Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner la chance de vous parler du projet de loi C-428.
Je suis la chef régionale de la Colombie-Britannique et la responsable nationale de la gouvernance pour l'Assemblée des Premières Nations. Je suis ravie d'être ici en compagnie de Karen Campbell et d'Alyssa Melnyk, qui travaillent à nos bureaux.
En ce qui concerne le projet de loi C-428, il ne fait aucun doute que la Loi sur les Indiens « est une loi coloniale désuète », comme le dit le préambule. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Toutefois, nous nous demandons quoi faire de cette loi depuis trop longtemps déjà: devons-nous la porter en appel, la modifier ou la remplacer, et par quoi, le cas échéant? De plus, trouver le courage et le pouvoir de véritablement faire quelque chose à ce sujet est loin d'être simple.
Je félicite donc l'initiative du député Clarke qui, en déposant le projet de loi, a voulu stimuler davantage les échanges sur ce qu'il faut faire pour que le dossier avance. Malheureusement, le projet de loi C-428 n'est pas la solution. Nous avons besoin d'une gouvernance solide et convenable, et pas d'un rafistolage de la Loi sur les Indiens qui donne une illusion de progrès.
La bonne nouvelle, toutefois, c'est que les Premières Nations ont trouvé des solutions et que leurs efforts pour se débarrasser de la Loi sur les Indiens portent leurs fruits, même si c'est beaucoup trop lent. Nous devons continuer à mettre au point nos propres solutions en nous inspirant de nos réussites et de ce que nous avons appris depuis 40 ans des Premières Nations qui, grâce à des ententes d'autonomie gouvernementale sectorielles ou globales, se gouvernent déjà sans la Loi sur les Indiens.
Par ailleurs, il faut prévoir des mécanismes pour aider les Premières Nations à se départir de la Loi sur les Indiens à leur gré, lorsqu'elles sont prêtes, qu'elles le veulent et qu'elles en sont capables. Même si le projet de loi C-428, dans son préambule, reconnaît que la Loi sur les Indiens « ne prévoit pas un cadre législatif propice au développement de collectivités des Premières Nations autosuffisantes et prospères », il n'offre aucun mécanisme pour nous faire progresser vers un cadre législatif approprié qui aidera les collectivités à se départir complètement de la Loi sur les Indiens. Le projet de loi d'intérêt public S-212, Loi prévoyant la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Premières Nations du Canada, a été conçu pour répondre à ce besoin, et j'espère un jour pouvoir vous le présenter.
Le projet de loi C-428 est éclectique. En plus d'exiger à l'article 2 un rapport du ministre sur les progrès réalisés dans le cadre du remplacement de la Loi sur les Indiens, il propose deux types de modifications à cette loi. Certaines des dispositions abrogent ou modifient des articles de la Loi sur les Indiens qui n'ont plus leur raison d'être de nos jours, alors que les autres façonnent à notre place des volets du monde postcolonial dans lequel nous vivrons en abrogeant et en modifiant des articles de la loi, ou en y ajoutant certains passages. C'est le deuxième type de modifications qui pose problème. C'est d'autant plus grave que les changements ne seraient pas facultatifs et toucheraient toutes les Premières Nations encore gouvernées conformément à la Loi sur les Indiens.
Tant et aussi longtemps que ces dispositions ne sont pas amendées ou supprimées, le projet de loi C-428 ne doit pas être adopté. Paradoxalement, conserver ces articles pourrait même engendrer de nouveaux problèmes. Je sais que passer en revue les articles du projet de loi prendra un certain temps, mais je tâcherai de faire vite. J'espère donc que le comité fera preuve d'indulgence.
Je comprends l'intention de l'article 2, qui exige que le ministre présente un rapport à votre comité sur le travail accompli en vue de l'élaboration d'une nouvelle loi destinée à remplacer la Loi sur les Indiens. Mais selon moi, l'article laisse entendre que le processus pourrait prendre des années. Sauf votre respect, cela n'envoie pas le bon message. Nous avons déjà des solutions. Pour ma part, je trouve préférable de simplement accorder la priorité au progrès plutôt que de présenter un rapport sur les progrès réalisés quant à l'élaboration de dispositions législatives fédérales correctes.
Il est tout aussi important, bien sûr, que l'ensemble des Premières Nations connaissent les options de réforme qui s'offrent actuellement à elles en matière de gouvernance afin d'entrer dans l'ère postcoloniale — elles doivent savoir quel cadre stratégique les autres collectivités adoptent afin de remplacer la Loi sur les Indiens —, de même que le travail qu'il reste à faire. C'est pour cette raison que l'Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique a préparé une trousse sur la gouvernance, qui contient un rapport exhaustif sur le sujet. Monsieur le président, j'ai une copie de la trousse sur clé USB. Si vous le voulez bien, j'aimerais que les membres du comité puissent en prendre connaissance.
Le rapport auquel l'article 2 fait référence devra probablement être déposé au Parlement; il ne concerne pas uniquement le comité. L'article dit aussi que le rapport doit être préparé « en collaboration avec les organisations des Premières Nations et les autres parties intéressées », sans toutefois préciser de quelles organisations ou parties intéressées il peut bien s'agir.
De façon plus générale, il est loin d'être simple de déterminer quand une consultation est suffisante et jusqu'où il faut aller lors de l'élaboration d'une loi fédérale. Les exigences dépendent de l'intention de la loi. Doit-elle être habilitante ou bien gouverner les Premières Nations? Doit-elle être facultative?
Il faut adopter une attitude plus prévenante et rigoureuse. Nos collectivités sont extrêmement mécontentes des consultations qui ont été réalisées à ce jour.
L'article 3, qui modifie la définition de « réserve », est nécessaire en raison d'autres modifications proposées de la loi.
L'article 4 porte sur l'application de la Loi sur les Indiens hors des réserves et supprime les références à des articles de loi qui seront abrogés plus loin dans le projet de loi.
L'article 5 abroge les articles 32 et 33 qui, bien sûr, sont paternalistes et interdisent à une bande ou à un de ses membres de vendre son bétail ou ses cultures, à moins qu'un agent des Indiens ne l'approuve. Toutes les ententes d'autonomie gouvernementale abolissent ces articles, peu importe si l'agriculture relève ou non de la compétence de la collectivité. Ces articles auraient dû être abrogés il y a des années.
L'article 6 porte sur les réserves spéciales, mais j'ignore quelle est l'intention de la modification et pourquoi elle est proposée. Puisque cette partie de la loi est très complexe, tout remaniement de l'article pourrait avoir des conséquences imprévues.
L'article 7 supprime les articles de la Loi sur les Indiens qui portent sur les testaments, les successions et la transmission de biens par droit de succession. Voilà une des séries de modifications les plus problématiques à être proposées dans le projet de loi, car les provinces hériteraient ainsi automatiquement de la compétence en matière de testaments et de successions. Même si c'est ce que souhaitent certaines Premières Nations, appliquer tout bonnement la loi provinciale à tous les Autochtones sans autre choix équivaudrait à une abdication des compétences, ce qui n'est pas acceptable.
De plus, il s'agit d'un autre volet très complexe de la loi, qui est étroitement lié à la propriété et à la gestion des terres par les Premières Nations. Il faut plutôt s'attaquer à la question après qu'une collectivité a adopté un plan concernant la gestion foncière, les titres de propriété, les intérêts courus et enregistrés, et ainsi de suite. Toute entente d'autonomie gouvernementale comporte des dispositions sur les terres, les testaments et les successions.
L'article 8 abroge l'article de la Loi sur les Indiens qui permet au ministre d'annuler tout règlement administratif pris par un conseil en vertu de l'article 81 de la même loi. Même si nous ne contestons pas le principe guidant la modification, celle-ci causera des problèmes si elle ne s'inscrit pas dans une approche plus globale de reconstruction de la collectivité.
La véritable question a trait d'abord au processus d'adoption des lois au sein des Premières Nations, puis à la légitimité des organismes qui s'en chargent en vertu de la Loi sur les Indiens et à la portée des pouvoirs législatifs. La Loi sur les Indiens ne prévoit aucune procédure permettant aux Premières Nations d'élaborer et d'édicter des règlements administratifs ou des lois. On ne jugeait peut-être pas cela suffisamment important ou nécessaire compte tenu du pouvoir d'annulation du ministre. Mais avant de conférer des pouvoirs législatifs aux administrations, les citoyens veulent qu'une procédure ouverte et transparente soit mise en place afin d'examiner comme il se doit le fondement politique de toute loi. Voilà un exemple de bonne gouvernance.
Contrairement au projet de loi à l'étude, le projet de loi S-212 propose qu'une Première Nation mette en place son propre processus législatif lors de sa création, qui fera partie de la proposition de gouvernement autonome que les citoyens ratifieront lorsqu'ils se voteront pour déterminer si la collectivité doit se départir de la Loi sur les Indiens.
Le débat devrait plutôt porter sur les domaines de compétence que les Premières Nations veulent ou doivent avoir. Dans le cadre de cette discussion plus large, on devrait se pencher sur les pouvoirs actuels d'édicter des règlements administratifs conférés par la Loi sur les Indiens.
L'article 9 abroge les pouvoirs d'adopter des règlements administratifs sur les boissons alcoolisées prévus à l'article 85.1 de la Loi sur les Indiens. En Colombie-Britannique, par exemple, 32 Premières Nations ont créé de tels règlements en vertu de l'article. Si vous le supprimez, les règlements administratifs actuels de nos Premières Nations à ce sujet ne seront plus valides, et les collectivités perdront ce pouvoir. Je suis persuadée que ce n'était pas l'intention des rédacteurs. Nous avons besoin de ce pouvoir. En fait, il devrait gagner en importance. D'ailleurs, toute entente d'autonomie gouvernementale s'attarde à la gouvernance des boissons alcoolisées. Il faut donc supprimer l'article 9.
L'article 10 porte sur la publication des règlements administratifs et remplace l'article 86 de la Loi sur les Indiens par une disposition qui oblige les Premières Nations à publier tout règlement administratif sur son site Internet, dans la First Nations Gazette, un terme qui n'est toutefois pas défini dans le projet de loi, ainsi que dans un journal local. L'intention est louable, mais encore ici, c'est l'exécution qui pose problème. Toute entente d'autonomie gouvernementale et de gouvernance sectorielle prévoit la publication des lois afin que tous ceux qu'elles touchent y aient accès et puissent en bénéficier.
Les considérations politiques varient selon les différents types de lois, en fonction de ceux qui y sont assujettis. Actuellement, un certain nombre de méthodes de publication sont employées. Voilà un des domaines dont les Premières Nations devront tenir compte lorsqu'elles rebâtiront leurs institutions gouvernementales après la disparition de la Loi sur les Indiens. Les règlements administratifs et les lois des Premières Nations se comptent aujourd'hui par milliers. En Colombie-Britannique seulement, les collectivités en ont adopté plus de 2 500. Et il y en aura encore des milliers de plus, à l'avenir.
La proposition de publier l'ensemble des règlements administratifs et des lois dans un journal n'est pas réaliste, naturellement. De la même manière, le fait que les règlements administratifs de toutes les Premières Nations soient regroupés dans la First Nations Gazette, la publication d'un centre juridique universitaire qui relève de la commission de la fiscalité, soulève aussi bien des questions sérieuses en matière de politique.
De plus, l'article 10 exige que les règlements administratifs entrent en vigueur lorsqu'ils sont publiés dans la gazette du site Internet, ou bien dans le journal. Encore une fois, c'est trop simpliste. Une loi peut entrer en vigueur à une date prévue au libellé, et les articles d'une même loi n'entrent pas toujours tous en vigueur au même moment. Certaines lois doivent être publiées avant de pouvoir entrer en vigueur, alors que d'autres entrent effectivement en vigueur au moment de la publication. Tout dépend de la loi et des objectifs stratégiques du gouvernement qui l'a créée.
L'article 11 abroge l'article 92 de la Loi sur les Indiens, qui dit que certaines personnes agissant en qualité de fiduciaires ne peuvent pas faire un commerce lucratif avec un Indien à moins d'avoir obtenu un permis à cette fin auprès du ministre. Cet article doit être abrogé, comme c'est le cas dans toute entente d'autonomie gouvernementale.
L'article 12 présente une modification consécutive sur la saisie des marchandises. Il faudra l'amender si le pouvoir d'édicter des règlements administratifs sur les boissons alcoolisées est conservé.
L'article 13 porte sur les amendes. J'ignore pourquoi les rédacteurs ont décidé que l'amende appartient à Sa Majesté au bénéfice de la bande plutôt qu'à la bande elle-même, tout simplement. Il faudrait amender ce passage, comme le font les ententes d'autonomie gouvernementale.
L'article 14 abroge les infractions prévues à l'article 105 de la Loi sur les Indiens.
Le reste des articles du projet de loi, soit de 15 à 19, portent sur les écoles.
Les modifications proposées aux articles 15 à 17 suppriment toute référence aux institutions religieuses ou de charité et au fonctionnement des pensionnats. À mon avis, ces modifications auraient dû être apportées tout de suite après les excuses officielles présentées aux survivants des pensionnats.
Les articles 18 et 19 portent sur les articles 117 à 121 de la Loi sur les Indiens et concernent la fréquentation scolaire et les agents de surveillance. Les articles combinent les dispositions et disent qu'un enfant n'est pas tenu de fréquenter l'école s'il est malade ou s'il reçoit une instruction à la maison. Nous ne sommes pas contre ces modifications. Or, ces enjeux sont traités dans nos propres lois en matière d'éducation et devraient entrer en ligne de compte dans une discussion globale sur la gouvernance et la gestion des écoles et des terres de Premières Nations.
Pour terminer, même si le projet de loi part d'une bonne intention, il comporte des lacunes pour les raisons que j'ai mentionnées. S'il va quand même de l'avant, je vous recommande d'en améliorer le préambule. Il faudrait aussi étudier de plus près qui le gouvernement devra consulter dans le cadre de son rapport sur les progrès réalisés afin de remplacer la Loi sur les Indiens. Faut-il consulter le Parlement ou un comité? Il ne devrait pas s'agir d'un simple rapport provisoire sur les initiatives législatives fédérales.
Comme je l'ai dit, je recommande d'amender ou d'abroger les articles 2, 4 et 13, et de supprimer les articles 3, 5, 7 et 10, puisque les considérations politiques sont bien plus complexes que les solutions proposées dans le projet de loi. Nos Premières Nations doivent amorcer les changements.
Il reste donc l'article 8, sur lequel j'ai des réserves puisque les Premières Nations auront du pain sur la planche afin de mettre en place des procédures législatives. Les articles 11, 13, 15, 16, 17, 18 et 19 du projet de loi abrogent pour la plupart des articles de la Loi sur les Indiens qui devaient disparaître.
Voilà ce que j'avais à dire, et j'ai hâte d'entendre vos questions.