Monsieur le Président, il y a plusieurs problèmes avec cette motion du NPD.
Premièrement, elle manque de respect envers la Cour suprême. Deuxièmement, elle manque de respect envers les provinces. Troisièmement, le NPD aide le gouvernement qui préférera discuter de la question du Sénat plutôt que de celle des 90 000 $. Pire encore, l'impact de cette motion sera d'éliminer le rôle du gouvernement fédéral dans son ensemble. Cette motion est donc tout à fait ridicule.
Lorsque mes collègues libéraux et moi avons vu la motion présentée par le NPD aujourd'hui, nous avons été pris par surprise. Nous pensions que le caucus de ce parti, et en particulier son porte-parole pour les questions concernant le Conseil du Trésor, comprenait les effets d'une telle proposition pour l'État. En somme, l'appareil étatique cesserait de fonctionner d'ici la fin de l'année financière. Jamais nous n'aurions pu croire que les néo-démocrates veuillent faire une chose pareille. Mais il ne faut jamais prêter de mauvaises intentions aux gens lorsque leur comportement peut s'expliquer par l'ignorance. Les députés de mon parti pensent qu'il est tout à fait possible que le NPD ne sache pas du tout comment fonctionne l'État fédéral.
Il est clair que le NPD préconise l'abolition unilatérale du Sénat par le gouvernement fédéral. Les libéraux ne peuvent pas souscrire à un tel projet à courte vue, qui est franchement anticonstitutionnel. Nous sommes profondément inquiets de voir quels moyens le NPD est prêt à prendre pour atteindre cet objectif, y compris mettre complètement à l'arrêt l'appareil étatique canadien dans son ensemble, et également de nombreuses administrations publiques provinciales.
Premièrement, permettez-moi de parler de la question sous-jacente à celle de la réforme du Sénat. Malgré ce que peuvent en dire les conservateurs et les néo-démocrates, les libéraux ne sont pas contre la réforme du Sénat. Nous ne cherchons pas à maintenir le statu quo. Mais nous nous opposons aux déclarations anticonstitutionnelles faites du haut de la Colline du Parlement d'Ottawa pour exiger des changements au Sénat. Ne nous méprenons pas. C'est ce que les néo-démocrates proposent. Après nous avoir beaucoup parlé de consultation des provinces, les voilà qui décident à l'avance de l'issue des discussions. Ce n'est pas de la consultation. Les provinces méritent d'avoir leur mot à dire dans ce dossier.
Avant qu'on entreprenne des discussions sur la réforme du Sénat, les Canadiens, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral doivent connaître les conditions qui régiront ces discussions. La question est actuellement entre les mains de la Cour suprême du Canada. C'est la façon responsable de la gérer. D'ailleurs, les libéraux demandent au gouvernement de suivre cette voie depuis des années, mais celui-ci a constamment reporté le dossier à plus tard. Les conservateurs préfèrent se contenter de faire semblant. Même s'ils n'en parlent pas publiquement, ils savent qu'apporter des changements au Sénat ne peut se faire qu'en menant des négociations complexes et délicates avec les provinces. Les néo-démocrates ont la même attitude que les conservateurs. Ils ne veulent pas attendre la décision de la Cour suprême, car ils savent très bien que leur politique est inapplicable.
Mon collègue, le député de Saint-Laurent—Cartierville, est aussi porte-parole libéral en matière de démocratie. Il a beaucoup travaillé sur ce dossier, et j'ai souvent discuté avec lui de la réforme du Sénat. Je me permets de citer longuement ce qu'il a dit à propos de la complexité de cette réforme.
De nombreux Canadiens voudraient que les sénateurs soient élus. Cela se comprend: ce serait plus démocratique. Mais que se passerait-il si, comme le propose le gouvernement [du premier ministre], on changeait la façon de combler les sièges sénatoriaux sans modifier la Constitution en conséquence? Si l’on faisait ce que veulent les Conservateurs, voici ce qu’on aurait: pas de mécanisme de résolution des différends entre la Chambre et un Sénat élu; une sous-représentation permanente de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, avec six sénateurs chacune, alors que le Nouveau-Brunswick en a dix; une paralysie à l’américaine, et maintenant, à l’italienne, causée par des conflits tenaces entre deux chambres élues; et d’amères disputes constitutionnelles au sujet du nombre de sénateurs auquel a droit chaque province.
Alors, commençons par le commencement: les provinces sauront-elles s’entendre sur la distribution des sièges sénatoriaux? Si elles y arrivent, il faudra s’accorder sur les pouvoirs constitutionnels à attribuer au Sénat pour parvenir à une complémentarité de bon aloi avec la Chambre des communes plutôt qu’à un dédoublement paralysant. Après, il faudra s’entendre sur un mode d’élection des sénateurs et enfin, amender la Constitution en conséquence.
Si les provinces n’arrivent pas à s’entendre sur le nombre de sénateurs auquel elles ont droit, il faudra éviter le genre de chaos constitutionnel que créerait un Sénat élu. Alors [plutôt que de se risquer dans une telle aventure] exigeons plutôt que le Premier ministre demeure imputable de la qualité des gens qu’il nomme à la Chambre haute. Et laissons le Sénat continuer à jouer le rôle que lui ont dévolu les Pères de la Confédération: celui d’une chambre où l’on procède à un « second examen objectif ».
La citation était longue, mais je pense qu'elle propose une manière raisonnable de réformer le Sénat.
Par contre, la motion, elle, n'est certes pas raisonnable.
Les questions en jeu ne sont pas simples. Le Sénat est l'organe de représentation régionale des provinces. Les gouvernements provinciaux n'attendront pas les bras croisés que le caucus néo-démocrate décide pour eux du sort du Sénat. Regardons les choses en face: des consultations sur les moyens d'abolir le Sénat, ce n'est pas la même chose que des consultations sur la réforme du Sénat.
Passons maintenant à l'incroyable motion dont la Chambre est saisie. Comme je l'ai dit au début de mon intervention, je ne crois pas que les néo-démocrates soient animés de mauvaises intentions. Je crois simplement qu'ils ne comprennent pas très bien comment le gouvernement du Canada gère ses dépenses.
La motion est mal formulée. Que réclame au juste le député? Ce n'est pas clair. Veut-il simplement qu'on réduise à zéro les crédits annuels du Sénat, comme le propose son collègue, le député de Winnipeg-Centre, pour les votes sur les crédits de ce soir? Ou est-ce que le NPD demande aussi qu'on modifie la Loi sur le Parlement du Canada de manière à retirer leur salaire aux sénateurs?
Je laisse le bénéfice du doute au député, car j'espère que les néo-démocrates ne cherchent pas à faire en sorte que les sénateurs ne travaillent plus mais qu'ils continuent à toucher leur plein salaire.
Cela dit, les néo-démocrates veulent manifestement abolir le Sénat sans d'abord apporter les modifications nécessaires à la Constitution du Canada. C'est comme s'ils pensaient avoir trouvé un moyen de contourner nos lois fondatrices tout en faisant abstraction de la Cour suprême et des provinces.
La motion n'a pas pour effet d'abolir le Sénat, mais de le paralyser. Même s'ils détestent le Sénat au plus haut point, c'est un élément nécessaire du gouvernement en vertu de la Constitution.
Considérons les effets que cette proposition aurait sur le gouvernement. Le Sénat continuerait d'exister. En fait, il est fort probable que les sénateurs toucheraient encore leur salaire. On remarquerait toutefois des changements le 1er juillet, date à laquelle le financement cesserait. Le couloir et les bureaux au bout du couloir seraient déserts. Les gardiens de sécurité et le personnel du Sénat seraient mis à pied. Ce serait bien malheureux pour nos collègues de la Chambre dont les bureaux se trouvent dans l'édifice de l'Est.
On ne remarquerait pas de changement majeur avant l'automne, à la reprise des travaux après l'ajournement d'été. C'est alors que commencerait le retard dans l'étude des projets de loi.
L'article 55 de la Loi constitutionnelle établit ceci:
Lorsqu’un bill voté par les Chambres du Parlement sera présenté au gouverneur-général pour la sanction de la Reine [...]
et ainsi de suite — ce qui signifie que le Parlement ne peut pas décider seul d'un tel changement.
Aux termes de la Constitution, les projets de loi doivent être adoptés par les deux Chambres du Parlement. Si le NPD élimine le Sénat, nous ne pourrons plus adopter de lois, pas même de mesures financières ni de projets de loi portant attribution de crédits. Autrement dit, il faut le consentement des deux Chambres pour qu'une mesure législative soit adoptée. C'est inévitable, à moins de modifier la Constitution.
Cela ne dérangera sans doute pas beaucoup les députés de l'opposition, libéraux comme néo-démocrates, si le gouvernement n'arrive pas à faire adopter son programme idéologique, mais les projets de loi d'initiative parlementaire seront également paralysés et on ne pourra plus adopter de projets de loi de crédits.
Cela me fournit une bonne occasion d'expliquer à mes collègues néo-démocrates comment le gouvernement dépense l'argent, parce qu'ils ne semblent pas très bien comprendre le processus.
Toute dépense doit être autorisée par une loi adoptée par les deux Chambres du Parlement. La seule exception a lieu à l'occasion d'élections générales, et uniquement dans ce cas, le gouvernement pouvant alors recourir à un mandat spécial du gouverneur général. C'est la seule exception.
Les autorisations de dépenser, qu'on appelle des crédits, sont obtenues de deux façons: ou bien il existe une loi qui accorde une autorisation permanente de dépenser, ou bien des projets de loi de crédits sont adoptés par nous chaque année.
Les députés sont peut-être plus familiers avec le processus des projets de loi de crédits, car ceux-ci sont appuyés par le Budget principal des dépenses que nous examinons périodiquement à la Chambre et en comité. En fait, ce soir, nous sommes saisis de deux projets de loi de crédits.
Il est important de tenir compte du fait que les dépenses doivent être autorisées par le Parlement chaque année, car je ne pense pas que le NPD a réfléchi à cet aspect de la question.
Les dépenses approuvées, c'est-à-dire les crédits que nous approuvons chaque année, financent le fonctionnement du gouvernement. Les fonds qui servent à payer le salaire des fonctionnaires, les factures de chauffage et d'électricité et le papier pour imprimante doivent tous être approuvés chaque année. Un Sénat privé de financement ne pourrait pas les approuver.
Cela me ramène au 1er avril 2014, date à laquelle le NPD veut que le gouvernement du Canada cesse complètement de fonctionner. Cela correspond au début du prochain exercice financier. Tous les fonds que nous avons approuvés cette année expirent le 31 mars. Peu importe que les ministères se serrent la ceinture et économisent en prévision de la fermeture, les crédits expirent tout simplement.
Cela créerait une situation semblable à celle qui s'est produite aux États-Unis lorsque Newt Gringrich a forcé le gouvernement à interrompre ses activités en 1995 et en 1996. Cependant, il s'avère que les États-Unis sont préparés à une telle éventualité. La Antideficiency Act permet à certains fonctionnaires de continuer à toucher leur salaire et de conserver leur emploi afin que certains programmes de soutien de base, comme la sécurité sociale et les activités liées à la sécurité publique, poursuivent leurs activités si le gouvernement cesse de fonctionner.
Le Canada ne dispose pas d'une telle mesure.
Si on adoptait le plan du NPD, le 1er avril 2014 serait un jour sombre dans l'histoire canadienne. Les Forces armées canadiennes cesseraient leurs activités. La GRC ne serait plus payée. Le Service correctionnel du Canada fermerait ses portes. Les Canadiens seraient préoccupés par ces événements, mais s'ils se tournaient vers CBC/Radio-Canada pour s'informer à ce sujet, ils seraient terriblement déçus, puisque la société est fortement tributaire des crédits annuels. Les Canadiens pourraient appeler le gouvernement pour lui faire part de leurs préoccupations, mais en vain. Les téléphones sonneraient, mais il n'y aurait personne pour répondre.
Des procédures automatisées se poursuivraient pendant un certain temps. Selon Hydro Ottawa, nous aurions environ 40 jours pour payer la facture avant qu'on coupe le courant. Incapables de payer le loyer, de nombreux ministères verraient leurs employés expulsés des immeubles à bureaux qu'ils occupent partout au pays.
Il est presque certain que d'autres pays voudraient offrir leur aide aux Canadiens, qui se retrouveraient soudainement sans gouvernement, mais toutes nos ambassades à l'étranger seraient fermées. À Ottawa, le ministère des Affaires étrangères serait dans le noir.
Les Canadiens sont résilients. Nous saurions nous adapter. Je suis certain que bien des Canadiens aimeraient pouvoir magasiner sans restriction à l'étranger. N'oublions pas que l'Agence des services frontaliers du Canada ne serait plus en fonction.
Heureusement, ce sont les gouvernements provinciaux et territoriaux qui offrent la majorité des services sur lesquels comptent les Canadiens. Toutefois, la majorité des provinces comptent sur l'Agence du revenu du Canada pour percevoir leurs impôts. Les provinces qui ont adopté la TVH comptent aussi sur cette agence pour prélever ces montants. En outre, les gouvernements provinciaux comptent sur les milliards de dollars que leur verse le gouvernement fédéral en paiements de transferts pour les soins de santé, l'éducation, le logement et d'autres services sociaux. Ces paiements cesseraient, faute de personnel administratif. Les provinces en seraient quittes pour se débrouiller et pour trouver suffisamment de fonds pour offrir aux Canadiens les services auxquels ils ont habitués. Elles n'auraient d'autre choix que d'encourir des déficits colossaux.
Les néo-démocrates ont-ils consulté les premiers ministres des provinces à ce sujet? Que penseraient les premiers ministres néo-démocrates de la Nouvelle-Écosse et du Manitoba des plans du NPD fédéral? N'oublions pas que les Canadiens auraient besoin de soins de santé provinciaux, car l'Agence canadienne d'inspection des aliments ne recevrait plus un sou. Il n'y aurait plus d'inspection des aliments.
Les Canadiens s'inquiéteraient aussi à juste titre du sort de l'assurance-emploi, du Régime de pensions du Canada, de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti. Le financement de ces paiements de transfert est prescrit par la loi. Il se renouvelle chaque année. Par contre, il n'y aurait personne pour administrer ces programmes. Il n'y aurait plus de fonction publique. Pendant combien de temps pourrions-nous compter sur ces programmes? Nous n'en avons aucune idée; peut-être jusqu'à ce qu'on leur coupe l'électricité. Nous savons toutefois qu'en cas de problème avec ces services, les gens seraient bien mal pris.
Voilà les problèmes auxquels les Canadiens seraient confrontés dans l'immédiat. Les conseils subventionnaires ou le Conseil des Arts du Canada ne recevraient plus de financement. Le gouvernement ne ferait plus de recherche ni d'investissements.
Je n'imagine pas le pire, mais simplement le résultat de la motion du NPD.
J'ai été abasourdi d'apprendre hier, en lisant une entrevue donnée par le porte-parole du NPD pour les questions relatives au Conseil du Trésor, que celui-ci estime que le personnel du Sénat devrait travailler bénévolement pour que les projets de loi soient adoptés. Comme si, parmi tous ces bons travailleurs, aucun n'avait de famille à nourrir.
Le NPD a toujours affirmé être le parti des travailleurs. Comment justifie-t-il l'idée d'éliminer l'emploi de 400 personnes et de dire à celles-ci qu'au lieu de trouver un nouvel emploi, elles devraient continuer leur travail bénévolement? Non seulement cela, cette armée de 400 bénévoles devrait payer de ses poches les publications telles que le Feuilleton et le hansard pour que l'institution puisse continuer de fonctionner.
Il nous reste trois explications possibles pour la motion du NPD d'aujourd'hui, aucune n'étant particulièrement rassurante.
La première possibilité, c'est que cela n'est rien d'autre qu'un stratagème politique cynique.
La deuxième, comme je l'ai mentionné au début de mon intervention, c'est que le NPD ne comprend peut-être tout simplement pas comment fonctionne le gouvernement du Canada.
La troisième explication, et la plus préoccupante, c'est que nous sommes peut-être en train de découvrir la vision néo-démocrate du fédéralisme. En réduisant à néant les crédits budgétaires du Sénat, le NPD larguerait une bombe atomique en plein coeur de la relation fédérale-provinciale. Les provinces n'auraient d'autre choix que de consentir au projet d'abolition du Sénat des néo-démocrates, sans quoi elles risqueraient de ne recevoir aucune part des recettes fiscales ni aucun transfert le 1er avril.
Je crois que j'en ai dit assez pour démontrer que la motion est totalement idiote. Non seulement elle ne respecte pas la Cour suprême et les provinces, mais elle permettrait au gouvernement d'échapper au débat sur le rôle du Cabinet du premier ministre dans le versement de 90 000 $. Ça n'a aucun sens. C'est idiot. Une vraie farce. Ça paralyserait complètement le gouvernement fédéral et de nombreux gouvernements provinciaux.
Cela montre à quel point le NPD n'est pas digne de gouverner. Le meilleur conseil que je puisse donner aux députés néo-démocrates sensés, c'est de voter contre leur propre motion ridicule.