remercier tous.
[Traduction]
    Je m'appelle Drew Lafond. Je suis ici comme président de l'Association du Barreau autochtone du Canada. J'en suis à la deuxième année de mon mandat de deux ans.
    L'ABA est un organisme sans but lucratif composé d'avocats, de juges, d'universitaires et d'étudiants autochtones de partout au Canada. Notre mandat global est de promouvoir l'avancement de la justice légale et sociale pour les Autochtones du Canada et l'élaboration de lois et de politiques touchant les Autochtones en général.
    En réponse à la demande d'information du Comité, la dernière année a été ponctuée d'exemples de problèmes de souveraineté territoriale et de promesses non tenues malgré les traités conclus entre Couronne et les Autochtones, mais, plus choquant encore, elle a été marquée par la dévalorisation de la vie des Autochtone, notamment de la vie des femmes et des jeunes autochtones.
    La pandémie de COVID-19 aggrave les injustices légales, politiques, économiques et sociales que subissent les Autochtones et leurs communautés. L'ABA s'inquiète donc vivement du traitement réservé aux Autochtones au regard de la reconnaissance et du respect de leurs droits fondamentaux. Nous avons réagi aux événements de la dernière année en trouvant des réponses pragmatiques et adaptées à l'évolution rapide des réalités politiques, économiques et sociales qu'affrontent les Autochtones.
    Notre première initiative remonte à avril 2020. Nous nous sommes associés à des chercheurs du département des études autochtones de l'Université de la Saskatchewan pour effectuer un sondage en ligne sur les répercussions juridiques de la COVID-19 et sur la capacité des juristes à y réagir. Les répondants ont surtout parlé des problèmes de compétence juridique auxquels ils étaient confrontés, par exemple qui a le pouvoir de réglementer les entrées dans les communautés autochtones et qui a le pouvoir de réglementer les mesures prises par une communauté pour lutter contre la pandémie et régler les problèmes de santé. Cela a exacerbé les problèmes de compétence juridiques antérieurs à la pandémie, notamment la tendance de l'État à saper les lois et les pouvoirs juridiques des Autochtones. Les répondants ont exprimé des préoccupations au sujet de consultations et de négociations dans le cadre desquelles des ententes préexistantes et des précédents garantissant la protection des droits des Autochtones ont été trop souvent ignorés au profit de plans de revitalisation économique. Ils ont également soulevé des préoccupations concernant les retards de traitement de dossiers judiciaires, qui ont aggravé un processus déjà lent et ont repoussé encore plus loin le traitement des questions liées aux droits des Autochtones. Les délais sont inégaux, puisque les clients autochtones doivent attendre d'avoir accès aux tribunaux pendant que la Couronne approuve les projets d'extraction des ressources à un rythme régulier et accéléré.
    Il faut s'attaquer aux problèmes manifestement sexospécifiques liés à la pandémie de COVID-19. Il s'agit notamment de l'augmentation de la violence familiale, des responsabilités disproportionnées en matière de soins familiaux que doivent assumer les femmes autochtones, de l'accès à un logement sûr et stable, de la violence sexiste à l'extérieur du foyer, des préoccupations concernant les projets industriels ou les « camps de travailleurs » qui mettent en danger la santé et la sécurité des communautés autochtones voisines, et de l'aggravation des inégalités économiques pour les femmes autochtones. Ces injustices fondées sur le sexe créent des obstacles qui empêchent les femmes autochtones de faire valoir leurs droits et d'avoir accès à une aide juridique utile.
    Nous avons également travaillé avec la faculté de droit de UBC, l'Union of B.C. Indian Chiefs' BC First Nations Justice Council, le Conseil tribal Nuu-chah-nulth et les Premières Nations ou l'atelier juridique de la Colombie-Britannique pour étudier 21 rapports déposés depuis 30 ans sur les Autochtones et le système de justice.
    À la suite de cette étude, nous avons recommandé 10 mesures immédiates, que je vais rappeler brièvement ici, à savoir la création d'un organisme national de surveillance policière dirigé par des Autochtones, l'établissement d'un protocole national pour les enquêtes policières, la réorientation du financement de la sécurité publique vers des services permettant d'améliorer la sécurité communautaire, la mise en oeuvre d'une stratégie autochtone de désescalade à plusieurs volets, l'établissement d'un protocole national pour la mobilisation des services de police auprès des Autochtones, la modification des codes des droits de la personne du Canada et des provinces et territoires pour y inclure l'identité autochtone comme motif de protection contre la discrimination, la création de tribunaux autochtones, l'amélioration de la représentation autochtone à tous les niveaux du système de justice pénale, et l'instauration de l'obligation, pour les juges, de fournir des motifs écrits dans tous les cas de prise en charge d'enfants autochtones à l'extérieur de la collectivité autochtone.
    Pour terminer, la pandémie de COVID-19 nous confronte à d'importants défis au regard de notre bien-être et de nos droits juridiques, notamment de nos droits à la santé, à l'accès à nos territoires, à nos lois et à l'autodétermination. Le Canada a l'obligation fiduciaire de garantir le respect des droits et la protection des Autochtones.
    Voilà ce que je souhaitais dire au Comité aujourd'hui. Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Lafond. Votre voix nous parvenait très clairement. Nous vous en remercions.
    Nous allons reprendre nos questions.
    Madame Brière, vous avez six minutes. Allez-y, je vous en prie.
    Je vous remercie, madame la présidente, et merci également à tous nos témoins. J'apprécie leur expertise.
    Ma question s'adresse à M. Sealy-Harrington.

  (1235)  

[Français]

     Vous avez dit, dans votre introduction, que la COVID-19 n'avait pas créé de nouveaux problèmes, mais avait plutôt exacerbé les problèmes existants. Croyez-vous qu'il serait opportun de renforcer le recours à d'autres modes de résolution des différends, comme la médiation, pour soutenir l'efficacité et la qualité de notre système judiciaire?

[Traduction]

    Madame la présidente, je pense que les autres modes, comme la médiation, peuvent faire partie des mécanismes holistiques de résolution des litiges, dans une optique d'efficience. Je tiens d'abord à rappeler que la médiation fait partie des changements mineurs contre lesquels je veux mettre le Comité en garde, parce que, comme l'ont fait observer de nombreux témoins d'aujourd'hui, le système est complètement engorgé, souvent de manière catastrophique.
    Je ne sais pas si le fait de multiplier les possibilités de médiation constitue une réponse suffisante qui permettrait de respecter les obligations constitutionnelles en jeu. À mon avis, la médiation peut être l'un des nombreux outils à ajouter, mais je doute fort que ce soit suffisant pour faire le changement systémique dont nous avons besoin pour ramener le mécanisme de résolution des différends au Canada sous les seuils requis par la Constitution.

[Français]

    Je vous remercie.
    Pour ce qui est des causes d'agression sexuelle ou de violence conjugale, on a entendu, lors de l'étude d'un autre dossier, que l'idée d'un tribunal intégré pourrait être une bonne solution. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette idée, où la victime n'aurait pas à répéter, à plusieurs occasions, toute son histoire et où tout serait entendu dans un seul et même système.

[Traduction]

    Madame la présidente, je n'ai pas fait beaucoup de recherche sur les tribunaux intégrés pour le traitement des cas de violence sexuelle. Je pense que les solutions de rechange aux approches actuelles, qui sont invasives et punitives, pour traiter les cas de violence sexuelle sont inefficaces. Elles sont inefficaces tant pour les accusés que pour les victimes, et ce, pour diverses raisons, dont certaines mentionnées par Mme Brière.
    Ma réponse serait similaire à celle sur la médiation, pas identique, mais similaire. Quand nous essayons de régler les problèmes systémiques que moi-même et d'autres témoins avons décrits, je ne pense pas qu'un recours accru à la médiation ou à la création d'un tribunal parallèle pour traiter une diversité de cas qui dépassent de loin nos limites nous aiderait à régler ce problème efficacement. Je ne dis pas que je m'opposerais aux tribunaux intégrés en soi, et je n'ai pas étudié la question en profondeur, mais je doute fort que la création d'un système judiciaire parallèle puisse régler le problème fondamental dont il est question aujourd'hui, c'est-à-dire les délais, si nous ne commençons pas par réduire l'énorme volume de causes qui passent par le système de justice pénale. Si ce sont les retards qui posent problème, je pense que le Comité doit réfléchir sérieusement à réduire le nombre de personnes visées par des sanctions pénales.

[Français]

    Vous avez parlé, dans votre introduction, de changements structurels. Avez-vous des exemples concrets, qui pourraient nous éclairer?

[Traduction]

    Bien sûr, madame la présidente.
    Il y a la décriminalisation de la possession de drogues, l'abandon des peines minimales obligatoires, comme l'a dit M. Brown, et l'impact de cela sur le règlement des différends. Comme je l'ai dit dans mon introduction, je pense que, dans son budget, le gouvernement reconnaît que la situation de certains groupes de la société, notamment des personnes à faible revenu ou des personnes racialisées, est inhérente aux cycles de criminalité.
    Le gouvernement dépense beaucoup d'argent pour les sanctions pénales — pour la surveillance policière, les poursuites et l'incarcération. Ce ne sont pas des solutions bon marché, et cet argent pourrait servir à d'autres fins. J'insiste sur le fait que si l'objectif est de réduire la criminalité et les délais, il est important d'investir de manière significative et substantielle, comme jamais auparavant, dans les collectivités — et je me réjouis que d'autres témoins en aient parlé dans leur allocution. Cette approche permettrait de s'attaquer aux causes profondes de la criminalité.
    Il y a des expressions qui reviennent souvent dans le budget du gouvernement, comme causes profondes et racisme systémique. J'exhorte le Comité à prendre ces mots au sérieux et non à seulement à les utiliser pour montrer qu'il agit. Si nous voulons vraiment réduire les retards, nous devons réfléchir aux moyens qui permettraient d'apporter de toute urgence un changement systématique dans notre approche de la sécurité publique au Canada.
    Je pense que les idées que vous proposez pourraient être efficaces pour réparer le système, mais j'encourage le Comité à réfléchir, dans un contexte plus large, à notre approche en matière de sécurité publique au Canada.

  (1240)  

    Merci beaucoup.
    Ai-je le temps de poser une dernière question, madame la présidente?
    Vous avez cinq secondes.
    D'accord, merci.
    Merci, madame Brière.
    Nous passons maintenant à M. Fortin.
    Vous avez six minutes, monsieur Fortin.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie les témoins qui sont parmi nous.
    J'ai apprécié chacun des discours d'ouverture, mais j'ai été particulièrement marqué par celui de M. Struthers.
    J'ai beaucoup aimé votre analogie, monsieur Struthers; vous avez dit que maigrir n'impliquait pas seulement faire de l'exercice, mais qu'il fallait également manger moins. C'est une chose que nous devrions peut-être retenir.
    En ce qui concerne la leçon que nous devrions tirer de cela, je me demande si notre système judiciaire est présentement sclérosé par les procédures et digère mal l'ensemble des dossiers qu'il doit gérer ou s'il est simplement sous-alimenté financièrement. Ne serait-ce pas plutôt nous, les législateurs, qui faisons un peu trop manger le système judiciaire en y introduisant un certain nombre d'infractions qui n'existaient pas auparavant, créant ainsi un engorgement? C'est la question que je vous adresse.
    Parallèlement à cela, j'ai aussi beaucoup aimé l'intervention de M. Brown, qui était vraiment consistante. Il a abordé la question des barrières. Je trouve cela important. Présentement, des barrières empêchent un certain nombre de dossiers de se régler hors cours, c'est-à-dire sans qu'on doive recourir aux tribunaux ou à l'entièreté du système judiciaire en place.
    Monsieur Brown, vous serait-il possible de nous fournir une copie de vos notes, qui sont vraiment intéressantes?
    Monsieur Struthers, pourriez-vous nous parler davantage des raisons pour lesquelles le système judiciaire est engorgé? Manger moins, faire de l'exercice, soit, mais est-ce qu'on nourrit trop, trop peu ou mal le système judiciaire?

[Traduction]

    Madame la présidente, merci beaucoup de me donner l'occasion d'aborder ce sujet. Voici quel est le problème. Nous sommes aux prises avec une panoplie de problèmes sociaux et nous avons décidé de les régler par le biais des services de police. Nous procédons à des arrestations pour régler des problèmes de santé mentale. Nous procédons à des arrestations pour régler des problèmes liés à la consommation de drogues et à la pauvreté. Cela ne fonctionnera jamais. Nous avons trop facilement recours à nos ressources pour régler des problèmes qui ne pourront jamais être réglés par la judiciarisation.
    Les problèmes de toxicomanie et de santé mentale sont étroitement liés, mais regardons ce que nous faisons. Comparons notre criminalisation des drogues avec ce que nous faisons au sujet de l'alcool. Supposons que vous savez qu'une bouteille de vin sur dix va vous tuer et que le gouvernement insiste quand même pour que toutes les étiquettes soient retirées des bouteilles. C'est exactement ce qui se passe dans les rues de Vancouver en ce moment. Il ne s'agit pas de surdoses, mais bien d'empoisonnements. Les gens ne s'intoxiquent pas délibérément; ils consomment des produits qu'ils ne connaissent pas parce qu'il n'y a pas d'étiquette sur le produit. Nous refilons un tas de problèmes au système de justice. Au lieu d'investir dans la lutte contre la pauvreté, dans la santé mentale ou dans le traitement de la toxicomanie, nous investissons dans le système de justice pénale et nous envoyons des gens en prison.
    Vous savez, il existe un nouveau courant de pensée qui réfléchit à ces problèmes en s'appuyant sur des preuves de l'existence de traumatismes. Il faut savoir que la plupart des gens qui se retrouvent dans le système de justice pénale ont souffert d'un traumatisme quelconque au cours de leur vie. Nous ne faisons que leur infliger un nouveau traumatisme. Pouvez-vous imaginer ce qui se produit quand vous placez en isolement préventif une personne atteinte d'un grave problème de santé mentale? Cela ne fonctionnera pas.
    Nous devons déjudiciariser certains cas et, comme l'a dit M. Brown, supprimer les obstacles très rapidement. Ce que les gens veulent éviter, c'est d'avoir un casier judiciaire; ils n'essaient pas d'éviter le recours aux services d'un avocat, l'interdiction de s'approcher de la victime ou l'interdiction de posséder une arme. Ils veulent éviter d'avoir un casier judiciaire parce que cela les empêche de travailler, d'accompagner leurs enfants lors de sorties scolaires ou de voyager aux États-Unis. Ils ne veulent pas avoir de casier.
    S'il y avait un moyen de faire tout ce travail en amont, soit dans un contexte de probation, de counselling ou autrement, et de rejeter ensuite l'accusation, comme cela se fait dans de nombreux États américains, nous réglerions beaucoup plus de problèmes. Il existe des solutions. Nous devons réduire le nombre de personnes judiciarisées et nous devons donner aux contrevenants des moyens de sortir du système. Autrement, l'engorgement de notre système risque de perdurer très longtemps.
    Je vous remercie, madame la présidente.

  (1245)  

[Français]

    C'est intéressant. Vous êtes le président de la Criminal Lawyers' Association of Ontario. J'imagine que vous avez quelques années d'expérience dans le domaine de la pratique privée. Du côté du droit civil, il y a aussi un engorgement des tribunaux. Comme l'expliquait le témoin précédent, M. McCarthy, ce sont des vases communicants. En effet, depuis le jugement rendu dans l'affaire R. c. Jordan, les délais imposés dans le cadre des procès au criminel font que les juges sont beaucoup sollicités pour les dossiers criminels et délaissent les dossiers civils. Ce sont en effet des vases communicants.
    Vous nous parlez de ces barrières dans le cadre d'un procès au criminel. Je comprends l'idée et je pense qu'elle a du sens. Nous devrions nous attarder là-dessus. Par contre, il y a aussi des barrières de cette nature en matière civile.
    Êtes-vous en mesure de nous en parler? Qu'est-ce qui empêche certains dossiers d'être réglés en matière civile, selon vous?

[Traduction]

    Je suis très content de ne pas être spécialisé en droit civil. Un jour, j'ai pris la ferme décision de ne jamais m'occuper de dossiers civils parce que la procédure peut durer sept ou huit ans. Le système de droit civil est un véritable désastre. Je ne suis toutefois pas d'accord avec l'idée selon laquelle les gens qui sont incarcérés en attente de leur procès ne doivent pas avoir priorité sur les gens qui se disputent pour des questions d'argent. Ces derniers peuvent passer toute la journée à discuter d'argent dans une salle d'audience, mais les personnes qui sont en prison doivent avoir priorité parce que c'est une question de droits de la personne.
    Merci beaucoup, madame la présidente.

[Français]

     Je suis d'accord avec vous, monsieur Struthers, mais je me demandais simplement si vous aviez des idées concernant les barrières qui empêchent le règlement de dossiers en matière civile.
    Monsieur Brown, il reste quelques secondes. Vous aimeriez peut-être dire quelques mots.
     Vous serait-il possible de nous fournir une copie du document de votre présentation?

[Traduction]

    Oui.
     J'aimerais aussi dire qu'en plus des obstacles que j'ai mentionnés, il en existe d'autres, notamment la non-disponibilité actuelle des peines avec sursis pour de nombreuses infractions, comme les infractions de fraude... Je sais que le gouvernement essaie de réintroduire ces peines dans son projet de loi C-22, mais il n'y a pas de loi sur laquelle s'appuyer pour régler bon nombre de ces problèmes.
    Il y a aussi le fait que, lorsqu'une personne est reconnue coupable d'une infraction criminelle assez grave, elle est automatiquement expulsée, sans droit d'appel. Il y a tellement de raisons pour lesquelles des gens refusent de régler leurs cas, elles s'attardent dans le système de justice et se rendent jusqu'à leur procès, dans l'espoir que leur cause sera rejetée en raison des délais, parce qu'il n'existe tout simplement aucun mécanisme pour régler ces cas en amont. Nous devons trouver d'autres moyens de régler ces affaires, nous devons supprimer ces obstacles. Si nous voulons continuer à absorber le même volume de cas, nous devrons alors trouver un moyen de nous débarrasser des cas qui engorgent le système afin de faire de la place pour les nouveaux.
    La présidente: Merci.

[Français]

    Je remercie chacun d'entre vous.
    Merci, monsieur Fortin.

[Traduction]

    Nous allons maintenant entendre M. Garrison.
    Vous avez six minutes, allez-y.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je vais résister à la tentation de consacrer mes six minutes à féliciter ce groupe de témoins. Ils ont attiré notre attention sur les causes profondes des délais dans le système et sur l'importance de protéger les droits constitutionnels. Je pense que c'est très important.
    Nous aurons des occasions au Parlement de discuter d'autres projets de loi portant sur ces questions, et j'espère que ces témoins seront réinvités à venir nous donner leur avis sur les projets de loi C-22 et C-23.
    Aujourd'hui, je veux prendre le temps de parler d'un sujet qui me préoccupe: notre transition vers les plateformes Zoom durant la pandémie, bien qu'elle soit nécessaire dans une situation d'urgence, pourrait entraîner des changements fondamentaux dans notre système de justice, des changements qui risquent de désavantager les Autochtones, les Canadiens racialisés et les personnes vivant dans la pauvreté.
    J'aimerais que chacun des témoins nous dise ce qu'il pense de cette transition vers les plateformes en ligne et de son incidence sur les personnes les plus marginalisées du système de justice.
    Je vais commencer par M. Sealy-Harrington.
    Madame la présidente, au sujet de la transition à des formes numériques de règlement des différends, je dirais qu'il est essentiel que le Comité examine ces différentes solutions numériques dans une optique systémique. En fait, je suis ravi d'entendre M. Garrison parler de disparités systémiques et de l'incidence que peuvent avoir les différents paradigmes procéduraux sur différents groupes. Il a raison.
    Pour être honnête, je n'ai pas eu de procès durant la pandémie de COVID, ni en ligne ni autrement, je vais donc m'en remettre à l'opinion de la Criminal Lawyers' Assciation quant aux conséquences de cela sur divers groupes.
    Je pense que dans certaines situations le numérique est très efficace, tandis que dans d'autres, il a des conséquences négatives. Tout ce que je peux dire dans le cadre de cette discussion, c'est qu'il est essentiel de tenir compte non seulement de la procédure, de ce qui fonctionne et de ce qui semble équitable dans un sens abstrait, mais aussi des conséquences concrètes.
    Un témoin précédent a dit que l'un des avantages des complexités logistiques de certaines audiences, c'est que cela incite les gens à en arriver à un règlement plus rapidement. Je dirais que si nous examinons la question dans une optique systémique, il y aurait peut-être lieu de s'en préoccuper. Si cela pousse des gens à en arriver à un règlement en raison de problèmes financiers, il s'agit alors d'une politique raciste à l'échelle systémique, un point c'est tout.
    Il est très important d'examiner la question dans un contexte systémique, mais pour ce qui est de la procédure comme telle, je cède la place aux autres témoins qui ont plus d'expérience que moi en la matière.

  (1250)  

    Merci beaucoup.
    Passons maintenant à M. Struthers et à M. Brown.
    Vous pouvez décider qui prendra la parole le premier.
    Je vais commencer, si vous le permettez.
    Au cours de la dernière année, j'ai traité de nombreuses affaires sur Zoom, que ce soit des engagements à ne pas troubler l'ordre public ou des enquêtes préliminaires pour meurtre. Certains cas étaient très graves, notamment des agressions sexuelles. Dans une affaire, j'étais la seule personne sur Zoom, tous les autres étaient dans la salle d'audience.
    Le problème, ce n'est pas la technologie. C'est un outil, et quand il est bien utilisé, il fonctionne très bien. L'avocat peut maintenant être à Attawapiskat, un mardi. Auparavant, c'était impossible parce qu'il lui fallait des jours pour faire l'aller-retour.
    Le problème est le suivant. La Charte nous confère le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et d'être informés de ce droit. L'élément « avoir recours à l'assistance d'un avocat » semble avoir disparu puisqu'il y a énormément de personnes qui se représentent elles-mêmes, tant au civil qu'au criminel. Le problème n'est pas vraiment lié à la technologie que nous utilisons. Il est vrai que des gens pauvres n'ont peut-être pas d'ordinateur à leur disposition pour se présenter devant les tribunaux. C'est évidemment un problème de taille, mais le problème le plus grave, c'est qu'ils n'ont pas d'avocat.
    Le budget de l'aide juridique a été considérablement réduit — en Ontario, il a été réduit du tiers — et le gouvernement fédéral, comme vous le savez, n'a pas compensé cette réduction, notamment dans le contexte pénal, depuis de nombreuses années. Plusieurs milliers de personnes décident donc de se représenter elles-mêmes devant les tribunaux.
    Cela cause des retards énormes. Pour tenter d'accélérer les choses, les avocats peuvent être utiles dans certaines circonstances, croyez-le ou non, surtout dans le système de justice pénale, parce que si les gens ne connaissent pas la procédure, les choses risquent de traîner en longueur. Évidemment, le juge doit jouer le rôle d'avocat substitut, expliquer chaque étape de la procédure et présenter tous les éléments de preuve parce que les gens ne sont pas capables de le faire efficacement.
    L'accès à l'aide juridique est un point très important. C'est beaucoup plus important que le fait de comparaître en personne, sur Zoom, sur Teams ou dans tout autre format.
    Merci beaucoup de votre réponse, monsieur Struthers.
    J'ai peur de manquer de temps, je vais donc demander à M. Lafond s'il est disposé à déposer auprès du Comité le rapport de l'Association du Barreau autochtone. Je pense que cela pourrait éclairer notre étude et d'autres travaux que nous faisons. J'aimerais aussi lui poser la même question au sujet de la transition vers des plateformes numériques et de son incidence sur ses clients.
    L'Association du Barreau autochtone se fera un plaisir de déposer son rapport auprès du Comité dès sa publication. Nous travaillons actuellement avec l'Université de la Saskatchewan pour obtenir toutes nos approbations en matière d'éthique afin de finaliser les versions préliminaires. Comme nous avons reçu une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines pour la production de ce rapport, nous avons quelques formalités administratives à compléter avant de finaliser le rapport et de le faire approuver. Dès qu'il sera prêt, nous serons heureux de vous le faire parvenir.
    Quant à la transition au numérique pour représenter des membres de nos communautés, notre association a eu l'occasion de rencontrer des membres du personnel du ministère de la Justice. Nous leur avions parlé de la possibilité de discuter des 21 rapports publiés au cours des 30 dernières années et qui mettent en évidence les problèmes des Autochtones avec le système de justice.
    En gros, je ne crois pas que ce soit un nouveau problème. À l'heure actuelle, au Canada, la relation entre les peuples autochtones et le système de justice est probablement l'un des sujets faisant l'objet des études les plus exhaustives. Il n'est pas question de revenir en arrière et de créer de nouvelles commissions. C'est plutôt un problème de mise en œuvre, et c'est justement sur cela que portent nos recommandations. Je le répète, nous voulons que 10 recommandations soient mises en œuvre immédiatement.
    En ce qui concerne la représentation virtuelle dans nos communautés, nous avons soulevé le problème de la multiplication des plateformes numériques avec le personnel du ministre et avons discuté de ce que cela signifie pour les Autochtones...

  (1255)  

    Toutes mes excuses, monsieur Lafond, mais nous sommes vraiment à court de temps. Puis-je vous demander de nous faire parvenir la suite de votre réponse par écrit? Elle sera certes utile pour le Comité.
    Nous allons maintenant commencer notre deuxième ronde de questions. Monsieur Moore, vous avez cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie également nos témoins de leur présence aujourd'hui.
    Nous étudions l'impact de la COVID sur le système judiciaire. Je constate que nous avons surtout parlé, aujourd'hui, des problèmes qui existaient avant la pandémie.
    Au début de la semaine, des témoins nous ont décrit comment les tribunaux déjà soumis à une forte pression ont dû s'adapter, tout comme nous-mêmes, en tant que parlementaires, nous avons dû nous adapter. Notre réunion d'aujourd'hui se déroule sur Zoom, ce qui ne serait jamais arrivé dans le passé.
    Monsieur Brown, d'après ce que vous disent les membres de votre association, y a-t-il une chose que la pandémie nous a apprise et que nous devrions retenir pour l'avenir? Y a-t-il une leçon précieuse que nous devrions retenir et appliquer à l'avenir? De plus, y a-t-il un aspect de la situation actuelle, en particulier dans notre réponse à la COVID, que nous devrions abandonner?
    Dans l'un ou l'autre cas, qu'est-ce qui vous vient à l'esprit?
    Madame la présidente, la COVID a été une bénédiction à certains égards, notamment en raison des progrès technologiques dont a profité notre système judiciaire. Nous pouvons maintenant déposer des documents et faire comparaître des gens en cour par voie numérique. Nous n'avons plus besoin de nous déplacer au tribunal pour aller chercher des dossiers de preuves. Maintenant, tout peut se faire numériquement. Ces progrès nous permettent de gagner beaucoup de temps. Ils rendent le système de justice plus efficient. Ils réduisent le nombre de comparutions devant les tribunaux. Il faut encourager ces changements.
    Pour les comparutions devant les tribunaux, nous ne voulons pas d'un système totalement rigide. Nous ne voulons pas en arriver au point où tous les procès devront se faire par Zoom et où les témoins devront comparaître à distance. Dans certains cas, cela fonctionne parfaitement bien, mais dans d'autres, cela nuit à l'administration de la justice. Par exemple, pour assurer une défense pleine et entière, il faut que les témoins soient présents dans la salle d'audience.
    Dans la mesure où nous pouvons assurer la sécurité du public et avoir les ressources judiciaires dont nous avons besoin, nous aimerions conserver cette option. Comme je l'ai dit, cette flexibilité accrue nous permet d'utiliser la technologie et de réduire les délais, tout en garantissant l'équité du processus.
    Merci.
    Monsieur Lafond, je vous remercie de votre exposé.
    Nous avons aussi entendu les préoccupations de vos membres concernant le ralentissement du traitement des affaires pénales ainsi que les répercussions sur des causes très importantes, notamment en droit de la famille. Ils ont également parlé des problèmes causés par les délais. Quels sont les principaux problèmes causés par les retards dans le système judiciaire, que ce soit dans le contexte pénal ou civil?
    Je sais fort bien que ce problème existait déjà avant la COVID. Nous avons réussi à apporter quelques changements qui ont permis d'accroître l'efficience. Pouvez-vous nous parler des délais dans le système judiciaire, que ce soit dans les affaires criminelles ou civiles, et de leurs conséquences sur le système? Pouvez-vous également nous dire si la pandémie de COVID a fait émerger des points positifs que les tribunaux et le système devraient retenir?
    Je n'irais pas jusqu'à dire que la COVID a été une bénédiction, je pense au contraire qu'elle a été catastrophique pour beaucoup de communautés autochtones. Les conséquences ont été terribles pour nos populations. Les taux de mortalité ont augmenté et l'accès aux services de santé a été particulièrement difficile et lent. Quant à savoir si nos aînés pourront s'en remettre, nous ne connaissons pas encore les effets à long terme.
    Pour répondre à votre question sur les délais dans le système de justice, cette question n'a pas été abordée en profondeur dans l'étude que nous avons menée avec l'Université de la Saskatchewan. Comme je le disais dans mon allocution d'ouverture, les participants à notre enquête ont surtout parlé des problèmes de compétence. Les questions ne portaient pas tellement sur les délais, bien que les participants aient indiqué que les délais dans le système de justice exacerbaient d'autres problèmes de procédure déjà mentionnés dans des rapports de commissions antérieures.
     Ce qu'il faut retenir, c'est que la pandémie doit être vue comme une occasion de procéder à une restructuration en profondeur du système de justice, en y apportant les changements dont nous avons parlé en début de journée et au cours de nos nombreux échanges avec le cabinet du ministre de la Justice David Lametti.

  (1300)  

    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Nous entendrons maintenant Mme Damoff.
    Vous avez cinq minutes. Allez-y.
    Merci, madame la présidente.
    C'est avec un immense plaisir que je me joins à ce comité aujourd'hui.
    Monsieur Brown, vous avez parlé des suspensions de casier judiciaire et je suis entièrement d'accord avec vous. Je suis très heureuse de constater que le budget cherche à régler le problème des augmentations exagérées des frais de suspension de casier judiciaire, qui empêchaient des gens d'en faire la demande. Il en est question dans le budget. Comme il fait plus de 700 pages, je ne suis pas surprise que vous n'ayez pas vu cette annonce, mais nous nous sommes engagés à faire ce changement.
    Je tiens à remercier les témoins pour leurs témoignages. Vous avez parlé des Autochtones, des Canadiens de race noire et des Canadiens racialisés qui sont représentés de manière disproportionnée dans le système judiciaire. Il nous en coûte 330 $ par jour pour garder une personne en prison, et ce n'est pas l'endroit où devraient se trouver la plupart des détenus.
     Puisque vous avez soulevé ces questions, je vais me concentrer sur le projet de loi C-22, parce qu'il prévoit une réduction des peines minimales obligatoires, des mesures de déjudiciarisation pour les infractions de possession de drogues et des ordonnances de sursis. Il traite de plusieurs questions que vous avez soulevées comme étant préoccupantes.
    Une étude a été menée auprès de 44 femmes autochtones — il s'agit de la population carcérale qui connaît la plus forte augmentation au Canada — qui ont obtenu une ordonnance de sursis avant 2012. L'étude démontre que 36 d'entre elles auraient été inadmissibles à une ordonnance de sursis en raison des restrictions imposées par le gouvernement Harper. J'ai rencontré deux de ces femmes à l'Établissement d'Edmonton pour femmes. Ce sont des femmes qui n'auraient jamais dû être incarcérées, mais comme elles l'ont été, cette expérience aura un impact sur le reste de leur vie.
    J'aimerais que chacun de vous nous dise dans quelle mesure il est important que le projet de loi C-22 soit adopté rapidement.
    J'imagine que cette question s'adresse à M. Lafond.
    Allez-y, monsieur.
    Bien sûr, je peux répondre à cette question.
    Nous avions beaucoup de choses à dire sur le projet de loi C-22 avec le personnel du cabinet du ministre, en particulier sur cette question. Dans nos échanges par écrit, nous faisons observer que, même si nous nous réjouissons de voir que certains changements donnent suite aux appels à l'action, en particulier à l'appel à l'action 32, les projets de loi C-22 ou C-23 ne proposent aucun changement fondamental ou systémique.
     Nous avons soulevé 16 points, dont 10 nécessitent une action immédiate. Il faut y donner suite immédiatement. Au cours des 30 dernières années, ces questions ont fait l'objet d'études approfondies et ont été maintes fois répétées dans le cadre de 21 commissions, rapports et études. Le problème que nous avons avec les projets de loi C-22 et C-23, c'est que leur portée est trop étroite et qu'ils ne proposent aucun des changements systémiques qui, selon nous, doivent être mis en place immédiatement.
    En plus des 10 recommandations que j'ai mentionnées dans mon allocution d'ouverture, nous avons également formulé les suivantes: mettre fin à la surveillance policière excessive et à la criminalisation excessive des Autochtones, mettre en œuvre une stratégie à volets multiples de désescalade des interventions contre des Autochtones et assurer la mise en place de mécanismes d'enquête systémique à la suite de signalements d'actes criminels et de violences à l'endroit de victimes autochtones. Ces changements systémiques ont été demandés à maintes occasions, mais aucun n'a encore été mis en œuvre.
    Merci. Même si les peines minimales obligatoires, la déjudiciarisation des infractions pour possession de drogues et les ordonnances de sursis sont également des mesures importantes... Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut faire beaucoup plus, mais je pense que ces mesures pourraient améliorer le sort d'un certain nombre de personnes qui ont affaire au système de justice pénale.
    J'invite M. Brown et M. Sealy-Harrington à exprimer leur opinion, s'ils le souhaitent.
    Madame la présidente, je suis ravi de répondre à cette question.
    Je tiens à dire que nous nous réjouissons de voir que le gouvernement propose ces changements concernant les ordonnances de sursis. Je pense qu'ils amélioreront grandement les choses.
    En fait, il coûte en moyenne 330 $ par jour, soit environ 100 000 $ par année, pour maintenir une personne en détention. Il serait beaucoup plus efficace d'utiliser ces 100 000 $ par année pour offrir des programmes d'éducation, pour aider les jeunes à risque ou même pour demander à un procureur d'examiner certains de ces autres cas. Il n'y a absolument aucune raison de ne pas réexaminer ces cas pour permettre à plus de gens de régler leurs affaires hors cour et pour éviter ces terribles peines d'emprisonnement obligatoires.

  (1305)  

    Madame la présidente, M. Sealy-Harrington a-t-il le temps de répondre?
    Il vous reste tout juste 15 secondes.
    Madame la présidente, je veux simplement dire que j'ai fait part de mes préoccupations au sujet du projet de loi C-22 à la sénatrice Kim Pate. Si vous écoutez cette entrevue, vous pourrez entendre une longue discussion dans laquelle j'exprime mon appui à l'égard de certains aspects de ce projet de loi, tout en exprimant mes sérieuses réserves au sujet de ce projet de loi.
    Je vous remercie.
    Merci à vous aussi, madame Damoff.
    Monsieur Fortin, vous avez deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je suis d'accord avec M. Moore, on parle beaucoup de l'ensemble de l'administration du système de justice. De plus, je suis bien d'accord sur ce que disent les témoins, soit qu'il y a manifestement des éléments à améliorer en matière de barrières à enlever, entre autres. Aussi, certains gestes qui sont actuellement considérés comme des délits ne devraient pas l'être.
    Cela étant dit, toute cette situation est exacerbée par les problèmes vécus en période de pandémie de COVID-19 J'aimerais entendre M. Brown quant à l'aspect des auditions en mode virtuel.
     Je comprends que ces auditions ont des effets importants, notamment sur la reconnaissance de la crédibilité des témoins. Selon vous, quels sont les avantages et les désavantages d'une audition virtuelle, qu'elle le soit en totalité ou en partie?

[Traduction]

    L'un des avantages incontestables, c'est qu'il est facile de réunir tout le monde au même endroit et au même moment. Les gens ne sont pas obligés de se déplacer sur de longues distances.
    Un autre avantage dont nous parlent les juges, c'est qu'ils peuvent voir les visages de tout le monde en même temps. Souvent, pendant un témoignage, le juge doit promener son regard dans la salle d'audience pour saisir la réaction des parties, pour voir le témoin ou l'accusé. L'audience numérique lui permet de voir tout le monde en même temps. Ce sont là quelques avantages.
    L'inconvénient, c'est que nous ne savons pas ce qui se passe en coulisse. Dans certaines affaires — et nous en avons certes vu des exemples aux États-Unis —, il peut arriver que, pendant le témoignage d'un témoin, l'accusé soit dans la salle voisine en train de lui donner des conseils.
    Nous avons également des réserves concernant la protection de la vie privée ou le risque que l'intégrité du système soit compromise dans certaines affaires. Je pense toutefois que nous devons porter notre attention sur les nombreux avantages.

[Français]

    En matière de contrôle des délais, le fait de pouvoir procéder plus rapidement au moyen du mode virtuel n'aide-t-il pas à éliminer certaines barrières, à votre avis?

[Traduction]

    D'après notre expérience, les ressources nécessaires pour faire fonctionner la salle d'audience, le personnel et les juges sont les mêmes, que nous soyons dans une vraie salle d'audience ou dans une salle d'audience virtuelle. Le problème, ce n'est donc pas la salle d'audience; ce sont les gens qui doivent être présents dans la salle d'audience pour traiter l'affaire, et cela n'a pas changé.

[Français]

    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Fortin.

[Traduction]

    Nous en arrivons au dernier intervenant, mais non le moindre. Monsieur Garrison, vous avez deux minutes et demie.
    Merci beaucoup.
    Au début de la semaine, nous avons entendu le témoignage troublant d'une représentante de la Société Elizabeth Fry concernant les répercussions de la COVID sur les droits juridiques des personnes actuellement en détention. La témoin a déploré le déni de longue date d'un accès à un avocat. Elle a parlé des délais et de la difficulté d'obtenir une audience de libération conditionnelle. J'ai rencontré des membres du Congrès des peuples autochtones qui m'ont fait part des mêmes préoccupations.
    Monsieur Lafond, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de l'impact de la COVID sur l'accès des détenus au système de justice et aux services d'un avocat.
    J'aimerais revenir aux conclusions de l'étude que nous avons réalisée à l'Université de la Saskatchewan et qui portait principalement sur des questions de compétence. Des répondants ont dit s'inquiéter du fait que les délais et le ralentissement des procédures en raison de la pandémie ont eu pour effet de retarder l'affirmation ou l'évolution des droits autochtones.
    Quant aux délais dans le système de justice et à la capacité des accusés de faire entendre leur cause en temps opportun, ce n'étaient pas des enjeux importants pour les participants à l'étude. Ils se préoccupaient surtout de la reconnaissance des champs de compétence et de la capacité des différentes instances de travailler ensemble pour régler les conflits rapidement.

  (1310)  

    Merci beaucoup.
    J'aimerais savoir si d'autres témoins se sont heurtés au problème du déni d'accès à un avocat et de l'impossibilité, pour des détenus, de se prévaloir de leurs droits juridiques.
    Madame la présidente, puis-je répondre brièvement.
    C'est un grave problème. Comme vous le savez, les prisons sont conçues pour empêcher le contact avec l'extérieur. Les murs sont très épais et, d'après ce qu'on nous a dit, il est même difficile d'y faire passer des fils. Le manque de communication avec les détenus est donc un grave problème.
    Nous avons essayé de résoudre ce problème, en collaboration avec des juges régionaux, le ministère du Procureur général et le ministère du Solliciteur général. Il est indispensable de pouvoir communiquer avec nos clients et les procureurs de la Couronne pour faire avancer les dossiers.
    Par conséquent, si nous n'avons pas la possibilité d'entrer par vidéo pour montrer des preuves ou par audio pour obtenir de l'information, cela ralentit les choses. Un investissement dans la communication serait donc très apprécié.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup pour ces précisions. Cela met fin à nos questions. J'aimerais maintenant remercier nos experts, nos témoins, pour les témoignages très convaincants qu'ils nous ont livrés aujourd'hui. Si vous avez des ajouts ou des précisions à apporter, veuillez les faire parvenir par écrit au greffier. Nous serons très heureux de les recevoir.
    Merci à tous.
    La séance est maintenant levée.
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