Monsieur le Président, je propose que le troisième rapport du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, présenté le jeudi 18 juin, soit adopté.
En réaction aux événements du 11 septembre 2001, le Canada et plusieurs autres pays occidentaux ont adopté à la hâte des politiques antiterroristes qui ont souvent eu pour conséquence néfaste le profilage racial des membres des communautés arabes et musulmanes et des atteintes aux libertés civiles. Les violations des droits de la personne de trois Canadiens, MM. Almalki, Abou-Elmaati et Nureddin, en plus du cas bien connu de Maher Arar, ont jeté la honte sur notre pays et fait naître des inquiétudes quant à la façon dont les Canadiens sont traités à l'étranger.
De nombreux autres Canadiens musulmans, outre ceux que je viens de mentionner, ont été expulsés et torturés dans des pays présentant un piètre bilan au chapitre du respect des droits de la personne, ce qui témoigne de la nécessité d’un examen plus serré des politiques canadiennes en matière de sécurité nationale.
Ce ne sont pas là mes paroles, mais bien ce que je lis dans le rapport du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Je suis fier de dire que le comité a examiné ces questions. Nous avons examiné les enquêtes menées par l'ancien juge Iacobucci, de la Cour suprême du Canada, à la demande du gouvernement. Ces enquêtes ont mené à la conclusion que ces Canadiens avaient été victimes des pratiques inadéquates de partage de renseignements entre les organismes canadiens qui veillent à la sécurité nationale et ont révélé un manque criant de surveillance civile dans ce domaine.
Au cours des dernières semaines, nous avons beaucoup entendu parler de la façon dont le Canada a exposé des prisonniers à la torture en les transférant aux autorités afghanes. Aujourd'hui, je prends la parole au sujet d'un autre cas de torture qui s'est produit avec la complicité du Canada, mais il s'agit cette fois de nos propres citoyens. Aujourd'hui, j'interviens à la Chambre pour exhorter le gouvernement à accepter et à mettre en oeuvre les recommandations contenues dans le rapport du Comité de la sécurité publique sur les conclusions de l'enquête sur l'affaire Arar et de celle menée par le juge Iacobucci.
Je vais d'abord passer en revue certaines des conclusions de l'enquête Iacobucci, conclusions qui sont si troublantes qu'elles sont au coeur de ce qui nous a poussés, nous les membres du Comité de la sécurité publique, à insister pour que nous en tirions des leçons et que nous y donnions suite.
Encore une fois, la plupart des Canadiens savent qui est Maher Arar. Ils savent que les organismes américains l'ont envoyé se faire torturer en Syrie à cause de renseignements qu'ils avaient reçus des organismes canadiens, renseignements fondés sur des allégations injustifiées, inexactes et absolument sans fondement. Par contre, peu de gens savent qu'il ne s'agit pas là d'un cas isolé. Peu de gens savent que trois autres Canadiens, Ahmad El Maati, Abdullah Almalki et Muayyed Nureddin, ont été détenus et torturés dans des infâmes prisons syriennes et égyptiennes, et que cela leur est arrivé à cause d'allégations et de renseignements inexacts, inflammatoires et injustifiés venant du Canada.
Le cas de ces hommes a été examiné par la commission d'enquête dirigée par l'ancien juge de la Cour suprême, Frank Iacobucci. Lancée par le gouvernement, l'enquête s'est tenue à huis clos. Les hommes visés n'ont même pas été autorisés à participer aux travaux qui visaient à déterminer les raisons pour lesquelles ils avaient été torturés, ce qui n'a rien d'étonnant. En dépit de toutes les lacunes du processus, le rapport Iacobucci a révélé un bilan étonnant et honteux de torture et de complicité du Canada à cet égard.
Pendant des années, ces hommes ont affirmé avoir été torturés lors de leur détention en Syrie et, dans le cas de M. El Maati, en Égypte. Ils ont décrit avec force détails horrifiants comment, entre autres atrocités indicibles, ils étaient fouettés avec des câbles, et dans le cas de M. El Maati, soumis à des chocs électriques.
M. Almalki a expliqué aux Canadiens ce que c'était que de se faire placer dans un pneu de voiture et de se faire fouetter. Il a décrit sa survie quotidienne, pendant 17 mois, dans l'obscurité totale d'une cellule souterraine de la taille d'un tombeau.
M. El Maati a décrit les conditions inhumaines de l'isolement cellulaire dont il a fait l'objet pendant la plus grande partie de ses deux années et deux mois de détention. Il a rappelé comment à certains moments, alors qu'il avait les mains liées derrière le dos, il était forcé de manger comme un animal sur le plancher.
M. Nureddin a expliqué que les tortionnaires syriens cessaient régulièrement de lui fouetter les pieds pour les arroser d'eau froide afin que le sang continue de circuler et que la douleur revienne.
En dépit de l'uniformité des témoignages concernant la torture physique et psychologique qu'ils ont endurée et des rapports bien documentés concernant la torture en Syrie et en Égypte, notre gouvernement, le SCRS et la GRC ont à maintes reprises tenté de remettre en question le témoignage de ces hommes. Cependant, dans son rapport, l'ancien juge de la Cour suprême, Frank Iacobucci, a souscrit à la version de ces hommes et il a conclu que tous les trois « ont subi des sévices équivalant à la torture, au sens donné à ce terme dans la Convention contre la torture des Nations Unies. »
Pendant des années, ces hommes ont affirmé que les questions qui leur ont été posées sous la torture ne pouvaient venir que du Canada. Le juge Iacobucci a accepté cette hypothèse et a conclu que dans les trois cas, l'information dont disposaient les tortionnaires venait des autorités canadiennes et que les questions leur avaient également été dictées par ces mêmes autorités. C'est le SCRS qui a fait parvenir les questions aux interrogateurs de MM. El Maati et Nureddin. Dans le cas de M. Almalki, c'est la GRC qui avait envoyé les questions.
Ces hommes voulaient aussi savoir ce que les agences canadiennes faisaient de leurs soi-disant confessions faites sous la torture. La réponse se trouve aussi dans le rapport du juge Iacobucci. La confession de M. El Maati, dont les agences savaient ou auraient dû savoir qu'elle avait probablement été soutirée sous la torture, a servi à justifier la mise sur écoute de lignes téléphoniques et l'émission de mandats de perquisition au Canada. Mais le pire, c'est que le SCRS a utilisé l'information obtenue lors des perquisitions pour envoyer encore plus de questions aux interrogateurs syriens. Comme l'a dit le juge Iacobucci, ces interrogateurs ont vraisemblablement perçu cela non pas comme le feu rouge pour arrêter, mais plutôt le feu vert pour continuer leurs interrogatoires.
Ce rapport révèle le cercle vicieux de la complicité canadienne dans des cas de torture. Pourquoi ces hommes ont-ils été fait prisonniers au départ? Quelles sont les allégations, qui étaient partagées avec d'autres agences étrangères, qui ont mené à leur détention et à leur torture? Si la GRC et le SCRS avaient des preuves corroborant les allégations de leurs liens avec des organisations criminelles, pourquoi ces preuves n'ont-elles pas été révélées publiquement ou devant les tribunaux?
Le juge Iacobucci répond à cette question-là aussi. Il a déterminé que la GRC a montré des « lacunes » en qualifiant M. El Maati de « menace imminente » dans ses communications avec des agences étrangères, puisque la GRC n'a pas vérifié que cette affirmation était exacte.
Le SCRS a montré les mêmes lacunes en omettant de préciser qu'il ne s'agissait que de soupçons, et non de faits vérifiés, quand il a qualifié M. El Maati d'associé d'un assistant d'Oussama ben Laden. La GRC a dit aux agences étrangères que M. Almalki représentait également une « menace imminente », des mots qui, selon le juge Iacobucci, sont « incendiaires, inexacts et dépourvus de justification issue d’une enquête ».
Le juge Iacobucci a révélé à quel point ces agents ont fait preuve de négligence. En effet, quand la GRC s'est servie de renseignements provenant d'une tierce partie pour affirmer que M. Almalki était lié à des associations proches d'Al-Quaïda, elle a omis de mentionner que cette description visait une toute autre personne.
Dans le cas de M. Nureddin, le SCRS a partagé des renseignements avec plusieurs agences étrangères, affirmant qu'il avait agi comme passeur de fonds pour des membres de l’Ansar al-Islam, dans le Nord de l'Irak, sans vérifier que cette allégation était exacte et fiable.
M. El Maati, le premier des trois à être détenu, a passé deux ans, deux mois et deux jours dans des prisons syriennes et égyptiennes. M. Almalki a passé 22 mois dans un centre de détention en Syrie. Lors de sa remise en liberté, son fils cadet ne l'a même pas reconnu. M. Nureddin a été torturé pendant 36 jours dans un centre de détention syrien.
Dans notre rapport, qui a été approuvé par la majorité des membres du comité représentant tous les partis de l'opposition, nous exhortons le gouvernement à reconnaître les torts causés non seulement à ces hommes et à leurs familles, mais aussi à tous les Canadiens, à la réputation du Canada, à la démocratie et à la capacité du public d'avoir confiance aux organismes chargés de la tâche cruciale de préserver notre sécurité nationale.
Nous exhortons le gouvernement à donner suite aux recommandations découlant de l'examen de la politique et formulées à la fin de 2006 par la commission d'enquête qui s'est penchée sur l'affaire Maher Arar. Elle recommandait la création d'un nouveau système de freins et de contrepoids qui aiderait à faire en sorte que ce qui est arrivé à M. Arar et à ces autres hommes ne se reproduise plus jamais.
L'enquête portant sur tous ces hommes mettait en cause le SCRS, la GRC, le ministère des Affaires étrangères, l'Agence des services frontaliers du Canada et de nombreux autres organismes. Le gouvernement n'avait d'autre choix que de convoquer une enquête publique sur l'affaire Maher Arar et une autre enquête au sujet des autres cas, car, à l'époque, il n'existait aucun mécanisme — et il n'en existe toujours pas — permettant de mener une enquête ou d'examiner une enquête mettant en cause de nombreux organismes. Aucune entité ne peut enquêter sur plus d'un organisme à la fois.
Le juge O'Connor, président de la commission d'enquête sur l'affaire Maher Arar, a reconnu cette lacune et a demandé la création d'un tout nouveau système de freins et de contrepoids, qui permettrait de mener un examen intégré de ce qui constitue nécessairement des enquêtes et des enjeux intégrés en matière de sécurité nationale.
Le rapport de notre comité demande au gouvernement de mettre en oeuvre le mécanisme recommandé par le juge O'Connor il y a trois ans, soit le 12 décembre 2006.
Toutefois, jusqu'à maintenant, le gouvernement s'est traîné les pieds dans ce dossier. Par conséquent, nous disposons toujours du même système inefficace de freins et de contrepoids qui existait à l'époque où ces affaires sont survenues. Nous n'avons donc aucun moyen de vérifier de façon indépendante si les autres recommandations formulées par la commission d'enquête sur l'affaire Maher Arar ont été mises en oeuvre de manière efficace ou si elles continuent de l'être.
Notre comité demande également au gouvernement de corriger les faits quant aux allégations inexactes, incendiaires et injustifiées, ainsi qu'aux renseignements communiqués à des organismes étrangers au sujet de ces Canadiens.
Bien entendu, il y aurait un autre moyen pour le gouvernement de montrer qu'il réalise vraiment l'horreur de la torture et qu'il comprend et accepte les conclusions du juge Iacobucci selon qui les agences canadiennes étaient effectivement en partie responsables de ce qui est arrivé à ces hommes. En effet, il pourrait leur présenter des excuses.
Comme il l'indique dans son rapport, le comité a entendu un certain nombre de témoins, y compris des représentants d'Amnistie Internationale, d'organismes de défense des libertés civiles et d'un certain nombre d'organisations représentant les diverses communautés musulmanes et arabes au Canada. Selon ces témoins, un élément crucial de toute reconnaissance par le gouvernement du mal qui a été fait consisterait à présenter des excuses publiques et officielles à ces hommes et à prendre rapidement des mesures pour les indemniser financièrement.
C'est ce que le gouvernement a fait dans l'affaire Maher Arar. Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait faire la même chose pour ces trois hommes qui se sont retrouvés dans la même situation et qui ont subi des traitements identiques. Ces hommes méritent des excuses et des indemnités dans les plus brefs délais. Leurs carrières ont été détruites. Leur vie et celle des membres de leurs familles ont été démolies. Les enfants d'Abdullah Almaki ont été traumatisés par ce qui est arrivé à leur père. Le mariage d'Ahmad El Maai s'est effondré. Muayyed Nureddin ne pourra vraisemblablement plus jamais se rendre dans son pays d'origine pour visiter sa famille en raison des fausses allégations qui ont été transmises à d'autres gouvernements à son sujet.
Ces hommes sont maintenant aux prises avec des troubles de santé physique et mentale chroniques, conséquences des souffrances insupportables qui leur ont été infligées. Il est temps que le gouvernement cesse d'inventer des excuses et qu'il prenne immédiatement les dispositions nécessaires pour appliquer nos recommandations.
C'est simple, les citoyens canadiens ont le droit de s'attendre à ce que leur gouvernement ne transmette pas à des gouvernements étrangers des renseignements que ceux-ci pourraient utiliser pour les torturer. Les citoyens canadiens ont le droit de s'attendre à ce que leur gouvernement prenne les moyens nécessaires pour qu'aucun autre pays ne les emprisonne dans des cellules aussi exiguës que des tombeaux, ne leur attache des électrodes sur le corps, ne les flagelle avec des câbles, ne les affame, ne les torture ou ne les menace d'aucune façon. Car s'est ce qu'ont subi trois citoyens canadiens.
Que fait le gouvernement? Il leur livre une bataille juridique à la suite du rapport rédigé par un juge à la retraite de la Cour suprême du Canada. À quoi sert-il au gouvernement de commander une telle enquête à l'un des plus éminents juristes du pays pour ensuite refuser de se plier à ses conclusions et recommandations? Combien de temps devra-t-il perdre et combien de dollars des contribuables devra-t-il gaspiller dans une bataille juridique inutile, à l'issue de laquelle il devra inévitablement reconnaître que ce qui est arrivé à ces trois hommes est injustifié et intolérable dans une société libre et démocratique?
Chaque jour, je vois le gouvernement affirmer que rien ne prouve qu'il y ait eu de la torture en Afghanistan. Nous avons des preuves, obtenues par un juge à la retraite de la Cour suprême du Canada, que trois citoyens canadiens ont été torturés. Nous avons ces preuves. Il n'appartient pas au gouvernement de dire qu'il n'existe aucune preuve. En outre, l'ancien juge Iacobucci a découvert que les autorités canadiennes étaient, à tout le moins, en partie responsables de ce qui était arrivé. Cela a été clairement établi.
La commission d'enquête avait pour mandat de déterminer si des organismes canadiens étaient directement ou indirectement responsables de ce qui est arrivé à ces trois hommes. Qu'a-t-elle constaté? Que dans les trois cas, des organismes canadiens avaient indirectement joué un rôle dans ce qui leur est arrivé.
Compte tenu de ces constatations, je demande au gouvernement de faire le seul geste convenable, digne, démocratique et responsable, c'est-à-dire de négocier de bonne foi avec ces hommes un règlement respectable en guise de dédommagement. Chaque personne à la Chambre est le père ou la mère, le frère ou la soeur, le fils ou la fille de quelqu'un. Pouvons-nous imaginer être enfermés dans un avion et envoyés en Syrie ou en Égypte et être gardés pendant deux ans dans un espace grand comme un cercueil?
Pouvons-nous imaginer être torturés, puis revenir au Canada et entendre des politiciens dire que nous devons faire la preuve de nos allégations devant les tribunaux, qu'ils ne vont rien faire? C'est là la position du gouvernement. L'ex-juge Iacobucci de la Cour suprême du Canada, de même que la majorité des députés qui siègent au Comité de la sécurité ont établi les faits. Ils les ont vérifiés et confirmés.
Nous savons — et ce n'est pas une vue de l'esprit — que ce qui est arrivé à ces hommes était indirectement la faute des organismes canadiens. Ils méritent donc des excuses et un dédommagement.
C'est exactement ce que je demande au gouvernement de faire et je lui demande de clore ce triste chapitre de l'histoire du Canada, de sorte que nous puissions aller de l'avant et veiller à ce que plus jamais un citoyen canadien ne connaisse le même sort que ces trois hommes.