La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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23. Les projets de loi d’intérêt privé

Principes de la procédure des projets de loi privés

Comme le Président l’a signalé en 1971, la procédure des projets de loi privés a été établie afin de protéger le public contre l’attribution de manière incontrôlée de pouvoirs spéciaux à des particuliers [20] . Par une pétition, une personne ou organisation demande au Parlement de lui accorder une faveur extraordinaire énoncée dans un projet de loi. Les fondements du projet de loi sont examinés par les deux chambres du Parlement. S’il le juge nécessaire, le comité auquel le projet de loi est renvoyé peut convoquer des témoins, et c’est lui qui déterminera si on a démontré que le projet de loi était nécessaire. Ainsi, pour l’étude des projets de loi privés, le Parlement remplit à la fois une fonction judiciaire et législative. Comme un tribunal, il entendra toutes les parties concernées et décidera si les intérêts du requérant justifient qu’on lui accorde des droits supplémentaires ou qu’on l’exempte des règles du droit commun; à titre d’assemblée législative supervisant l’adoption d’un projet de loi, il lui faut également protéger les intérêts du public [21] .

La procédure des projets de loi d’intérêt privé énoncée dans le Règlement et dans les ouvrages de procédure est fondée sur quatre principes fondamentaux [22] , qui peuvent être formulés en ces termes :

  1. Un projet de loi privé ne sera adopté qu’à la demande explicite des personnes qui en bénéficieront;
  2. Les renseignements utiles concernant un projet de loi privé seront communiqués à tous les intéressés;
  3. Toute personne ou organisation concernée par un projet de loi privé sera entendue et il faudra démontrer que la mesure est nécessaire;
  4. Les frais liés à l’étude d’un projet de loi au profit de particuliers ne devront pas être à la seule charge de l’État.

Ces principes sont examinés plus en détail dans les pages qui suivent.

Principe 1. Un projet de loi ne sera adopté qu’à la demande explicite des personnes qui en bénéficieront

Lorsque vient le moment de décider de débattre ou non d’un projet de loi privé, il faut maintenir un équilibre entre le droit indubitable du Parlement de présenter des projets de loi et la reconnaissance de l’ancien droit fondamental de pétitionner le Parlement pour obtenir réparation d’un tort [23] . Contrairement à un projet de loi public, qui peut être présenté après un avis de 48 heures donné par le gouvernement (en la personne d’un ministre) ou un député, un projet de loi privé ne peut être présenté qu’après qu’un député a déposé auprès du Greffier de la Chambre une pétition d’une personne demandant l’adoption d’un projet de loi privé [24] . À la Chambre des communes canadienne, il est établi que les ministres ne peuvent parrainer des projets de loi privés puisque la Couronne ne peut s’adresser une pétition à elle-même [25] .

Les règles régissant les pétitions d’intérêt public s’appliquent généralement aux pétitions introductives de projets de loi privés [26]  (voir le chapitre 22, « Les pétitions d’intérêt public »). Une pétition introductive de projet de loi privé est présentée à la Chambre par un député qui a signé au dos de la pétition et qui agira comme parrain du projet de loi [27] . La pétition énonce les motifs de la demande d’une loi spéciale, en explique les objectifs et se termine par une demande explicite d’adoption de la loi. Elle doit porter les signatures des personnes qui demandent l’adoption de la loi et qui en bénéficieront. Le parrain doit en outre s’assurer que la pétition satisfait aux conditions énoncées dans le Règlement [28] . Le député peut présenter la pétition à n’importe quel moment durant une séance de la Chambre en la déposant entre les mains du Greffier [29] . Toutefois, le pétitionnaire ou son agent parlementaire (voir plus loin) dépose habituellement la pétition auprès du greffier des pétitions (un fonctionnaire de la Chambre chargé d’examiner et de faire rapport à la Chambre sur la conformité des pétitions) qui, après l’avoir fait signer par le parrain, veille à ce qu’elle soit déposée auprès du Greffier de la Chambre.

Lorsqu’il dépose une pétition, le requérant doit également déposer un exemplaire du projet de loi, en anglais ou en français, auprès du Greffier de la Chambre, et ce, au plus tard le premier jour de la session s’il s’agit d’un projet de loi présenté à la Chambre [30] . Un fonctionnaire nommé par le Greffier et appelé examinateur des projets de loi privés examine et, au besoin, révise le projet de loi avant qu’il ne soit imprimé afin de s’assurer qu’il est rédigé conformément au Règlement de la Chambre [31] .

Contrairement à un projet de loi public qui est présenté par un ministre ou un député et qui relève ensuite de la Chambre des communes, un projet de loi privé relève du requérant et non du député parrain ou de la Chambre. Si le requérant décide de renoncer à l’adoption du projet de loi, le comité auquel il a été renvoyé après la deuxième lecture fera rapport à la Chambre en conséquence [32] .

Bien qu’il n’y soit pas tenu, le promoteur d’un projet de loi privé peut choisir de se faire représenter devant la Chambre ou l’un de ses comités par une personne membre ou non d’un barreau provincial qu’on appelle « agent parlementaire » du promoteur. Un député peut accepter de présenter la pétition et de parrainer le projet de loi, mais il ne peut agir comme agent parlementaire [33] . La personne souhaitant agir comme agent parlementaire doit être autorisée à le faire par le Président et elle est personnellement responsable devant celui-ci du respect des règles, usages et procédures du Parlement [34] . L’agent parlementaire devient le conseiller juridique des pétitionnaires tout au long des étapes menant à l’adoption du projet de loi privé et il est responsable du paiement de tous les droits et frais prescrits par le Règlement.

La personne qui souhaite agir comme agent parlementaire durant une session doit tout d’abord acquitter un droit de 25 $ [35] . Elle doit aussi être chargée de faire adopter ou rejeter tout projet de loi privé ou pétition en instance au cours de cette session. Mais comme la plupart des projets de loi privés sont tout d’abord présentés au Sénat, l’agent parlementaire n’est enregistré et ne paie un droit de 25$ que si on lui demande de représenter le promoteur devant un comité de la Chambre. Tout agent parlementaire qui enfreint volontairement le Règlement ou les usages du Parlement, ou qui se conduit délibérément de façon inconvenante au Parlement est passible d’une interdiction permanente ou temporaire, à la discrétion du Président, d’exercer les fonctions d’agent parlementaire [36] .

Principe 2. Les renseignements utiles concernant un projet de loi privé seront communiqués à tous les intéressés

Les conditions énoncées dans le Règlement concernant les avis à fournir aux diverses étapes de l’étude des projets de loi privés visent à informer non seulement les députés, mais également le public. Elles permettent de s’assurer que toute personne intéressée par le projet de loi proposé est suffisamment informée pour pouvoir s’opposer au projet de loi ou l’appuyer, en totalité ou en partie, avant son adoption.

Au début de chaque session, le Greffier de la Chambre fait publier dans la Gazette du Canada [37] la disposition du Règlement relative aux avis de demandes de projets de loi privés [38] . Par la suite, un avis mentionnant la publication antérieure de cet article du Règlement paraît chaque semaine dans la Gazette du Canada [39] .

Le Règlement prévoit également que les personnes souhaitant demander l’adoption d’un projet de loi privé feront paraître un avis à ce sujet une fois par semaine pendant quatre semaines consécutives dans la Gazette du Canada [40] . L’avis devra énoncer le but du projet de loi proposé, indiquer durant quelle session on en demandera l’adoption, qui est le requérant, et l’adresse du requérant ou de son agent parlementaire [41] . Dans certains cas, des avis doivent également être transmis à certains fonctionnaires et être publiés dans des journaux locaux [42] . Le requérant doit enfin fournir la preuve de la publication de l’avis par l’envoi d’une déclaration sous serment (affidavit) au Greffier de la Chambre [43] .

Comme les députés peuvent être appelés à prendre la parole au nom du promoteur du projet de loi ou d’un opposant, des avis concernant les séances du comité chargé d’étudier le projet de loi sont affichés par le Greffier de la Chambre dans toute la cité parlementaire et annexés aux Journaux dans un délai prescrit avant la tenue des séances [44] . Dans le cas d’un projet de loi présenté d’abord aux Communes, la réunion du comité doit faire l’objet d’un avis d’une semaine; dans le cas d’un projet de loi du Sénat, l’avis doit être de 24 heures. Il faut également afficher la liste de tous les projets de loi privés renvoyés à des comités et préciser le comité auquel chaque projet de loi a été renvoyé et les dates à partir desquelles le comité peut l’étudier, de même que la liste de toutes les séances de comité [45] . De plus, il ne peut être proposé à la Chambre d’amendement important à un projet de loi privé qu’à condition qu’un avis d’un jour ait été donné [46] .

Enfin, en plus des avis, des dossiers sur chaque projet de loi privé sont tenus par le personnel de la Chambre et sont à la disposition du public [47] . Ils contiennent des renseignements généraux sur la personne ou le groupe demandant un projet de loi privé, ou sur l’agent parlementaire, sur les droits payés ainsi que sur les diverses étapes de l’étude du projet de loi.

Principe 3. Toute personne concernée par un projet de loi privé sera entendue et il faudra démontrer que la mesure est nécessaire

Comme un projet de loi privé contient des assertions sur lesquelles le requérant se fonde pour demander son adoption, il faut en prouver le bien-fondé avant que le Parlement ne convienne d’adopter la loi demandée. La fonction législative du Parlement exige que chaque mesure soit dûment débattue et étudiée. Le caractère quasi judiciaire des délibérations entourant l’adoption d’un projet de loi privé exige en outre que les parties concernées soient entendues ou qu’on leur donne à tout le moins la possibilité de se faire entendre.

L’adoption par la Chambre d’un projet de loi privé en deuxième lecture ne signifie pas qu’elle a approuvé le principe du projet de loi comme c’est le cas pour un projet de loi public. Cela signifie plutôt qu’elle le fait sous réserve qu’un comité détermine que les assertions contenues dans la pétition et reprises dans le préambule du projet de loi sont fondées [48] . Les préambules sont optionnels dans les projets de loi publics, mais obligatoires dans les projets de loi privés [49] . Il faut donc qu’un projet de loi privé soit renvoyé à un comité de manière à permettre d’entendre les opposants. Le renvoi en comité permet aussi au Parlement de s’assurer que les assertions faites dans le préambule sont fondées et que les dispositions du projet de loi constituent une suite logique à ces assertions. Le rapport du comité sur le projet de loi, avec ou sans amendement, peut être considéré comme la décision du comité sur la demande du pétitionnaire [50] .

Les projets de loi privés portent habituellement sur des questions particulières, dont certaines purement personnelles, et ne nécessitent donc pas de longs débats à la Chambre. Toutefois, les dispositions dont on demande l’adoption peuvent parfois empiéter sur les droits d’autres citoyens. À cet égard, le comité chargé d’étudier un projet de loi privé remplit non seulement une fonction législative, mais également une fonction quasi judiciaire puisqu’il entend toutes les parties concernées et qu’il décide si l’on devrait donner suite à la demande du pétitionnaire. Le comité doit aussi être vigilant et s’assurer qu’on n’essaie pas de tromper le Parlement en contre-interrogeant les promoteurs sur les assertions faites dans le préambule du projet de loi [51] .

Le comité chargé d’un projet de loi privé n’entend pas les témoins de la même façon que le comité qui étudie un projet de loi public. Le promoteur du projet de loi, qui peut se faire représenter par un avocat, comparaît devant le comité à titre de pétitionnaire demandant une réparation de nature législative impossible à obtenir auprès des tribunaux ou des instances gouvernementales. Le promoteur, plutôt que le comité, peut convoquer des témoins pour étayer les assertions faites dans le préambule du projet de loi [52] .

Tout opposant à un projet de loi privé, qu’il soit représenté par un avocat ou non, peut également s’adresser au comité et convoquer des témoins pour appuyer ses arguments lorsque le comité entreprend l’étude de la ou des dispositions auxquelles il s’oppose [53] . Toutefois, avant qu’un opposant puisse être entendu, une pétition demandant le rejet de la partie du projet de loi qui est inacceptable doit d’abord être présentée à la Chambre. La pétition doit préciser pourquoi on s’oppose à ces dispositions et elle doit être présentée à la Chambre par un député agissant au nom de l’opposant. Le député peut la transmettre au Greffier de la Chambre à tout moment durant l’étude du projet de loi à la Chambre ou en comité. Une fois que le greffier des pétitions a jugé la pétition conforme aux règles, elle est renvoyée automatiquement au comité étudiant le projet de loi [54] . Le promoteur peut contester le locus standi, ou droit de comparaître, en faisant valoir que la mesure législative proposée ne causerait aucun préjudice réel à l’opposant. Seul le comité a le pouvoir de décider si un opposant a le droit d’être entendu et devrait l’être [55] . Si c’est le cas, le promoteur peut interroger l’opposant et ses témoins tout comme l’opposant peut lui aussi interroger le promoteur et ses témoins. Toutefois, les opposants ne peuvent être entendus que sur les motifs énoncés dans leur pétition [56] . Si le comité estime que les motifs énoncés dans la pétition ne sont pas suffisamment précis, il peut demander à l’opposant de fournir un texte plus précis [57] . Aucun pétitionnaire ne sera entendu sur le préambule à moins qu’il ne mentionne de façon précise dans sa pétition qu’il souhaite l’être afin de s’y opposer [58] .

Lorsque l’agent parlementaire s’adresse au Comité ou que des témoins sont interrogés, la salle de réunion du comité est ouverte à tous. Toutefois, lorsque le comité délibère, tous les agents, témoins et étrangers doivent se retirer et le comité siège à huis clos. Quand le comité parvient à une décision, les portes de la salle sont ouvertes et le président informe les parties de la décision [59] .

Principe 4. Les frais liés à l’étude d’un projet de loi au profit de particuliers ne devront pas être à la seule charge de l’État

Puisque ce sont des particuliers ou des groupes qui bénéficient d’un projet de loi privé, les frais liés à l’étude de ces mesures législatives ne devraient pas être à la seule charge de l’État. C’est pour cette raison que le Règlement énonce des droits et frais que le promoteur doit acquitter avant la présentation du projet de loi [60] .

Toute personne souhaitant faire adopter un projet de loi privé doit en déposer un exemplaire en anglais ou en français auprès du Greffier de la Chambre le premier jour de la session. Il lui faut également verser une somme d’argent suffisante pour couvrir les frais d’impression et de traduction [61] . Après la deuxième lecture, mais avant l’étude en comité, le requérant doit payer les frais d’impression de la loi dans le recueil des lois, ainsi qu’un droit de 500 $ [62] . Si le projet de loi vise à augmenter le capital-actions d’une compagnie existante, on peut exiger des droits supplémentaires calculés à partir d’un tarif précisé dans le Règlement et proportionnels à l’accroissement du capital-actions demandé [63] . D’autres droits peuvent également être exigés, par exemple, pour être exempté d’un article du Règlement ou pour la réimpression d’un projet de loi amendé en comité. Un état de ces droits est établi par un fonctionnaire de la Chambre [64]  et remis au promoteur ou agent parlementaire qui doit ensuite verser ces droits au Greffier de la Chambre [65] . Dans la pratique, aucun droit supplémentaire n’est toutefois exigé pour la plupart des projets de loi privés, même lorsque le comité tient des réunions et que les délibérations sont publiées. Enfin, on peut obtenir le remboursement des droits acquittés dans le cas d’un projet de loi qui n’est pas adopté [66] .

À l’occasion, la Chambre n’a exigé aucun droit pour des projets de loi privés. Au début de la Confédération, les droits étaient fréquemment abandonnés [67] , spécialement lorsqu’aucun intérêt commercial n’était en jeu [68] . Plus récemment, avant que la règle ne soit modifiée en 1994 [69] , quand les pétitions introductives de projets de loi privés devaient être présentées dans les six premières semaines d’une session, la Chambre a souvent jugé bon de laisser tomber les droits pour les pétitions produites tardivement [70] .


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