Passer au contenu
Début du contenu

LANG Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

ENJEUX RELATIFS À LA FORMATION EN FRANÇAIS DANS LE DOMAINE DES SCIENCES INFIRMIÈRES

Introduction

En 2015, les organismes de réglementation provinciaux et territoriaux de la profession infirmière au Canada, à l’exception de celui du Québec, ont adopté le National Council Licensure Examination ou NCLEX-RN[1]. Il s’agit d’un examen que les infirmières et infirmiers immatriculés doivent obligatoirement réussir pour obtenir l’autorisation d’exercer la profession infirmière au Canada (à l’exception du Québec). Le NCLEX-RN porte essentiellement sur la gestion de la douleur, l’administration de médicaments, les soins de base et le confort ainsi que la sécurité et le contrôle des infections.

Le NCLEX-RN a été conçu par le National Council of State Boards of Nursing (NCSBN), un organisme américain. Il « a remplacé l’examen national canadien bilingue […] qui était produit de longue date par l’Association des infirmières et infirmiers du Canada…[2] ». Les provinces et territoires ont opté pour le NCLEX-RN en raison de son format électronique[3].

En mai 2017, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes (ci-après, le Comité) a été saisi du fait que les diplômés qui choisissent de passer le NCLEX-RN en français ont un taux d’échec beaucoup plus élevé que les étudiants qui le passent en anglais. Il importe de noter que seuls des étudiants, des représentants des institutions postsecondaires et des infirmiers et infirmières de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick ont comparu devant le Comité.

La formation en français en sciences infirmières est un important maillon de la chaîne des soins de santé en français. De fait, la capacité des institutions postsecondaires de langue française ou bilingue en situation minoritaire de former des infirmières et infirmiers pouvant offrir des services en français figure parmi les déterminants qui impactent la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire.

Bien que la réglementation des soins infirmiers relève des compétences provinciales/territoriales, cette question interpelle le Comité. Ce dernier a un droit de regard sur la promotion des langues officielles et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, de même que sur toutes questions ayant trait à la capacité des institutions fédérales d’atteindre leurs objectifs dans ces domaines.

Soulignons que le Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023 : investir dans notre avenir, dévoilé par l’honorable Mélanie Joly, alors ministre du Patrimoine canadien, le 28 mars 2018, prévoit un investissement total en santé de 191,2 millions de dollars sur cinq ans. Par ailleurs, Santé Canada contribue à la formation en français en sciences infirmières par l’entremise du Consortium national de formation en santé (CNFS). Qui plus est, des fonds fédéraux ont déjà été versés afin de créer une ressource pédagogique en français pour appuyer les infirmières et infirmiers immatriculés qui choisissent de passer le NCLEX-RN en français (il en sera question dans la section 4 du présent rapport).

1. Le processus d’adoption du NCLEX-RN

La conception et l’adoption du NCLEX-RN s’inscrivent dans le cadre d’un appel d’offres lancé en 2011 par le Conseil canadien des organismes de réglementation de la profession infirmière. Selon Brent Knowles, directeur de la recherche chez l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario (OIIO), c’était un « processus ouvert auquel ont participé des fournisseurs d’examen d’un certain nombre de pays, dont le Canada[4] ».

Notons que « les universités n’ont absolument pas été consultées au préalable en ce qui concerne cet examen[5] ». Selon M. Knowles, cela va de soi puisqu’il « y aurait un conflit d’intérêts si le milieu de l’éducation participait de quelque manière que ce soit au processus relatif à l’examen, compte tenu des enjeux élevés que soulève un examen d’admission dans une profession[6] ».

2. La traduction française du NCLEX-RN et le manque de matériel préparatoire en français

L’Association des étudiants infirmiers du Canada (AÉIC) et les institutions postsecondaires francophones ou bilingues qui offrent des programmes de sciences infirmières en français sont préoccupées par le faible taux de réussite chez les francophones à l’examen et réclament que des mesures soient prises pour corriger la situation[7]. L’AÉIC a publiquement affirmé que « les francophones sont désavantagés par des erreurs de traduction dans la version française et parce qu’il n’y a pas assez de matériel de préparation en français disponible[8] ».

2.1 La qualité de la traduction française

Face aux allégations concernant la mauvaise qualité de la traduction du NCLEX-RN, l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick (AIINB), le gouvernement du Nouveau-Brunswick et le fournisseur de l’examen « ont autorisé une évaluation indépendante de la traduction[9] ». L’évaluation en question a été menée en février 2016 par la directrice du Bureau de traduction de Service Nouveau-Brunswick. Après avoir examiné 60 questions tirées du NCLEX-RN, l’évaluatrice a affirmé que « dans l’ensemble, la qualité de la traduction vers le français de l’examen […] était satisfaisante étant donné qu’il n’y avait pas d’erreurs graves de sens ou de langue et qu’il s’agissait d’un bon niveau de français[10] ».

En 2016, le Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick a procédé à une enquête suite au dépôt de deux plaintes au sujet du NCLEX-RN. Les parties plaignantes alléguaient qu’elles avaient été « défavorisées lorsqu’elles ont choisi d’employer le français pour satisfaire aux exigences imposées pour l’exercice de la profession d’infirmières[11] ». Elles ont donné comme raisons la mauvaise qualité de la traduction française et le manque de matériel préparatoire en français[12].

L’enquête de la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Mme Katherine d’Entremont, cherchait à déterminer si l’AIINB avait enfreint le paragraphe 41.1 (3) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en adoptant le NCLEX-RN. Le paragraphe se lit comme suit : « Nul ne peut être défavorisé du fait qu’il a exercé son droit de choisir la langue officielle dans laquelle il satisfait aux exigences qu’impose l’association professionnelle[13]. »

La commissaire a donc commandé une nouvelle évaluation indépendante de la version française de l’examen pour connaître la qualité de la traduction française. Cette fois, un traducteur agréé du Bureau de traduction de Service Nouveau-Brunswick a évalué un échantillon de 250 questions. Son évaluation a été faite le 27 mars 2018, soit deux ans après l’évaluation initiale. Le traducteur agréé a conclu que dans « l’ensemble, la traduction française des questionnaires d’examen du NCLEX-RN est de bonne qualité. […] Les quelques lacunes et défauts décelés ici et là ne devraient pas nuire à la compréhension des questions, puisque, la plupart du temps, les éléments clés sont présentés de façon suffisamment claire pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté[14]. »

L’évaluateur a cependant noté que certaines questions contiennent des défauts, mais il affirme avoir « la nette impression que les lacunes décelées sont le résultat d’une manipulation des questionnaires après l’étape de la traduction. C’est-à-dire que la version donnée par le traducteur a été modifiée par des intervenants possédant une connaissance insuffisante du français pour effectuer ce genre de travail[15]. »

La commissaire d’Entremont a donc recommandé à l’AIINB que « peu importe l’examen d’admission choisi par l’association, toute traduction de l’examen et toute modification soient faites par un traducteur agréé[16]. »

Comme l’a expliqué Dre Cynthia Baker, la directrice générale de l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI), le NCLEX-RN est mis à jour régulièrement. Conséquemment, il «ne faut pas simplement améliorer la traduction existante; il faut aussi se doter d'une méthode pour garantir une traduction adéquate et équitable. Une adaptation coûte plus cher, je crois, qu'une traduction, mais c'est ce qu'on utilise au Canada[17]. » Sur ce sujet, « des traducteurs au gouvernement fédéral et des psychométriciens au Canada » aurait dit à l’ACESI « que l'adaptation était un processus rigoureux, très spécialisé, et qu'elle était recommandée pour les examens à enjeux élevés dans les deux langues officielles pour assurer l'équité[18] ».

2.2 Le manque de matériel préparatoire en français

Dans son rapport d’enquête sur le NCLEX-RN, la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick a conclu ce qui suit en ce qui concerne la disponibilité du matériel préparatoire au NCLEX-RN en français :

[I]l existe un écart considérable quant aux ressources de préparation à l’examen qui sont disponibles pour une communauté linguistique par rapport à ce qui est disponible pour l’autre. Alors qu’il n’existe qu’une seule banque de questions en langue française — ne comportant aucun examen de simulation et offrant seulement un nombre limité de questions préparatoires — il existe sur le marché un large éventail de simulations d’examen de langue anglaise de haute qualité. Par conséquent, les candidats francophones ne sont pas sur un pied d’égalité avec les candidats anglophones[19].

Ainsi donc, en raison du manque de matériel préparatoire en français, la commissaire d’Entremont a conclu que l’AIINB a enfreint la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en adoptant le NCLEX-RN. Conséquemment, la commissaire a recommandé à l’AIINB de prendre « les mesures qui s’imposent afin que les exigences d’admission à la pratique de la profession infirmière au Nouveau-Brunswick respectent pleinement le paragraphe 41.1 (3) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick[20] » et de faire rapport au Commissariat « au plus tard le 4 septembre 2018[21] ».

La commissaire reconnaît que l’AIINB n’exerce aucun contrôle sur les ressources pédagogiques en anglais. Néanmoins, elle écrit que l’AIINB « ne peut faire abstraction de l’existence de ces ressources et de leur disponibilité[22] ».

Comme l’a expliqué Dre Baker, le manque de matériel préparatoire est, à l’origine, une conséquence du marché : « Puisque le marché francophone est beaucoup trop petit pour présenter un intérêt pour l’industrie du matériel préparatoire, aucune ressource n’est disponible en français[23]. » Pierre Godbout, le directeur de l’École des sciences infirmières de l’Université de Moncton a renchéri en disant que, « abstraction faite des infirmières et infirmiers francophones du Québec, seulement 4 % des infirmières et infirmiers ailleurs au Canada sont francophones. […] On ne considère pas que nous sommes assez nombreux pour justifier la création de matériel commercial. Il n’y a pas un assez grand marché[24]. »

Pour Mme Suzie Durocher-Hendriks, professeure adjointe à l’École des sciences infirmières de l’Université de Moncton, campus d’Edmundston, le manque de matériel préparatoire place les étudiants ainsi que leurs enseignants dans une situation insoutenable :

[É]tudier en français lors de sa formation pour ensuite se préparer à un examen avec des ressources entièrement en anglais va à l’encontre de tout ce qu’on connaît en pédagogie. Nos étudiants disent qu’ils passent autant de temps à comprendre l’anglais que le contenu des questions pratiques[25] .

L’AIINB reconnaît que « peu de ressources francophones se comparent aux ressources commerciales offertes par le fournisseur actuel de l’examen[26] ». Elle aurait aussi tenté d’obtenir des ressources en français :

En 2012, l’ensemble des provinces et des territoires du Canada ont signé un contrat afin d’adopter un nouvel examen d’admission dont les résultats détermineraient si les diplômés des programmes de soins infirmiers pourraient travailler à titre d’infirmières autorisées. L’AIINB, qui représente la seule province bilingue, a réclamé le soutien des ressources francophones dans le cadre du processus de demande de propositions relatif au nouvel examen. Pourtant, quand le fournisseur de l’examen a été nommé, le contrat proposé ne prévoyait aucune ressource francophone[27].

Depuis, l’AIINB et l’OIIO – qui reconnaît également qu’il manque de matériel préparatoire en français[28] – ont pris une série de mesures pour améliorer le taux de réussite des francophones. Selon les informations qu’elles ont partagées avec le Comité, elles ont notamment fait beaucoup d’effort pour dialoguer avec les institutions postsecondaires francophones ou bilingues.

Les deux ordres ont affirmé que la NCSBN a mis en œuvre deux stratégies pour améliorer la disponibilité du matériel préparatoire en français. Elle a, dans un premier temps, mis sur pied un comité dont l’objectif est de construire et d’harmoniser, à long terme, le vocabulaire français utilisé dans l’examen[29]. Ce comité est composé d’éducateurs et de régulateurs francophones et bilingues canadiens. Dans un deuxième temps, la NCSBN a élaboré un examen de pratique en français. Cet outil devait être accessible dans les deux langues officielles en juin 2018[30].

3. L’incidence du taux de réussite des francophones sur les programmes de formation en français en sciences infirmières et l’offre de soins de santé en français dans les communautés francophones en situation minoritaire

Le faible taux de réussite des francophones au NCLEX-RN semble avoir un impact négatif sur les programmes de formation en français en sciences infirmières. Dans un premier temps, les étudiants renoncent à passer l’examen en français[31]. Comme l’explique Dre Baker : « Ainsi, les diplômés se sentent comme s’ils n’avaient d’autre choix que de subir l’examen en anglais[32]. »

À l’Université d’Ottawa, en 2016, « seulement 15,8 % [des] étudiants ont subi l’examen en français. […] en 2017, il est prévu que 64 % des étudiants subiront l’examen en anglais[33] ». À l’Université Laurentienne, par le passé, la majorité des étudiants francophones passaient l’examen national en français. Selon Mme Sylvie Larocque, directrice de l’École des sciences infirmières de l’Université Laurentienne, « certaines de nos cohortes ont eu de très hauts taux de réussite au premier essai, allant jusqu’à 100 %. […] En 2015, la majorité des étudiants ont décidé de subir le test en anglais. En 2016, 100 % des étudiants l’ont subi en anglais. En 2017, il y aura un pourcentage aussi élevé d’étudiants qui subiront le test en anglais[34]. »

En Ontario, il semblerait que les étudiants francophones qui passent l’examen en anglais réussissent relativement bien[35]. Au Nouveau-Brunswick, par contre, le fait de passer l’examen en anglais n’améliore pas le rendement des diplômés. M. Godbout explique la situation de la manière suivante :

Il est très important de mentionner que, bien que de plus en plus d’étudiants subissent leur examen en anglais, les taux de réussite ne sont pas meilleurs. Ce n’est pas du tout une panacée, mettons cela au clair. Nous avons les statistiques. Plus d’étudiants francophones subissent leur examen en anglais, mais leur taux de réussite n’est pas meilleur. Ce n’est pas la solution pour eux. C’est un double joug[36].

Dans un deuxième temps, certains francophones regrettent même d’avoir fait leurs études en français. Selon Dre Baker, certains étudiants « ont même déclaré devant les médias que, s’ils avaient su qu’ils allaient être obligés de subir l’examen en anglais pour le réussir, ils auraient choisi d’étudier en anglais; ils se seraient inscrits à un programme de sciences infirmières en anglais[37] ».

Dans cette même veine, l’Université Laurentienne a effectué un sondage auprès de ses étudiants pour savoir s’ils choisiraient de s’inscrire dans un programme d’étude en français si l’expérience était à refaire :

Seulement 44 % ont répondu que oui, ils le feraient […] Une proportion de 28 % ont répondu non, en donnant comme raisons qu’il n’y avait pas de matériel préparatoire en français à l’examen NCLEX-RN et qu’ils sentaient qu’ils n’avaient pas vraiment le choix de subir l’examen en anglais. Finalement, 28 % étaient encore incertains[38].

L’Université de Moncton a essuyé un important revers en raison des taux d’échec des étudiants francophones. Mme Durocher-Hendriks a expliqué que « plusieurs sorties médiatiques ont attribué la non-réussite des francophones au NCLEX-RN en partie au programme de l’Université de Moncton[39] ». Conséquemment, « le nombre d’inscriptions au campus d’Edmundston a diminué. Cette année [2017], nous avons à peine 12 nouvelles inscriptions. Dans le passé, nous recevions habituellement entre 25 et 35 inscriptions; nous avons même déjà reçu jusqu’à 60 inscriptions[40]. »

Dre Baker, comme d’autres intervenants, a expliqué que la situation peut avoir des conséquences importantes sur l’offre de soins de santé en français dans les communautés francophones en situation minoritaire.

C’est un cercle vicieux. La piètre traduction de l’examen et le manque de ressources préparatoires à l’examen en français mènent à un faible taux de réussite. Par conséquent, moins d’infirmiers et infirmières francophones entrent sur le marché du travail francophone. À son tour, la diminution du nombre de nouveaux infirmiers et infirmières francophones offrant des soins de santé en français influe inévitablement sur les services de soins de santé en français pour les francophones[41].

Lors de sa comparution, l’AIINB reconnaît que le faible taux de réussite des francophones au NCLEX-RN menace l’offre de soins infirmiers en français dans la province :

Notre région sanitaire francophone s’inquiète de la future force infirmière francophone. Nous savons que cette année, 12 diplômés en sciences infirmières ne pourront plus contribuer à la prestation de soins infirmiers dans le Nord de la province s’ils ne réussissent pas l’examen à la fin du mois. Nous sommes très préoccupés[42].

Depuis, l’AIINB a nuancé ses propos. Elle explique que les infirmières et infirmiers immatriculés obtiennent une licence temporaire lorsqu’ils complètent leurs études avec succès. Ils peuvent donc exercer leur profession pendant deux ans tout en essayant de réussir le NCLEX-RN. Comme la majorité d’entre-eux réussissent l’examen avant la fin de la période de deux ans, il y aurait peu ou pas d’incidence sur l’offre de services en français.

Quant à l’OIIO, elle a affirmé que la mise en œuvre du NCLEX-RN n’a « pas entraîné de réduction de la disponibilité d’infirmières francophones dans le système de soins de santé de l’Ontario[43] » :

Nous avons également comparé les taux d’admission des diplômés des programmes offerts en français avec ceux des diplômés des programmes offerts en anglais, et nous n’avons observé aucune différence entre ces groupes. Voilà qui montre qu’à court terme, la situation n’a eu aucune influence sur la disponibilité d’infirmières francophones dans le système de soins de santé de l’Ontario depuis l’instauration de l’examen NCLEX-RN[44].

Le Comité constate qu’il n’existe pas beaucoup d’études récentes sur la santé des communautés francophones en situation minoritaire et encore moins sur l’offre et la demande pour des soins infirmiers en français au Canada. Lors d’une mission au Yukon en septembre 2018, le Comité a été saisi du fait que les enquêtes conjointes nationales-provinciales/territoriales comportent rarement les variables linguistiques nécessaires pour obtenir des données sur la santé de la minorité de langue officielle. Lorsque de telles données sont recueillies, il semblerait que les plus petites communautés, notamment celles des territoires, sont désavantagées : au lieu de présenter le profil unique de chaque communauté, les chercheurs ont tendance à les regrouper en région en raison de la petitesse des nombres. Il est pourtant essentiel que toutes les communautés, peu importe leur taille, aient accès à des données probantes précises afin qu’elles puissent intervenir auprès des instances gouvernementales.

4. Le Consortium national de formation en santé

Du point de vue des institutions postsecondaires qui offrent des programmes de formation en sciences infirmière en français[45], l’adoption du NCLEX-RN est une décision qui va à l’encontre des investissements et du travail de Santé Canada pour améliorer la santé dans les communautés francophones en situation minoritaire.

Au fédéral, le Bureau d’appui aux communautés de langue officielle (BACLO) est responsable de coordonner pour Santé Canada la mise en œuvre de l’article 41 de la Loi sur les langues officielles du gouvernement du Canada (Partie VII). Il est aussi responsable de la gestion du Programme de contribution pour les langues officielles en santé. Ledit programme comporte trois volets principaux :

  •   Intégrer des professionnels de la santé dans les [communautés de langue officielle en situation minoritaire] CLOSM — ce qui, en travaillant avec des établissements d’enseignement postsecondaires, vise à accroître le nombre de professionnels de la santé qui peuvent desservir les CLOSM;
  •   Renforcer la capacité de réseautage en santé — 36 réseaux locaux et régionaux qui fonctionnent comme des organismes communautaires développeront leur capacité de modifier le système de soins de santé afin d’améliorer l’accès des CLOSM à des services de santé;
  •   Mettre en œuvre des projets visant l’accès aux services de santé et le maintien en poste des professionnels qui, à l’aide d’initiatives particulières, améliorent l’intégration des services de santé destinés aux CLOSM et l’accès à ceux-ci[46].

Le BACLO travaille en collaboration avec des organismes comme la Société santé en français et le CNFS pour atteindre ses objectifs en matière de soutien aux communautés francophones en situation minoritaire.

Cinq institutions membres du CNFS sont concernées par la formation en sciences infirmières : l’Université d’Ottawa, l’Université de Moncton, l’Université Laurentienne, l’Université de Saint-Boniface et le Campus Saint-Jean en Alberta. Ces cinq institutions bénéficient, depuis les cinq dernières années, d’un financement annuel total d’environ 10,6 millions de dollars versés par le gouvernement fédéral soit un montant global de 53,2 millions de dollars.

Le CNFS travaille depuis plus de deux ans avec les institutions postsecondaires membres de son réseau qui sont concernées par la crise du NCLEX-RN afin de développer un outil préparatoire en français pour le NCLEX-RN. Ensemble, ils ont créé une banque de 250 questions réparties en huit modules de formations. Cette banque a été mise à la disposition des étudiants, diplômés et professeurs des programmes de sciences infirmières soutenus par le CNFS. L’Université Laurentienne gère l’outil.

À ce jour, le CNFS a contribué 225 741 $ (115 000 $ pour 2015-2016 et 110 741 $ pour 2016‑2017) à ce projet.

Le rapport de la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick affirme que « le matériel de préparation de l’Université Laurentienne est bien inférieur aux produits commerciaux disponibles en anglais[47]. » Les membres du personnel et des étudiantes et étudiants de l’Université de Moncton auraient affirmé ce qui suit :

[L]a profondeur et la qualité des questions de l’Université Laurentienne sont nettement inférieures à celles des questions offertes par les ressources commerciales, et les étudiants jugent que le matériel de l’Université Laurentienne ne leur permet pas de se préparer adéquatement pour l’examen NCLEX-RN. Ainsi, bien qu’ils soient offerts gratuitement, les outils de l’Université Laurentienne ne semblent guère être utilisés par les étudiants et les diplômés en sciences infirmières de l’Université de Moncton[48].

5. Recommandations et conclusion

Force est de constater que la décision d’adopter le NCLEX-RN, sans assurer une bonne coordination de la traduction auprès de traducteurs agréés canadiens et sans assurer que les ressources pédagogiques en français soient égales à celles qui sont disponibles en anglais, cause un important préjudice aux infirmières et infirmiers immatriculés francophones en situation minoritaire.

À la lumière de ce qui précède, le Comité recommande :

Recommandation 1

Que la ministre de Santé Canada :

a)  S’engage à trouver avec ses homologues provinciaux et territoriaux des solutions à l’offre active des services de santé dans les deux langues officielles et pour rappeler aux ordres professionnels du milieu de la santé les besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire en termes d’accès à des professionnels de la santé, notamment des infirmières et infirmiers capable d’offrir des services dans la langue de la minorité.

b)  S’assure que les accords bilatéraux en matière de santé comportent des clauses linguistiques exécutoires qui, à même le transfert des fonds fédéraux, répondent aux besoins des CLOSM.

L’accès à des données probantes et récentes sur la santé des communautés de langue officielles en situation minoritaire est essentiel pour améliorer l’offre de services de santé dans la langue de son choix. Conséquemment, le Comité recommande :

Recommandation 2 

Que Santé Canada exige que les études menées par l’Institut canadien d’information sur la santé comportent des variables linguistiques afin de recueillir des données probantes sur la santé des communautés de langue officielle en situation minoritaire et qu’il s’assure que l’échantillonnage soit représentatif de ces dernières. 

Si les organismes de réglementation de la profession infirmière choisissent de garder le NCLEX-RN, la traduction de l’examen et du matériel préparatoire doit suivre un processus méthodique rigoureux. De plus, une meilleure coordination de la traduction est nécessaire pour assurer la qualité de l’examen et des ressources pédagogiques. Conséquemment, le Comité recommande :

Recommandation 3

Que Services publics et Approvisionnement Canada, en collaboration avec Santé Canada, propose au Conseil canadien des organismes de réglementation de la profession infirmière de coordonner toutes traductions ou adaptations relatives au NCLEX-RN et du matériel préparatoire auprès du Bureau de la traduction du gouvernement du Canada.

Même si elles n’ont pas été parties à la décision d’adopter le NCLEX-RN, les institutions postsecondaires francophones ou bilingues doivent composer avec le manque de ressources préparatoires en français. Compte tenu de l’engagement de Santé Canada envers les CLOSM, il apparaît nécessaire de recommander :

Recommandation 4 

Que Santé Canada octroie au Consortium national de santé en français les fonds nécessaires afin qu’il puisse coordonner le développement, en partenariat avec les institutions postsecondaires francophones concernées de son réseau et les associations étudiantes, des outils nécessaires pour améliorer le taux de réussite des infirmières et infirmiers immatriculés francophones qui passent l’examen NCLEX-RN en français.

En conclusion, le Comité remercie les témoins qui ont comparu dans le cadre de cette étude et souhaite ardemment que le gouvernement du Canada puisse apporter son soutien aux infirmières et infirmiers immatriculés francophones et aux institutions postsecondaires concernées. Enfin, le Comité espère que les étudiants et étudiantes en sciences infirmières et les diplômés partout au pays persévéreront dans leur choix de faire leur parcours en français.

Bien que la présente étude ne porte pas sur les défis de la minorité anglophone du Québec en matière de formation des infirmiers et infirmières, le Comité est conscient qu’une problématique similaire existe.


[1]              Il n’existe pas de nom équivalent en français.

[2]              Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes (LANG), Témoignages, 1re session, 42e législature, 9 mai 2017, 1140 (Cynthia Baker, directrice générale, Association canadienne des écoles de sciences infirmières).

[3]              Ibid. LANG, Témoignages, 1re session, 42e législature, 9 mai 2017, 1140 (Cynthia Baker, directrice générale, Association canadienne des écoles de sciences infirmières).

[4]              Ibid., 1240 (Brent Knowles, directeur, Analyse et recherche, Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario).

[5]              Ibid., 1205 (Suzie Durocher-Hendriks, professeure adjointe, École des sciences infirmières, campus d’Edmundston, Université de Moncton).

[6]              Ibid., 1245 (Brent Knowles).

[7]              Radio-Canada, « 27 % de réussite à l’examen en français pour devenir infirmier », 30 janvier 2017.

[8]              Ibid.

[9]              Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick, L’AIINB réagit à des informations nettement erronées, communiqué, 3 février 2017.

[10]              Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport d’enquête, dossier no. 2016-3071, mai 2018, annexe B, « Évaluation de la qualité de la traduction vers le français de l’examen National Council Licensure Examination à l’intention des infirmières immatriculées et des infirmiers immatriculés (NCLEX‑RN) » Bureau de traduction de Service Nouveau-Brunswick, février 2016.

[11]              Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport d’enquête, dossier no. 2016-3071, mai 2018, p. 1.

[12]              Ibid.

[13]              Loi sur les langues officielles, LN-B 2002, c O-0.5.

[14]              Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport d’enquête, dossier no. 2016-3071, mai 2018, annexe C, « Extrait du rapport NCLEX-RN — Examen Pratique; Rapport d’évaluation; Traduction des questionnaires d’examen ». Bureau de traduction de Service Nouveau-Brunswick (le 28 mars 2018). Préparé pour le Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick.

[15]              Ibid.

[16]              Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport d’enquête, dossier no. 2016-3071, mai 2018, p. 2.

[17]              LANG, Témoignages, 1re session, 42e législature, 23 mai 2018, 1610 (Cynthia Baker).

[18]              Ibid.

[19]              Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport d’enquête, dossier no. 2016-3071, mai 2018, p. 1.

[20]              Ibid.

[21]              Ibid., p. 2.

[22]              Ibid., p. 1.

[23]              LANG, Témoignages, 1re session, 42e législature, 9 mai 2017, 1140 (Cynthia Baker).

[24]              Ibid., 1200 (Pierre Godbout directeur, École des sciences infirmières, Université de Moncton).

[25]              Ibid., 1150 (Suzie Durocher-Hendriks).

[26]              Ibid., 1235 (Laurie Janes, directrice générale, Association des infirmières et infirmiers du Nouveau‑Brunswick).

[27]              Ibid., 1230.

[28]              Ibid., 1240 (Brent Knowles).

[29]              Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, Notes d’allocution, 30 mai 2018.

[30]              Ibid.

[31]              LANG, Témoignages, 1re session, 42e législature, 9 mai 2017, 1150 (Michelle Lalonde, professeure adjointe, École des sciences infirmières, Université d’Ottawa).

[32]              Ibid., 1140 (Cynthia Baker).

[33]              Ibid., 1150 (Michelle Lalonde).

[34]              Ibid., 1155 (Sylvie Larocque, directrice, École des sciences infirmières, Université Laurentienne).

[35]              Ibid., 1225 (Brent Knowles).

[36]              Ibid., 1215 (Pierre Godbout).

[37]              Ibid., 1140 (Cynthia Baker).

[38]              Ibid., 1155 (Sylvie Larocque).

[39]              Ibid., 1150 (Suzie Durocher-Hendriks).

[40]              Ibid.

[41]              Ibid., 1140 (Cynthia Baker).

[42]              Ibid., 1235 (Laurie Janes).

[43]              Ibid., 1230 (Brent Knowles).

[44]              Ibid., 1225.

[45]              Ibid., 1155 (Sylvie Larocque).

[46]              Santé Canada — Programme de contribution pour les langues officielles en santé.

[47]              Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport d’enquête, dossier no. 2016-3071, mai 2018, p. 16.

[48]              Ibid.