La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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3. Les privilèges et immunités

Définition du privilège parlementaire

On trouve dans Erskine May’s Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament la définition classique du privilège parlementaire :

Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque chambre, collectivement, […] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers. On est donc fondé à affirmer que, bien qu’il s’insère dans l’ensemble des lois, le privilège n’en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun [7] .

On peut répartir en deux catégories les « droits particuliers » en question : ceux accordés aux parlementaires individuellement et ceux dont jouit la Chambre à titre collectif. Chaque catégorie peut à son tour être subdivisée. Par exemple, on regroupe habituellement sous les rubriques suivantes les droits et immunités accordés aux parlementaires à titre individuel :

  • La liberté de parole;
  • L’immunité d’arrestation en matière civile;
  • L’exemption du devoir de juré;
  • L’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin.

Quant aux droits et pouvoirs de la Chambre en tant que collectivité, on peut les répartir ainsi :

  • Le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires, c’est-à-dire le droit de punir (par incarcération) les personnes coupables d’atteinte au privilège ou d’outrage, et le pouvoir d’expulser des députés coupables d’inconduite;
  • Le droit de réglementer ses affaires internes;
  • Le pouvoir d’assurer la présence et le service de ses députés;
  • Le droit d’enquêter, de convoquer des témoins et d’exiger la production de documents;
  • Le droit de faire prêter serment aux témoins;
  • Le droit de publier des documents contenant des éléments diffamatoires.

Ces deux catégories englobent tous les privilèges dévolus aux députés et à la Chambre des communes en tant que collectivité. On examinera plus en détail dans ce chapitre chacun des privilèges en question en faisant référence à des exemples précis.

La Chambre a le pouvoir d’invoquer le privilège lorsqu’on fait obstacle à l’exécution de ses fonctions ou de celles des députés. C’est uniquement dans ce contexte que le privilège peut être considéré comme une exemption par rapport à la loi générale. Les députés ne sont pas au-dessus des lois qui régissent tous les citoyens du Canada. De fait, les privilèges des Communes visent à préserver les droits de chaque électeur [8] . Par exemple, le privilège de la liberté de parole est accordé aux députés non pour leur avantage personnel, mais pour leur permettre de bien représenter leurs électeurs sans crainte de poursuites civiles ou criminelles suite à ce qu’ils auraient déclaré à la Chambre et en comité. Lorsqu’une circonscription élit un candidat, il relève du droit des électeurs que ce représentant élu soit protégé contre toute pression indue, et en particulier contre la violence [9] .

Le trait distinctif du privilège est son caractère accessoire. Les privilèges du Parlement sont des droits « absolument indispensables à l’exercice de ses pouvoirs ». Les députés en sont bénéficiaires à titre individuel car la Chambre serait incapable de s’acquitter de ses fonctions sans disposer librement des services de ses membres. Mais chaque Chambre en est également bénéficiaire pour la protection de ses membres et l’affirmation de son autorité et de sa dignité [10] .

Le privilège appartient essentiellement à la Chambre dans son ensemble; à titre individuel, les députés ne peuvent l’invoquer que dans la mesure où une atteinte à leurs droits ou des menaces risqueraient d’entraver le fonctionnement de la Chambre. En outre, les députés ne peuvent invoquer le privilège ou l’immunité pour des questions qui ne sont pas liées à leurs fonctions à la Chambre [11] .

Par ailleurs, même si elle ne porte atteinte à aucun privilège particulier, toute conduite qui cause préjudice à l’autorité ou à la dignité de la Chambre est considérée comme un outrage au Parlement. L’outrage peut être un acte ou une omission. Il n’est pas nécessaire de faire réellement obstacle au travail de la Chambre ou d’un député; la tendance à produire un tel résultat suffit.

Les privilèges considérés comme « absolument nécessaires » par le Parlement ont varié au cours des siècles. Néanmoins, certains principes de base sont établis. Ni l’une ni l’autre chambre du Parlement ne peut à elle seule étendre ses privilèges, même si chacune peut, par résolution, décider de ne pas invoquer ou appliquer un privilège dont elle usait auparavant [12] . Aucune chambre ne peut revendiquer pour elle-même de nouveaux privilèges, lesquels ne peuvent être établis qu’en vertu d’une loi du Parlement, tout comme l’élargissement d’anciens privilèges [13] . L’une ou l’autre chambre peut exercer ses droits dans de nouvelles circonstances, ce qui revient parfois à créer de nouveaux cas d’outrage [14]. Enfin, chaque chambre peut individuellement juger et punir les atteintes à ses privilèges.


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