Monsieur le Président, je suis très heureux d'intervenir ce soir sur le projet de loi C-54.
En tant que membre du Comité de la justice, j'ai eu l'occasion d'étudier cette mesure en détail et d'entendre les témoins qui comparaissaient à son sujet devant le comité. Nous avons entendu des témoins très favorables au projet de loi, des victimes d'individus qui ont, finalement, été déclarés non criminellement responsables. Ils espéraient que le projet de loi leur viendrait en aide sur certains points. Ils ont aussi fait d'autres commentaires.
Nous avons également entendu certaines personnes qui se disaient préoccupées par le projet de loi. Sauf leur respect, je dirais que, lorsque nous avons analysé les arguments ou les préoccupations qu'elles ont formulés devant le comité, nous avons constaté qu'ils résultaient soit d'une mauvaise compréhension du projet de loi, soit du fait que celui-ci n'avait pas été lu, soit, éventuellement, d'une combinaison des deux, car la plupart des critiques ne résistaient pas à l'examen des membres du comité.
Je voudrais parler des effets du projet de loi. Je vais commencer en évoquant quatre des changements essentiels qu'il apporte.
À mon avis, l'un des changements essentiels prévus dans le projet de loi C-54 fait de la sécurité du public le facteur prépondérant à prendre en considération lorsqu'il faut décider si un individu déclaré non criminellement responsable peut être remis en liberté.
Comme je le fais souvent, lorsque j'interviens pour traiter d'une mesure législative relevant de la justice pénale, je signale que bon nombre des mesures que nous nous proposons relèvent du bon sens. Lorsque nous parlons à l'homme de la rue, par exemple, ou lorsque je m'adresse aux gens de ma circonscription, Brampton-Ouest, pour leur expliquer ce que nous faisons et pour leur décrire le changement que nous allons effectuer grâce à ce projet de loi, ils répondent souvent: « Vraiment? Faut-il effectivement apporter ce changement? Eh bien, que cela figure dans la loi relève tout simplement du bon sens. Pourquoi a-t-il fallu apporter ce changement? ».
Lorsque nous affirmons que la sécurité publique prime, nous voulons dire que c'est la sécurité du public qui sera le facteur prépondérant lorsqu'un tribunal ou une commission d'examen rendra une décision concernant un accusé déclaré non criminellement responsable — ce qui est logique en soi. Nous allons aussi codifier certains éléments jurisprudentiels de la Cour suprême qui touchent ce domaine. Dans R. c. Conway, la Cour suprême a clairement fait savoir qu'elle avait d'abord et avant tout considéré la sécurité du public dans sa décision. Donc, en modifiant cet article, c'est-à-dire l'article 672.54 du Code criminel, on exigera clairement que
Dans le cas où une décision est rendue [...], le tribunal ou la commission d’examen rend, en prenant en considération, d’une part, la sécurité du public qui est le facteur prépondérant et, d’autre part, l’état mental de l’accusé, sa réinsertion sociale et ses autres besoins,...
— et c'est ici qu'intervient le changement —
...celle des décisions ci-après qui est nécessaire et indiquée dans les circonstances [...]
Encore une fois, c'est ce qui serait logique. Une décision nécessaire et appropriée serait prise en fonction des circonstances.
Un autre changement majeur consiste à intégrer dans la loi la notion d'accusé dit à haut risque.
Durant les témoignages devant le comité, plusieurs ont fait valoir que les mesures envisagées allaient vouer les gens à l'opprobre. Ils nous ont dit: « Comment osez-vous désigner quelqu'un à haut risque. Il s'agit peut-être de personnes souffrant de graves troubles mentaux et voilà que vous les stigmatisez. »
Je maintiens exactement le contraire. En fait, nous ne stigmatiserons pas les gens aux prises avec un trouble de santé mentale, car nous soutenons en fait qu'une poignée de gens peuvent présenter un risque élevé. Par conséquent, nous ferons cesser la stigmatisation envers tous les autres, parce que la population saura qu'ils ne sont pas désignés à haut risque.
Durant les séances du comité, lorsque les gens soulevaient ces questions, je les invitais sans cesse à bien examiner l'article en question.
L'article 672.64 du projet de loi dit très clairement: « Sur demande du poursuivant faite avant toute décision portant libération inconditionnelle de l’accusé, le tribunal peut, au terme d’une audience, déclarer qu’un accusé [...] est un accusé à haut risque [...] »
Plusieurs choses peuvent arriver.
Un avocat de la Couronne peut faire une demande. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'un avocat de la Couronne présenterait une telle demande chaque fois qu'une personne est reconnue non criminellement responsable. Bien au contraire. Je connais les avocats de la Couronne. Ma femme en est une. Ils travaillent fort. Ils n'ont pas besoin de plus de travail. Ils ne vont pas s'efforcer de monter un dossier parce qu'ils tiennent absolument à ce qu'une personne soit désignée accusé à haut risque. Ils présenteraient une demande seulement lorsqu'ils ont de vives inquiétudes.
Même si une personne suscite de grandes préoccupations chez un procureur de la Couronne, cela ne veut pas dire qu'elle serait nécessairement désignée à haut risque. En effet, il faut tout d'abord que le procureur présente une demande, puis celui-ci doit convaincre un juge que la désignation d'accusé à haut risque est nécessaire dans les circonstances.
J'aimerais revenir à l'article du projet de loi, qui dit:
[...] au terme d’une audience, [le tribunal peut] déclarer qu’un accusé [...] qui a fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux pour une infraction grave contre la personne [...] est un accusé à haut risque si [...] il est convaincu qu’il y a une probabilité marquée que l’accusé usera de violence de façon qu’il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne;
Lorsqu'on lit de près cet article, on comprend que, pour qu'une personne soit désignée à haut risque, il faut que le tribunal soit convaincu qu'il existe une probabilité marquée que l'accusé usera de violence de façon qu'il pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d'une autre personne. Cela relève du gros bon sens. Pourquoi est-ce qu'on envisagerait une libération inconditionnelle dans le cas d'une personne qui pourrait présenter un risque élevé et s'il y avait une probabilité marquée qu'elle usera de violence de façon qu'elle pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité d'une autre personne? C'est là un des critères que l'on a modifiés. Je suis convaincu que les juges l'appliqueraient judicieusement et que les procureurs de la Couronne n'invoqueraient pas cette disposition à outrance.
La deuxième façon par laquelle une personne pourrait être déclarée à haut risque, c'est si le tribunal est d'avis que les actes à l’origine de l’infraction étaient d’une nature si brutale qu’il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne. Un certain nombre de témoins ayant comparu devant le comité ont déclaré que cette disposition est inacceptable et que la personne ayant commis une infraction brutale sera déclarée à haut risque. Ce n'est pas vrai. C'est ce qu'ont déclaré un certain nombre de témoins devant le comité. J'ai dû leur expliquer en détail le sens de cette disposition proposée. Celle-ci ne dit pas simplement « brutale ». Si nous lisons bien la disposition proposée, nous nous rendons compte que ce n'est pas ce qu'elle stipule. Permettez-moi de la lire:
[Si le tribunal] est d'avis que les actes à l’origine de l’infraction étaient d’une nature si brutale qu’il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne.
Il doit y avoir une certaine corrélation. Il ne s'agit pas simplement d'une infraction brutale. La disposition stipule plutôt que l'infraction est d'une nature si brutale qu'il y a un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne. Par conséquent, ceux qui laissent entendre qu'une personne ayant commis une infraction brutale serait déclarée à haut risque ne disent pas toute la vérité ou n'ont pas pris le temps de lire la disposition proposée et de comprendre ce qu'elle dit.
Ce n'est pas suffisant. Cela ne signifie pas simplement qu'il doit y avoir un risque de préjudice grave — physique ou psychologique — pour une autre personne. En effet, au paragraphe (2), « Facteurs à considérer », on peut lire ce qui suit:
Pour décider s’il déclare ou non que l’accusé est un accusé à haut risque [...]
Cela pourrait intervenir dans la première partie des critères dont j'ai parlé ou dans la deuxième partie. Dans les deux cas, le tribunal doit être convaincu d'avoir pris en compte tout élément de preuve pertinent inclus dans la liste. Cependant, l'expression « tout élément de preuve pertinent » ne signifie pas qu'il se limite aux facteurs figurant dans la liste dont le juge doit tenir compte. Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive.
Même si l'on accepte l'argument concernant la nature brutale de l'infraction, il faut prendre en compte d'autres éléments: la nature et les circonstances de l'infraction; la répétition d'actes comme celui qui est à l'origine de l'infraction; l'état mental actuel de l'accusé; et l'avis des experts qui l'ont examiné.
Même si quelqu'un essaye de présenter une demande fondée sur la « nature brutale » de l'infraction, le tribunal devra prendre en compte tous les éléments de preuve, notamment l'avis des experts qui ont examiné l'accusé.
La critique voulant que la nature brutale d'un crime puisse amener le juge à considérer que son auteur est un individu à haut risque, ne tient pas la route. Ce n'est pas un argument légitime, car l'article de la loi énonce quelque chose de très différent.
En comité, on a soulevé une autre question: si un accusé est déclaré à haut risque, il devra attendre trois ans avant d'obtenir une révision, ce qui n'est pas souhaitable. Ce n'est absolument pas le cas. L'attente n'est pas automatiquement de trois ans. Dans certaines circonstances, la révision de la décision concernant l'accusé déclaré à haut risque peut être prorogée jusqu'à un maximum de 36 mois, mais ce n'est pas automatique.
Le cas est intéressant, car cette question de la prorogation automatique de trois ans a été soulevée par le juge Richard Schneider, qui est venu au comité pour nous donner son avis et qui a laissé entendre que le délai de trois ans était obligatoire. Je lui ai demandé s'il pouvait me montrer où cela figurait dans l'article. Je reconnais qu'on a manqué de temps pour en discuter, mais il n'a pas pu trouver la référence. En revanche, lorsque j'ai examiné l'article, qui figure à la page 8 de la loi, vers la ligne 20, j'ai vu que le délai pouvait être porté à trois ans dans deux cas de figure.
Tout d'abord, quand une décision a été révisée, le délai préalable à la tenue d'une audience de révision peut être prorogé jusqu'à un maximum de 36 mois si l'accusé est représenté par un avocat et que le procureur général et l'accusé y consentent. Il faut obtenir le consentement de l'accusé. Évidemment, comme on a affaire à un accusé, et en l'occurrence, un accusé non criminellement responsable, celui-ci doit être représenté par un avocat et le procureur général doit donner son consentement, car il est indispensable d'obtenir un consentement réel et légitime pour que le délai soit porté à 36 mois.
L'autre possibilité de prorogation figure, elle aussi, dans l'article. J'insiste sur ce sujet, car il faut lire l'article avant de le commenter. On y lit ceci:
[...] la commission d’examen peut, après avoir rendu une décision au terme de l’audience tenue en application du paragraphe 672.47(4) ou au terme de l’audience de révision tenue en application du présent article à l’égard d’un accusé à haut risque, proroger le délai préalable à la tenue d’une audience de révision subséquente en application du présent article jusqu’à un maximum de trente-six mois [...]
Voici pourquoi: « [...] si [la commission d'examen] est convaincue, à la lumière de tout renseignement utile, notamment les renseignements décisionnels [...] et tout rapport d'évaluation fait à la suite d'une ordonnance d'évaluation rendue en vertu [d'un certain] alinéa [...], que l’état de l’accusé ne s’améliorera probablement pas et que sa détention demeure nécessaire pendant la période de prorogation ». C'est un élément névralgique: il faut pouvoir dûment démontrer que cette prorogation est nécessaire.
Un point est ressorti clairement de presque tous les témoignages au comité: les commissions d'examen font du bon travail. Leurs membres ne ménagent aucun effort et ils savent interpréter la loi. C'est pourquoi nous laissons aux commissions le soin de décider de la pertinence de proroger le délai jusqu'à 36 mois.
C'est intéressant, car un témoin a laissé entendre au comité que quelque chose clochait avec ce délai de 36 mois. Pourtant, la lecture de l'article pertinent montre bien qu'il faut d'abord constater que l'état de l'accusé ne s'améliorera probablement pas et juger qu'il demeure nécessaire de garder cet accusé en détention tout au long de la prorogation.
Ce qui est intéressant, c'est que, lorsque j'ai eu l'occasion d'en discuter avec Catherine Latimer, de la Société John Howard, elle m'a répondu: « Oui, je l'avais remarqué. Mais vous constaterez que, quand on donne à des organismes très occupés comme [...] les commissions d'examen la possibilité de réduire la fréquence des examens, ils vont toujours en profiter le plus possible. »
Mme Latimer a essentiellement dit que les commissions d'examen ne tiennent pas compte des critères. Elles ne prennent pas en considération le fait que l’état de l’accusé peut s'améliorer. Elles porteront le délai à 36 mois parce qu'elles sont débordées. C'est ce qu'a déclaré l'un des témoins qui disent que le projet de loi ne devrait pas être adopté. C'était son argument. Je ne souscris absolument pas à cette idée.
Parlons brièvement des droits des victimes, qui sont un aspect important du projet de loi. Je peux dire que j'ai entendu des témoignages absolument déchirants de gens qui sont venus parler de membres de leur famille qui ont été tués par un accusé ayant reçu un verdict de non-responsabilité criminelle. Ils ont parlé de leur enfant assassiné. Nous avons entendu des témoignages comme ceux-là qui étaient très difficiles à écouter.
Je peux vous parler de certains aspects dont ils sont mécontents et que nous voulons corriger. Nous ne pouvons pas changer ce qui s'est passé. Nous en sommes tous conscients.
Je ne me souviens plus qui a raconté ce qui suit. Alors qu'elle marchait dans un centre commercial, cette personne s'est trouvée nez à nez avec l'accusé ayant reçu un verdict de non-responsabilité criminelle après avoir commis des actes de violence contre un membre de sa famille. Cette personne a alors été prise de panique. Le projet de loi prévoit notamment que les victimes recevront un avis faisant étant de la libération de l'accusé ayant reçu un verdict de non-responsabilité criminelle. Elles recevront donc un avis lorsque l'accusé sera complètement libéré. Il s'agit d'une énorme amélioration.
Par ailleurs, nous rendons obligatoires les déclarations des victimes. Si les victimes font des déclarations, il faudra en tenir compte avant qu'une décision ne soit rendue. Nous rendons aussi obligatoires les ordonnances de non-communication. Si les victimes ne veulent pas que l'accusé ayant reçu un verdict de non-responsabilité communique avec elles, elles en ont le droit. C'est tout à fait logique.
J'ai un excellent exemple de collaboration bipartisane au comité. Mon collègue du NPD a proposé un amendement portant qu'on avise les victimes du lieu de résidence projeté des personnes accusées déclarées non criminellement responsables. Cela a été inspiré par l'histoire de cette victime qui est tombée face à face avec l'accusé, qui avait fait l'objet d'un verdict de non responsabilité criminelle, au centre d'achat. Si les victimes sont mises au courant de la libération d'un accusé et de son futur lieu de résidence, il y a de bonnes chances que ces incidents malheureux ne se multiplient pas.
Un autre point soulevé au comité était qu'à cause de cette mesure législative, les personnes accusées déclarées non criminellement responsables seraient incarcérées. C'est M. J. Paul Fedoroff qui a abordé cette question. Je lui ai demandé où, dans le projet de loi, on disait que des accusés déclarés non criminellement responsables se retrouveraient en prison. Il n'a pas pu me montrer de disposition en ce sens. Je lui ai ensuite expliqué l'article pertinent en précisant ce qui arriverait. Les personnes jugées à haut risque recevraient un traitement.
Pour en revenir aux modalités de la décision, l'alinéa 672.54c) précise « une décision portant détention de l'accusé », et c'est la clé, « dans un hôpital ». Quelqu'un désigné à haut risque n'ira pas en prison. Je ne sais pas d'où cela sort. Ce n'est pas vrai. Les accusés ayant reçu un verdict de non-responsabilité criminelle seront envoyées dans un hôpital à des fins de traitement.
Lorsque j'ai signalé cela, on m'a répondu qu'avant d'être déclarés non criminellement responsables, les accusés seraient mis en prison, et que c'était là le problème. C'est ainsi que le système fonctionne à l'heure actuelle. Toute personne qui a commis un crime grave et qui n'est pas libérée sous caution en attendant son procès, est incarcérée. La mesure ne changerait pas cela.
C'est un instrument législatif auquel on n'aurait pas souvent recours. C'est un outil. Je vois cela comme une double vérification. Lorsqu'une commission d'examen est sur le point de libérer inconditionnellement un accusé non criminellement responsable, il serait possible de déposer au tribunal une déclaration portant que cette personne peut présenter un risque élevé de récidive et commettre un acte violent. On pourrait demander au tribunal de se pencher sur le cas et de s'assurer que c'est la bonne décision. C'est une vérification logique et raisonnable, et j'espère qu'elle obtiendra l'appui de tous les députés de la Chambre des communes.