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HERI Rapport du Comité

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CHAPITRE TROIS : DISTRIBUTION DE GROS ET DE DÉTAIL

 

A. TENDANCES RÉCENTES DANS LA DISTRIBUTION DU LIVRE

La distribution du livre connaît des changements rapides dans les pays développés. Ces changements sont mus des possibilités qu'offre le développement des technologies de l'information. Au Canada et dans les pays développés, ces changements revêtent essentiellement deux formes : l'arrivée de magasins-entrepôts et le développement de systèmes informatisés qui, regroupés, ont rendu possible le commerce électronique. Un diagramme simplifié du mode de distribution des livres au Canada se trouve à l'annexe E.

Certes, les grands établissements (à rayons multiples, grandes épiceries) existent depuis une bonne centaine d'années, mais leur essor est plus récent puisqu'il date des années 70. Ces grands magasins (par ex., Toys 'R' Us, Home Depot, Bureau en gros) s'appuient sur des systèmes complexes de stockage et de vente, coordonnés afin de permettre des systèmes de commande et de livraison juste à temps qui sont conçus pour répondre à des marchés spécifiques.

Ces systèmes informatisés ont favorisé le développement du commerce électronique. Le commerce électronique est bien autre chose que la simple possibilité de commander par Internet. Il se fait beaucoup de commerce entre les entreprises elles-mêmes. Les fabricants de pièces d'automobiles ont des systèmes informatisés de stockage et de commande qui sont reliés à ceux des grands fabricants de voitures. Ainsi, le fabricant peut commander des pièces et indiquer comment la commande doit être assemblée et quand elle doit lui être livrée. Les systèmes de facturation et de paiement sont aussi reliés électroniquement. C'est ainsi que la croissance du commerce électronique a amené des changements au sein des entreprises (le contrôle des stocks, par exemple.) et dans les rapports au sein des entreprises et entre elles.

Ces systèmes de contrôle informatisés ont aussi contribué au développement du commerce électronique; le cybercommerce ou la « Net-économie ». L'élément le plus évident de ce dernier est le fait de pouvoir passer des commandes sur son ordinateur à la maison (c.-à-d., de commander sur Internet).

Si la technologie de l'information a eu un impact important sur les grandes industries comme les compagnies aériennes et les constructeurs d'automobiles, il était inévitable que son influence se répande dans d'autres secteurs, pour finir par toucher la distribution du livre. À long terme, la technologie de l'information pourrait même amener une « révolution » dans notre perception du livre -- ce qu'il est, à quoi il sert et comment on l'achète43.

Certes, le développement de mégalibrairies comme Barnes & Noble aux États-Unis et Chapters au Canada est un signe évident des changements en cours, mais la possibilité de commander des livres sur Internet annonce des changements plus importants encore.

L'entreprise la plus visible et peut-être la mieux connue, qui a eu le plus grand impact, est Amazon (amazon.com), créée au milieu des années 90 et dont les ventes annuelles atteignent aujourd'hui 600 millions de dollars américains44. Bien qu'Amazon se soit concentrée sur sa croissance (et qu'elle ne soit pas rentable globalement), son secteur de la vente des livres est rentable45, 46.

Amazon a entrepris la construction de cinq grands centres de distribution pour assurer une livraison rapide à ses clients. En réaction aux pressions créées par Amazon, les libraires indépendants aux États-Unis ont trouvé diverses formules. Récemment, ils se sont associés pour offrir des certificats-cadeaux (Book Sense Gift Certificate) qui sont valables dans 1 200 librairies indépendantes à travers le pays. Un système de commande en ligne (booksense.com) devrait être opérationnel dans le courant de l'année.

1. La distribution du livre au Canada

Certains éditeurs distribuent leurs propres livres aux librairies et bibliothèques canadiennes, mais ils sont nombreux à recourir à un distributeur ou à l'un des quelque douze grossistes. La Loi sur le droit d'auteur protège les ententes entre l'éditeur et son distributeur par des mesures interdisant aux détaillants de tenter d'acheter ou d'importer le livre de quelqu'un d'autre, ce qu'on appelle l'« achat parallèle ».

Le commerce de gros du livre au Canada a été décrit récemment par M. Ira Wegman comme une opération « anonyme au sein de l'édition canadienne », malgré ses quarante ans d'existence47. Les statistiques sur le commerce de gros sont intégrées à celles d'autres biens ou produits dans diverses enquêtes de Statistique Canada, de sorte qu'elles sont difficiles à extraire. En réponse à une demande de données analytiques sur le commerce de gros du livre au Canada, la Division du commerce de la distribution de Statistique Canada a évoqué la difficulté d'en brosser un tableau global. L'analyste a déploré le fait que son organisme ne dispose pas de « systèmes assez souples pour fournir rapidement des réponses à des questions non prévues48 ».

Dans une étude récente, le ministère du Patrimoine canadien brosse le tableau d'une petite mais importante communauté de grossistes du livre au Canada dont les origines remontent aux années 50 et mentionne la prolifération de distributeurs canadiens de publications étrangères. Dès les années 70, un petit nombre de grossistes canadiens avaient commencé à distribuer des ouvrages canadiens aux libraires au Canada et, avec le temps, un peu partout dans le monde.

Au cours des années 70, les grossistes américains ont commencé « à faire des percées auprès des bibliothèques et des librairies canadiennes. En mettant à leur disposition des catalogues de titres, des bases de données détaillées et des systèmes de commandes perfectionnés, ils pouvaient offrir à leur clientèle d'importantes remises49 ». Mais au cours des dernières années, poursuit le rapport, les grossistes américains « se sont faits moins nombreux, par suite d'une réglementation de la pratique de l'achat parallèle et de la faiblesse du dollar canadien50 ».

Le rapport du Patrimoine canadien continue l'enquête jusque dans les années 90, alors que les grossistes canadiens ont commencé à recruter des clients parmi les bibliothèques publiques :

Les réductions budgétaires obligeant les bibliothèques à comprimer leurs dépenses, les grossistes ont commencé à jouer un rôle important dans l'acquisition et la tenue de leurs ressources documentaires. Il en a découlé un recours accru aux régimes de diffusion automatique -- plans d'achat préautorisé selon lesquels le grossiste choisit les documents de la bibliothèque51.

Plus récemment, les grossistes ont commencé à approvisionner un secteur de la vente du livre au détail de plus en plus diversifié, avec l'apparition non seulement de mégalibrairies, mais aussi de points de vente non traditionnels (pharmacies, dépanneurs, supermarchés, etc.).

La fin des années 90 a également vu la création de la Canadian Book Wholesalers Association (CBWA), une association de 13 grossistes à propriété canadienne qui se trouvent surtout en Ontario. Elle assure à ses clients des services comme un guichet unique (qui peut représenter des remises plus importantes et des frais d'expédition moindres pour les petites librairies ou bibliothèques), des délais d'expédition de un à deux jours, et la possibilité de plans de publication sur mesure.

Enfin, la présence d'Amazon a également amené des changements dans la distribution du livre au Canada. Plusieurs entreprises se sont dotées de systèmes de commandes en ligne (Chapters Online et Indigo, par exemple). Comme Amazon est capable de livrer dans les deux ou trois jours, cela est devenu la norme effective dans l'industrie pour quiconque lance un système de commande sur Internet.

Chapters, après avoir examiné diverses solutions pour répondre aux attentes des consommateurs, a mis sur pied Pegasus, une nouvelle entreprise qui lui permet d'offrir le même service de livraison rapide que ses concurrents. Cela a nécessité un investissement de presque 60 millions de dollars canadiens. Bien qu'il ne soit pas encore rentable, ce système de distribution permet à Chapters Online de faire concurrence à Amazon52. De fait, M. Larry Stevenson, directeur général de Chapters Inc., estime que le volume de ses ventes sur Internet est comparable aux achats d'ouvrages canadiens faites auprès d'amazon.com au cours du dernier trimestre de 1999, soit quelque 12 millions de dollars canadiens53.

i. Chaînes

Pour certains, la lutte contre les grands magasins à succursales peut sembler nouvelle. Et tous les Canadiens -- sauf les plus jeunes -- se souviennent sûrement de l'époque où Wal-Mart, Toys 'R' Us, Home Depot et autres magasins-entrepôts, les « requins du commerce » n'existaient pas encore.

Mais ce n'est pas d'hier que datent les inquiétudes quant à la taille de certains concurrents au sein d'une industrie. Au tournant du XXe siècle et au cours des premières décennies de ce siècle, les petits détaillants indépendants craignaient la venue des chaînes de magasins et réclamaient des mesures pour les limiter. C'était notamment le cas dans l'épicerie, où la Great Atlantic and Pacific Company (A&P) possédait dès 1929 plus de 15 000 magasins aux États-Unis, avec des ventes de plus de un milliard de dollars, soit presque 40 % des ventes des épiceries de détail.

Au Canada, les chaînes occupent depuis plusieurs décennies une place importante dans la vente des livres. La première librairie Coles a ouvert en 1935 et, trois années plus tard, Classics lançait sa chaîne. En 1950, la chaîne britannique W.H. Smith ouvrait sa première librairie au Canada54. En 1995, SmithBooks/LibrairieSmith et Coles ont fusionné pour créer Chapters, qui devenait ainsi une chaîne de plus de 400 librairies, soit à peu près le cinquième de toutes les librairies au Canada55.

ii. Magasins-entrepôts

Le magasin-entrepôt est un phénomène relativement récent. Home Depot (un des plus importants et des mieux connus) a à peine 21 ans56. Contrairement aux quincailleries traditionnelles, il ne se présente pas comme un magasin qui vent de la quincaillerie (des marteaux, par exemple). Il tente plutôt de répondre aux besoins du client, c.-à-d. des matériaux abordables pour les améliorations résidentielles. Le président de la société a pour devise : « Nous sommes une entreprise de relations avec le client et non pas de transactions ». C'est ce qui explique que 70 % des 50 000 articles en stock sont des suggestions des clients57.

La croissance rapide d'une chaîne comme Home Depot signifie des avantages pour le client, puisqu'un grand magasin peut offrir un choix plus grand et des meilleurs prix. Toutefois, cette croissance a entraîné la fermeture de plusieurs autres chaînes. Par exemple, Ernst Home Center (fondée en 1896), qui avait des ventes de 572 millions de dollars américains en 1995, a fermé ses portes en 199658.

La croissance rapide de ces grands magasins a été rendue possible grâce à la transformation des technologies de l'information (par ex., la capacité de livrer des produits directement du fabricant aux 900 magasins Home Depot sans passer par un entrepôt Home Depot). Les magasins se sont aussi adaptés aux besoins des clients. La pression exercée sur les concurrents est considérable. Eaton, autrefois une des chaînes les mieux connues au Canada, a dû fermer ses portes en 1999 parce qu'elle n'avait pas su s'adapter au changement. Canadian Tire, par contre, a réagi en agrandissant et en modernisant ses magasins afin de demeurer concurrentielle.

2. Distribution et vente au détail du livre, une nouvelle dynamique

Fait inquiétant pour les librairies traditionnelles, la création de Chapters avec sa chaîne de mégalibrairies en a fait un acteur majeur de l'industrie, les estimations de sa part de marché allant de moins de 25 % à 70 %59. Il semble toutefois que les libraires indépendants au Canada aient toujours fonctionné dans un climat de forte concurrence, bien avant l'arrivée des magasins à succursales, de la vente par correspondance, des chaînes de librairies, des magasins-entrepôts ou du commerce électronique.

En 1884, lorsque les marchands de Toronto commencèrent à donner un livre avec l'achat d'une livre de thé, les libraires poussèrent de hauts cris. Les choses allèrent de mal en pis lorsqu'en 1891 Eaton offrit à 19 cents des livres « populaires » importés de Grande-Bretagne, port payé n'importe où au Canada. Comme l'écrit M. George Parker dans son histoire du commerce du livre au Canada, étant donné que ces livres importés coûtaient 18 cents au prix de gros à Toronto et que l'affranchissement était de 3 cents, « Eaton devait perdre 2 cents, mais il va de soi qu'aucun détaillant ne pourrait acheter ces livres d'un fournisseur étranger en aussi grand nombre et profiter des importantes remises qui étaient accordées aux chaînes ». Parker indique aussi que pour compliquer la vie aux libraires indépendants, Eaton et La Baie offraient aussi par catalogue « des livres de classe autorisés par la province à un prix réduit de 20 %, franchise postale comprise »60.

D'après le ministère du Patrimoine canadien, au début de 2000, le Canada comptait 4 298 librairies indépendantes. Il y a toutefois des différences notables dans le mode de calcul des librairies au Canada61. Ces librairies fonctionnaient en même temps que 70 mégalibrairies Chapters, 261 librairies traditionnelles de la chaîne Chapters, 14 supermagasins Indigo et 25 librairies de la chaîne
Renaud-Bray au Québec. Ces magasins faisaient aussi concurrence aux librairies universitaires, aux clubs de livres et aux détaillants non traditionnels comme Costco, Wal-Mart et les grandes chaînes d'épicerie régionales.

En février 2000, Chapters Inc. annonçait une chute de presque 40 % de ses profits au cours du troisième trimestre par suite d'une hausse des frais de commercialisation, de ventes moins fortes que prévu dans ses mégalibrairies et de pertes continues dans ses ventes sur Internet. Peu après cette annonce, Indigo Books, Music and Café renonçait à ses projets de s'introduire en bourse, les investisseurs ayant une « perception négative du commerce du livre au Canada »62. D'après le National Post, la fondatrice d'Indigo, Mme Heather Reisman, estime qu'il y a place au Canada pour environ 80 mégalibrairies rentables, alors que le directeur général de Chapters, M. Larry Stevenson, est d'avis qu'il pourrait y en avoir de 110 à 125. Cela fait contraste avec « son estimation de 125-150 lorsque Chapters s'est introduit en bourse il y a trois ans et demi », note le Globe and Mail 63.

D'après une étude préparée en 1994 à propos de la création de Chapters, 54 % des achats de livres se faisaient dans les librairies; 16 %, auprès des clubs de livres; 8 %, dans les librairies vendant des livres d'occasion; et 4 %, par correspondance, dans les supermarchés et les pharmacies64.

Comme le montrent les données de 1996-1997 du tableau 3.1, la répartition des ventes des éditeurs aux divers détaillants est très différente.

Ces chiffres ne comprennent toutefois pas les ventes sur Internet, qui est en voie de devenir un point de vente de plus en plus important pour les éditeurs canadiens.

Dans son étude sur les ventes de livres en ligne aux États-Unis en 1999, Mme Anita Hennessey note que les principaux acteurs d'une industrie ne sont pas toujours conscients d'où vient la véritable concurrence. Elle écrit :

Les éditeurs et libraires étant fortement préoccupés par la lutte pour la survie des librairies indépendantes, et par leur bataille contre les mégalibrairies, ils ont négligé d'exploiter au départ les riches possibilités que présente la vente en ligne65.

Plus loin Mme Hennessey pose la question de savoir si les ventes sur Internet sont de nouvelles ventes ou si elles ne seraient pas détournées des points de vente traditionnels. Parlant de l'expérience des libraires aux États-Unis, elle note qu'avec l'annonce d'une baisse de 2 % du total des ventes de livres, « il est trop tôt pour dire si ces ventes ont simplement été détournées des points de vente traditionnels, comme les librairies, au profit d'Internet »66. Pour ce qui est du Canada, M. Larry Stevenson de Chapters reconnaît que la croissance de Chapters Online au cours de l'année s'est faite au détriment des ventes de la chaîne67.

De plus en plus, les consommateurs ont accès à des comptes rendus, à de la documentation, ou à des extraits d'ouvrages. Le phénomène récent de groupes de lecteurs et de causeries en ligne avec des lecteurs ou des auteurs rend l'acheteur exigeant. Mme Oprah Winfrey peut littéralement lancer la carrière d'un auteur inconnu par un seul passage à son émission. Sur une plus petite échelle, M. Peter Gzowski pouvait exercer une influence semblable sur les ventes de l'ouvrage d'un auteur canadien une fois qu'il était passé à son émission Morningside à la radio de CBC.

En gros, ces nouvelles occasions d'affaires et le degré d'information des consommateurs continueront d'avoir un impact sur la concurrence dans la distribution et la vente des livres. Dans l'industrie de l'édition et de la vente, cela semble vouloir prendre la forme du regroupement des activités traditionnelles au détail et des activités sur Internet.

B. LÉGISLATION

Plusieurs lois concernent l'étude en cours sur l'industrie du livre au Canada; il s'agit de la Loi sur la concurrence, de la Loi sur Investissement Canada, de la Loi sur le droit d'auteur et de la Loi sur la taxe d'accise. Nous traitons ci-après des répercussions de nature culturelle de ces lois dans la mesure où elles visent le secteur du livre canadien.

1. La Loi sur la concurrence

Parmi les événements récents dans l'édition au Canada qui ont retenu l'attention du Bureau de la concurrence, il faut mentionner la part de marché accrue des ventes au détail de Chapters et l'intégration verticale d'un nouveau grossiste (Pegasus) et d'un détaillant (Chapters). Jusqu'ici ni l'un ni l'autre n'ont incité le commissaire de la concurrence à ouvrir une enquête officielle, mais il serait faux de dire que l'affaire est classée. Le Comité du patrimoine canadien ayant une vocation culturelle, nous traiterons de l'application par le Bureau de la concurrence de la Loi sur la concurrence à l'annexe F et abordons dans la section qui suit les répercussions d'ordre culturel des parts de marché et de l'intégration verticale.

La possibilité d'élargir la Loi sur la concurrence pour qu'elle s'applique à des questions culturelles a été évoquée devant le Comité. Le sous-commissaire de la concurrence, dans son témoignage, a exprimé son opinion sur une telle possibilité, estimant que le soutien de la culture devrait être assuré par d'autres moyens que la Loi.

Au cours des entretiens que nous avons eus avec des membres de l'industrie canadienne de la vente de livres, la question de savoir si l'analyse du Bureau en application de la Loi sur la concurrence tiendrait compte des préoccupations d'ordre culturel a été soulevée. Comme je l'ai mentionné plus tôt, la Loi est une loi d'application générale qui concerne d'abord et avant tout la concurrence. Par conséquent, elle ne porte pas sur l'examen d'autres questions d'intérêt public comme la nationalité des propriétaires ou la nécessité de promouvoir et de maintenir des objectifs d'ordre culturel. Cette position est compatible avec celle qu'appliquent les grands partenaires commerciaux du Canada en matière d'antitrust.

[...]

Lorsque les gouvernements décident que l'industrie doit faire l'objet d'un traitement spécial ou préférentiel, ils adoptent des programmes ou des textes de loi visant spécifiquement l'industrie en question. Ces activités de l'industrie qui relèveraient d'une réglementation découlant d'une loi spécifique seraient exemptées d'un examen en vertu de la Loi sur la concurrence68.

Deux points précis concernent Chapters et intéressent la Loi sur la concurrence : il s'agit de la part de marché comme indicateur d'une position dominante et l'intégration verticale du détaillant Chapters et du grossiste Pegasus. Il en sera question plus en détail dans la partie qui suit.

i. Part de marché

Il ne fait aucun doute que Chapters est le détaillant dominant dans le secteur du livre canadien, mais l'importance de cette domination est encore matière à controverse. En effet, nous avons déjà mentionné que, selon les estimations, la part du marché du livre canadien que détiendrait Chapters varie entre 25 % et 70 %.

Il est important de chiffrer précisément cette domination, car c'est en fonction d'elle que le Bureau de la concurrence pourra établir sa position envers Chapters :

Il n'existe aucune règle rigide concernant le lien entre la part du marché et l'existence d'une position dominante. Toutefois, la position générale du Bureau en ce qui a trait à l'évaluation des allégations d'abus de position dominante est la suivante : une part du marché inférieur à 35 % ne fera généralement pas craindre la présence d'une position dominante ou d'une puissance commerciale; une part du marché de plus de 35 % donnera généralement lieu à un examen plus poussé; une part du marché supérieure à 50 % dans le cas d'une seule entreprise justifie une présomption de position dominante69.

Au moment de la fusion entre SmithBooks et Coles en 1995, le Bureau de la concurrence a estimé que ces deux entreprises représentaient 50 % de l'ensemble des ventes de livres au détail au Canada. D'après certains témoins, Chapters, par suite de la fusion, finirait certainement par accaparer plus de 50 % de ce marché cinq ans plus tard et après avoir ouvert une multitude de mégalibrairies.

Ce qu'il faut retenir ici c'est que le Bureau de la concurrence évalue la part de marché de Chapters en se fondant sur une définition relativement étroite du marché du livre. Depuis 1995, un grand nombre de libraires non conventionnels sont apparus sur le marché, notamment Costco, Wal-Mart et certaines grandes surfaces. En outre, la vente de livres par Internet est en plein essor; en effet, l'an dernier, 2 % environ des titres vendus au Canada (et 4,5 % de ceux vendus aux États-Unis) l'ont été par Internet, et ce pourcentage devrait, selon les estimations d'experts, passer à 20 %.

Pour calculer la part de marché de Chapters, la Canadian Booksellers Association recourt à une définition extrêmement étroite du marché du livre. À une époque, elle estimait que Chapters contrôlait déjà 70 % du marché de détail au Canada70. À la réunion qu'a tenue le Comité le 7 décembre 1999, la présidente de la Canadian Booksellers Association a dû expliquer quelle était la part du marché au détail détenue par Chapters et a dû abaisser son estimation : « Je crois savoir que c'est 55 %. C'est le chiffre qui est mentionné par les éditeurs avec qui je parle. Ils disent que c'est le pourcentage de livres qu'ils envoient à Chapters71».

Dans le mémoire qu'il a envoyé au Comité en vue de la réunion du 24 février 2000, Chapters a contesté la pratique consistant à mesurer la part de marché à l'aide des expéditions des éditeurs, et ce, pour quatre raisons : 1) cette statistique exclut les ventes directes de l'éditeur; 2) elle exclut les importations de titres publiés ou représentés par l'éditeur/distributeur; 3) elle ne tient pas compte des ventes des éditeurs aux grossistes; et 4) la part d'un échantillon d'éditeurs n'est pas nécessairement égale à la part de marché.

Même si l'on inclut tous les éditeurs, cette estimation peut toujours être gonflée si l'on ne tient pas compte des retours dans les expéditions et si Chapters renvoie une proportion plus élevée des livres qui lui sont envoyés que les autres libraires (ce qui est en fait le cas). De fait, les retours ajoutent au flou qui entoure le calcul de la part de marché72.

Il est également vrai que le marché du livre est en mutation. Indigo Books, Music and Café, qui n'existait pas en 1995 mais compte aujourd'hui 14 grandes surfaces, affichait en 1999 un chiffre de ventes voisin de 70 millions de dollars. Qui plus est, la plus grande chaîne de librairies de langue française, Renaud-Bray, a décidé de « s'aventurer dans le monde anglophone en ouvrant des magasins hors du Québec, soit à Toronto, à Paris et peut-être même à New York73 ».

Chapters préfère que le marché du livre soit défini de façon plus large, de manière à inclure les points de vente non traditionnels. Lorsqu'il a comparu devant le Comité le 13 avril 2000, le président-directeur général de Chapters a fait remarquer que le magasin de Colombie-Britannique Save-On-Foods a un rayon librairie regroupant 9 773 titres sur 2 600 pieds carrés alors que la librairie SmithBooks du même quartier ne tient que 7 338 titres. Selon lui, il faudrait donc considérer Save-On-Foods comme un concurrent sur le marché du livre et l'inclure dans toute définition du marché.

Lors de cette réunion, un membre du Comité s'est dit du même avis en citant pour exemple le cas d'un petit libraire indépendant de Collingwood (Ontario) qui a dû déposer son bilan lorsqu'un Loblaws local a ouvert un rayon librairie.

Lors de son second témoignage devant le Comité, le président-directeur général de Chapters a fourni son estimation de la part de marché que détient Chapters, estimation qu'il fonde sur une définition large du marché du livre au Canada :

De nombreuses études ont été réalisées au cours des 10 dernières années sur la taille du marché du livre au Canada. D'après ces études, ce marché était évalué, en 1990, à au moins 1,3 milliard de dollars. Nous estimons que le marché du livre au Canada, en 1999, représentait entre 2,3 et 2,6 milliards de dollars. Si vous excluez les ventes de produits autres que les livres, qui comptent pour 18 % de notre chiffre d'affaires, nos ventes de livres, au cours de la présente année, tourneront autour de 520 millions de dollars, ce qui signifie que la part de marché de Chapters, au Canada, varie entre 20 et 23 %74.

Plus tard, il a toutefois concédé que : « Si l'on accepte la définition étroite du marché, il est clair que notre part du marché est plus grande [...] que les 20 à 23 %, selon la définition plus large »75. Quelle soit la façon dont on estime la part de marché de Chapters, il ne faut pas perdre de vue un principe fondamental qu'a rappelé un représentant du Bureau de la concurrence : « Acquérir une position dominante sur le marché n'est pas illégal76. »

ii. Intégration verticale

La question qui a sans doute été la plus vivement débattue lors des audiences du Comité était le lien entre le détaillant Chapters et le grossiste Pegasus. En mai 1999, Chapters a annoncé la constitution du grossiste Pegasus et la nomination de Dennis Zook au poste de président. Lors de sa comparution le 24 février 2000 devant le Comité, M. Zook a déclaré que le coût de démarrage, qui porte sur les installations, l'équipement et les divers systèmes, se chiffrait à plus de 15 millions de dollars et que Chapters avait investi au total, depuis l'établissement de Pegasus, plus de 50 millions de dollars. Chapters possède actuellement 82 % de Pegasus.

Le président-directeur général de Chapters, M. Larry Stevenson, était fier de la mise sur pied de Pegasus. « Chapters a contribué à assurer à l'industrie canadienne du livre un avenir prospère avec l'établissement d'une librairie en gros nationale, Pegasus77 », a-t-il déclaré.

De crainte de paraître par trop altruiste, il a ajouté que Chapters avait impérativement besoin d'un grossiste efficace et lui offrant tous les services pour pouvoir être compétitif en tant que librairie conventionnelle et aussi en tant que cyberlibrairie. Il a expliqué :

[...] Chapters ne pourrait livrer concurrence à Amazon et fournir aux consommateurs un système canadien de commande en ligne sans l'aide de Pegasus. À notre avis, les consommateurs ne passeront pas une commande par le biais d'un site Web qui les oblige à attendre de six à huit semaines pour un livre, alors que le plupart des ouvrages peuvent être obtenus en quelques jours d'autres sources d'approvisionnement américaines78.

Le sous-commissaire à la concurrence du Bureau de la concurrence, a indiqué à l'intention des membres du Comité :

Est-ce que l'intégration verticale constitue une activité anticoncurrentielle au sens de la Loi? La réponse est non. L'intégration verticale n'est pas anticoncurrentielle. De fait, elle peut représenter une stratégie qui favorise la concurrence et qui vise à rehausser l'efficience d'une entreprise. Toutefois, si les entreprises à intégration verticale se livrent à une pratique d'agissements anticoncurrentiels, le Bureau n'hésite pas à intervenir79.

Toutefois, certaines personnes ont dit, que ce soit dans les journaux ou devant le Comité, craindre que Chapters ne détienne un pouvoir excessif s'il avait des intérêts majoritaires dans Pegasus, ce qui lui permettrait éventuellement d'abuser de sa position dominante. D'aucuns ont affirmé que tout libraire indépendant qui traiterait avec Pegasus serait désavantagé de plusieurs façons. Ils ont invoqué le fait que, par exemple, Chapters pourrait bénéficier d'un traitement préférentiel et obtenir des renseignements sur le fonctionnement de ses concurrents.

Chapters et Pegasus, que ce soit dans leurs mémoires ou leurs témoignages devant le Comité, ont tenté d'apaiser ces inquiétudes. Il est particulièrement important de noter que Pegasus est un nouveau grossiste. Les libraires indépendants continueront d'utiliser les canaux de distribution auxquels ils faisaient appel par le passé. Selon le président de Pegasus, cette entreprise n'a aucune exclusivité pour ce qui des livres et n'a pas l'intention d'en obtenir, ce qui signifie que les libraires indépendants ne seront pas obligés de traiter avec lui. Pegasus prétend ne demander que les remises traditionnelles qu'un grossiste de son ampleur recevrait. Il a fourni au Comité des preuves que les remises qu'il réclame à titre de grossiste sont courantes80.

Le président de Pegasus a souligné qu'il aimerait attirer des détaillants autres que Chapters et qu'il ne peut se permettre de donner à ce dernier un traitement préférentiel (pour la livraison des ouvrages les plus populaires, par exemple) ou de divulguer des renseignements sur ses autres clients. S'il le faisait, les détaillants indépendants ne traiteraient plus avec lui et son chiffre d'affaires chuterait. Bien que Chapters détienne la majorité des intérêts dans Pegasus, ces deux entités fonctionnent séparément, et les cadres de Pegasus sont rémunérés en fonction des profits que cette entreprise dégage et non en fonction des profits que réalise Chapters. En outre, comme nous le verrons au chapitre six, il faut noter que le président-directeur général de Chapters a indiqué à maintes reprises au Comité qu'il préférerait que son entreprise ait des intérêts minoritaires dans Pegasus. De plus, au début de juin 2000, Chapters Inc. a annoncé qu'il avait embauché le cabinet Merrill Lynch Canada pour analyser les possibilités qui s'offrent à Pegasus, y compris sa vente à d'autres81.

Plusieurs des témoins qui ont comparu devant le Comité ont précisé que le projet de fusion entre le mégadétaillant Barnes & Noble et le mégagrossiste Ingram aux États-Unis devrait être riche d'enseignements pour le Canada. Ce projet a été abandonné parce que, au dire de certains journalistes, la Federal Trade Commission était sur le point de s'y opposer (la Commission n'a donc pu produire de rapport ou d'analyse officiels).

Dans une lettre à la Canadian Booksellers Association en novembre 1999, dans laquelle il expose sa position relativement à Pegasus, le Bureau de la concurrence explique que le projet de fusion aux États-Unis diffère fondamentalement de la relation qui existe entre Chapters et Pegasus. En effet, la constitution de Pegasus par Chapters a signifié la réorganisation d'actifs que Chapters possédait déjà et non le transfert de contrôle d'un grossiste indépendant vers un détaillant.

Après avoir analysé la situation de Chapters et Pegasus, le Bureau de la concurrence a conclu que l'établissement de Pegasus ne contrevenait pas à la Loi sur la concurrence.

Même si la création de Pegasus ne donne lieu à aucune préoccupation pouvant être visée par la Loi sur la concurrence, toute activité commerciale que Chapters ou Pegasus poursuit est assujettie à cette loi. Compte tenu de la présence importante de Chapters sur le marché ainsi que de l'évolution des activités commerciales de Pegasus, le Bureau poursuit son enquête et surveille l'évolution du marché82.

Le Comité comprend les nombreuses préoccupations que les témoins ont exprimées relativement à la question de la concurrence, de la part de marché et de l'intégration verticale dans le marché du livre canadien. Il est d'accord avec le point de vue du ministère du Patrimoine canadien et rappelle au lecteur que le ministère ne se concentre pas sur les questions de concurrence. C'est pour cela que :

Recommandation 3.1

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien établisse un mécanisme interministériel permanent avec Industrie Canada, qui permettrait au Bureau de la concurrence d'être tenu au courant en temps voulu de toute tendance nuisible pouvant toucher la création, la production, la distribution ou les ventes de livres d'auteurs canadiens. Les représentants chargés de cette responsabilité seraient tenus de présenter un compte rendu au Comité permanent du patrimoine canadien dans les six mois qui suivront la présentation par le gouvernement d'une réponse au présent rapport, puis tous les ans.

Le Comité craint qu'à la faveur de la concentration de l'industrie du livre au Canada, quelle que soit la façon dont on mesure la part de marché, il y ait des possibilités croissantes d'abus de position dominante, ce qui menacerait de nombreux libraires indépendants. C'est en raison de cette inquiétude que :

Recommandation 3.2

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien et Industrie Canada s'associent pour établir comment la Loi sur la concurrence pourrait être renforcée de manière à protéger le secteur du livre au Canada.

Nous présentons d'autres observations relativement à la relation entre Chapters et Pegasus au chapitre six.

2. La Loi sur Investissement Canada

Certains témoins ont dit au Comité qu'ils craignent que les récentes tendances qui se dessinent dans le monde du livre au Canada ouvrent la voie à la propriété étrangère. À plusieurs reprises a été soulevée l'éventualité que Barnes & Noble, le mégadétaillant américain qui a investi dans Chapters à hauteur de 7 %, trouve un moyen de fusionner avec ce dernier et de prendre le contrôle de ses activités.

Le président-directeur général de Chapters a nié une telle éventualité.

Tout d'abord, il n'est pas question de fusion avec Barnes & Noble. Deuxièmement, cette société ne joue aucun rôle dans la direction. En fait, je suis directement en concurrence avec cette société, et barnesandnoble.com est un concurrent féroce de Chapters.ca. Nous ne partageons pas d'information avec elle autre que celle du domaine public. C'est une société ouverte. C'est un investisseur que je ne traite pas autrement que je traiterais Investors Group, à Winnipeg. Elle ne siège pas au conseil et ne participe pas à la gestion de cette société83.

Des représentants du ministère du Patrimoine canadien ont comparu devant le Comité pour expliquer le rôle que la Loi sur Investissement Canada jouerait dans toute tentative de prise de contrôle d'une entreprise canadienne du livre par une entité étrangère. L'un d'entre eux a déclaré dès le départ que la responsabilité de l'examen des investissements étrangers dans les industries culturelles canadiennes a été transférée en 1999 du ministre de l'Industrie au ministre du Patrimoine canadien.

En vertu de la Loi, le ministre peut examiner tous les investissements effectués par des non-Canadiens dans le secteur culturel et doit, pour ce faire, tenir compte des avantages nets que retireraient les Canadiens de l'investissement proposé. Le représentant du ministère du Patrimoine canadien a fourni une longue liste, extraite de l'article 20 de la Loi, de facteurs servant à établir l'avantage net.

[...] l'effet de l'investissement sur le niveau et la nature de l'activité économique au Canada; l'étendue et l'importance de la participation de Canadiens dans l'entreprise; l'effet de l'investissement sur la productivité, le rendement industriel et le progrès technologique; l'effet de l'investissement sur la concurrence; la compatibilité de l'investissement avec les politiques nationales en matière industrielle, économique et culturelle, compte tenu des objectifs provinciaux/territoriaux de politiques industrielle, économique et culturelle; et la contribution de l'investissement à la compétitivité canadienne sur les marchés mondiaux84.

Ce témoin a ajouté qu'outre la Loi, il y avait également des lignes directrices visant expressément l'édition et la diffusion de livres85. Ces lignes directrices stipulent que toute entreprise de propriété canadienne œuvrant dans le secteur du livre ne peut être achetée par des non-Canadiens, sauf circonstances exceptionnelles. Il faudrait que l'entreprise se trouve manifestement en détresse financière et que des Canadiens aient eu « pleinement et équitablement l'occasion d'acheter » l'entreprise. Même dans ce cas, l'achat devrait faire l'objet d'un examen au regard de l'avantage net pour les Canadiens. En vertu de ces lignes directrices, les facteurs à prendre en compte au moment de déterminer les avantages nets pour les Canadiens comprennent :

[U]n engagement d'appuyer les auteurs canadiens, notamment en établissant des coentreprises avec des éditeurs sous contrôle canadien pour que les auteurs canadiens qu'ils publient aient accès à de nouveaux marchés nationaux et internationaux86.

L'affirmation ci-après du représentant du ministère du Patrimoine canadien est des plus pertinente pour le sujet sur lequel porte le présent rapport.

[...] nous voulons faire en sorte que, dans le cas des investissements ici, des ouvrages d'auteurs canadiens continuent à être accessibles aux Canadiens. Nous tâcherons, en appliquant les critères de l'avantage net, de veiller à ce que cela puisse continuer avec des entreprises sous contrôle canadien87.

Le Comité est tout à fait d'accord avec ce point de vue. Établir l'avantage net d'un éventuel investissement étranger au regard de la promotion des livres d'auteurs canadiens est d'une importance cruciale.

Recommandation 3.3

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien, lorsqu'il examinera les projets d'investissement étranger aux termes de la Loi sur Investissement Canada, veille à ce qu'aucun investisseur étranger ne puisse prendre le contrôle d'une entreprise canadienne dans le secteur du livre à moins qu'il ne donne des garanties crédibles que cet investissement augmentera la disponibilité de livres d'auteurs canadiens.

3. La Loi sur le droit d'auteur

Les modifications apportées en 1997 à la Loi sur le droit d'auteur par le projet de loi C-32 portaient sur ce que l'on appelle les dispositions sur les importations parallèles. Ces dispositions ont renforcé la position du Canada en tant que marché distinct du livre. Ceux qui détiennent les droits de distribution exclusifs d'un livre pour le marché canadien, par exemple, sont mieux protégés contre les importations parallèles. Cette pratique consiste à passer d'un marché à un autre pour importer un ouvrage au Canada et le vendre en concurrence avec l'entité détenant les droits exclusifs pour le marché canadien.

Comme Mme Wanda Noel, juriste spécialisée dans le droit d'auteur, l'a expliqué au Comité :

Les titulaires de droit d'auteur et les cessionnaires tels que les éditeurs ont toujours eu le droit de régulariser la circulation des livres entre les marchés. Cela date de 1923. Toutefois, les distributeurs de livres, qui détiennent et négocient encore des droits de distribution exclusifs pour le marché canadien, n'avaient pas ce droit. Le projet de loi C-32 a conféré cette protection d'importation pour le marché canadien aux distributeurs exclusifs de livres. C'est le changement qui a été apporté. Auparavant, seuls les titulaires de droit d'auteur avaient ce droit. Le projet de loi C-32 a donné les mêmes droits aux distributeurs exclusifs de livres88.

Il faut apporter certaines précisions relativement aux droits exclusifs de distribution : le prix canadien ne peut être trop différent des prix sur les autres marchés, et le distributeur canadien doit être en mesure de fournir le livre en temps voulu. L'interdiction des importations parallèles augmente toutefois la valeur que représente pour un distributeur le fait de détenir des droits exclusifs pour le Canada.

Certains des témoins qu'a entendus le Comité craignent que Pegasus n'obtienne les droits exclusifs de certains ouvrages, contraignant ainsi tous les libraires du pays à passer par lui pour se procurer ces ouvrages. Certains estiment que Chapters, qui possède 82 % de Pegasus, détiendrait alors une arme stratégique dont il pourrait se servir contre ses concurrents.

M. Dennis Zook, président-directeur général de Pegasus, a toutefois indiqué au Comité que son entreprise n'avait aucun droit exclusif et ne cherchait pas à en obtenir.

Le Comité reconnaît l'importance d'une loi sur le droit d'auteur capable de tenir compte de l'évolution et de la dynamique du milieu du livre et d'y répondre. Nous reviendrons sur ce point au chapitre quatre, dans la section consacrée aux nouvelles technologies et aux créateurs. Les recommandations 4.5 et 4.6 portent sur ce problème urgent.

4. La Loi sur la taxe d'accise

Toute discussion sur le livre au Canada comprend en règle générale au moins une référence indirecte à la Loi sur la taxe d'accise, qui est le fondement juridique de la taxe sur les produits et services. Les audiences du Comité n'ont pas échappé à la règle, les témoins réclamant les uns après les autres l'élimination de la TPS sur les livres et autres documents.

M. Michael Wernick, sous-ministre adjoint au développement culturel du ministère du Patrimoine canadien, a déclaré au Comité que l'élimination de la TPS était une mesure trop grossière pour répondre aux préoccupations d'ordre culturel du milieu.

Si vous éliminez la TPS, le Trésor aurait un manque à gagner de 140 millions de dollars. Ce serait une façon très brutale et très indirecte de répondre au problème souligné. La moitié environ de cette somme irait aux maisons d'édition étrangères, car leur production serait alors légèrement moins chère.

De plus,

Le droit commercial ne prévoit aucun moyen d'établir une distinction entre éditeurs étrangers et canadiens qui soit uniquement à l'avantage des derniers. Ni les créateurs, ni les éditeurs, ni les détaillants ne profiteraient directement d'une telle mesure. Donc, même si le système dans son ensemble s'en trouverait un peu mieux parce que la consommation de livres pourrait augmenter du fait que les livres seraient moins cher de 7 %, nous estimons qu'il serait possible de faire beaucoup mieux, avec les 140 millions dont nous disposerions, si nous en ciblions mieux l'utilisation89.

Le Comité comprend le désir, exprimé par des témoins représentant le secteur du livre, de voir la TPS supprimée. Il s'inquiète, toutefois, que cette mesure ne soit extrêmement onéreuse et inefficace, car elle ne réglerait peut-être pas la plupart des points soulevés.

Le Comité constate que certains livres achetés par Internet d'un fournisseur à l'extérieur du Canada peuvent échapper à la TPS. Voilà qui préoccupe les libraires canadiens, obligés de facturer la TPS sur toutes leurs ventes et qui pourraient souffrir d'un désavantage concurrentiel par rapport aux libraires non canadiens. L'analyse des effets de la TPS sur la vente de livres devrait englober la possible application inégale de cette taxe sur les livres achetés de libraires non canadiens.

Le Comité n'a pas mené d'étude approfondie sur l'application de la TPS aux livres. Il convient d'analyser plus sérieusement le sujet :

Recommandation 3.4

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien et le ministère des Finances s'associent pour analyser l'incidence de l'imposition des livres sur l'édition, la vente de livres et la lecture au Canada dans le but d'évaluer ce qu'il adviendrait si ces articles étaient exonérés de la TPS.

 


43 Par exemple, en 1999, l'Encyclopedia Britannica annonçait que son encyclopédie ne serait plus imprimée, mais vendue en ligne moyennant un abonnement annuel.

44 George Anders, « Amazon soars on upbeat outlook despite widest ever quarterly loss », Wall Street Journal, le 3 février 2000.

45 Ibid.

46 La croissance rapide d'Amazon a obligé les détaillants traditionnels au Canada et aux États-Unis à changer radicalement leurs façons de faire. Aux États-Unis, Barnes & Noble a tenté d'acheter Ingram, un distributeur privé. Mais d'après les articles de presse, le ministère américain de la Justice n'autoriserait pas une telle acquisition, de sorte que les parties ont renoncé à la fusion. Depuis, Barnes & Noble a instauré son propre système de distribution pour concurrencer Amazon.

47 M. Ira Wegman, « A Profile of the Canadian Wholesaling Industry », ministère du Patrimoine canadien, Politique et programmes de l'édition, le 12 novembre 1999, p. 3.

48 Réponse de Statistique Canada à une note du président du Comité permanent du patrimoine canadien, le 17 janvier 2000, p. 7.

49 M. Ira Wegman, p. 9.

50 Ibid., p. 4.

51 Ibid.

52 Voir le chapitre 6 pour des précisions quant à la position canadienne sur le marché du commerce électronique.

53 Entretien téléphonique avec des enquêteurs, le 7 février 2000.

54 « Chronologie : L'édition et le commerce du livre au Canada », fiche d'information de la Bibliothèque nationale du Canada, www.nlc-bnc.ca/services/quickref/echrbook.htm

55 Données provenant d'une étude sur le marché du livre de Bain & Company pour le compte de SmithBooks, le 30 août 1994, p. 10.

56 Home Depot a des ventes d'environ 30 milliards de dollars et est extrêmement rentable. À l'heure actuelle, il ouvre un nouveau magasin toutes les 53 heures. Il négocie très serré avec ses fournisseurs et maintient les prix bas grâce à un système de distribution très efficace. Les produits du fournisseur vont directement de son usine au magasin.

57 Forbes, le 24 janvier 2000, p. 122.

58 Au moins cinq grands centres de matériaux de construction sont disparus aux États-Unis depuis quatre ans : Ernst Home Centre (Seattle), Handy Andy (Schaumburg, Illinois), Grossman's (Stoughton, Massachusetts), Hechinger Co. (Largo, Maryland) et Rickel Home Centers (South Plainfield, New Jersey). Ces entreprises avaient ensemble des ventes d'environ 7,9 milliards de dollars US. Ibid., p. 126.

59 La question de la part de marché est examinée plus en détail ci-après.

60 George L. Parker, The Beginnings of the Book Trade in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1985, pp. 230-231.

61 Chiffre fourni par le ministère du Patrimoine canadien lors de son témoignage devant le Comité permanent du patrimoine canadien le 7 décembre 1999. Mais les chiffres fournis par SmithBooks and Coles au moment de la mise en place de Chapters (tirés de « The Book Trade in Canada ») indiquent qu'il n'y avait que 2 044 libraires indépendants en 1993. De plus, dans une lettre datée du 25 avril 2000 et adressée au Comité, M. Larry Stevenson, de Chapters, note que le nombre de libraires indépendants s'élevait, selon ses calculs, à 1 290 en 1990 et à 1 285 en 2000.

62 Mme Zena Olijnyk, « Indigo shelves IPO due to 'cool market' », The National Post, le 11 février 2000.

63 Mme Marina Strauss, « Chapter Online loss jumps 12-fold, adding to parent's woes », Globe and Mail, le 9 février 2000.

64 Bain & Company, 1994, p. 9.

65 Mme Anita E. Hennessey, « Online Bookselling 1999 », thèse de maîtrise rédigée pour le Centre for Publishing, New York University, www.bisg.org/99thesis.html

66 Ibid., p. 23.

67 « Chapters Inc. announces Q3 results », Canadian Corporate News, le 8 février 2000,

67 www.cdn-news.com/scripts/ccn-release

68 M. André Lafond, sous-commissaire, Bureau de la concurrence, le 30 mars 2000.

69 M. André Lafond, sous-commissaire, Bureau de la concurrence, le 30 mars 2000.

70 « Lettre des employeurs aux députés », site Internet de la CBA à l'adresse suivante : www.cbabook.org

71 Mme Sheryl M. McKean, directrice exécutive, Canadian Booksellers Association, le 7 décembre 1999.

72 Voir le chapitre 6 pour en savoir plus sur la reprise des invendus.

73 Leah Eichler, « Indigo owner optimistic on stores, worried about industry », PublishersWeekly.com, le 20 mars 2000.

74 M. Larry Stevenson, président-directeur général, Chapters Inc., le 24 février 2000.

75 Ibid.

76 M. Chris Busuttil, sous-commissaire adjoint intérimaine, Concurrence, Bureau de la concurrence, le 30 mars 2000.

77 M. Larry Stevenson, président-directeur général, Chapters Inc., le 24 février 2000.

78 Ibid.

79 M. André Lafond, sous-commisssaire, Concurrence, Bureau de la concurrence, le 30 mars 2000.

80 Voir le Source Book de 1999 de la Canadian Booksellers Association pour en savoir plus sur les remises accordées aux éditeurs, distributeurs et grossistes canadiens.

81 Mme Susan Heinrich, « Chapters may sell its Pegasus Wholesale unit », National Post, le 2 juin 2000, C1.

82 M. André Lafond, sous-commissaire, Concurrence, Bureau de la concurrence, le 30 mars 2000.

83 M. Larry Stevenson président-directeur général, Chapters Inc., le 24 février 2000.

84 Mme Carla Curran, chef, Politique de l'édition (anglais), Secteur du développement culturel, ministère du Patrimoine canadien, le 28 mars 2000.

85 Il est possible de les consulter sur Internet à l'adresse suivante : investcan.ic.gc.ca

86 Politique révisée sur les investissements étrangers dans l'édition et la distribution du livre, texte du « Feuillet d'information » produit par Communications Canada FIS-92-3808F, Industrie Canada, investcan.ic.gc.ca

87 Mme Carla Curran, chef, Politique de l'édition (anglais), Secteur du développement culturel, ministère du Patrimoine canadien, le 28 mars 2000.

88 Mme Wanda Noel, avocate, le 28 mars 2000.

89 M. Michael Wernick, sous-ministre adjoint, Développement culturel, ministère du Patrimoine canadien, le 9 mai 2000 (version provisoire).