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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 060 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 26 mars 2015

[Enregistrement électronique]

  (0845)  

[Traduction]

    Chers collègues, nous allons commencer.
     Bonjour aux collègues, et bien sûr, à nos témoins. Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à la 60e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous allons poursuivre aujourd'hui notre étude du projet de loi C-51.
    Nos témoins de ce matin ont jusqu'à 10 minutes, selon le Règlement, pour présenter leurs déclarations préliminaires. J'espère qu'ils prendront un peu moins de temps que cela; nous en aurons ainsi davantage pour les questions des membres du comité et les réponses.
    J'accueille tout d'abord David Harris, directeur de l'International Intelligence Program, INSIGNIS Strategic Research. Nous accueillons également, à titre personnel, Zarqa Nawaz. Merci beaucoup. C'est également à titre personnel que nous allons entendre Ray Boisvert, président et directeur général d'I-Sec Integrated Strategies.
    Nous allons attaquer immédiatement pour ne pas perdre de temps.
    Monsieur Harris, vous avez la parole.
    Je m'appelle David Harris; je suis avocat et directeur du Programme de renseignement international de INSIGNIS Strategic Research Inc. J'ai une trentaine d'années d'expérience dans le secteur du renseignement; j'ai notamment été avocat intervenant dans l'enquête sur l'attentat contre Air India et dans la commission d'enquête Iacobucci, des sujets qui ont été soulevés, bien entendu, au cours de vos débats.
    La situation de la sécurité au Canada se détériore. Les forces militaires conventionnelles et les services de renseignement hostiles posent manifestement des défis et on aurait dû savoir avant que les meurtres commis en octobre par des terroristes aient ému le public que le Canada ne serait pas épargné par la terreur. La situation du Canada est très complexe en raison d'un taux d'immigration très élevé qui s'élève à près de 300 000 personnes par an — un demi-million, si nous incluons ce que l'on appelle les détenteurs de visa temporaire — dont une grande partie viennent de pays où nous disposons de peu de moyens pour effectuer un filtrage.
    Le projet de loi C-51 représente une réponse partielle à notre problème de sécurité. Ce projet tente de s'attaquer aux questions touchant la communication d'information, la sécurité aérienne, la propagande terroriste et les opérations de perturbation de ces activités. Le gouvernement mérite notre appui pour cette initiative, mais il sera peut-être nécessaire d'apporter quelques modifications à ce projet. Les mesures de perturbation proposées par le SCRS, un outil nécessaire, appellent un réexamen et peut-être la mise en place de mécanismes d'examen plus poussés. Les dispositions réprimant l'incitation au terrorisme doivent être compatibles avec la liberté d'expression garantie par la Charte. Le projet de paragraphe 83.221(1) du Code criminel devrait être précisé. Les mécanismes d'examen associés à l'objectif admirable consistant à faciliter la communication d'information au sein du gouvernement devraient être renforcés. Cela dit, le fait que le gouvernement soit obligé, dans ses activités, de respecter la Constitution offre une certaine garantie.
     Avant d'entrer dans les détails, je me sens obligé de préciser certains aspects qui découlent d'une séance précédente du comité. J'ai appris par la suite, à ma grande surprise, qu'un membre du comité avait déclaré que j'étais la source d'information à partir de laquelle il avait posé une question à un témoin, le représentant du National Council of Canadian Muslims, le NCCM. Le représentant du NCCM a répondu en disant que les questions posées étaient inspirées par le « Mccarthisme ». Il est important de préciser certaines choses pour faciliter l'établissement des faits par le comité et vous constaterez rapidement la pertinence des commentaires que je vais faire sur le plan de la sécurité nationale. Mes remarques sur ce point représentent simplement mon opinion personnelle sur une question d'intérêt public impérieux, qui est fondée sur le fait que cela fait environ 15 ans que je suis l'évolution de cette organisation.
    Le NCCM a été fondé en 2000 sous le nom de Canadian Council on American-Islamic Relations, le CAIR-CAN, la Section canadienne du Council of American-Islamic Relations, CAIR, financé par l'Arabie saoudite et basé à Washington, D.C. La section canadienne a été fondée par Mme Sheema Khan, avec l'aide de M. Faisal Kutty et d'autres. En 2003, Mme Khan a déclaré sous serment dans un affidavit déposé à titre de présidente fondatrice du CAIR-CAN que le CAIR-CAN agissait sous la direction et le contrôle de l'organisation mère étasunienne. Vers 2004, plusieurs personnalités importantes de l'ancien CAIR étasunien et d'autres associés ont été condamnés pour des infractions reliées au terrorisme, notamment l'ancien coordonnateur des libertés civiles du CAIR. Pendant une partie de sa présidence du CAIR-CAN, Mme Khan a siégé au conseil de l'organisation du CAIR étasunien. D'après un rapport de 2006 du National Post, le CAIR-CAN versait des contributions au bureau de Washington à partir des revenus du CAIR-CAN.
    En 2007, le ministère de la Justice étasunien a désigné l'organisation mère, le CAIR...
    J'invoque le Règlement.
    Monsieur Garrison.
    Monsieur le président, le témoin a été invité pour nous parler du projet de loi C-51 et non pas des antécédents de certains témoins que nous avons déjà entendus. J'invite donc le président à rappeler au témoin qu'il doit s'en tenir au sujet à l'étude.

  (0850)  

    La présidence est disposée à le faire, mais elle doit également tenir compte du fait que le témoin peut aussi réagir à un témoignage précédent et qui mentionnait des déclarations qu'il aurait faites ou n'aurait pas faites. J'invite toutefois le témoin à s'en tenir le plus possible au projet de loi C-51, à son objet et à son intention, bien évidemment. Mais le témoin a certainement le droit de se défendre contre des allégations ou des irrégularités, comme il le souhaite, qui jetteraient un éclairage favorable ou défavorable sur le témoignage qui a été fourni au comité.
    Poursuivez, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    En 2007, le ministère de la Justice étasunien a qualifié l'organisation mère CAIR de « conspirateur non accusé » dans le cadre de la poursuite relative au financement du terrorisme par la U.S. Holy Land Foundation, poursuite qui a débouché sur des condamnations. Lorsque le CAIR a contesté devant un tribunal de district américain la désignation faite par le ministère de la Justice, le tribunal a confirmé la désignation et déclaré que « Le gouvernement a produit des preuves qui établissent l'existence de liens entre le CAIR et le Hamas ». Le Hamas est une entité terroriste selon le droit canadien et le droit étasunien. Le FBI a mis fin aux activités de sensibilisation qu'il exerçait avec l'organisation mère du CAIR en 2008 et la pertinence de ces aspects à l'égard des activités de sensibilisation et de lutte contre la radicalisation associées au projet de loi sera de plus en plus claire.
    En 2013, le CAIR-CAN, la section canadienne, a modifié son nom pour s'appeler le National Council of Canadian Muslims, NCCM. Certains ont vu là le souci de se distinguer de ses liens avec le CAIR U.S. Si c'est bien le cas, cette intention a été compromise par la déclaration accompagnant l'adoption du nom NCCM, parce qu'elle mentionne que le NCCM et le CAIR-CAN demeurent la même organisation, malgré le changement de nom. Le communiqué de presse du NCCM où se trouve cette déclaration a été retiré du site Web du NCCM/CAIR-CAN, mais je serais heureux d'en fournir une copie au comité.
    Certains membres de la haute direction du CAIR-CAN et du personnel de l'époque occupent des postes comparables au sein du NCCM. Certains critiques estiment que le NCCM/CAIR-CAN s'est abstenu de condamner publiquement et directement l'organisation mère étasunienne à cause de ses liens radicaux et des condamnations pour actes de terrorisme reliés à cette organisation. Certains ont mentionné que le NCCM/CAIR-CAN semblait réticent à divulguer ses états financiers et autres registres susceptibles d'expliquer ses liens avec le CAIR à Washington, notamment. D'autres s'inquiètent de la tendance qu'aurait cette organisation à diffuser un message déformé qui sème la discorde à un moment où nombreux sont ceux qui s'inquiètent du risque d'aliéner la jeunesse musulmane.
    Le caractère authentique du souci de défendre la liberté civile qui animerait le NCCM/CAIR-CAN a été mis en doute par le rôle qu'a joué le CAIR-CAN au cours des années 2000 dans ce que l'on a appelé une campagne d'attaques pour libelle lancée par ce groupe et par l'organisation mère dans le but d'empêcher les médias de poser des questions à leurs sujets, en intentant de nombreuses poursuites pour libelle diffamatoire. Je vous invite à examiner l'analyse qu'a effectuée Daniel Pipe intitulée « La judiciarisation croissante du CAIR ». Il semble que le contrecoup subi sur le plan des relations publiques ait obligé le NCCM/CAIR-CAN et le CAIR à se désister eux-mêmes de leurs poursuites pour libelle et de renoncer à toute « guérilla judiciaire » du moins pour le moment. Comme cela a été mentionné dans la revue Maclean's, j'ai été un des commentateurs et défendeurs des libertés civiles qui a été poursuivi pour libelle; j'ai lutté pour défendre le droit d'exercer de façon responsable les droits garantis par l'article 2 de la Charte — et liberté d'expression et de la presse — et j'ai obligé le CAIR-CAN/NCCM à se désister de ses poursuites, sans avoir eu à m'excuser ou à verser quoi que ce soit.
    En 2014, le NCCM/CAIR-CAN et la Islamic Social Services Association, ISSA — cette dernière étant dirigée par Shahina Siddiqui, membre du conseil du NCCM/CAIR-CAN — a préparé ce qui a été appelé un manuel de lutte contre la radicalisation, « Tous contre le terrorisme ». Mais la GRC qui avait préparé un chapitre de cette brochure s'est retirée du projet en raison des aspects « conflictuels» de certaines parties du document. Le choix des érudits musulmans recommandés dans cette brochure a également fait l'objet de critiques, parce que certains pouvaient être qualifiés d'érudits les plus radicaux du continent.
    Un des nombreux exemples est M. Jamal Badawi, un Canadien né en Égypte qui a été décrit comme un dirigeant international des Frères musulmans; c'est un conspirateur non accusé étasunien qui aurait apparemment préconisé l'infliction de punitions physiques aux femmes et qui est en faveur de la polygamie. Badawa a été pendant des années un des représentants du CAIR-CAN. La brochure recommandait également Siraj Wahhaj, dont le nom figurait sur la liste du gouvernement américain des conspirateurs non accusés reliés à l'attentat à la bombe du World Trade Center de 1993 et qui aurait également fait des déclarations extrémistes. L'auteur de ces recommandations, l'imam Zaid Shakir, a été condamné pour ses positions idéologiques par le dirigeant modéré américain M. Zuhdi Jasser, qui a comparu devant votre comité et la Ligue anti-diffamation.
    Malgré le fait que la GRC se soit retirée du projet, j'ai entendu récemment dire que cette brochure était toujours distribuée dans les foyers à l'étranger et que le nom de la GRC apparaissait toujours sur la couverture — une situation assez troublante.
    Pour en revenir au présent, je pense que l'éclairage personnel que je donne à ce dossier permettra de mieux apprécier l'allégation qu'a faite le NCCM devant le comité selon laquelle le questionnement de l'organisation constitue du « Maccarthisme ». J'espère que mon analyse aidera le comité et les Canadiens en général à mieux apprécier les témoignages entendus.
    Je suis prêt à répondre à vos questions.
    Merci.

  (0855)  

    Très bien. Merci monsieur Harris.
    Nous allons passer à Mme Nawaz. Vous avez la parole.
    Merci. Bonjour monsieur le président et bonjour aux membres du comité. Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui. J'aimerais vous remercier de m'avoir invitée à participer à cette étude très importante du projet de loi C-51, mais personne ne vous sera plus reconnaissant que mes deux fils parce que c'est l'époque des rencontres parents-enseignants à Regina, Saskatchewan et que mes garçons ont eu un sursis inattendu. Je dois toutefois dire au comité que dès que je rentrerai chez moi, je prendrai de nouveau rendez-vous avez leur professeur. Je ne suis pas venue ici pour vous parler de mes problèmes familiaux, mais pour vous parler de mes sentiments au sujet du projet de loi C-51.
    Le discours négatif qui entoure le projet de loi C-51 et la place que le gouvernement actuel souhaite accorder aux musulmans au Canada m'inquiètent. Permettez-moi de vous parler un peu de mon expérience, même si vous avez sans doute déjà deviné que je suis ni une avocate ni une universitaire. Je suis principalement connue au Canada comme étant la créatrice de la série télévisée Little Mosque on the Prairie (La petite mosquée dans la Prairie) et je suis maintenant l'auteure de Laughing All the Way to the Mosque (Le bonheur est dans la mosquée), une série tirée de mon vécu de musulmane qui a grandi au Canada. J'ai beaucoup réfléchi, écrit et créé des oeuvres traitant de ce qu'est être une Canadienne de religion musulmane.
    Il y a quelques semaines, j'étais en France et je parlais avec mon éditrice française dans un café à Paris. Elle m'a demandé pourquoi je me présentais toujours comme une Canadienne. La question m'a prise au dépourvu. Je lui ai demandé où elle voulait en venir. Elle m'a répondu qu'elle n'avait jamais rencontré une musulmane qui était aussi farouchement loyale à son pays, et elle voulait savoir comment le Canada avait réussi à susciter une telle passion chez ses citoyens. La question m'a prise au dépourvu. Je ne savais pas que je laissais transparaître une ferveur canadienne aussi forte; c'était presque anti-Canadien. Je dois vous avouer que je ne m'étais jamais demandé pourquoi j'aimais tant le Canada. Je ne suis même pas née au Canada.
    Je suis née à Liverpool, en Angleterre, où mon père était un ingénieur civil qui travaillait sur les tunnels de la Mersey. J'avais cinq ans lorsque des agents recruteurs canadiens ont essayé de convaincre mon père d'emmener sa famille au Canada et lui ont promis une vie meilleure. Il vivait bien en Angleterre et avait un bon travail, mais il y avait quelque chose dans le zèle incroyable qu'ils ont déployé pour l'amener à considérer que le Canada pourrait devenir son pays qui l'a touché. Ma mère en avait assez de la pluie anglaise, qui aggravait son asthme, de sorte qu'elle a dit « oui ». À l'exception des Premières Nations, qui sont les seuls peuples indigènes de ce grand pays, notre famille, comme toutes les autres familles canadiennes qui sont ici aujourd'hui, a quitté sa maison et est venue au Canada. Nous avons contribué à la riche histoire de l'immigration musulmane qui a commencé l'année de la fondation du Canada en 1867. À l'époque, les musulmans étaient des agriculteurs et des commerçants de fourrure qui se sont établis dans l'ouest du Canada, principalement en Alberta, province où la première mosquée a été construite en 1938 et qui se trouve maintenant au musée du parc du Fort Edmonton, que j'ai eu l'honneur de visiter il y a quelques mois.
    Nous nous sommes établis à Brampton, en Ontario. Mon père faisait partie de l'équipe d'ingénieurs qui a construit la Tour du CN à Toronto dans les années 1980. Dans ma jeunesse, j'étais très sensible au fait que ma famille et moi faisions partie des quelque 250 000 immigrants dont le Canada avait besoin d'accueillir chaque année pour préserver une saine assiette fiscale, s'il voulait survivre comme pays. Même toute petite, je me posais des questions au sujet du ministre de l'Immigration et du ministre du Revenu. Est-ce qu'ils travaillaient tard le soir parce qu'ils s'inquiétaient de la situation? Imaginaient-ils ajouter des drogues fertilisantes dans nos conduites d'eau potable pour élargir l'assiette fiscale? Comme beaucoup de Canadiens qui amènent leurs enfants à l'église, à la synagogue ou dans un temple, mes parents nous amenaient à la mosquée pour nous faire connaître l'islam. Nous allions dans une mosquée de Toronto qui était une église transformée, de sorte que dans mon esprit, les mosquées étaient essentiellement des églises dont on avait retiré les bancs. Même aujourd'hui, je ne suis pas à l'aise dans une mosquée s'il n'y a pas de jubé pour le choeur ni de vitraux où figurent des croix. Dès mon enfance, la culture canadienne et la culture musulmane ont fusionné dans mon esprit.
    Par la suite, au cours des années 1990, j'ai commencé à porter le hijab. Je faisais partie d'une des premières vagues de musulmanes canadiennes à le faire. Mes professeurs étaient un peu inquiets de ce zèle religieux tout nouveau, mais dans l'ensemble, on ne s'occupait pas de moi et j'ai pu pratiquer ma foi comme je l'entendais. À cette époque, personne ne se souciait de la façon dont vous vous habilliez, si vous ne portiez pas atteinte aux droits des autres. Il était possible d'assister à la cérémonie de la citoyenneté en portant une mitre papale ou un niqab incrusté de diamants, car le ministre de l'Immigration ne se souciait aucunement de ces choses à l'époque — même si le ministre du Revenu aurait bien aimé savoir d'où venaient ces diamants et s'ils avaient été taxés correctement.
     Les droits de la personne, le pluralisme, la démocratie et le féminisme ont alimenté mon éducation religieuse et culturelle. J'ai regardé le documentaire Half the Kingdom (La moitié du Royaume) fait par des féministes juives canadiennes au sujet du sexisme dans les synagogues, et j'ai pensé que, si les Juives pouvaient fièrement défendre leur foi tout en critiquant les pratiques patriarcales associées, alors je pouvais le faire moi aussi. J'ai suivi leurs traces et j'ai tourné le documentaire Me and the Mosque (Moi et la mosquée) qui traitait des pratiques semblables que l'on retrouvait dans ma communauté. Deux ans plus tard, j'ai lancé une série de programmes de télévision au Banff Television Festival au sujet d'un avocat de Toronto qui renonce à une carrière lucrative d'avocat à Bay Street pour devenir l'imam sans le sou d'une pauvre mosquée qui louait des locaux dans une église encore plus pauvre. Une mosquée abritée par une église a été l'aspect le plus marquant de ma vie de jeune Canadienne.

  (0900)  

    Little Mosque on the Prairie (La petite mosquée dans la Prairie) est devenue le succès le plus inattendu qu'on ait jamais enregistré sur les ondes canadiennes. Le monde entier s'est intéressé à la première de l'émission. Je me suis inspirée de ce que j'avais vécu dans ma jeunesse et de ma conception de ma foi à travers le prisme des droits de la personne au Canada, de la lutte contre l'islamophobie ambiante et des difficultés qu'éprouvait le patriarcat au sein de cette religion.
    Aujourd'hui, La petite mosquée est diffusée dans plus de 60 marchés dans le monde entier. Au cours des années, j'ai connu des journalistes de l'étranger qui regardaient fascinés cette émission. J'ai compris plus tard que cette émission reflétait en fait l'essence du Canada et le succès du multiculturalisme. Nous sommes un pays qui a invité des gens de toutes les races, de tous les groupes ethniques et religieux et nous avons construit une société qui valorise le droit de chaque personne de vivre sa vie à sa façon, tout en étant une partie dynamique du tissu canadien. Autrement dit, le monde a été fasciné par ce que le Canada fait bien et que tant de pays font mal.
    Nous sommes un pays d'immigrants depuis les Chinois et les Asiatiques du Sud jusqu'aux Ukrainiens, aux Italiens, qui ont construit littéralement le Canada à partir de rien, chaque vague de nouveaux arrivants s'appuyant sur la contribution de la vague précédente. Le succès rencontré par chacun des groupes a profité à tous.
    Les gens me demandent si le fait d'être musulmane m'a nui au Canada, mais je réponds toujours que je me suis toujours sentie aimée et chérie par mon pays. Même après le 11 septembre, à Regina, à Saskatchewan, une femme âgée m'a pris la main pendant que je faisais des achats et m'a dit « Ne vous reprochez pas ce qui est arrivé; ce n'est pas votre faute ». Ces sentiments d'affection et d'appartenance m'ont aidée à surmonter les moments très difficiles où j'ai pensé que le monde entier en voulait à ma communauté pour un crime qu'avait commis un groupe d'extrémistes violents qui prétendaient représenter ma foi.
    Mais ces derniers mois, mon mari et moi avons commencé à nous inquiéter du discours négatif que faisait le gouvernement au sujet des musulmans au Canada et de ce que cela voulait dire pour nous. Je crains que certains sentiments aient commencé à effilocher le tissu de notre nation. Je m'inquiète de ce qu'un enfant dont la mère porte le niqab ressentira lorsqu'il entendra son premier ministre parler d'elle, en des termes aussi irrespectueux.
    Malala Yousafzai, qui a reçu le Prix Nobel de la paix et qui est une citoyenne canadienne honoraire, a également une mère qui porte le niqab. Serait-elle bien accueillie ici?
    Cela ne correspond pas aux Canadiens que nous sommes. Cela va contre notre croyance fondamentale dans les valeurs canadiennes. Cela correspond tout à fait au discours des extrémistes internationaux qui veulent que les musulmans se sentent aliénés de la société, qu'ils sentent qu'ils ne sont pas désirés et n'ont rien à faire ici.
    Pour lutter contre ce sentiment d'aliénation, toutes les mosquées du Canada invitent leurs membres à ne pas se laisser influencer par ces sentiments islamophobes et à continuer d'être des citoyens actifs qui participent et contribuent à la société, font du bénévolat, et font ce qu'ils peuvent pour assurer la sécurité du Canada. Comme citoyens, nous sommes prêts à collaborer avec la GRC et nos services de police et à appliquer les lois en vigueur. Des citoyens engagés seront toujours la meilleure défense contre le terrorisme et la radicalisation qui mène à la violence criminelle.
    En tant que communauté, nous faisons tout ce que nous pouvons pour lutter contre l'impression que tout à coup nous représentons un problème pour le Canada; mais cela m'inquiète. Je suis mère, j'ai quatre enfants, deux filles. Une étudie en France et ne m'appelle pas assez souvent. L'autre est maître nageuse et monitrice de natation. Elle a subi une commotion la semaine dernière en jouant au rugby pour l'équipe de l'Université de Regina et elle n'écoute pas ses parents qui lui conseillent de s'arrêter pour que son cerveau guérisse bien.
    J'ai deux garçons qui fréquentent la Campbell High School et qui jouent beaucoup trop aux jeux vidéo et qui devraient mieux nettoyer les salles de bain de la maison. Il y en a un qui vient d'avoir 16 ans, ce qui veut dire que je dois passer le rite de passage que tous les parents craignent — risquer ma vie sur les routes canadiennes pour lui apprendre à conduire.
    Mon mari travaille comme psychiatre, spécialiste des enfants et des adolescents, dans les services de santé mentale de Regina. Son père s'est établi à Regina, en Saskatchewan, il y a plus de 40 ans comme chirurgien oto-rhino-laryngologiste. Il a fondé la première mosquée de la Saskatchewan où mes enfants ont suivi toutes les fins de semaine les redoutables leçons d'arabe.
    Mon mari et moi nous nous inquiétons du coût des études universitaires de nos quatre enfants, dont deux ont déjà commencé ces études. Nous nous inquiétons de ce qui va arriver à l'économie des provinces de l'Ouest avec la baisse du prix du pétrole. Nous nous inquiétons des milliers de femmes autochtones qui ont été assassinées et dont les meurtres n'ont jamais été résolus. Je m'inquiète du fait que la violence familiale tue davantage de femmes au Canada que tous les policiers et pompiers combinés. Je me dis que je ne fais pas suffisamment de recyclage et que je contribue à la croissance de l'île de plastiques qui se forme quelque part dans le Pacifique. Et je m'inquiète de l'effet qu'aura le projet de loi C-51 sur notre pays.
    Une communauté musulmane saine et dynamique est la meilleure défense contre le terrorisme et la radicalisation qui favorise la violence criminelle, mais le projet de loi C-51 compromet tout cela. Aggraver la marginalisation des musulmans et attiser l'hystérie islamophobe n'est pas la solution. Il nous faut travailler ensemble, à tous les paliers de la société, dans le respect mutuel et la collaboration. Il faut que les mosquées participent davantage à la création d'un filet de sécurité sociale dans leurs collectivités pour que nous puissions plus facilement aider les plus vulnérables d'entre nous.

  (0905)  

    Les musulmans ont beaucoup apporté à ce grand pays et continueront à être une force vitale au cours des prochaines élections; le sentiment d'appartenance est toutefois un élément essentiel à la réussite d'une société civile. C'est ce qui manque en Europe. J'y ai vu une population musulmane découragée qui sait qu'elle n'est ni désirée, ni acceptée. J'ai grandi comme une citoyenne canadienne dynamique qui aime son pays, qui aime sa religion et qui n'a jamais été obligée de choisir entre les deux — c'est ce que j'ai dit à mon éditrice française.
    Je vous remercie.
    Merci, madame Nawaz.
    Si cela peut vous rassurer, je peux vous dire que le comité a entendu de nombreux témoignages concernant les différences importantes entre les musulmans, l'islam et l'islamisme. C'est une différence énorme et je vous remercie d'avoir présenté votre point de vue aujourd'hui.
    Nous allons maintenant donner la parole à M. Boisvert.

[Français]

     Je vous remercie beaucoup de l'occasion que vous me donnez de vous parler du projet de loi C-51.

[Traduction]

    J'ai quitté le SCRS où j'occupais le poste de directeur adjoint du renseignement il y a près de trois ans. J'y avais travaillé pendant près de 30 ans comme agent de renseignement, directeur de service et membre de la haute direction.

[Français]

    Au cours de ces 30 années, j'ai été un témoin privilégié de la croissance du service et de son adaptation aux menaces qui n'ont cessé d'émerger en cette époque tumultueuse.

[Traduction]

    Au début, lorsque je suis entré au SCRS, en 1984, il s'agissait essentiellement de la guerre froide. C'était la recherche d'espions et d'agents apparemment subversifs. Parallèlement, il y avait aussi le terrorisme basé sur le territoire national, celui que reflétaient les événements des extrémistes sikhs et arméniens au cours des années 1980.
    Au cours de la première décennie, j'ai également assisté à l'arrivée de la violence du Hezbollah chiite contre l'Occident, en particulier dans des pays comme le Liban et par la suite, à l'apparition de groupes de milice de droite aux États-Unis ainsi que des tenants de la suprématie blanche au Canada au cours des années 1990, et bien sûr, dans toute l'Europe de nos jours. J'ai ensuite été aux premières loges lorsqu'est apparue une nouvelle forme de terrorisme politique et religieux relié à l'extrémiste sunnite, celui d'al-Qaïda, avec ses multiples manifestations, qu'il s'agisse de l'AQ ou al-Qaïda, de groupes affiliés ou de la perversion actuelle connue sous le nom d'État islamique.

[Français]

    Au fil de ma longue carrière au sein de la sécurité nationale, notamment dans mon rôle de directeur général du principal groupe s'occupant de contre-terrorisme au SCRS, jamais je n'ai observé une telle intensité des menaces qui pèsent sur nous à l'échelle mondiale. Jamais, en effet, n'avons-nous été confrontés à des menaces aussi variées, aussi graves et aussi complexes.

[Traduction]

    Je vais centrer mes commentaires sur le contre-terrorisme, mais je serai fautif de ne pas attirer l'attention des membres du comité sur le fait que les menaces actuelles ne se limitent absolument pas à celles d'al-Qaïda et de l'État islamique ou à la radicalisation des jeunes sur notre territoire. En premier lieu, il y a le cyberterrorisme, qui a un effet important sur notre prospérité future, qui va du vol de propriété intellectuelle jusqu'au ciblage de nos infrastructures essentielles. À mon avis, nous ne sommes pas encore bien défendus contre cette menace.

[Français]

    Par ailleurs, comme nous le voyons dans certains dossiers chauds, comme celui de l'Ukraine, il nous faut aussi composer avec la résurgence d'une très importante menace « à la soviétique ». La guerre hybride de faible intensité menée contre l'Occident par le régime totalitaire en Russie n'a rien d'inoffensif. Je me permets même d'ajouter qu'elle est probablement, parmi tous les dangers qui nous menacent, le risque le plus négligé et le plus sous-estimé.

  (0910)  

[Traduction]

    La question de la prolifération nucléaire se pose encore une fois de façon très inquiétante parce qu'elle pourrait prendre la forme d'une nouvelle course aux armements au Moyen-Orient dans le but d'acquérir la capacité d'Israël ou d'obtenir les armes que souhaite avoir l'Iran. Et la montée en puissance de la Chine, qu'elle prenne la forme d'interventions à l'étranger, de la transformation permanente de son armée ou de ses nouveaux investissements officiels dans un programme agressif de cyber-espionnage pluri-secteurs?
    Je mentionne tous ces aspects pour bien montrer que les améliorations proposées avec le projet de loi C-51, et en particulier, celles qui touchent la Loi sur le SCRS, ne doivent pas être considérées comme renforçant exclusivement les programmes canadiens de lutte contre le terrorisme.

[Français]

    À mon avis, le climat mondial n'a jamais été aussi menaçant depuis les années troubles qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Le moment me paraît donc particulièrement bien choisi pour réviser en profondeur les lois canadiennes en matière de sécurité. Je suis convaincu que notre pays doit être en mesure de comprendre clairement les enjeux et de réagir efficacement sur de multiples fronts.

[Traduction]

    Maintenant, permettez-moi de revenir sur la question principale de la menace croissante du terrorisme dans le XXIe siècle. Sans aucun doute, la lutte sera à long terme pour vaincre cette nouvelle variante du terrorisme. Comme mesure préventive, permettez-moi de dire que nous ne devons pas laisser que cela soit affiché ou articulé comme un défi impliquant une religion particulière, car ce n’est pas le cas. Basé sur mon expérience professionnelle, je peux dire que c’est une lutte contre une idéologie politique/religieux qui a tout l'ADN des mouvements fascistes qui ont généralement comblé un vide social et économique à travers l'histoire. Cependant, c’est un champ de bataille où une combinaison de l'investissement social, de la diplomatie, de l’application de la loi, des opérations de renseignement, et de capacité militaire sera nécessaire pour que nous réussissions.

[Français]

     Il est encore plus important cependant d'éviter les mesures contre-productives et de ne pas laisser les extrémistes gagner la guerre de l'opinion publique en convainquant les gens que nous nous trouvons bien au coeur d'une guerre entre l'Occident et l'islam.

[Traduction]

    L'histoire et le contexte sont des aspects importants, mais les faits le sont aussi. Comme l'a récemment fait remarquer un rapport du Department of Homeland Security, DHS, on a enregistré entre 2007 et 2010, près de 200 attentats reliés à l'AQ et à l'ISIS dans le monde entier. Les statistiques de 2013 émanant du DHS montrent qu'il y a eu 600 attentats de ce genre reliés à ces mêmes organisations.

[Français]

    Il va de soi que la multiplication par trois du nombre d'attaques liées à Al-Qaïda n'a rien d'encourageant. Le meurtre tragique de 23 personnes à Tunis, surtout des tourismes européens, est un autre exemple frappant de la difficulté d'assurer la sécurité d'une société, quelle qu'elle soit, devant ce genre de terreur aveugle.

[Traduction]

    Je travaillais pour le SCRS au cours de la décennie qui vient de s'achever, mais je peux confirmer que nous avions constaté que la mondialisation qui touchait les communications, la production et l'industrie des services s'appliquait de la même façon au terrorisme. Vous devriez donc être conscients du fait que nous avons élaboré dans ce contexte des principes opérationnels correspondant à cette réalité. La nouvelle approche consiste pour l'essentiel à lutter contre les menaces où qu'elles puissent apparaître. C'était l'aspect essentiel qui nous a d'ailleurs permis d'écarter un certain nombre de menaces qui visaient les Canadiens tant sur leur sol qu'à l'étranger.

[Français]

    Malgré ces succès, pendant mon mandat à l'un des postes de responsabilité les plus élevés dans la lutte contre le terrorisme international, je n'ai que rarement pu offrir indirectement aux Canadiens un niveau élevé de protection. Vous vous demandez peut-être pourquoi. La réponse est pourtant simple. Chaque jour qui passe, de nouvelles situations se présentent et de nouveaux scénarios inédits émergent, et les problèmes qui les accompagnent ne sont jamais simples à résoudre. Ensuite, les auteurs des menaces contre lesquelles nous luttons apprennent et innovent au même rythme que nous.

[Traduction]

    Tout comme les biologistes doivent lutter pour circonscrire les bactéries qui résistent aux drogues, les individus et les entités nuisibles apprennent et s'adaptent au nouvel environnement de menaces. Les auteurs de menace vont à l'école, comme ils disent, en relisant la transcription des procès, en écoutant les nouvelles, en étudiant les divulgations procédurales ou grâce aux secrets du métier dérobés comme ceux qu'aurait diffusés dans le monde entier Edward Snowden. Le défi permanent que pose la sécurité au Canada vient du fait que la plupart des organisations terroristes ont modifié leurs stratégies et sont passées de complots complexes visant à causer des atrocités considérables à de petites attaques bien souvent individualisées, connues d'une façon générale comme celles de loups solitaires.

[Français]

    Il s'ensuit que les possibilités de détection des attaques et la fenêtre d'intervention entre la planification d'une attaque et l'attaque comme telle n'ont cessé de réduire dans les cinq dernières années. Les délais de réaction sont de plus en plus courts et les possibilités de contrecarrer les plans des fauteurs de trouble, de plus en plus réduites.
    Finalement, lorsque j'étais en poste, mes craintes venaient souvent du fait que le coffre d'outils à notre disposition était très limité par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

[Traduction]

    Les règles en matière de divulgation de l'information en vigueur ont bloqué la transmission de renseignements potentiellement importants. D'autres obstacles ont nui au transfert de renseignements du SCRS à la GRC pour que celle-ci puisse intervenir.
    Surtout, il y avait le fait que la Loi sur le SCRS de 1984 qui avait été créée pour faire face aux menaces de la guerre froide qui faisaient l'objet d'enquêtes pendant des années pour réunir peu à peu des renseignements, est tout d'un coup devenue anachronique. Le fait d'être limité à « recueillir, analyser et faire rapport » sur les menaces à la sécurité nationale, comme l'énonce actuellement l'article 12 de la Loi, a immédiatement bloqué notre capacité d'intervenir au moyen de mesures d'interdiction peu coûteuses, créatrices et de faibles répercussions. Autrement dit, les activités de réduction des menaces.

  (0915)  

[Français]

    Pour vous donner les moyens de mieux étayer votre réflexion, sachez qu'il existe de nombreuses idées reçues sur la manière dont les organismes ou les organisations de sécurité du monde arrivent à contrer efficacement les menaces qui pèsent sur la société ou sur un groupe de pays partageant certaines valeurs.
    En termes simples, je dirais que la sécurité est tout autant un art qu'une science exacte, et probablement davantage un art qu'autre chose.

[Traduction]

    La lutte contre le terrorisme consiste à apprécier des risques. Il ne s'agit pas, comme certains l'espèrent, de prévoir l'avenir. Avec les progrès constants de l'analytique, les analystes et les équipes d'intervention ont certes modifié cette dynamique. Le contre-terrorisme est pluridimensionnel. Il s'agit de détection avancée, d'évaluation des risques de frappe, l'allocation des ressources dans ce domaine et la conciliation des nombreuses considérations juridiques et générales susceptibles de s'y appliquer.
    En outre, et c'est là où le volet gestion du risque s'applique vraiment au contre-terrorisme, il y a le fait que les équipes qui travaillent dans ce domaine doivent continuellement réviser leurs cibles dans le cadre d'un processus qui pose des défis constants à leur jugement dans chaque affaire. Cela se fait pratiquement tous les jours.
    À mon avis, nous avons été bons mais nous avons aussi eu de la chance. Le premier résultat découle presque toujours du travail effectué et des actions prises. Je crains toutefois que, sans une transformation radicale du cadre de la lutte contre le terrorisme, le Canada prenne du retard et nous n'aurons pas toujours de la chance.

[Français]

     Les critiques ont jusqu'à maintenant convaincu un segment important de la population que nos mesures sont dangereuses et inutiles. Je ne suis pas d'accord sur ce point de vue et je rejette l'argument de la « pente glissante », car mes 30 ans d'expérience sur le terrain m'ont démontré que les valeurs fondamentales des Canadiens, par exemple le respect des droits de la personne, sont beaucoup moins menacées que nos intérêts, qui sont exposés à une foule d'actes malicieux.

[Traduction]

    Monsieur Boisvert, pouvez-vous conclure, s'il vous plaît.
    Certainement.
    Depuis la création du service que constitue le SCRS, celui-ci a fait l'objet de nombreux examens et j'aimerais ajouter que ses pairs considèrent qu'il s'agit là d'une organisation de premier rang grâce à ces examens et non malgré eux. C'est pourquoi je suis profondément convaincu qu'à l'âge des responsabilités qui est le nôtre, les agences et leurs équipes de direction doivent rendre des comptes.
    Elles doivent expliquer ce qu'elles font, pourquoi leurs actions sont nécessaires et si possible, d'une façon générale, décrire où et quand elles ont pris des mesures pour le compte des Canadiens. De plus, même si cela ne devrait se faire que dans des circonstances très rares et circonscrites, elles devraient également parler de leur mode d'opérations.
    Je suis désolé, monsieur Boisvert, mais vous avez largement dépassé votre temps de parole. Je vais devoir vous interrompre ici. Je suis tout à fait désolé, mais nous sommes déjà dans la partie de la séance réservée aux questions et réponses.
    J'ai livré l'essentiel de mon exposé.
    Cela vous convient donc de vous arrêter maintenant?
    Tout à fait.
    Je vous en remercie.
    Nous allons maintenant passer aux tours de questions.
    Nous allons commencer par M. Falk.
    Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins d'être venus ce matin. J'ai déjà eu une rencontre agréable ce matin avec Mme Nawaz. Elle m'a dit qu'elle n'était pas comédienne, comme cela est mentionné dans mes notes, mais la créatrice d'une série télévisée.
    M. Harris et M. Boisvert, je tiens à vous remercier du travail que vous effectuez pour protéger le Canada dans les différents organismes de sécurité auxquelles vous avez participé activement.
    M. Harris, je tiens également à vous remercier de vos commentaires qui précisent le témoignage qui a été rendu par un témoin précédent représentant le NCCM et aussi, les précisions que vous avez apportées au sujet du CAIR. Je suis quelque peu surpris de l'intolérance manifestée par mes collègues du NPD de l'autre côté de la table pour ce qui est de la recherche de la vérité et de la constatation des faits, alors que parallèlement, ils font preuve d'une grande tolérance à l'égard d'un témoin qui a lancé une attaque personnelle contre un parlementaire. Cela me paraît très bizarre. C'est pourquoi je voulais vous remercier des précisions que vous avez apportées ici ce matin.
    Nous avons entendu de nombreux membres de la communauté musulmane; un des commentaires que nous avons entendus hier celui de M. Zuhdi Jasser, le président de l'American Islamic Forum for Democracy m'a frappé. Je l'ai noté parce que j'ai pensé qu'il le méritait et je veux simplement le répéter. Il a déclaré « Tous les musulmans ne sont pas des islamistes, mais tous les islamistes radicaux sont musulmans ».
    Voilà qui est intéressant. Le comité a entendu de nombreux membres de la communauté musulmane affirmer que ce projet de loi n'allait pas suffisamment loin et qui étaient très inquiets de la radicalisation, en particulier celle des jeunes membres de leur communauté, et qui s'inquiétaient du fait que cela ne représentait pas du tout l'ensemble de la communauté musulmane.
    Lorsque j'examine notre projet de loi, je constate qu'il ne parle ni de race, ni culture, ni de religion. Le projet de loi parle d'antiterrorisme et il ne définit pas lui-même ces différentes notions.
    D'après l'expérience des organismes de sécurité que vous avez acquise pendant que vous travailliez pour le SCRC, pourriez-vous faire quelques commentaires au sujet des pouvoirs en matière de perturbation des activités terroristes qu'accorde ce projet de loi?
    Monsieur Harris, j'aimerais vous demander de commencer.

  (0920)  

    Merci, monsieur.
    Je crois que les pouvoirs en matière de perturbation, tels qu'ils sont décrits dans le projet de loi, sont nécessaires. Comme je l'ai mentionné plus tôt, ils offrent des alternatives à faible coût, comme l'a joliment formulé M. Boisvert. Ils peuvent jouer un rôle très important parce qu'ils permettent d'intervenir directement lorsqu'apparaît un risque.
    Je ne peux pas m'empêcher de penser au décès de l'adjudant Patrice Vincent de Saint-Jean-sur-Richelieu. On a déployé, comme vous vous en souvenez peut-être, monsieur le président, beaucoup d'efforts, apparemment en vain, pour contrôler l'auteur de cet attentat. Je crois que la GRC a fait venir quelques musulmans qui ont essayé d'intervenir, il y avait peut-être un imam, et d'autres. En fin de compte, nous connaissons tous quel a été le résultat. Ce résultat aurait peut-être été le même si nous avions disposé de moyens de perturber son action; il y aurait peut-être eu des engagements de ne pas troubler l'ordre public avec le nouveau projet de loi. C'est difficile à dire.
    Lorsqu'il s'agit de mesures de perturbation, il serait très important que le système soit en mesure de suivre l'exécution des activités et des opérations de perturbation, tel qu'autorisé par un mandat fédéral, comme je crois le prévoit ce projet de loi. Je ne suis pas tout à fait sûr que nous disposions de mécanismes de suivi, mais j'estime que nous pourrons probablement en élaborer.
    Très bien. Merci, monsieur Harris.
     Monsieur Boisvert, vous avez parlé de différents types de menaces. Vous avez parlé des cybermenaces et de l'efficacité des interventions. Pensez-vous que les mesures que contient le projet de loi C-51 permettront de lutter contre les menaces auxquelles vous avez fait allusion?
    Il offre certainement des possibilités, parce que certains des acteurs étatiques, certains des pays qui appuient le terrorisme international, représentent également les menaces les plus graves en matière de prolifération d'armes de destruction massive, par exemple, d'armes chimiques et d'autres armes conventionnelles.
    Il y a finalement l'idée qu'en renforçant nos capacités, en donnant par exemple davantage de possibilités au SCRS pour qu'il fasse preuve de créativité dans ses activités d'enquête, cela pourrait modifier complètement la situation. Comme je l'ai mentionné dans mes commentaires, le SCRS a été créé à l'époque de la guerre froide. Notre action était centrée sur des opérations de contre-espionnage — une action à long terme. Bien souvent, un agent de renseignement arrivait de l'Union soviétique et il nous fallait quatre ans pour décider si cette personne était vraiment ou non un agent de renseignement. Avec les menaces actuelles, il faut parfois agir en quelques semaines, en quelques jours, et parfois, en quelques heures. Et il arrive aussi que la menace soit très difficile à repérer et à évaluer sur l'échelle des menaces.
    C'est pourquoi la mission actuelle du SCRS consiste uniquement à recueillir des renseignements, à les analyser et à fournir des conseils. Lorsqu'il est nécessaire de faire intervenir un organisme d'application de la loi comme la GRC ou l'ASFC, il faut déployer beaucoup d'efforts selon un processus long et détaillé pour que ces renseignements soient utilisables par ces agences. J'ai participé à l'enquête sur les 18 de Toronto et aux accusations de terrorisme portées par la suite. J'ai travaillé pour la GRC comme directeur général du contre-terrorisme. Je peux vous dire que c'est une chorégraphie très complexe.
    Ce projet de loi donnera au SCRS la possibilité d'intervenir directement à l'égard de ces menaces, sans avoir à respecter cette chorégraphie.
    Plus rapidement...
    Oui.
    Vous avez également parlé des cybermenaces et j'aimerais que vous nous en disiez davantage, sans parler des questions opérationnelles qui s'y rattachent. Pourriez-vous nous dire quelle est l'importance et la gravité des cybermenaces actuelles, et peut-être dire quelques mots des menaces associées aux médias sociaux? Nous avons entendu beaucoup parler du fait que les médias sociaux étaient un des outils utilisés par les extrémistes pour radicaliser les individus.

  (0925)  

    Je suis désolé, monsieur Boisvert, mais il ne nous reste que 30 secondes pour la réponse.
    Vous savez que j'aurai beaucoup de mal à être bref.
    Je le sais, monsieur.
    Les cybermenaces sont une des questions qu'il convient probablement d'aborder par rapport à celle de la radicalisation, parce que je pense vraiment que c'est ce dont parle le projet de loi C-51.
    Il est extrêmement important de lutter contre les messages haineux. Je ne reproche pas à Internet la radicalisation, mais je considère que c'est là un vecteur très important pour toutes ces activités. Le problème est que c'est un problème mondial, il est amorphe et omniprésent. L'Internet est partout.
    Le projet de loi aura une utilité certaine lorsque le contenu est entreposé au Canada. Il offre un outil très efficace pour retirer ce matériel de l'Internet. Lorsque les serveurs sont situés dans d'autres régions du monde, dans d'autres pays, il serait très, très difficile de le faire. Il faudra alors peut-être prendre d'autres mesures actives pour supprimer ces données — peut-être rendre le serveur inutilisable — il y a ensuite les difficultés que pose ce genre de mesures.
    Je vous remercie.
     Passons maintenant à M. Rousseau, please.

[Français]

    Tout d'abord, j'aimerais vous remercier d'être parmi nous et vous dire que c'est un honneur de vous recevoir, madame Nawaz.
    Il est extrêmement enrichissant de vous entendre parler des valeurs familiales, sociales et environnementales que partagent un très grand nombre de Canadiens et de Canadiennes, d'un océan à l'autre. C'est l'exemple parfait du Canada multiculturel dont rêvent bon nombre d'acteurs politiques, économiques et culturels depuis de nombreuses décennies.
    Nous avons entendu plusieurs témoignages depuis qu'ont eu lieu les attentats à Saint-Jean-sur-Richelieu et ici, sur la Colline parlementaire. Un des points les plus importants à être ressortis est qu'il fallait combattre la radicalisation. Il semble en effet que combattre la radicalisation soit une clé pour éradiquer bon nombre de problèmes entourant certains individus.
     Vous êtes une leader dans votre communauté. Quelle est la situation, présentement, dans votre communauté musulmane en Saskatchewan? De quels outils auriez-vous besoin pour aider votre communauté à combattre cette radicalisation?

[Traduction]

    Merci. Il est intéressant que vous ayez posé cette question.
    En fait, nous sommes jeudi, de sorte que samedi, dimanche et lundi, nous avons organisé des activités pendant ces trois jours dans notre mosquée, en Saskatchewan.
    Une journée, le samedi, est réservée aux membres de notre communauté qui ne sont pas musulmans, au gouvernement, aux services sociaux et aux universités ainsi qu'au système scolaire pour qu'ils viennent nous parler de ce qui les préoccupe au sujet de la communauté musulmane. Nous leur offrons un atelier d'une journée entière, consacré aux éléments éducatifs des besoins de la communauté musulmane et des façons de collaborer et de travailler de concert. Nous avons organisé un atelier d'une journée pour le samedi.
    Le dimanche, nous organisons une assemblée publique pour la communauté musulmane pour que les gens puissent parler ouvertement et sincèrement de toutes les préoccupations que les parents ou les membres de la communauté ont au sujet de leurs enfants. Nous voulons que tous ceux qui ont entendu quelque chose, qui sont préoccupés ou inquiets de certaines questions aient un endroit sûr où ils puissent se faire entendre et sentir qu'on les écoute. Notre imam sera là; des membres de notre communauté seront là. Nous voulons entamer un dialogue avec notre communauté pour que, si des gens ne se sentent pas en sécurité ou veulent parler de cet aspect, ils puissent le faire.
    Lundi, nous allons tenir une conférence de presse pour les médias, à laquelle assisteront des membres de la GRC, des membres du service de police de Regina, l'imam, le président de l'association islamique — qui se trouve être mon beau-frère — ainsi que le président de l'association des étudiants musulmans. Des membres clés de la communauté musulmane répondront aux questions des médias s'ils veulent savoir ce que font les musulmans de la Saskatchewan pour éviter que nos jeunes soient radicalisés et quelles sont les mesures qu'ils prennent à cet effet.
    Ce sont là, à mon avis, des activités que les musulmans exercent dans l'ensemble du pays et qui sont précieuses et utiles parce qu'elles font sentir à notre communauté qu'elle constitue une partie vitale et intégrée de la mosaïque canadienne.

  (0930)  

[Français]

     Êtes-vous en contact avec les autres mosquées, partout au Canada? Savez-vous s'il y aura d'autres initiatives de ce genre? Je crois comprendre que des intervenants vont représenter pratiquement tous les aspects de votre communauté. Il va même y avoir la Gendarmerie royale du Canada. Il y aura donc une multitude d'intervenants qui parleront ouvertement de cette situation.
     Savez-vous si d'autres initiatives seront réalisées ailleurs au Canada?

[Traduction]

    Oui, ces initiatives sont lancées dans la plupart des mosquées de toutes les provinces du pays; nous les connaissons toutes et nous nous aidons mutuellement pour organiser ces activités. Ce sont en fait d'autres communautés qui le faisaient et qui m'ont donné l'idée de le faire. Nous n'avions jamais organisé ce genre d'activités à Regina auparavant. Nous avons donc pris l'initiative de veiller à ce que ce dialogue, cette collaboration et cette information se fassent dans le but de créer un forum public de communication.
    Mon mari est psychiatre, comme je l'ai mentionné, et il assistera à l'assemblée publique à titre de membre d'un panel qui invitera les membres de la communauté à lui parler s'ils ont des inquiétudes au sujet des choses qui se passent. Nous avons constaté avec le temps qu'il y a plus que jamais de convertis qui viennent dans notre communauté. En général, ils viennent de communautés très vulnérables. C'est quelque chose de nouveau pour nous; jusqu'ici nous n'avons pas eu à nous occuper de cet aspect. Ils viennent parce qu'ils recherchent un but ou un sens à leur vie. Nos mosquées ne sont pas organisées pour être des agences de service social. Elles ont été mises sur pied pour que nos enfants puissent apprendre l'arabe les fins de semaine et connaître l'islam.
    Ce nouveau groupe de personnes qui entrent tout d'un coup dans nos communautés nous posent des défis, de sorte que nous essayons d'établir des réseaux communautaires de services sociaux à l'intérieur de notre système de mosquée pour établir des liens avec les réseaux de services sociaux de nos provinces et de nos villes pour être en mesure d'éviter des tragédies comme celles que nous avons connues avec le tireur à Ottawa. Il était venu dans une mosquée canadienne et les responsables de la mosquée avaient constaté qu'il y avait là un problème et ils avaient dû changer les serrures pour l'empêcher de perturber la communauté. Nous savons que la mosquée ne pouvait faire davantage à l'époque et je ne la critique pas, mais nous devrions être plus actifs. De sorte que, si jamais cela se reproduisait, nous devrions être en mesure de trouver de l'aide pour ces personnes vulnérables de façon à éviter que de telles tragédies se reproduisent.
    Merci, monsieur Rousseau, mais nous n'avons plus de temps. Il passe très rapidement.
    Mme James, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président et merci à tous nos témoins.
    Je vais commencer par vous, M. Boisvert, et aborder une partie de votre témoignage. Vous avez déclaré que vous aviez 30 ans d'expérience. De ce côté-ci de la table, nous avons convoqué un certain nombre de témoins qui ont des dizaines d'années d'expérience dans la lutte contre le terrorisme, la collecte de renseignements, l'application de la loi, des gens qui s'occupent vraiment concrètement de toutes ces questions. Le thème commun que l'on retrouve dans tous ces témoignages est que la menace est réelle et qu'elle évolue. Vous avez parlé d'une menace mondiale, grave et complexe.
    Vous avez également remarqué que certains critiques affirment que le projet de loi est dangereux et inutile. J'essaie tout simplement de remettre en perspective, non pas la crédibilité de ces personnes, mais le fait qu'il s'agit de terrorisme et que nous essayons de fournir à nos agences de sécurité nationale les moyens dont elles ont besoin pour combler les lacunes que nous avons constatées dans les dispositions actuelles, choses qui sont apparues très clairement après les attaques récentes lancées dans le monde entier. Il suffit de regarder les nouvelles de 18 h pour voir des gens qui veulent quitter leur pays, des familles déchirées, une autre attaque terroriste ici et des gens qui sont tués dans d'autres pays.
     Nous avons entendu un témoin, l'inspecteur Irwin, qui nous a parlé en détail des différents articles du projet de loi. En outre, il a décrit les dispositions actuelles du Code criminel, en disant qu'elles étaient trop restrictives et que nous avions absolument besoin des nouvelles mesures proposées avec le projet de loi C-51. Il a parlé des aspects reliés à la communication de l'information qui seraient absolument cruciaux pour les services d'application de la loi, si nous voulons qu'ils fassent face aux menaces actuelles. Il a également parlé de l'importance d'avoir des protections et il a affirmé qu'en réalité, ce projet de loi prévoyait des protections suffisantes.
    Nous avons entendu un certain nombre de personnes qui représentaient différents groupes de défense des libertés civiles, dont l'un était la British Columbia Civil Liberties Association, qui disent que le ciel va nous tomber sur la tête, et que cela va tout simplement servir à cibler les manifestants. Nous avons entendu les mêmes arguments à l'époque où nous avons adopté la Loi sur la SCRS originale, il y a 30 ans. La BC Civil Liberties Association était déjà là et présentait les mêmes arguments. Avec la Loi antiterroriste originale, nous avons entendu le même argument, à savoir que le ciel allait nous tomber sur la tête. Le ciel n'est pas tombé en 1984; il n'est pas tombé en 2001; il ne tombera pas non plus en 2015, à tout le moins pas à cause de ce projet de loi.
    Je voulais simplement vous parler plus précisément des capacités du SCRS en matière de perturbation et de l'obligation d'obtenir une approbation et une autorisation judiciaires. Le projet de loi décrit très clairement lui-même les critères que doit respecter ce type de demande. On a fait circuler certaines fausses informations selon lesquelles une personne pourrait tout simplement demander à une autre de signer un document et que celle-ci serait ensuite arrêtée et que cela déclencherait une hystérie de masse. Il est toutefois très clair que le mandat ne peut être délivré que pour des motifs raisonnables et selon certaines conditions. Les mesures envisagées doivent être raisonnables et proportionnelles; l'identité des personnes visées doit être divulguée, si elle est connue; les personnes ou catégories de personnes visées par le mandat doivent être mentionnées; il faut également fournir une description générale de l'endroit et prévoir une période ne dépassant pas un certain nombre de jours.
    Nous avons entendu au moins deux témoins qui n'ont peut-être pas lu entièrement le projet de loi et qui ne l'ont peut-être pas non plus bien compris; le juge a toutefois la capacité d'examiner les renseignements fournis et de refuser de le délivrer. En plus, le projet de loi prévoit lui-même que le juge peut imposer les conditions qu'il estime indiquées dans l'intérêt public. Il y a donc certains mécanismes de protection que le juge peut utiliser à l'égard d'un agent du SCRS qui va exercer certaines activités.
    Pourriez-vous parler de cet aspect et expliquer le déroulement du processus judiciaire; dans quel cas il est exigé et quelles sont les protections prévues et nous dire si ce projet va vraiment fournir au SCRS les outils dont il a besoin pour pouvoir perturber les menaces. Comme vous l'avez dit, les choses arrivent très rapidement à l'heure actuelle. Ce n'est pas comme il y a 30 ans où l'on pouvait construire un dossier sur de longues périodes.
    Merci.

  (0935)  

    Certainement.
    Je suis vraiment blessé d'entendre un commentaire qui a été fait plusieurs fois et qui parle de pente glissante et du fait que les personnes qui souhaitent manifester vont désormais être la cible des agences de sécurité. Je crois que votre groupe ne devrait pas se targuer d'être aussi important. Nous n'avons jamais suffisamment de temps, lorsque j'étais directeur général du contre-terrorisme ou directeur adjoint du renseignement, pour nous occuper d'autres choses que des personnes qui se trouvaient au sommet de la zone rouge, celle des menaces à forte probabilité et à risque élevé. Cela veut dire que nous n'avions pas le temps de même examiner les problèmes mineurs qui apparaissaient dans la société. Je suis inquiet des défis auxquels mes anciens collègues doivent faire face aujourd'hui.
    La deuxième partie est que la dissidence, la protestation et la défense d'intérêts légitimes sont implicitement et expressément protégées à l'heure actuelle par la Loi sur le SCRS et que cela n'est pas changé par le nouveau projet de loi. En fait, il contient certains éléments qui renforcent cette exigence particulière.
    Enfin et plus précisément pour répondre à votre question au sujet de l'article 21, le processus d'obtention d'un mandat est le processus le plus strict au monde et c'est le processus d'obtention des mandats actuel. Les améliorations proposées vont ajouter d'autres conditions, donner des directives aux tribunaux et exiger de ceux qui demandent un mandat — que ce soit des agents qui travaillent pour le SCRS, les équipes d'avocats du ministère de la Justice ou le Bureau du ministre de la sécurité publique — qu'ils atteignent un nouveau seuil qui va rendre cette obtention encore plus compliquée et plus difficile. À la différence du domaine de l'application de la loi, où il est possible d'obtenir un mandat en présentant un affidavit de trois ou quatre pages ou l'autorisation d'une perquisition, les mandats du SCRS contiennent habituellement des centaines de pages par cible, parce qu'ils exposent les motifs et doivent démontrer que le mandat est justifié et que nous avons besoin des pouvoirs qui nous permettaient, à l'époque où je travaillais pour le SCRS, d'intercepter légalement certaines de ces communications, par exemple. Je suis heureux de constater que cela ne changera pas. D'après ce que j'ai compris du projet de loi, ces protections sont conservées et même renforcées.
    Merci.
    Il vous reste environ 30 secondes.
    Merci.
    J'ai une brève question pour M. Harris et je remercie tous les témoins d'être venus. Dans votre remarque préliminaire, vous avez parlé du projet de loi C-51. Nous avons entendu un certain nombre de témoins qui nous ont parlé de l'évolution des menaces. Nous avons entendu un témoin hier qui nous a dit que cela faisait des dizaines d'années que cela se passait. Le témoin a parlé très franchement.

  (0940)  

    Il ne vous reste plus de temps.
    C'était également une musulmane et elle disait qu'elle agitait le drapeau rouge depuis l'année 2000. Pensez-vous que le Canada est en retard? Elle nous a comparés à d'autres pays qui connaissent des situations encore plus difficiles avec le terrorisme. Pensez-vous que le Canada a trop tardé de s'occuper de ce phénomène ou pensez-vous que la situation ne pourrait qu'empirer si nous attendions et ne faisions rien?
    Je suis désolé, mais votre temps de parole est largement expiré. Vous n'avez pas le temps d'entendre la réponse.
    Nous allons simplement donner la parole à M. Easter.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins pour leurs exposés.
    Mme Nawaz, je tiens à mentionner les efforts que vous avez décrits dans une réponse à une question de M. Rousseau, lorsque vous avez dit que vous travailliez avec votre mosquée dans votre communauté, que vous faisiez participer les gens à des discussions pour faciliter la compréhension et essayiez d'atténuer les craintes qui existent dans la société. Je suis de plus en plus préoccupé par ce que je vois au Canada, l'aggravation des tensions, les discours enflammés, la peur et ça ne ressemble pas au Canada que je connais et que j'aime et cela m'inquiète.
    Permettez-moi de m'adresser à M. Boisvert. Vous dites que vous appuyez ce projet de loi. La boîte à outils dont disposent les Canadiens aux termes de la Loi de 1984 a été préparée pendant la guerre froide et je suis d'accord avec vous sur ce point. Le problème que pose, à mon avis, ce projet de loi est que le gouvernement met à jour certains articles du projet de loi pour qu'ils correspondent à 2015, si je peux m'exprimer ainsi, mais il n'a pas renforcé l'autre aspect de l'équation, c'est-à-dire l'instauration d'un équilibre approprié pour répondre aux préoccupations des activistes. La dissidence légitime, etc., est une préoccupation.
    Pensez-vous que l'on puisse faire quelque chose pour réintroduire cet équilibre? Vous savez très bien, avec l'expérience que vous avez acquise dans le SCRS, que la population doit être de votre côté. Ce que je ne comprends pas, en tant qu'ancien ministre, c'est pourquoi le gouvernement est aussi réticent à mettre en place des mécanismes de surveillance. La chose que vous voulez absolument éviter lorsque vous êtes ministre, est qu'un événement survienne qui vous fasse paraître incompétent. La surveillance est la meilleure protection, non seulement pour les Canadiens, mais également pour les ministres.
    Je suis très partisan d'une surveillance, d'une surveillance parlementaire. L'Association du Barreau canadien a été un peu plus loin que moi dans ce domaine. Qu'en pensez-vous? Je crois qu'il faut renforcer les deux côtés.
    Pour ce qui est de savoir ce que les Canadiens pensent de la menace que constitue le terrorisme, je peux vous dire que les chiffres que donnent les sondages sont uniformes. C'est une grande priorité pour eux. Ce projet de loi suscite par contre de graves préoccupations. Je ne pense pas qu'il soit bon de se le cacher. Je suis très clairement partisan, en tant qu'ancien praticien, d'apporter des améliorations très importantes au projet de loi qui renforceront notre sécurité. Comme je l'ai dit dans mes commentaires liminaires, il n'est pas possible de relier ce phénomène à un groupe particulier, et bien entendu, il ne faudrait pas attacher un stigmate à tout ceci. Il s'agit en fait d'idéologie religieuse et politique.
    Être un praticien qui est satisfait d'avoir une boîte à outils plus garnie et plus diverse est une chose, mais tout comme vous, je suis en faveur de lui associer des mécanismes d'examen renforcés. J'ai travaillé pendant 30 ans dans ce secteur, et je ne pense pas qu'aucun des membres de la haute direction à qui j'ai confié le SCRS ces dernières années, me contredirait si j'affirmais que nous sommes une bonne organisation grâce aux examens et non pas malgré eux, comme je l'ai dit dans mes commentaires, et nous étions tout à fait exceptionnels dans ce domaine. Nous étions très respectés par nos pairs à cause de cet élément. La raison pour laquelle nous étions une bonne organisation est que nous savions que tout ce que nous faisions pourrait éventuellement, à un moment donné, être examiné par quelqu'un, qu'il s'agisse de l'inspecteur général ou du CSARS. Le fait de le savoir nous obligeait à être très alertes.
    À un moment donné, 86 % des jeunes agents de la Direction du contre-terrorisme avaient moins de deux ans d'ancienneté. C'était un groupe très jeune. Ils avaient beaucoup de talent, ils étaient brillants, motivés et ils avaient besoin de règles très précises sur la façon de travailler. Nous insistions sans cesse sur la nécessité de faire preuve d'une grande rigueur et cela les rendait fous. Pourquoi exiger la rigueur? C'était à cause des examens.
    Pour ce qui est de la surveillance, c'est là une question légèrement différente. Je ne suis pas contre une surveillance parlementaire. Je pense qu'à une époque où il faut assumer ses responsabilités, la direction des divers organismes, qu'il s'agisse de la GRC, du CST ou du CSARS, devrait comparaître devant les parlementaires et expliquer aux Canadiens ce qu'ils font et pourquoi ils le font. Je crois qu'en agissant ainsi, cela renforcerait l'appui dont ces organismes bénéficient, ce qui est, je crois, un résultat qui est bon pour tout le monde.

  (0945)  

    Je pense...
    Soyez très bref, monsieur Easter.
    Un des problèmes vient du fait, comme vous le savez, que le gouvernement a déjà supprimé le poste d'inspecteur général, de sorte que cette instance n'existe plus. Cependant, avec une surveillance parlementaire, nous parlons d'un mécanisme qui serait semblable à celui que possèdent nos partenaires des Five Eyes, des pays dans lesquels des comités parlementaires représentant tous les partis ont accès à des renseignements classifiés, ce qui nous permettrait de mieux savoir ce qui se fait, d'un point de vue politique.
    Vous avez effectivement parlé des mandats...
    Soyez très bref. Il ne nous reste plus beaucoup de temps.
    ... délivrés par des juges. Plusieurs témoins nous ont déclaré que cela ne suffisait pas et que le contrôle judiciaire prenait fin au moment où le mandat était remis à l'agent. Avez-vous des commentaires sur ce point?
    Effectivement, si l'on compare ces mandats à ceux du Code criminel, on constate que les mécanismes sont différents. Les mandats de la partie VI du Code criminel sont assortis d'obligations différentes pour ce qui est des rapports — il faut même divulguer à la personne qui fait l'objet de l'enquête qu'un mandat la concernant a été délivré. Ces obligations ne se retrouvent pas avec les mandats de sécurité nationale pour d'excellentes raisons que nous n'avons pas le temps d'énumérer, mais il est exact qu'on ne retrouve pas ici les mêmes restrictions. Sachez cependant, comme nous l'avons vu avec les mandats qui ont été appelés des ICTE — interception au Canada de télécommunications étrangères — qui visaient des cibles découlant d'une collaboration entre le CSARS et le CST, la Cour fédérale a examiné ces mandats et a déclaré très clairement qu'elle n'était pas satisfaite d'un certain aspect de ce mécanisme. Il existe donc des possibilités et certains mécanismes d'examen.
    Je vous remercie.
    Le temps dont nous disposions est écoulé. J'aimerais remercier nos témoins. J'espère que vous avez passé avec nous aujourd'hui, sinon un moment agréable, du moins un moment intéressant et nous apprécions beaucoup vos commentaires et vos conseils.
    Nous allons maintenant suspendre la séance pendant deux minutes.

  (0945)  


  (0950)  

    Chers collègues, reprenons. Nous allons entendre pendant la deuxième heure des témoignages, des questions et des réponses.
    La présidence va brièvement présenter les témoins que nous accueillons aujourd'hui. Nous avons M. Steven Bucci, directeur du Allison Center for Foreign and National Security Policy du Conseil du patrimoine. Nous avons David Cape, président et Shimon Fogel, président-directeur général du Centre consultatif des relations juives et israéliennes. Nous allons également entendre Ziyaad Mia, présidente du Advocacy and Research Committee et Mueed Peerbhoy, vice-président du Legal Advocacy Committee.
    Veuillez m'excuser si je n'ai pas prononcé vos noms exactement comme il le faudrait, mais n'hésitez pas...
    Je ne suis pas la présidente du comité, mais la vice-présidente. Je suis membre du comité. Je ne voudrais pas qu'on m'attribue...
    Très bien, je vous remercie. La présidence prend note de la correction.
    Selon la tradition, chacun des groupes peut livrer un témoignage de 10 minutes. La présidence et le comité aimeraient que vous abrégiez le plus possible ce temps de parole pour que nous ayons davantage de temps pour les questions et les réponses.
    Nous allons donc commencer sans plus tarder avec M. Bucci.
    Allez-y, monsieur.
    Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole devant vous. Je m'appelle M. Steven Bucci, je suis le directeur de l'Allison Center for Foreign and National Security Policy du Conseil du patrimoine. Voici David Inserra, mon analyste en chef pour les questions de sécurité intérieure. Le Conseil du patrimoine est un groupe de réflexion non partisan et à but non lucratif de Washington, D.C.; les opinions dont nous allons vous faire part aujourd'hui sont les nôtres et ne constituent pas la politique officielle du Conseil du patrimoine.
    Je suis honoré d'être invité à commenter le projet de loi canadien C-51, Loi antiterroriste de 2015. Un ami canadien m'a dit en blaguant, « Alors vous venez ici nous expliquer notre droit ». Bien évidemment, ce n'est pas notre intention. Il y a eu, aux États-Unis, exactement le même genre de débat, et nous espérons vous fournir d'autres opinions qui pourraient éclairer différemment ces questions à l'aide de l'expérience américaine. Le Canada est notre partenaire, notre ami et notre allié le plus proche. Je le reconnais et je souhaite vraiment renforcer ce lien.
    Je vais aborder quelques questions générales et ensuite, mon collègue parlera d'aspects plus particuliers. La menace que représente le terrorisme est bien réelle et, malheureusement, malgré tous nos efforts, cette menace s'est aggravée. Aujourd'hui, cette menace vient des extrémistes islamistes radicaux. Demain, elle pourrait venir d'autres groupes. Mais l'essentiel à retenir est qu'elle n'est pas exagérée; elle est réelle. C'est ce que le Canada a tristement constaté l'année dernière avec les attentats de Québec et d'ici, à Ottawa.
    Le problème auquel nous faisons face est que cet ennemi en veut à nos citoyens pour la seule raison qu'il n'accepte pas notre liberté et notre tolérance; mais il arrive très bien à utiliser ces aspects pour prendre avantage sur nous. Cette menace vient d'une très petite partie égarée de la communauté islamiste, mais cette petite minorité nous met néanmoins en danger et nous devons nous préparer à parer cette menace.
     Les questions de sécurité comme celles que soulève le projet de loi C-51 sont particulièrement délicates pour les démocraties pluralistes comme les nôtres. Les dirigeants de nos deux pays, quelle que soit leur orientation politique, sont chargés de la protection physique des citoyens et de nos intérêts, mais ils doivent également protéger nos libertés civiles et les droits constitutionnels que nous chérissons. Chacune des lois que nous adoptons doit instaurer un équilibre entre ces deux piliers. Si l'on va trop loin dans une direction, nos citoyens vont être blessés et mourir et si nous allons trop loin dans l'autre, c'est l'esprit de nos nations qui mourrait. Aucune de ces solutions n'est acceptable. Mais cela ne suffit pas encore. Il faut qu'il y ait aujourd'hui des mécanismes de surveillance efficaces ainsi que des procédures de vérification et de suivi à long terme pour qu'une loi adoptée aujourd'hui dans les meilleures intentions ne soit pas mal utilisée à l'avenir.
    L'examen du projet de loi C-51 auquel j'ai procédé m'a amené à conclure qu'il s'agissait là d'une tentative faite de bonne foi de répondre au souci de renforcer la protection physique des citoyens sans entraîner la perte des libertés civiles. On retrouve dans les divers articles un élargissement judicieux de la communication de l'information et des pouvoirs accordés aux agences d'application de la loi, mais dans chaque cas, il y a des dispositions qui prévoient des recours et des appels. Elles combinent transparence et ouverture. Le projet impose un niveau de confidentialité minimal sans compromettre l'efficacité de la sécurité et il prévoit un large usage des mandats et des contrôles judiciaires. En bref, ce projet de loi semble concilier sécurité et liberté.
    Avant de passer le microphone à David, j'aimerais également mentionner autre chose. Aux États-Unis, juste après le 11 septembre, nous avons découvert certaines choses que votre pays vient tout juste de découvrir. Nous avons essayé de concilier ces deux piliers. Au cours des années, nous avons connu deux présidents différents avec des attitudes et des orientations extrêmement différentes, plusieurs congrès dont la majorité a changé et une magistrature fédérale, qui ont tous participé à différents mécanismes de surveillance et décisionnels. Un équilibre a été établi.
    Cependant, après les communiqués d'Edward Snowden, il est apparu clairement qu'un nombre non négligeable de citoyens américains n'étaient pas vraiment satisfaits de l'équilibre qui avait été établi. À l'heure actuelle, nous essayons d'ajuster tout cela pour en arriver à un équilibre. Je soulève ce point non pas parce que le projet de loi C-51 crée des programmes qui ressemblent à ceux qui ont soulevé des problèmes aux États-Unis, mais pour favoriser le plus possible la transparence du processus. Cette transparence amènera de l'efficacité, et vous évitera des problèmes plus tard. Le Canada et les Canadiens méritent cela et en fin de compte, cela profitera à votre grand peuple qui sont nos frères et nos soeurs.
     Je vais inviter mon collègue David à utiliser le reste de notre temps de parole.

  (0955)  

    Vous avez deux minutes, monsieur. Oh, excusez-moi, je croyais que c'était pour les questions. Vous avez en fait près de cinq minutes.
    Mesdames et messieurs les membres du comité, c'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui. Comme Steve l'a mentionné, je vais utiliser le reste de notre temps pour parler de certains points particuliers et utiliser l'expérience américaine récente pour éclairer certaines orientations précises.
    Le projet de loi me semble autoriser la plupart des institutions fédérales du Canada à communiquer de l'information à des fins de sécurité aux agences qui ont des responsabilités en matière d'application de la loi et de sécurité. Il ne s'agit donc pas d'obtenir des données supplémentaires ou de mettre sur pied des programmes supplémentaires, mais tout simplement de supprimer les cloisons qui séparent les divers organismes gouvernementaux pour que les organismes chargés de la sécurité puissent avoir légalement accès à l'information qui se trouve déjà en la possession du gouvernement. Cette politique paraît tout à fait logique et elle est semblable aux efforts que les États-Unis ont déployés à la suite du 11 septembre pour abattre les cloisons qui empêchaient l'information de circuler, pour veiller à ce que les agents de sécurité aient accès à toute l'information possible. Le Canada semble avoir une législation solide en matière de respect de la vie privée qui régit le stockage, l'emploi et la communication des renseignements. Ainsi qu'un mécanisme de surveillance confié au Commissaire à la vie privée et à d'autres comités d'examen, système assez comparable à la façon dont les États-Unis ont introduit des agents de la vie privée dans les différentes agences gouvernementales. Il est important que ce nouveau niveau de communication soit surveillé par le Commissaire à la vie privée et par une commission d'examen appropriée pour veiller à ce que cette communication soit conforme au droit.
     Ensuite, le projet de loi C-51 essaie de renforcer la protection des passagers avec la liste canadienne des interdictions de vol. À l'heure actuelle, le a le pouvoir de refuser le transport ou d'exiger un autre contrôle d'une personne dont il croit qu'elle constitue une menace pour la sécurité aérienne. Le projet de loi C-51 élargit ce pouvoir qui pourrait également être utilisé pour bloquer ou contrôler des individus qui souhaitent emprunter un vol pour se rendre par avion dans un autre pays pour y exercer des activités terroristes. Nous avons un système semblable aux États-Unis avec les listes d'interdiction de vol et de personnes à surveiller, mais ce système est principalement axé sur la sécurité aérienne et non pas sur la prévention des déplacements des terroristes. Le projet de loi C-51 vise à lutter contre ces déplacements et, compte tenu des lourdes préoccupations que soulèvent les terroristes qui se rendent en Syrie et à d'autres endroits du monde pour commettre des actes terroristes, cet ajout est judicieux.
    En outre, le projet de loi C-51 prévoit des recours judiciaires et administratifs, un aspect important étant donné que le processus d'appel pour la liste d'interdiction des États-Unis a été jugé inconstitutionnel l'été dernier, en raison des difficultés associées à son emploi. Le projet de loi C-51 donnerait aux agents canadiens la possibilité d'arrêter plus rapidement les terroristes avant qu'ils n'exécutent leurs projets. Le projet de loi C-51 rendrait illégal le fait de préconiser le terrorisme et autoriserait la confiscation des documents de propagande terroriste avec une autorisation judiciaire. Le projet de loi faciliterait également l'obtention d'un mandat d'arrestation par les agences d'exécution de la loi et l'imposition de conditions à un engagement visant une personne soupçonnée de terrorisme, si ces mesures auraient « vraisemblablement pour effet d'empêcher que l'activité terroriste ne soit entreprise ».

  (1000)  

    Monsieur Inserra, je suis vraiment désolé, mais nous sommes appelés à voter à la Chambre.
    Oh, c'est simplement l'ouverture de la Chambre. La présidence a encore commis une erreur; que se passe-t-il!
    Le projet de loi C-51 vise à renforcer la capacité des agences d'exécution de la loi d'arrêter les terroristes avant qu'ils n'exécutent leurs projets, comme je le mentionnais. Cela comprend une capacité renforcée d'exiger diverses cautions et d'assortir de conditions un engagement, y compris la remise du passeport de la personne visée et l'obligation de demeurer dans une zone géographique donnée, de façon très semblable à la façon dont ces dispositions peuvent être utilisées à des fins d'exécution de la loi à l'heure actuelle. Étant donné que ces mesures seraient prises avec l'approbation d'un juge et un contrôle judiciaire, ces réformes semblent instaurer un équilibre entre la nécessité d'assurer la sécurité et celle de respecter l'équité procédurale et les droits civils.
    Étant donné que plusieurs articles du projet de loi vont empêcher les individus radicalisés de voyager facilement, vous devriez également réfléchir à la façon dont le gouvernement et la société civile pourraient déradicaliser ou empêcher la poursuite de la radicalisation des personnes qui ne sont plus autorisées à quitter le Canada.
     Enfin, le projet de loi C-51 accorde non seulement au SCRS le pouvoir de recueillir et d'analyser les renseignements relatifs aux menaces contre le Canada, mais il lui accorde également le droit de « prendre des mesures, même à l'extérieur du Canada, pour réduire la menace ». Ces mesures sont assujetties à une approbation et à un contrôle judiciaires ainsi qu'à un examen par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Certains estiment qu'il y aura lieu d'ajouter d'autres contrôles. C'est peut-être un des changements les plus importants qui a été apporté au droit, étant donné que ce projet me semble annuler la décision qu'a prise le Canada, à la suite de la Commission McDonald, de séparer le renseignement des mesures de sécurité. D'après l'expérience des États-Unis, l'ajout d'une nouvelle responsabilité différente aux attributions d'un organisme peut poser un défi. Par exemple, le FBI est la principale organisation affectée aux enquêtes de contre-terrorisme. Après le 11 septembre, il lui a été demandé de renforcer ses capacités en matière de renseignement, ce qui a entraîné la création d'une direction de la sécurité nationale relevant de la direction du renseignement. Le FBI a une certaine culture, une culture mise en oeuvre par des agents spéciaux et des organismes d'application de la loi qui l'amènent à faire enquête sur des actes répréhensibles déjà commis, à recueillir des preuves et à chercher à obtenir une condamnation. Le renseignement examine de son côté les menaces qui pourraient apparaître plus tard et utilise des renseignements imprécis pour empêcher la réalisation des menaces et obtenir d'autres renseignements. C'est la différence qui existe entre un analyste et un agent. À l'heure actuelle, la culture d'agent est encore très forte au sein du FBI. Cela ne veut pas dire que le FBI n'ait pas fait de grands progrès. Il l'a fait. Il est important de savoir qu'il n'est pas toujours facile ou rapide d'ajouter une nouvelle responsabilité au SCRS, même si cela paraît nécessaire et important.
    Dans l'ensemble, nous pensons que le projet de loi est fondé sur des politiques et des principes très sains. Il a pour but de faciliter la communication de l'information et d'empêcher la perpétration d'actes de terrorisme. Nous espérons que notre témoignage au sujet de l'expérience des États-Unis sera utile pour votre étude du projet de loi.
    Je vous remercie.
    J'apprécie la courtoisie dont vous avez fait preuve et l'accélération de votre débit, merci donc.
    Nous allons maintenant passer au Centre consultatif des relations juives et israéliennes.
    Monsieur Cape, vous avez la parole.
    Je me trouvais à Washington lundi et mardi pour le Congrès juif mondial, et nos amis américains sont ici. Je dois dire qu'au Congrès et au cours des nombreuses rencontres que nous avons eues avec des législateurs, ils nous ont tous fait remarquer que le Canada était un pays phare pour ce qui est de l'approche législative qu'il a adoptée pour renforcer la sécurité et contrer le terrorisme dans la société. Je me suis senti fier d'être un Canadien aux États-Unis et je vous remercie d'être venus nous voir.
    Je suis heureux d'être ici aujourd'hui, avec Shimon Fogel, pour vous parler au nom du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, l'organe de défense des droits des Jewish Federations of Canada.
    Les Juifs sont régulièrement ciblés au Canada par les crimes haineux ou reliés aux préjugés et ce, à un taux plus élevé que pour n'importe quel autre groupe identifiable. Cette haine ancienne et toxique n'est pas particulière à notre pays, mais elle est à juste titre repoussée aux marges des sociétés démocratiques libérales comme les nôtres. L'antisémitisme se manifeste toutefois de plus en plus par des actes de terrorisme brutaux inspirés par une idéologie islamiste déformée, comme nous l'avons tous vu avec les récents événements tragiques survenus en Belgique, en France et au Danemark. Lorsque les terroristes frappent, c'est bien souvent contre la communauté juive. De nombreux Juifs canadiens craignent avec raison que ce qui s'est produit dans des villes européennes se produise ici.
    Je suis certain que vous connaissez tous la vidéo récente affichée par al Shabaab qui demandait qu'un attentat soit commis dans le West Edmonton Mall. Certains d'entre vous seront peut-être surpris d'apprendre les raisons de ce choix particulier, plutôt que, disons, le Centre Rideau. Le West Edmonton Mall a été choisi en particulier parce que ses propriétaires sont juifs, un fait qui, on peut le comprendre, aggrave l'angoisse que ressent notre communauté.

[Français]

     Nous sommes reconnaissants envers le gouvernement actuel et ses prédécesseurs d'avoir adopté plusieurs mesures afin de protéger les Canadiens contre la violence terroriste. Le Programme de financement des projets d'infrastructure de sécurité pour les collectivités à risque et la Loi visant à décourager les actes de terrorisme contre le Canada et les Canadiens sont des initiatives récentes qui ont contribué à rehausser notre sécurité.
    Notre communauté est vibrante, diversifiée, avec plusieurs opinions et elle est représentée sur tout le spectre politique. Cela dit, il y a un large consensus en faveur de mesures additionnelles pour lutter contre le terrorisme en général et en faveur du projet de loi C-51 en particulier.

  (1005)  

[Traduction]

    Je vais concentrer mes remarques sur quatre aspects du projet de loi dont nous avons constaté, grâce à la consultation de notre communauté, qu'ils avaient une résonnance particulière pour nous.
     Le premier élément du projet de loi C-51 dont j'aimerais parler est la disposition qui permet de saisir la propagande terroriste. Cette disposition donne à un juge le pouvoir d'ordonner la suppression ou la saisie du matériel virulent qui, bien souvent, incite au meurtre de Juifs. La suppression de cette propagande haineuse, en particulier lorsqu'elle est affichée sur Internet, limiterait la capacité de radicaliser les Canadiens et d'inspirer des attentats.
    Encore une fois, au cours des récentes assemblées du Congrès juif mondial, il y avait des membres venus d'Europe, et je dois dire qu'ils vivent là-bas dans la peur. Ils craignent tous cette promotion du terrorisme qui se fait sur Internet, sur les sites Web terroristes djihadistes, qui est impossible à contrôler et qui doit disparaître. Ils se demandent pourquoi il est possible de supprimer de l'Internet des crimes horribles comme la pédophilie, mais pas les diatribes terroristes.
    Notre communauté travaille à la promotion des libertés civiles et d'expression, mais aucune d'entre elles ne peut être absolue. La saisie de la propagande terroriste introduirait des limites sur ce qu'est un discours acceptable, et c'est à notre avis une restriction légitime et appropriée, dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.

[Français]

    Nous avons vu un nombre croissant d'exemples d'attaques inspirées par les messages de groupes terroristes mais qui ne sont pas le résultat d'appels directs à des actes précis. La saisie de la propagande terroriste viserait cette tendance et contribuerait aux efforts de lutte contre la radicalisation au Canada.

[Traduction]

    Le deuxième élément est la criminalisation du fait de préconiser ou de fomenter le terrorisme. C'est un élément important qui vient compléter la saisie de la propagande terroriste. Les lois pénales actuelles en matière d'incitation sont très précises et exigent qu'un acte cause probablement une violation de la paix. La radicalisation est un phénomène progressif, qui n'exige pas une intervention spéciale pour déboucher directement sur un attentat.

[Français]

    Comme nous l'avons vu, de plus en plus d'individus commettent des attaques terroristes de leur propre initiative, sans avoir reçu des appels en ce sens. Cette disposition aborde le problème de ces limites et permet l'arrestation de ceux qui nourrissent cette violence extrémiste. Certains commentateurs sont d'avis que cette disposition est trop large. Cependant, les recruteurs et comploteurs terroristes ont déjà noté les limites de la législation actuelle et ont ajusté leur approche en conséquence. Cela leur permet de continuer d'encourager les attaques tout en demeurant techniquement dans les limites de la loi.

[Traduction]

    Récemment, un membre fondateur d'al-Qaïda est devenu un agent double du MI-5; Aimen Dean a raconté à la BBC ce qu'il avait fait pour contourner les lois du Royaume-Uni qui interdisent l'incitation au terrorisme. Il était libre de fournir une justification théologique pour promouvoir les actions d'al-Qaïda, sans pour autant violer la loi. Mais il a fait remarquer: « Vous ne pouvez pas inciter quelqu'un en particulier à agir. Vous ne pouvez pas demander que soit commis un attentat particulier. Il faut être adroit pour savoir comment formuler les choses ». L'appel lancé par le Shabaab a été qualifié par la GRC de « commentaire très général. Ce n'était pas une menace précise ».
    Le projet de loi C-51 érigerait en infraction pénale l'incitation générale à commettre des infractions de terrorisme, ce qui compliquerait la tâche des individus ou des groupes qui préconisent la perpétration d'attentats contre les Canadiens. Il supprimerait pour ceux qui souhaitent inspirer, radicaliser ou recruter des Canadiens pour qu'ils commettent des actes de terreur, un moyen légal qu'ils pourraient utiliser en étant adroits, mais qui créerait un danger avec leurs discours.
    La saisie de la propagande terroriste et la criminalisation de l'incitation ou de la promotion du terrorisme sont des outils importants, mais ils ne suffisent pas à eux seuls pour lutter contre les deux fléaux que sont le terrorisme et la radicalisation. Nous recommandons la création d'un programme national parallèle de déradicalisation axé sur la marginalisation de l'extrémisme violent dans les communautés concernées. Un tel programme pourrait viser à la fois les communautés ciblées comme les nôtres par le terrorisme et celles qui font face à de la radicalisation. Notre communauté est prête à participer à toute entreprise qui permettrait de faire en sorte que le Canada que nous aimons assurer la sécurité de tous ses résidents.
    Ce programme complémenterait le projet de loi C-51 et aiderait les communautés qui luttent contre la radicalisation à faire entendre leurs voix modérées et à délégitimer la haine. Combiné au projet de loi C-51, un programme national de déradicalisation pourrait aider grandement à détourner d'emblée certains individus de la voie du terrorisme.
    Le troisième élément que j'aimerais aborder est la surveillance. L'expansion du rôle du SCRS constitue une modernisation importante qui va renforcer les moyens de perturber les actes de terrorisme avant que des vies canadiennes ne soient en danger. Les Canadiens bénéficieraient certainement d'une approche plus rigoureuse à la lutte contre le terrorisme qui mettrait l'accent sur la prévention, mais un resserrement parallèle et mesuré de l'examen des activités du SCRS serait nécessaire.
    Le CSARS a fait du bon travail avec un mandat limité et des ressources encore plus limitées, mais il conviendrait d'améliorer ces deux domaines.

  (1010)  

[Français]

     La surveillance du SCRS a été l'un des enjeux les plus relevés lors des consultations entreprises par notre communauté. Malheureusement, à cause des contraintes de temps, je ne pourrai m'étendre sur nos sept recommandations concrètes et précises.
    J'en mentionnerai deux, et je vous invite à consulter le mémoire écrit que nous avons soumis au comité et qui décrit en détail nos propositions.

[Traduction]

    Nous pensons qu'il faut renforcer le mandat du CSARS pour que celui-ci puisse examiner les activités du SCRS dans tous les organismes gouvernementaux. Ainsi, toutes les opérations du SCRS feraient l'objet d'un même type d'examen. Nous estimons également que le président du SCRS doit être un agent du Parlement et être tenu de présenter régulièrement des rapports à ce dernier au sujet de ses activités d'examen.
     Le quatrième et dernier élément du projet de loi C-51 que je souhaite aborder est celui de la protection de la vie privée. Nous sommes en faveur d'accorder aux ministères des pouvoirs leur permettant de communiquer l'information de façon plus efficace à des fins de sécurité. Par contre, certaines formulations contenues dans la Loi sur la sécurité de l'échange de renseignements au Canada pourraient être modifiées pour assurer la mise en place de restrictions et de protections suffisantes et éviter que le pouvoir de s'immiscer dans la vie privée des Canadiens donne lieu à des abus.
    Plus précisément, nous recommandons que le projet de loi soit modifié pour limiter la communication de l'information aux menaces à la sécurité du Canada, telles que définies dans la Loi sur le SCRS et que la portée de cette communication n'aille pas jusqu'à « toute personne [...] et ce à toute fin » comme le prévoit l'article 6 proposé.
    En outre, le comité devrait envisager de mettre à jour la Loi sur la protection des renseignements personnels pour que les institutions fédérales soient encadrées plus strictement à l'avenir.
     Avant de conclure, j'aimerais proposer un autre sujet d'étude. Le projet de loi C-510, un projet de loi d'origine parlementaire présentée par Marc Garneau, a été déposé au Parlement et adopté par tous les partis. Ce projet de loi important étendrait les peines relatives aux crimes haineux aux auteurs des attaques perpétrées non seulement contre les lieux de culte, mais aussi contre les écoles et les centres communautaires. J'invite les membres du comité à réfléchir à la suppression du zéro dans ce chiffre et à inclure le contenu du projet de loi C-510 dans le projet de loi C-51 à titre de modification. À défaut, j'espère que vous allez oeuvrer pour que le projet de loi d'origine parlementaire présenté par M. Garneau soit rapidement adopté.
     En conclusion, le projet de loi C-51 contient des mesures importantes qui permettront de contrer la radicalisation et de prévenir les attaques terroristes. Nous estimons qu'il y a des aspects à améliorer, mais ce projet de loi est nécessaire et permettra de mettre à jour la boîte des outils anti-terroristes du Canada.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons maintenant entendre les représentants de l'Association canadienne des juristes musulmans.
    Bonjour. Merci, monsieur le président.
    Je remercie les membres du comité pour l'invitation. C'est un plaisir d'être ici. J'ai déjà comparu devant de nombreux comités, dont celui-ci. L'Association canadienne des juristes musulmans a témoigné devant des comités sur des questions de sécurité nationale et de droits de la personne et nous sommes heureux de le faire à nouveau aujourd'hui.
    Je m'appelle Ziyaad Mia. Je suis membre du Legal Advocacy Committee. Je suis accompagné par M. Mueed Peerbhoy. C'est le vice-président de ce comité.
    Nous tenons à remercier MM. Roach et Forcese pour leur travail, qui constitue, d'après moi, une excellente contribution à l'étude de ce projet de loi et qui ont rendu là un service au public qui a profité énormément non seulement à notre organisation, mais aussi à de nombreuses autres.
    Nous partageons vos inquiétudes au sujet de la sécurité nationale et également, au sujet des droits. Nous ne pensons pas que ces deux notions s'excluent mutuellement. En tant qu'Association canadienne des juristes musulmans — certains membres du comité m'ont déjà vu — nous ne nous opposons pas à ce que l'on prenne des mesures proactives et raisonnables pour lutter contre les menaces à la sécurité du Canada, y compris le terrorisme, ainsi que contre le crime en général, en termes de droit pénal. Nous pensons toutefois que lorsque nous agissons en ce sens, il faut respecter un certain nombre de critères.
    Je vais vous donner les trois principaux critères: les mesures doivent pouvoir se justifier; elles doivent être conformes à la suprématie du droit et à la Charte des droits; si ce projet de loi en particulier concerne le terrorisme, il faut qu'il améliore vraiment notre sécurité.
     Le projet de loi C-51 souffre d'une lacune fondamentale. Il ne répond pas à ces critères. C'est un accord faustien — un contrat avec le diable, si vous voulez — en vertu duquel nous renonçons à nos droits pour obtenir un faux sentiment de sécurité. Nous ne devrions pas avoir à renoncer à nos droits pour obtenir la sécurité; nous devrions pouvoir obtenir les deux. En fait, nous serons moins en sécurité, comme de nombreux témoins vous l'ont dit, y compris M. Boisvert qui a déclaré que le SCRS a une charge de travail trop lourde. Et nous allons nous lancer sur des fausses pistes — en pourchassant des gens qui ne devraient pas être pourchassés, en collectant de l'information qui ne devrait pas l'être — tandis que les vrais terroristes et les vraies menaces risquent de passer entre les mailles du filet et nous nuire à tous. Ce n'est pas ce qui, finalement, améliorera la sécurité.
    J'ai envoyé des observations écrites au comité. Je crois qu'elles sont en train d'être traduites et malheureusement je ne peux pas vous remettre un exemplaire unilingue. Vous obtiendrez ces documents bientôt. Je veux vous parler de quelques aspects aujourd'hui. Les observations écrites sont beaucoup plus détaillées et je vous invite à en prendre connaissance, si vous en avez la possibilité. Ces observations sont également affichées sur notre site Web.
     Le volet communication d'information me trouble particulièrement. Il est très complexe. J'ai également pris un moment pour dessiner un petit tableau qui vous est destiné à tous dans le mémoire et je l'ai ici, si vous voulez le regarder aujourd'hui, pour bien comprendre comment circule l'information. Le projet de loi C-51 soulève de nombreuses questions sans leur apporter de réponse. Dans le mémoire, je crois que j'ai énuméré une quarantaine ou une cinquantaine de questions. En tant qu'avocat, ce projet de loi représente un grand point d'interrogation. Je ne sais pas — pour l'essentiel, il n'est pas clair. C'est pourquoi je vous invite à les examiner.
     Le projet de loi C-51 a été conçu et présenté comme un projet de loi sur le terrorisme. En fait, c'est la « Loi antiterroriste de 2015 », mais ce n'est pas un projet de loi sur la lutte contre le terrorisme. C'est un large projet de loi sur la sécurité nationale qui a pour effet de pratiquement créer un État nounoucratique. M. Forcese a déclaré que c'était le plus important projet de loi sur la sécurité nationale qu'il ait jamais vu.
    Je vais examiner quelques-unes des dispositions, sachant que mon temps est limité, et je vais vous inviter à poser des questions pour démarrer une discussion.
    Permettez-moi de parler du volet communication de l'information.
     Toute personne intelligente vous dira qu'il est aussi difficile de trouver un terroriste qu'une aiguille dans une botte de foin. La communication d'information est une disposition qui est tellement vague et qui a une portée si large que nous ajoutons à peu près 16 chargements de bottes de foin. Ceux d'entre vous qui viennent des Prairies — je sais que si Mme Nawaz était ici... Je vous le dis; ce n'est probablement pas une bonne idée d'ajouter davantage de bottes de foin à cette meule de foin pour rechercher cette aiguille. Il faut chercher et trouver l'aiguille et ne pas ajouter davantage de foin. Et c'est ce que fait la LCISC. Elle a pour effet de créer un régime de communication de l'information à l'échelle du gouvernement sans aucune surveillance ou contrôle, absolument aucun.
    Cela nous mène droit à la catastrophe, comme nous l'a démontré l'affaire Arar. En fait, je crois que la communication de l'information prévue par le projet de loi C-51 est en réalité anti-Arar. MM. Roach et Forcese affirment qu'il reflète une amnésie par rapport à l'affaire Arar. Ce projet de loi permet la manipulation et la communication de l'information entre de multiples secteurs du gouvernement et de multiplier les centres de décision à l'échelle du gouvernement. Vous savez que lorsque l'on accorde aux membres de tous les services du gouvernement le pouvoir de prendre des décisions, cela ne peut que créer des problèmes parce qu'il n'y a pas d'uniformité, ni de véritables protections.
     Le projet de loi C-51 crée la fondation qui permettra l'analyse et la collecte de mégadonnées. Ce n'est pas seulement l'information, mais la manipulation, la communication et l'analyse prédictive qui font problème. Ed Snowden a parlé de cet aspect.
    La disposition relative à la communication de l'information est très large puisqu'elle permet également la communication de données à des gouvernements étrangers, même à ceux qui ont des dossiers douteux en matière de droit de la personne. Nous pourrions être amenés à communiquer des renseignements au sujet des Canadiens à des gouvernements comme l'Égypte et l'Arabie saoudite.

  (1015)  

    Nous connaissons les risques qu'a signalés Snowden au sujet de ce qui arrive lorsque nous diffusons largement l'information et effectuons des analyses de mégadonnées.
    De nos jours, nous avons tous un téléphone intelligent dans notre poche et vous savez que si vous faites un tweet horrible, vous ne pouvez pas le récupérer. Lorsque nous commettons une erreur en matière de communication d'information touchant la sécurité, et que nous communiquons des renseignements, les miens ou les vôtres, au régime saoudien et que ces renseignements contiennent une erreur, il est impossible de les récupérer, de les ramener chez vous. Nous pouvons réparer cela ici, mais une fois l'information diffusée, il est impossible de la récupérer.
    Nous avons entendu beaucoup de gens dire que nous ne devrions pas nous inquiéter au sujet du projet de loi C-51 parce que si vous n'êtes pas terroriste, il n'y a rien à craindre? Pensez aux activités non violentes... il s'agit de l'exception pour la dissidence et les protestations légitimes.
    Le Code criminel ne contient pas le mot « licite », il y a donc une incohérence dans la loi. Pourquoi introduire le mot « licite » dans l'un et pas dans l'autre? Un acte illicite n'est pas une activité terroriste et criminelle. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut appréhender les personnes qui font ce genre de choses et les poursuivre.
    Nous venons de célébrer ce mois-ci le 50e anniversaire de la marche des droits civils de M. King à Selma. Je vous invite à examiner cet événement. Ils ont été arrêtés. M. King, le révérend Abernathy et des dirigeants étudiants ont tous été arrêtés. Pourquoi? Activité illégale, assemblée illicite et marche illégale. King était un adepte de Gandhi. Je suis Sud-Africain de naissance et Gandhi a passé beaucoup de temps dans ce pays. Gandhi a été arrêté pour les mêmes choses. King et Gandhi participaient à des activités illégales et illicites, mais ils étaient non violents.
    Le problème est que nous attrapons beaucoup de gens dans le filet de la sécurité nationale. Oui, si quelqu'un s'introduit sans droit dans une maison, il faut l'accuser d'introduction illégale, mais cette personne ne devrait pas être prise dans le filet de la sécurité nationale. C'est là le problème. Les renseignements le concernant pourraient alors être communiqués à d'autres organismes.
    De nombreux témoins ont dit qu'il y avait des mécanismes de surveillance — de quoi parlez-vous? Ils disent que le projet de loi contient un mécanisme de surveillance parce qu'il y a une surveillance judiciaire. Cette affirmation est inexacte ou peu sincère, parce que l'article 9 de la Loi sur la communication de l'information ayant trait à la sécurité du Canada accorde au gouvernement une immunité pour les dommages découlant d'une communication fautive d'information. Cela crée une impunité. Les futurs Arar ne pourront même pas exercer le recours qu'il a exercé.
    Parlons de la SCRS et de la réduction des menaces à la sécurité du Canada. Il s'agit de pouvoirs policiers sans précédent. Cela revient à faire le contraire de tout ce que la Commission McDonald nous a appris. Cela nous ramène à l'époque qui a précédé la Commission McDonald. La raison d'être de la Commission McDonald était de séparer le travail policier et le travail de renseignement à cause des erreurs et des abus qui s'étaient produits, des activités illégales exercées par le service de sécurité de la GRC au Québec contre les souverainistes et d'autres. Nous allons répéter encore une fois les mêmes erreurs. Les gens n'aimaient peut-être pas les souverainistes, mais ils avaient le droit de faire ce qu'ils faisaient et de dire ce qu'ils disaient. Je ne partage pas leur point de vue, mais ils avaient le droit de l'exprimer de sorte qu'ils n'auraient pas dû être maltraités par la police. En agissant ainsi, nous allons ouvrir un panier de crabes.
    Malheureusement, ces dispositions vont également renforcer les cloisons. Je pense que M. Boisvert a fait une allusion à cet aspect en disant que le SCRS essayera de faire les choses de son côté. Cela me fait problème parce que si nous souhaitons intégrer — et je pense qu'il faudrait effectivement intégrer et communiquer l'information — et si nous donnons au SCRS ces pouvoirs en matière de perturbation, cela revient en fait à leur attribuer des pouvoirs policiers. Vous savez comment réagiront les membres de cette institution. Ils vont dire « Pourquoi appeler la GRC? Nous allons finir ce travail nous-mêmes ». Leur rôle consiste à recueillir des renseignements, de construire un dossier et ensuite, de le renvoyer à la GRC pour application de la loi et procès, ce qui renforce la confiance de la population. Nous avons vu les procès des 18 de Toronto et de VIA Rail. C'était une affaire qui était publique et transparente, qui a renforcé la confiance de la population et qui reposait sur des preuves. Voilà ce qu'il nous faut.
    Je dirai quelques mots des mandats contraires à la loi du SCRS, c'est ainsi que je les appelle. Ils n'ont pas de limite. On dit que les tribunaux constituent une protection dans ce cas, mais ce n'est pas ce qui se passe. Cela se fait aux cours d'audiences ex parte totalement secrètes. Le juge en question n'effectue aucune surveillance et pire, cette disposition renverse complètement le rôle de la magistrature. Ce n'est pas le rôle qui incombe aux juges dans notre système. Les juges qui s'occupent des certificats de sécurité ont déclaré qu'ils étaient mal à l'aise avec le caractère secret du processus. Cela les oblige à aller plus loin qu'ils aimeraient, et à se mêler des actes illégaux et autres coups fourrés que commettra le SCRS.
    Pour dire que les juges ont un rôle de surveillance... L'autre aspect troublant dans ce dossier est que le SCRS a des antécédents — et là, je n'invente rien — qui montrent qu'il a trompé les tribunaux et trompé le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ce qui est affirmé dans son dernier rapport, et qu'il a ainsi violé ainsi des droits constitutionnels. Cela figure au dossier, son manque de franchise à l'égard des tribunaux.
    Je termine, monsieur le président. Je dirais rapidement que le caractère secret de la liste d'interdiction de vol soulève de graves problèmes; c'est un système kafkaesque. M. Inserra a mentionné que la liste d'interdiction des États-Unis avait été annulée, encore une fois, à cause de l'opacité du processus. Cette disposition va également être, je pense, annulée, pour les mêmes motifs.

  (1020)  

    Pour ce qui est de la criminalisation de l'expression, j'appuie à 110 % ce que le premier ministre,a déclaré au sujet de Charlie Hebdo et l'appui qu'il a donné à la liberté de parole, mais nous ne pouvons pas criminaliser les discours qui ne constituent pas de la criminalité chez nous. Le discours haineux et antisémitique me choque également, mais il faut qu'il comporte un aspect criminel. Nous vivons dans une démocratie libérale. Nous permettons des discours vulgaires, choquants et non patriotiques pourvu qu'ils ne soient pas criminels.
    Je termine en vous disant que nous recommandons que ce projet de loi ne soit pas adopté. Nous recommandons de modifier d'abord les opérations de sécurité nationale et de mettre en place un mécanisme de surveillance. N'oubliez pas l'enquête Arar et les autres enquêtes qui nous ont appris que...
    Monsieur, vous avez largement dépassé votre temps de parole. Désolé.
    Très bien.
    Nous sommes prêts à avoir une discussion respectueuse.
    Je vous remercie. Merci pour vos contributions.
    Nous allons maintenant passer à un tour de questions. Elles seront ramenées à cinq minutes.
    Madame James, vous êtes la première.
    Je vais donner mon temps de parole à M. Norlock.
    Monsieur Norlock.
    Merci, monsieur le président.
    J'espérais que Mme Nawaz serait ici, mais puisque la séance est télévisée, je suis sûr qu'elle pourra voir mes commentaires.
    Pour ce qui est de la façon dont quelqu'un s'habille, je dois dire à tout le monde que j'ai reçu une éducation catholique romaine de la 1re à la 13e année, le plus souvent fournie par des nonnes qui portaient des vêtements semblables. J'ai également parlé à des prêtres qui m'ont mentionné qu'ils retiraient leur collet romain lorsqu'ils se trouvaient au Québec, à cause de la discrimination dont ils faisaient l'objet. Il existe dans ce domaine particulier un mouvement qui a tendance à séculariser la société, en particulier dans ces domaines. J'ai suivi les cours d'une professeure laïque qui m'a dit qu'elle avait fréquenté une école de la haute vallée de l'Outaouais, une école séparée. Quand les enfants rentraient chez eux de l'école, ils se battaient avec les enfants protestants parce qu'ils fréquentaient une école séparée et non pas une école publique.
    Mes enfants ont été élevés dans une famille dans laquelle nous veillions à ce qu'il n'y ait pas de discrimination pendant le repas du soir. Lorsque j'entends des commentaires de la part de personnes qui se trouvent de l'autre côté de la table, d'autres politiciens, qui laissent entendre que cette loi traite en fait de discrimination et de l'apparence des gens, je signalerai que cette loi ne motionne aucunement ce genre de choses. Il faut que les Canadiens sachent que la bigoterie et la discrimination sont des maux qui touchent toute la société. Ils n'ont ni couleur, ni race. Cette loi n'a rien à faire avec tout cela. La personne qui affirme ce genre de choses le fait certainement pour d'autres motifs.
    Nous avons entendu des avocats. Les avocats défendent les gens parce qu'ils les croient. Certains avocats disent qu'il y a là de la discrimination et que c'est un mauvais projet de loi. D'autres avocats ont comparu devant le comité et déclaré...
    Vous avez le droit d'avoir une opinion, mais cela ne veut pas dire qu'elle soit exacte. C'est la raison pour laquelle nous avons une démocratie. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Je vous invite à ne pas examiner ce projet de loi et à dire « Eh bien, étant donné que c'est le gouvernement au pouvoir qui présente ce projet, je vais certainement faire l'objet de discrimination » ou que c'est une mesure qui vise en particulier... Cette loi ne dit nulle part cela.
    Je voulais simplement dire tout ceci. Je sais ce qu'est la discrimination: tous les gens de ma famille me ressemblent et tous les gens à qui je parle me ressemblent. J'ai parlé à un autre témoin hier soir de l'IRA, qui était une organisation terroriste qui essayait de lever des fonds au Canada et qui aujourd'hui serait classée comme une organisation terroriste. Cela n'a absolument rien à voir avec la couleur de la peau, le pays d'où l'on vient, mais tout à voir avec l'attitude de ces personnes et le fait qu'elles veulent faire des choses illégales. Cela touche précisément du terrorisme.
    M. Bucci, j'ai examiné votre CV et je crois que vous êtes très bien placé pour parler de la nécessité de fournir une information fiable aux gens qui en ont besoin et au moment voulu. La première partie de ce projet de loi consiste à faciliter la communication de l'information qui concerne la sécurité nationale et qui doit être transmise aux agences nationales de sécurité. De nos jours c'est là un élément manifestement essentiel.
    Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la nécessité de communiquer l'information?

  (1025)  

    Nous avons constaté très rapidement que le manque de communication de renseignements crée une insécurité fondamentale. Il ne s'agit pas ici d'obtenir de nouveaux renseignements. Comme mon collègue l'a mentionné, c'est de l'information qui existe déjà, qui a été obtenue légalement par différents organes du gouvernement canadien. Il serait fou de ne pas pouvoir communiquer cette information.
    Les gens disent toujours: « Les mégadonnées, mon Dieu, c'est Big Brother, nous sommes en 1984 ». Vous savez, je suis désolé; les mégadonnées existent. Elles touchent tout ce que nous faisons et elles nous donnent un avantage.
    Faut-il prévoir un mécanisme de surveillance? Faut-il surveiller tout cela? Oui. Mais dire que nous n'allons pas le faire et que nous allons mettre tout ça de côté, c'est vraiment une folie. Il faut que cette information soit communiquée. Nous avons la possibilité de la communiquer sans faire d'erreur; de fouiller dans toutes les bottes de foin pour trouver l'aiguille, si nous avons la bonne quantité de foin ici. Si vous n'avez pas accès à tout le foin qui se trouve dans ces bottes, vous n'allez pas trouver l'aiguille. Vous avez besoin de savoir tout cela.
    Je suis d'accord avec vous; il faut pouvoir communiquer l'information. C'est absolument essentiel. Il faut veiller à ce que les mauvais renseignements ne se retrouvent pas dans de mauvaises mains. Mais selon ce projet de loi, ce sont des gens qui possèdent déjà tout cela légalement et qui communiquent ces données à des personnes qui ont le pouvoir d'agir dans ces buts précis, et pas n'importe comment pour faire ce qu'ils ont envie de faire.
    Je vous remercie.
    Je suis désolé, mais votre temps de parole est écoulé, monsieur Norlock.
    Nous allons maintenant passer à M. Garrison, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être venus ce matin. Le Conseil du patrimoine, un organisme américain, nous a livré une perspective intéressante. J'ai bien aimé le témoignage que vous avez donné ce matin.
    J'aimerais également dire que j'ai avec moi le mémoire du CCRJI. Cet organisme présente quelques recommandations très précises dont les autres témoins ne nous ont pas parlé, en particulier lorsque vous recommandez que le président du CSARS soit un agent du Parlement et présente régulièrement des rapports au Parlement. Cela me paraît être une recommandation très concrète et très importante, je vous remercie donc de nous l'avoir présentée.
    Je tiens également à dire que je comprends les inquiétudes que vous avez exprimées au nom de votre communauté qui est bien souvent la cible de crimes haineux et de propagande haineuse.
    Comme je n'ai que cinq minutes, je vais limiter mes questions. Je vais m'adresser à M. Mia de l'Association des juristes musulmans.
    Pourriez-vous nous dire quelques mots du lien qui existe entre les objets du projet de loi et les pouvoirs qu'il attribue? Voyez-vous un lien entre les objets tels qu'ils sont décrits et les pouvoirs?

  (1030)  

    Merci, M. Garrison.
    Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, le projet de loi a pour titre Loi antiterroriste de 2015, ce qui amènerait quelqu'un à penser qu'il s'agit de terrorisme. Il est clair que, si vous lisez les documents d'information qui se trouve sur les sites Web du gouvernement, qui présentent le projet de loi ainsi que les discours publics faits à ce sujet par le premier ministre et d'autres, vous allez apprendre qu'il s'agit de terrorisme, et que nous allons lutter contre un type particulier de terrorisme. Très bien, je l'accepte parfaitement, mais lorsque j'ai téléchargé le document et que je l'ai examiné, j'ai constaté qu'il ne portait certainement pas sur ce sujet.
     Prenons par exemple ce que j'appelle la LCISC, la Loi sur la communication de l'information ayant trait à la sécurité du Canada. La section qui contient la définition, qui est la disposition essentielle de cette loi, parle d'atteinte à la sécurité du Canada et cela est suivi d'une longue liste, je crois qu'elle comprend 9 ou 10 éléments. Je ne suis pas certain de ce nombre, mais c'est une longue liste. Un de ces éléments est le terrorisme, ce qui, encore une fois, est ahurissant, parce que le terrorisme ne constitue pas un crime selon le Code criminel. Celui-ci parle d'activité terroriste et d'infractions terroristes. Je ne sais pas, mais il y a un décalage ici. Si les avocats du ministère de la Justice entendent ces propos, je les invite à corriger tout cela, parce qu'il y a un décalage. Le terrorisme en tant que crime n'existe pas.
    C'est une liste qui n'est pas exhaustive. Elle comprend toutes ces choses. Elle pourrait en comprendre d'autres. C'est pourquoi je demande qui peut ajouter des éléments à cette liste? Elle a une portée tellement large qu'encore une fois, elle pourrait viser des activités pacifiques, mais illégales. Supposons que vous manifestez et marchez dans la rue et oui, vous êtes peut-être sur un terrain qui ne vous appartient pas et on peut vous inculper de faire une telle chose, mais il n'est pas nécessaire de vous faire tomber dans les mailles du filet de la sécurité nationale. Voilà le risque. Cela devient un projet de loi sur la sécurité nationale à portée très large qui va compromettre la sécurité du Canada.
    Ensuite, si vous examinez l'article 5, toutes les agences du gouvernement peuvent communiquer toute leur information à ce groupe de 17 agences. Comme M. Bucci l'a déclaré, les mégadonnées sont arrivées. Oui, c'est vrai. Il s'agit de renseignements légaux que le gouvernement du Canada possède et qu'il communiquera à ces 17 agences. Mais mon désaccord avec M. Bucci ne porte pas sur ce point uniquement, mais sur le mandat. Comment ont été obtenus au départ ces renseignements? Maintenant, on les communique pour une autre fin.
    Deuxièmement, les mégadonnées ne sont pas un épouvantail et oui, les entreprises s'en servent. Mais lorsque ce sont les gouvernements, cela peut être dangereux. Ed Snowden nous l'a dit. C'est le travail dérivé qui s'effectue avec des éléments d'information fragmentés et que vous utilisez à l'aide d'algorithmes pour faire une analyse prévisionnelle. Le président Obama a déclaré que les mégadonnées n'étaient rien. Si vous connaissez un peu votre téléphone, vous savez que les mégadonnées sont quelque chose d'important. Il est malhonnête de dire qu'il s'agit d'information existante. Il s'agit également d'information dérivée.
    L'article 6 du projet de loi est déconnecté de la loi. Cet article 6 qui traite de la communication d'information est, à mon avis, inconstitutionnel. Il énonce qu'il est possible de communiquer de l'information avec n'importe qui pour n'importe quelle fin — pas pour le terrorisme, pas en cas d'atteinte à la sécurité du Canada, mais pour n'importe quelle fin. J'aimerais savoir quelles sont ces fins. En rédaction des lois, il est logique que les fins soient reliées aux pouvoirs attribués.
    Et cela continue. Dans le projet de loi, les pouvoirs du SCRS concernent les menaces à la sécurité du Canada, pas le terrorisme.
    Notre temps de parole est bientôt écoulé. Sur la question de la communication, avec qui pensez-vous que ce projet de loi autorise la communication d'information, sur le plan de l'information et de la liste d'interdictions de vol? Cette communication peut-elle viser des entités étrangères et des entreprises privées? Est-ce permis?
    L'article 6 de la LCISC énonce que le gouvernement peut communiquer à qui que ce soit pour n'importe quelle fin les renseignements qui sont dans ce bassin. Étant donné que le ministre des Transports et le ministre de la Sécurité publique possèdent les renseignements concernant la liste d'interdictions de vol, je pense qu'en examinant ce tableau, ils peuvent alimenter la bulle de la LCISC, qui est très large, et ensuite, à cause de l'article 6 et des 17, ces données peuvent quitter le pays.
    Merci.
    Nous allons passer à Mme Ablonczy, qui aura cinq minutes.
    M. Bucci, je crois que l'on peut dire que vous venez de l'extérieur et que vous n'êtes pas mêlé aux discussions partisanes de notre pays.
    Il me paraît toujours intéressant de constater que ceux qui s'opposent à ce projet de loi disent des choses comme, bien sûr, nous sommes contre le terrorisme, nous voulons lutter contre le terrorisme, mais pas avec ce projet de loi; et ils essaient ensuite de nous faire très peur, comme vous venez de l'entendre. Ils disent que cela pourrait avoir tel résultat ou que c'est inconstitutionnel, que cela va abroger des droits et que les Canadiens ne savent pas vraiment qui ils devraient croire.
    Vous venez de l'extérieur et vous étudiez ces questions depuis des années; vous vous en êtes occupé et dirigez des efforts dans ce domaine. Que pensez-vous de l'approche adoptée pour lutter contre le terrorisme et la menace djihadiste ici au Canada?

  (1035)  

    Il me paraît évident que les rédacteurs du projet de loi savaient fort bien que c'était une question très délicate. Ils ne sont pas stupides. Ils savaient que dans une démocratie, il y aurait ce genre de débats, ce qui est tout à fait sain et nécessaire. Nous devrions toujours être prêts à protéger nos libertés constitutionnelles.
    En tant que conservateurs, cela nous fait problème, parce que nous aimons la sécurité, nous voulons que les agents de sécurité disposent de tout ce dont ils ont besoin, mais nous accordons également beaucoup d'importance aux libertés civiles et aux droits individuels. Nous ne voudrions absolument pas les perdre.
    C'est donc très difficile. Si c'était vraiment facile, il ne serait pas nécessaire de demander à la Chambre des communes d'adopter une loi; cela se ferait tout seul.
    Je pense que ces personnes ont fait un effort de bonne foi.
    Est-il parfait? Probablement pas, ce sont des humains qui l'ont fait.
    Ces dispositions vont-elles évoluer lorsqu'il y aurait des cas dans lesquels la police est intervenue à tort, qui seront soumis aux tribunaux et qui entraîneront éventuellement des annulations et modifieront la loi? Absolument, cela se produira.
    Comme je l'ai dit, c'est l'étape à laquelle nous en sommes aux États-Unis. J'imagine que par la suite, cela se fera ici au Canada. Je pense que c'est une bonne modification des lois actuelles qui améliorera la sécurité, tout en reflétant un respect incroyable pour les libertés civiles de votre peuple. Pour l'avenir, je crois que les choses qui n'ont pas été réglées le seront peu à peu.
    Nous avons entendu dire ce matin que le projet de loi ne traitait pas de terrorisme. Pouvez-vous faire un commentaire à ce sujet?
    Je ne souscris pas à l'affirmation de mon collègue. Je pense qu'il traite absolument de terrorisme. En tant que membre de la direction exécutive de notre Département de la défense et en tant que soldat, béret vert de l'armée, qui a lutté contre le terrorisme sur le plan opérationnel, tactique et stratégique, je crois que, jusqu'à un certain point, vous devez faire les choses qui sont mentionnées ici ou vous allez perdre la bataille.
    Pour ma part, je ne voudrais pas que le Canada perde cette bataille pas plus que mon pays. Nous sommes dans cette situation ensemble, et nous ne voulons pas que cela se produise, parce que les gens contre qui nous luttons, en particulier à l'heure actuelle, sont des individus particulièrement odieux et nous ne pouvons pas nous permettre de les laisser gagner.
    Je suis d'accord avec vous et vous connaissez sans doute un article récent qui est paru dans The Atlantic, appelé « Ce que souhaite vraiment l'ISIS ». Cet article parle de la politique étrangère, qui est décrite comme étant un ' jihad offensif ', l'expansion par la force dans des pays qui sont dirigés par des non-musulmans, etc. », je ne vais pas reprendre tout l'article.
    J'aimerais avoir vos commentaires sur ce sujet, parce qu'il faudrait que nous comprenions bien contre quoi nous essayons de nous protéger, nous et notre pays.
    Encore une fois, comme je l'ai mentionné, ce n'est qu'une très petite partie du monde musulman, une partie minuscule, Dieu merci, mais ils croient de tout leur coeur que conformément à la déclaration relative au califat, ils vont envahir le monde entier.
    En Amérique avant le 11 septembre, nous ne croyions pas al-Qaïda lorsqu'il disait qu'il était en guerre contre nous. Il a finalement fallu le 11 septembre pour que nous comprenions que c'était vraiment ce qu'il voulait. Il faut prendre l'ISIS au mot quand il dit qu'il veut étendre le califat au monde entier, il fera tout ce qu'il faut pour y parvenir, y compris tuer toutes les personnes qui se trouvent dans la salle.
    Nous devons en tenir compte et modifier nos politiques en conséquence, toujours en respectant nos droits et libertés, toujours en protégeant les choses qui font de nous des pays uniques, mais nous devons prendre des mesures pour nous protéger parce que ces gens-là sont sérieux, ils existent vraiment et ils sont vraiment méchants.
    Merci.
    Il vous reste environ 30 secondes.
    M. Cape, je me demande si vous pourriez faire des commentaires sur les questions que je viens de poser à M. Bucci.
    Je crois que le projet de loi répond à de nombreuses préoccupations auxquelles notre communauté fait face avec l'antisémitisme, et notre communauté, qui est disséminée dans le monde entier, a fait l'objet d'attaques terroristes.
    Encore une fois, je me trouvais avec une personne qui, comme moi, était le président de sa communauté. Au Danemark, il a pris la direction de sa communauté pour la renforcer et maintenant, il a placé des gardes armés dans les écoles des enfants, parce qu'il est arrivé qu'un tireur solitaire qu'il connaissait pénètre dans l'école, tire des coups de fusil et tue un gardien de sécurité. Ils vivent dans la peur et leurs gouvernements ne réagissent pas comme notre gouvernement le fait et c'est, je crois, une grande différence et nous, les Canadiens, avons beaucoup de chance.
    Je vous remercie.
    Nous allons maintenant accueillir M. Vaughan, qui remplace M. Easter. Vous avez la parole.
    J'aimerais poser une brève question à M. Bucci. Votre pays consacre le droit des citoyens de porter des armes, en partie à cause d'une expérience révolutionnaire, pour protéger les libertés des individus et le texte de votre constitution commence par « Nous, le peuple [...] ». Vous avez parlé de surveillance civile. Dans votre pays, cela voudrait dire surveillance par le congrès, c'est-à-dire, par des civils à qui est délégué un pouvoir de surveillance. Pourquoi est-ce si important pour la sécurité publique?

  (1040)  

    C'est, je crois, parce que les membres des organisations qui ont été mentionnées sont des humains et comme je l'ai signalé, il leur arrive de faire des erreurs. Qu'ils le fassent par méchanceté ou qu'ils le fassent par accident, peu importe. S'ils ont violé la loi, il faut qu'il existe un mécanisme qui tienne compte de cette possibilité et qui s'y adapte.
    Si ce projet de loi ne renforce pas la surveillance exercée par des civils ou des parlementaires, serait-il un échec de votre point de vue?
    Ce serait dangereux, mais pas nécessairement un échec, parce que je crois que ces choses évoluent.
    Un danger pour qui?
    Un danger pour le volet libertés civiles. Il faut un mécanisme de surveillance.
    Un danger pour les citoyens.
    Il faut un mécanisme de surveillance, effectivement.
    Je constate que M. Cape appuie ce point de vue. Est-ce bien exact?
    Quel point de vue?
    Que la surveillance du Parlement est essentielle.
    Oui, et notre proposition consiste à améliorer cette surveillance.
    Que penseriez-vous du Parlement s'il n'écoutait pas votre conseil?
    Je crois que vous allez prendre de bonnes décisions pour les Canadiens et mettre sur pied de bonnes structures qui vont nous protéger, tout en renforçant la surveillance des autorités de lutte contre le terrorisme.
    M. Mia, savez-vous s'il y a eu un témoignage ou un mémoire — je sais que vous avez suivi tout ceci de près —qui ait recommandé de restreindre les mécanismes de surveillance ou qui a recommandé le statu quo à titre de meilleure solution?
    Je ne pense pas avoir entendu qui que ce soit parler de restreindre la surveillance, mais je crois que beaucoup de témoins ont déclaré que les services de sécurité devaient être surveillés.
    L'autre dénominateur commun que l'on retrouve dans les témoignages, tant de la part des témoins du gouvernement que de l'opposition, est la nécessité d'adopter des stratégies en matière de prévention. Vous n'avez pas fait de commentaire à ce sujet. J'aimerais savoir quelles sont les stratégies de prévention qui seraient, d'après vous, les plus efficaces, plus efficaces que de s'occuper de ces choses après-coup.
    Il faut bien évidemment un ensemble de mesures. Il faut des interdictions. Il faut des agents du renseignement et d'application de la loi pour empêcher certains actes ou poursuivre certaines personnes lorsque quelque chose est arrivé. Bien évidemment, personne ne veut en arriver là. Personne ne veut en arriver à la nécessité d'interdire ou de poursuivre. Le but est de prévenir. Pour prévenir, il faut vraiment disposer de renseignements, comme nous l'a dit M. Boisvert.
    M. Bucci fait partie de l'armée des États-Unis et il peut vous dire que les services de renseignement peuvent commettre des erreurs. Vous avez participé avec le secrétaire Rumsfeld à la guerre en Irak et c'était une erreur du renseignement. Le renseignement peut se tromper et nous devons essayer d'avoir un renseignement de qualité.
    Un élément important de cette situation, si nous parlons de la large portée de la menace, comme M. Boisvert l'a dit... Le terrorisme djihadiste comme on l'appelle, c'est son étiquette, est une menace réelle et légitime, mais si c'est bien le cas, nous devons rejoindre les communautés où ces risques vont apparaître. Tout comme pour les gangs, il faut travailler avec les jeunes en difficulté qui vivent dans ces communautés, la communauté musulmane générale doit vraiment participer à cette action. Je ne pense pas que cela se fasse beaucoup.
    Je sais que la GRC a travaillé sur cette question. Le SCRS a également fait des choses. Nous devrions vraiment encourager ce genre d'action. Honnêtement, je ne pense pas que qui que ce soit essaie de jouer des jeux. Nous essayons simplement de dire qu'il existe peut-être certains points de désaccord avec la communauté générale, mais il faut favoriser une action efficace et coopérative. Je ne pense pas que qui que ce soit ait un programme caché. Il y a peut-être des moutons noirs dans n'importe quelle communauté. Oui, il y a probablement quelques jeunes, un ou deux psychopathes, et ensuite, il y en a quelques-uns qui, dans un groupe, vont se rendre là-bas pour avoir le sentiment d'appartenir à quelque chose, même s'ils sont mal avisés, il faut que le système recherche les psychopathes et les poursuivent. Mais pour les autres jeunes, il faut les redresser et les intégrer à la société en tant que membres productifs.
    Je crois que cette pièce du puzzle n'existe pas. Ce n'est pas une loi véritablement contre le terrorisme; c'est une loi sur la sécurité nationale. Elle est fondée sur les notions d'interdiction et de surveillance. Ce n'est pas d'un projet de loi que nous avons besoin. En tant qu'avocat, je peux vous dire que le droit ne permet pas de résoudre tous les problèmes. Nous devons régler des questions opérationnelles, renforcer la sécurité nationale et la surveillance, améliorer tout cela; il faut favoriser la participation de la collectivité pour que tout le monde fasse partie de la solution et ne pas diviser notre pays.
    Je vous remercie.
    Je suis désolé, monsieur Vaughan, mais le temps prévu est écoulé.
    Au nom du comité, j'aimerais remercier M. Peerbhoy, M. Mia, M. Bucci, M. Inserra, M. Cape et M. Fogel. Je vous remercie pour les contributions que vous avez apportées aujourd'hui. Je peux vous dire qu'elles nous seront fort utiles pour choisir les orientations et former les décisions du comité. Je vous remercie encore une fois d'être venus aujourd'hui.
    La séance est levée.
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