Monsieur le Président, je vais partager mon temps de parole avec le député d'Etobicoke—Lakeshore. Ce qui s'est produit avant, que vous n'ayez à rendre une décision relativement à la motion, illustre bien la nécessité de présenter une telle motion à la Chambre.
Nous en sommes arrivés au point où il fallait que nous présentions cette motion et ce, pour une raison très simple. Le gouvernement, le premier ministre et les ministres n'ont plus aucune crédibilité relativement à ce dossier. Dès le début, ils ont exigé que nous les croyions sur parole, mais leur parole n'a plus aucune valeur.
Dès le début, ils ont soutenu qu'il n'y avait aucune preuve contraignante de torture ou de mauvais traitements infligés aux prisonniers. Toutefois, jour après jour, semaine après semaine, les faits ont fait surface, et ils ne correspondent pas aux déclarations du gouvernement. Dès le début, les gens d'en face ont mis en doute le patriotisme et l'honnêteté de ceux qui exigeaient des réponses. Ils les ont accusés de se faire les complices de l'ennemi taliban. Toutefois, c'est maintenant le patriotisme et l'honnêteté des gens d'en face qui en prennent pour leur rhume.
Dès le début, ils ont caché des mots très forts, tels que « lâches », derrière l'héroïsme et la bravoure des soldats sur place. Mais nous savons maintenant qu'ils ont caché des faits qui se sont produits en Afghanistan, et qu'ils ont lancé une campagne de salissage sans précédent contre la seule personne qu'ils ne pouvaient faire taire, à savoir Richard Colvin.
Nous avons demandé des faits et nous avons obtenu des réponses cyniques. Nous avons demandé des comptes, mais le gouvernement a éludé les demandes. Nous avons demandé à connaître la vérité et on nous a tout dit, sauf la vérité. Tout cela parce que, depuis le début, le premier ministre et le ministre ont traité ce dossier comme une question partisane, plutôt qu'une question à caractère moral. Ils ont cherché un alibi, au lieu de chercher la vérité.
Le premier ministre semble plus préoccupé par sa propre réputation que par celle du Canada. Le ministre, lui, semble tenir davantage à sa limousine ministérielle qu'à faire ce qui s'impose. Sa prestation d'hier, au comité, était un spectacle désolant. Il fallait le voir faire semblant de s'indigner de soi-disant allégations scandaleuses et insultantes, tout en oubliant évidemment ses propres allégations scandaleuses et insultantes à l'endroit de M. Colvin, qui est un fonctionnaire dévoué et qui ne pouvait pas se défendre.
Le ministre a aussi feint la tristesse, parce que, selon lui, nous critiquons le bon travail de nos soldats en Afghanistan. C'était extraordinaire de le voir adopter une telle position le jour même où nous avons appris que, pour une raison ou pour une autre, durant une période de deux ans, le gouvernement n'avait pas tenu compte des preuves de mauvais traitements fournies par nos soldats en Afghanistan, qui agissaient conformément à la belle tradition canadienne.
Il faut se rendre à l'évidence, le gouvernement refuse tout simplement de dire la vérité. Il a miné sa propre crédibilité. Avec son approche à couteaux tirés et ultrapartisane à l'égard de ce dossier des plus graves il a brisé la confiance à l'égard de la Chambre et du comité. C'est pourquoi nous devons avoir accès à tous les documents concernant ce dossier — des documents non expurgés, non filtrés, non fignolés et non censurés.
Le ministre a comparu devant le comité hier et a déclaré que trois enquêtes sont en cours et que celles-ci devraient permettre de régler la question. Premièrement, il a parlé de la commission d'enquête chargée d'enquêter sur le traitement réservé aux personnes détenues par les troupes canadiennes en avril 2006. Le travail de cette commission concerne le comportement de nos soldats sur le terrain et ce n'est pas l'objet de l'enquête menée par le comité.
Deuxièmement, il a parlé de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire qui, en raison d'une campagne massive d'entrave à la justice, n'a pas pu étudier cette question. Troisièmement, il a parlé du comité auquel je siège, le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Le travail de ce comité a été contrecarré parce que le gouvernement n'a pas fourni des documents complets non censurés aux fins d'examen par le comité.
Voilà pourquoi nous avons besoin des documents. Voilà pourquoi il est urgent que cette motion soit adoptée. La question n'est pas de savoir si oui ou non il y a eu de la torture. Il y a suffisamment de preuves circonstancielles et de preuves matérielles qui confirment que les autorités afghanes ont torturé des prisonniers dans des prisons afghanes.
Qu'il s'agisse de Human Rights Watch, de la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan, de rapports produits par l'ONU, du département d'État américain ou de nos propres rapports annuels sur les droits de la personne en Afghanistan, tous confirment qu'il y avait amplement de preuves circonstancielles de torture en Afghanistan. Le gouvernement ne peut pas se contenter de dire qu'aucun incident spécifique ne lui avait été signalé pour justifier son refus, involontaire ou volontaire, de voir les faits.
Je vais citer le rapport de septembre 2006 du juge O'Connor. Il a dit:
Les responsables canadiens ne devraient pas attendre une vérification ou une preuve sans équivoque de torture dans un cas particulier avant de conclure à la probabilité de la torture.
C'est ce qu'a déclaré le juge O'Connor, qui a présidé la commission d'enquête sur l'affaire Arar. Cette déclaration devrait nous guider. Elle est conforme à la Convention de Genève, qui dit essentiellement que, si nous avons des preuves circonstancielles, que nous ayons ou non des certitudes, nous avons la responsabilité de faire enquête et de faire attention de ne pas envoyer des gens là où ils risquent la torture, dans les cas où nous avons de bonnes raisons de croire à un tel risque.
Nous savons maintenant que le gouvernement, du début de 2006 jusqu'en 2007, a continué d'envoyer des prisonniers là où ils risquaient la torture. C'est là-dessus que doit porter notre enquête. Pourquoi a-t-il continué? Pourquoi n'a-t-il rien fait?
Il ne s'agit pas de la conduite des soldats sur place. Ils ont agi conformément aux meilleures traditions, comme nous l'a appris hier le général Natynczyk. Ils ont toujours agi correctement.
En fin de compte, tout ce qui s'est passé en Afghanistan relève de la responsabilité civile et cette responsabilité incombe au premier ministre et au ministre de la Défense nationale. C'est la raison pour laquelle il nous faut des documents non retouchés, non censurés, non falsifiés et non épurés, pour que nous puissions juger de leur conduite et déterminer s'ils ont agi comme il se doit.
Nous avons entendu les arguments avancés par le gouvernement pour considérer cette motion irrecevable. Les conservateurs fondent leur position sur l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Ils se justifient en disant qu'ils fourniront au Parlement tous les documents que la loi permet de divulguer.
Nous savons maintenant que le Parlement a le droit absolu d'exiger la présentation de documents et le témoignage de quiconque au Canada. Pour autant que je sache, le Parlement n'a jamais restreint ni limité ses propres pouvoirs. Le comité agit au nom du Parlement et, de ce fait, il a pleinement accès à ces documents.
Voilà pourquoi j'ai eu la grande prudence de demander l'opinion du légiste au sujet de l'application de l'article 38. Le 23 octobre 2009, le légiste m'a fait parvenir une opinion qui a été déposée devant le comité. Le légiste dit essentiellement que nous avons un accès illimité aux documents et aux témoins qui comparaissent devant le comité et que ces témoins bénéficient du privilège de l'immunité contre toute poursuite au cas où on considérerait qu'ils ont enfreint la loi.
Ensuite, se fondant vraisemblablement sur une opinion émise par le ministère de la Justice, le gouvernement a déclaré que l'opinion du légiste était erronée. J'ai donc demandé au légiste de me donner une nouvelle opinion, ce qu'il a fait le 7 décembre 2009. Cette opinion a également été remise à la greffière du comité. Il est possible de la consulter.
Le 9 décembre, nous avons reçu une lettre du sous-ministre adjoint du secteur du droit public du ministère de la Justice, qui admettait finalement que le ministre et le premier ministre avaient induit les Canadiens et les députés en erreur lors de leurs interventions à la Chambre. Dans cette lettre d'un sous-ministre adjoint du ministère de la Justice, on apprend soudainement que l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada ne s'applique pas à la procédure parlementaire.
Par conséquent, toute cette mascarade, ce château de cartes est en train de s'effondrer.
Monsieur le Président, je vous remercie beaucoup de nous permettre de débattre cette motion. Je crois que mon temps de parole est écoulé. Je me ferai un plaisir de répondre à des questions.