Monsieur le Président, c'est avec plaisir que je prends part au débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-14, qui porte sur l'aide médicale à mourir au Canada.
J'ai eu le privilège de faire partie du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir, et j'ai appuyé chacune des recommandations du rapport.
Toutefois, comme bon nombre d'entre nous le reconnaissons aujourd'hui, l'aide médicale à mourir est une question complexe, délicate et infiniment personnelle.
Depuis que la Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Carter, l'année dernière, les Canadiens et les Canadiennes ont pris part à la discussion d'un bout à l'autre du pays. La question continue aussi de faire l'objet de débats et de réflexions approfondies dans le monde entier, des États-Unis à l'Europe, en passant par l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Presque partout dans le monde, le fait d'enlever la vie de façon délibérée et d'aider quelqu'un à mettre fin à ses jours sont des crimes graves punis par de lourdes peines.
Cependant, comme bon nombre de gens le savent, le Canada n'est pas le seul à légiférer et à autoriser l'aide médicale à mourir. Quatre États américains, soit l'Oregon, Washington, le Vermont et la Californie, de même que la Colombie et trois pays européens, soit la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, disposent d'un régime législatif autorisant une forme ou une autre d'aide médicale à mourir.
Après avoir écouté plus de 60 témoins experts lors des audiences du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir, j'ai été profondément marqué par les témoignages de l'honorable Steven Fletcher, de Me Benoît Pelletier, de Me Jean-Pierre Ménard, du Québec, de la présidente de l'Association médicale canadienne, Dre Cindy Forbes, et de la représentante de la Société canadienne des médecins en soins palliatifs, Dre Monica Branigan.
Par contre, la semaine dernière, j'ai reçu l'appel à mon bureau de comté de Mme Bibianne Gauthier, la mère de Jean Truchon. À la suite de cette discussion, j'ai pu mettre un visage sur une demande réelle d'aide médicale à mourir.
Après avoir rencontré Mme Gauthier et son fils Jean, j'ai décidé de faire part à tous mes collègues de la Chambre de ce cas réel, et de lire ici la lettre que Jean Truchon a écrite à son équipe traitante le 20 janvier dernier.
Je tiens à informer la Chambre que j'ai obtenu personnellement l'autorisation de M. Jean Truchon de lire cette lettre ici, au Parlement canadien. Je le fais également à la demande des parents de M. Truchon:
« J'ai 48 ans et je suis atteint de paralysie cérébrale depuis ma naissance. J'ai vécu 22 belles années en appartement.
Le 11 mars 2012, ma vie a complètement basculé lorsque l'équipe médicale du Centre hospitalier universitaire de Montréal m'a diagnostiqué une hernie cervicale dégénérative inopérable. Ce jour-là, j'ai mis, bien malgré moi, un pied dans la tombe, et j'ai la ferme intention d'y mettre le reste de mon corps le 1er septembre 2016. J'ai dû me résigner à vivre en hébergement, et malgré les bons soins et mes efforts pour m'adapter, cela reste impensable pour moi de prolonger ma vie dans ces conditions.
Ma demande est celle-ci. Comme je crois ne pas satisfaire aux critères d'admissibilité de l'aide médicale à mourir [en janvier de cette année], mon intention est de refuser que le personnel m'alimente et m'hydrate, car je ne peux manger seul. Je vous demande donc d'octroyer à mon médecin du centre le droit de m'administrer une médication pour au moins soulager mes douleurs.
Je me regarde dans le miroir et je ne reconnais plus l'homme que j'ai connu auparavant. Et à ce moment-là, je me dis “À quoi bon continuer à vivre dans ces conditions“. Parfois, je me dis qu'on n'est pas obligé d'être en fin de vie pour atteindre des souffrances intolérables comme je le ressens actuellement. Les médecins m'ont expliqué qu'un jour indéterminé, je deviendrai incontinent, et simplement d'envisager de me rendre là, c'est trop pour moi. J'ai encore trop de dignité pour vivre ce genre d'affront.
À un moment donné, j'étais au lit et on n'a pas répondu à ma cloche d'appel. J'ai dû faire mes besoins au lit. À ce moment-là, j'ai compris que la vie en institution n'était pas pour moi. Je sais que d'autres personnes qui ont une vie et des conditions similaires font des choix différents. Toutefois, dans mon cas, j'ai pris la décision mûrement réfléchie que l'année 2016 serait la dernière pour moi.
Je suis conscient que mourir avant mes parents, ce n'est pas la meilleure façon de partir, car cela défie la logique, mais je n'en peux plus. Ma famille et mes amis sont au courant, et ils respectent ma décision même s'ils ne sont pas d'accord, car ils vont me perdre. Ils comprennent tout le mal que je vis, et je les remercie de leur prise de conscience.
J'ai déjà pensé à un suicide de manière plus draconienne, mais la crainte de survivre dans une condition pire que la mienne m'empêche de le faire. En outre, pour apaiser la peine de ma famille, je choisis de partir de manière plus honnête en faisant la démarche avec eux. Les antidépresseurs qui m'ont été offerts, avec une explication des bienfaits possibles, ne pourront jamais me redonner l'usage de mes membres supérieurs ni changer mon pronostic de détérioration physique. En toute conscience et de mon plein gré, j'ai refusé ce médicament qui ne me redonnera pas le goût à une vie qui me semblerait artificielle.
Si cette lettre peut permettre une prise de conscience plus objective envers ceux qui souffrent et qui ne sont pas en fin de vie, j'aurai atteint un de mes objectifs.
Comme je n'ai aucune attente que mon cas soit admissible à une aide médicale à mourir, je fais aussi appel au Comité de Bioéthique CIUSSS pour que mon équipe traitante respecte mon choix et pour recevoir les soins de confort et les médicaments nécessaires pour alléger mes souffrances lorsque j'arrêterai de m'alimenter.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de lire cette lettre et je vous prie d'agréer mes salutations les plus distinguées. »
La lettre a été signée par Jean Truchon.
La décision de cet homme extraordinaire de 48 ans n'est que l'un des visages de la réalité de l'aide médicale à mourir au Canada, mais le courage de Jean m'aide à croire que le Comité a fait de bonnes recommandations dans son rapport.
La ministre de la Justice a consulté toute la législation existante dans le monde pour procéder à la réponse législative du gouvernement dans la décision Carter.
Le projet de loi précise trois critères d'admissibilité: les adultes ayant les capacités mentales et qui sont dans un état avancé de déclin irréversible; qui sont atteints d'une maladie ou d'un handicap grave et irrémédiable, et dont l'état de santé leur occasionne des souffrances persistantes et intolérables; et donc la mort est devenue raisonnablement prévisible, compte tenu de l'ensemble de leur situation médicale.
Le projet de loi a aussi prévu un volet non législatif. On prévoit des études supplémentaires sur trois sujets précis: les mineurs matures, les demandes anticipées et la maladie mentale.
Je suis aussi heureux de voir que le projet de loi C-14 prévoit des mesures de sauvegarde solides qui préviendront les erreurs et les abus. Je me permets de les citer à nouveau: il faut l'avis de deux médecins indépendants et il faut une demande écrite; le patient a le droit de retirer la demande; il y a une période d'attente de 15 jours; et il y a la confirmation du consentement immédiatement avant l'administration de l'aide médicale à mourir.
En terminant, j'invite tous les députés à lire le document intitulé « Résumé législatif du projet de loi C-14: Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) », déposé à la Chambre par la ministre de la Justice. Il contient des renseignements importants sur les lois et les régimes internationaux qui ont influé sur l'approche du gouvernement envers l'aide médicale à mourir au Canada.
Le gouvernement a cherché à tirer une leçon des expériences des autres juridictions. L'approche envisagée est plus large que celle des États-Unis, qui permet l'accès seulement aux personnes souffrant d'une maladie incurable. En effet, l'approche considérée offre plutôt la possibilité d'une mort paisible à toutes les personnes qui approchent de leur fin de vie, et pas seulement à celles souffrant de maladies incurables. Du même coup, il écarte certains des risques qu'un régime élargi peut comporter. Parallèlement, le gouvernement s'est engagé à continuer à examiner ces questions de portée plus générale, et il continuera à observer ce qui se fait ailleurs dans le monde en ce qui concerne l'aide médicale à mourir.
J'exhorte tous les députés à appuyer ce projet de loi, de répondre ainsi à la demande de notre Cour suprême de légiférer dans ce domaine et de l'envoyer en comité pour étude.