propose que le projet de loi C-421, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (connaissance suffisante de la langue française au Québec), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, j'ai présenté un projet de loi très simple et ayant un objectif clair: permettre aux nouveaux arrivants souhaitant devenir citoyens à partir du Québec de s'intégrer à leur société d'accueil.
Pour s'intégrer, il faut être capable de se parler. Au Québec, la langue commune est le français. L'objectif de la Charte de la langue française, c'est faire du français la langue officielle et commune au Québec.
L'intégration des nouveaux arrivants passe donc par le français. Il s'agit d'un enjeu qui fait largement consensus au Québec et qui va dans le sens des engagements du gouvernement actuel du Québec. Selon un récent sondage, 73 % des Québécois estiment que la connaissance minimale du français devrait être une condition obligatoire pour demeurer au Québec, et 84 % ont dit croire que les cours de français pour les nouveaux arrivants devraient être obligatoires.
En 2017, la vérificatrice générale a publié un rapport qui concluait à l'échec de la francisation des immigrants au Québec. En vertu de la loi canadienne, la connaissance d'une des langues officielles, l'anglais ou le français, est obligatoire pour obtenir la citoyenneté. Le Bloc québécois a déposé le projet de loi C-421 pour que, au Québec, la connaissance du français soit obligatoire.
Ce n'est pas plus coercitif que ce qui existe déjà: on exige déjà la connaissance d'une des deux langues officielles pour avoir la citoyenneté canadienne. Une partie importante des membres du Conseil de l'Europe exige la connaissance de la langue du pays d'accueil, soit comme condition d'entrée sur le territoire, soit pour la résidence permanente ou l'acquisition de la nationalité. Cependant, cela semble inacceptable et inconcevable pour les libéraux fédéraux.
Dès que le projet de loi C-421 a été présenté au Sous-comité des affaires émanant des députés, ils ont déclaré que le projet de loi était de toute évidence inconstitutionnel et donc non votable. Nous en avons appelé de cette décision, mais, comme ils sont majoritaires, ils ont maintenu cette position malgré l'avis contraire du légiste et de plusieurs députés des autres partis.
Par une procédure rarissime, un vote secret a eu lieu pour éviter aux parlementaires canadiens d'avoir à se prononcer publiquement sur cet enjeu important pour les Québécois. C'est un détournement de la démocratie. Cela vaut la peine de le souligner.
Le premier ministre du Québec a déclaré:
On souhaiterait que les nouveaux arrivants, avant de recevoir leur résidence permanente ou leur citoyenneté, puissent avoir réussi un test de français. C’était ce que souhaitait le Bloc. Je trouve ça malheureux qu’on ne laisse pas avancer le débat avec un projet de loi.
Le projet de loi C-421 ne sera pas voté, mais on nous laisse un temps minimal pour le présenter. Je vais donc me concentrer sur le débat de fond plutôt que sur la constitutionnalité du projet de loi.
Comme j'y ai fait allusion tantôt, le modèle québécois de l'aménagement linguistique défini par la Charte de la langue française, dite loi 101, vise à établir le français comme langue officielle et commune au Québec. Cette approche se fonde sur les droits collectifs territoriaux. En tant que langue publique commune, le français au Québec devrait être non seulement la langue utilisée par les francophones entre eux, mais la langue utilisée dans les communications interlinguistiques, la langue parlée entre les citoyens langues maternelles différentes.
Faire du français la langue commune est un facteur essentiel pour intégrer les nouveaux arrivants à la société québécoise autant que pour assurer l'avenir du français au Québec et en Amérique.
Lorsque la langue de la majorité est la langue officielle et la langue publique commune, les nouveaux arrivants tendent naturellement à apprendre et à utiliser cette langue pour participer pleinement à leur société d'accueil. C'est ce qui se passe dans un grand nombre de pays occidentaux.
L'étude des modes d'aménagement linguistique partout au monde démontre que cette approche est la seule qui permette de contrer l'assimilation des langues minoritaires lorsqu'il y a plusieurs langues nationales à l'intérieur d'un territoire. Les seuls endroits où il y a plusieurs langues nationales et où il n'y a pas ce phénomène d'assimilation, ce sont les pays qui utilisent des modes d'aménagement linguistiques fondés sur le principe des droits collectifs territoriaux, comme la Belgique ou la Suisse.
Par exemple, dans la partie néerlandophone, les Flandres, la seule langue officielle et la seule langue des services publics de la maternelle à l'université, c'est le néerlandais. Pour les nouveaux arrivants, la langue néerlandaise est incontournable.
C'est la même chose pour le français en Wallonie, où cela n'empêche pas les gens d'apprendre plusieurs langues secondes. Que le français soit la langue commune au Québec semble généralement inacceptable et même inconcevable pour tous les partis pancanadiens à différents degrés. On a vu la réaction totalement disproportionnée du député d'Honoré-Mercier. Pour lui, exiger la connaissance du français pour la citoyenneté équivaut à diviser les gens en fonction de leur couleur.
Le député libéral de Laurentides—Labelle, ardent défenseur du « bonjour-hi », ainsi que la députée libérale de Rivière-des-Mille-Îles, ont donné des exemples de citoyens qui ne parlent pas français au Québec, en ajoutant qu'il aurait été inacceptable que ces gens aient à se déplacer en Ontario pour ne pas avoir à passer le test de français. Ils ne semblent donc pas considérer qu'apprendre et utiliser le français soit un outil d'intégration à la société québécoise.
Un député conservateur membre du Comité permanent des langues officielles a mentionné que, si on créait une condition exigeant que quelqu'un parle minimalement le français, il y aurait plus de chances que la communauté linguistique minoritaire anglophone du Québec ne puisse pas assurer sa survie au sein même de notre province.
Le modèle canadien, défini par la Loi sur les langues officielles, a été établi à partir de principes fondamentalement différents du modèle québécois et des approches reconnaissant les droits collectifs territoriaux. D'une part, la Loi sur les langues officielles se fonde sur l'exclusion des Québécois en tant que partie intégrante de la minorité francophone du Canada. C'est la loi des minorités de langue officielle déterminées par province. Dans ce cadre, les anglophones du Québec sont considérés comme une minorité au même titre que les communautés francophones et acadiennes, alors que dans les faits, ils font partie de la majorité anglophone canadienne, comme l'a d'ailleurs statué le Comité des droits de l'homme de l'ONU.
La meilleure démonstration est de constater que le gouvernement fédéral et les provinces majoritairement anglophones ne se sont pas gênés pour affaiblir la législation québécoise, entre autres en imposant une Constitution en 1982 contre la volonté du gouvernement du Québec, une Constitution en vertu de laquelle la Charte de la langue française a été affaiblie dans tous ses principaux champs d'application. Le principe des minorités linguistiques par province fait que les anglophones du Québec, qui anglicisent déjà un nombre de nouveaux citoyens cinq fois plus élevé que leur poids démographique, reçoivent un soutien constant pour promouvoir plus de services en anglais, et pas seulement pour les anglophones, mais pour tous les citoyens, y compris les allophones et les francophones.
Le programme des langues officielles attribue plus de 75 millions de dollars par année pour soutenir les communautés anglophones du Québec, notamment les groupes de pression comme le Quebec Community Groups Network, alias Alliance Québec, qui a mené avec succès une guérilla juridique pour rétablir le bilinguisme institutionnel. Effectivement, l'autre grand principe au fondement de la loi canadienne sur les langues officielles est une politique de bilinguisme des institutions fédérales en fonction de droits individuels linguistiques partout sur le territoire canadien.
Aussitôt que le projet de loi C-421 fut déposé, l'ex-commissaire aux langues officielles Graham Fraser est intervenu. Il estime qu'exiger la connaissance suffisante du français irait à l'encontre de la Loi sur les langues officielles, sous prétexte qu'elle empêcherait quelqu'un de communiquer avec le gouvernement dans la langue de son choix. Même si certains députés se sont ouvertement prononcés pour que le projet de loi puisse être voté, aucun député ici n'a ouvertement appuyé le projet de loi.
Que ce soit constitutionnel ou non, le fond du problème est là. Le nœud du problème, c'est que la plupart des députés fédéralistes ici n'acceptent pas que le français soit la langue commune au Québec, la langue de convergence, la langue de communication interlinguistique. Cela implique qu'on puisse communiquer avec le gouvernement dans la langue de son choix et que l'anglais et le français aient un statut et des privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. Ça, c'est la Loi sur les langues officielles. Le français ne peut pas être la langue officielle et commune au Québec, la langue de convergence, mais il doit y avoir deux langues communes. Comme plusieurs chercheurs l'ont noté, comme Jacques Leclerc et Marc Termote, des droits égaux accordés à des groupes inégaux aboutiront forcément à des résultats inégalitaires.
C'est un peu comme s'il n'y avait pas de loi pour protéger les travailleurs ou l'environnement: cela laisserait le libre choix aux forces du marché.
Je cite M. Marc Termote:
La plupart des pays connaissent en matière linguistique ce qu'il est convenu d'appeler la « loi du sol », c'est-à-dire que sur un territoire donné, une seule langue est utilisée dans le domaine public [...]
Par contre, dans certains pays de tradition anglo-saxonne, comme le Canada, et donc le Québec, où dans bien des domaines les droits de la personne prévalent sur ceux de la société [...] le fait pour un individu d'avoir la liberté de choisir ne signifie pas que dans son choix il ne puisse être soumis à des facteurs externes. Parmi ces derniers, le fait pour le Québec, dernière société majoritairement francophone en Amérique du Nord, d'être une très petite minorité « entourée » de 300 millions d'anglophones n'est certes pas un des moindres. Le libre choix permet aussi le libre jeu du rapport des forces.
Lacordaire le disait: « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, [on pourrait dire “entre la majorité anglophone et la minorité”], c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »
C'est ce qui explique le fait qu'à peu près partout au Canada à l'extérieur du Québec, la presque totalité des transferts linguistiques des allophones se font vers l'anglais. Lorsqu'on arrive à Toronto ou ici, à Ottawa, on constate rapidement qu'on peut difficilement fonctionner sans parler anglais.
Par contre, au Québec, la plupart des nouveaux arrivants s'installent à Montréal, où tous les services sont accessibles en anglais à tous les paliers de gouvernement. Étant donné que l'anglais est majoritaire au Canada et encore plus en Amérique du Nord, il y a une tendance naturelle à aller vers l'anglais.
En plus de cette réalité, l'accès égal aux langues officielles dans les institutions fédérales est très inégal. Par définition, on donne un accès aux services en français là où le nombre le justifie. Or, comme nous l'avons constaté une nouvelle fois à la suite du rapport du commissaire aux langues officielles, même quand le nombre le justifie, les services en français ne sont pas toujours là.
Il y a 50 ans, avant la Loi sur les langues officielles, les communautés francophones et acadiennes venaient de subir des politiques assimilatrices dans toutes les provinces aujourd'hui majoritairement anglophones. Pour eux, le bilinguisme constituait un immense progrès relativement aux services publics en français largement déficients après avoir été interdit pendant des années.
Le principe du « là où le nombre le justifie » fait que le déclin du français dans une région s'accompagne de réductions des services. C'est un peu comme si, dans une région où il y a plus de chômage, on réduisait les prestations ou les mesures de création d'emploi. Cela occasionne une falsification officielle des langues au Canada.
Les francophones sont donc fortement incités à augmenter leur dénombrement s'ils veulent avoir des services en français très minimaux. Pourtant, il serait beaucoup plus logique de modifier les critères du « là où le nombre le justifie » plutôt que de déformer la situation linguistique, comme le gouvernement l'a fait pendant les 50 ans de la Loi sur les langues officielles.
Au départ, on mesurait les transferts linguistiques intergénérationnels par l'indicateur de la langue maternelle. Quand il y a eu un déclin trop prononcé de la langue maternelle, on est passé à la langue d'usage à la maison et, ensuite, on est passé à la première langue officielle parlée. Aujourd'hui, on trouve de nouveaux indicateurs pour gonfler le nombre de francophones, ce qu'on justifie en disant qu'on va offrir plus de services en français aux minorités de langue officielle. Cela n'a aucun sens.
L'étude des modes d'aménagement linguistique aux quatre coins du monde démontre que l'approche fondée sur le bilinguisme institutionnel et des droits individuels transportables ne permet pas de contrer l'assimilation des langues minoritaires. Or c'est ce qu'ont démontré les 50 années de la Loi sur les langues officielles, pendant lesquelles on a observé l'assimilation des francophones augmenter à chaque recensement.
En résumé, le modèle canadien d'aménagement linguistique va à l'encontre du modèle québécois. L'immense majorité des députés et tous les partis au Parlement appuient le modèle canadien à l'encontre du modèle québécois.
Comme le notait le spécialiste de l'étude des modes d'aménagement linguistique, M. Jacques Leclerc:
Dès l’instant où les demandes de la province francophone, le Québec, heurtent la sensibilité de la majorité anglophone, il en résulte une fin de non-recevoir. Les discussions deviennent alors inutiles et aboutissent toujours à un cul-de-sac. […] L’actuel régime en vigueur fait que le Québec est toujours pénalisé sur le plan démocratique et, à l’échelle canadienne, il ne peut rien imposer à la majorité.