Madame la Présidente, c'est toujours un honneur pour moi de m'adresser à la Chambre.
J'aimerais tout d'abord revenir sur l'allocution de ma collègue démocrate. Dans la région d'où je viens, on chasse beaucoup, et les gens utilisent souvent une vieille expression: « dans le mille ». Or, quand la députée décrit le fédéralisme coopératif et les écueils liés au respect des compétences respectives, elle met peut-être dans le mille, mais malheureusement, elle rate aussi complètement sa cible — sur le plan constitutionnel, s'entend. En fait, cette mesure législative aurait exactement l'effet contraire de celui qu'on veut qu'il ait et il créerait encore plus de chicanes de compétence.
Le projet de loi C-392, qui a été présenté par la députée de Repentigny et qui a pour titre Loi modifiant la Loi sur l'aéronautique, la Loi sur les ports de pêche et de plaisance et d'autres lois, application du droit provincial, modifierait en réalité la Loi sur l'aéronautique, la Loi maritime du Canada, la Loi sur les ports de pêche et de plaisance, la Loi sur la capitale nationale, la Loi sur la radiocommunication, la Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux et la Loi sur la Banque de l'infrastructure du Canada. Tous les pouvoirs qui découlent de ces lois sont sans l'ombre d'un doute de ressort fédéral. Pourtant, le projet de loi en subordonnerait l'exercice aux lois provinciales touchant l'usage et l'aménagement du territoire et la protection de l'environnement.
Comme on l'a expliqué il y a quelque temps au cours de la première heure de débat à l'étape de la deuxième lecture, le gouvernement s'oppose fermement à cette idée. Au moyen d'une mesure législative fédérale, le projet de loi vise à perturber le partage des pouvoirs établi et des décennies de coopération entre tous les ordres de gouvernement sur des questions d'intérêt commun.
Cette proposition est autant indéfendable qu'inutile. Nous croyons au fédéralisme coopératif, mais il est possible de le pratiquer sans avoir recours à ces mesures.
Cette proposition est indéfendable parce qu'il ne s'agit pas d'un changement mineur. On ne peut pas simplement choisir certains éléments relevant de la compétence fédérale et les confier aux provinces sans nuire à la capacité du gouvernement à remplir ses obligations constitutionnelles. Cela revient à mettre des bâtons dans les roues de la compétence fédérale et menace de chambouler des décennies de relations intergouvernementales.
Je siège à la Chambre depuis un certain moment et j'ai vu beaucoup de questions de ce genre se succéder. Il y a eu des prises de bec, quelques désaccords et certains mots très durs, mais de grandes améliorations ont néanmoins aussi eu lieu dans le domaine de la compétence partagée.
La Loi constitutionnelle de 1867 précise clairement le partage des pouvoirs entre le Parlement fédéral et les assemblées législatives provinciales, ce qui comprend les pouvoirs que les provinces confient aux municipalités. L'article 91 de la Loi énumère les domaines qui relèvent du Parlement fédéral, et l'article 92 énumère les pouvoirs des assemblées législatives provinciales. Comme nous l'avons mentionné, un certain chevauchement est inévitable pour certaines lois.
Ce chevauchement est toutefois géré. En droit constitutionnel canadien, un certain nombre de doctrines, notamment la doctrine du double aspect, la doctrine de la suprématie et la doctrine de l'exclusivité des compétences, permettent de gérer ces situations et ont été redéfinies au cours des dernières années par la Cour suprême du Canada pour encourager le fédéralisme coopératif. C'est de cet objectif que la députée a parlé dans son discours. Cependant, comme l'ont dit d'autres députés, le projet de loi constitue un moyen encore moins efficace d'accroître le fédéralisme coopératif.
Il est inutile parce que chaque loi qu'il cherche à modifier contient déjà des dispositions sur la consultation et la protection de l'environnement qui doivent être respectées par les gens qui exploitent ou gèrent des activités et des biens fédéraux pour être mises en oeuvre.
Il incombe et incombera toujours aux gens qui agissent au titre d'une loi fédérale de respecter les lois provinciales et municipales applicables, ou les règlements municipaux dans ce cas-ci, tout comme les gens qui agissent au titre d'une loi provinciale doivent respecter les lois fédérales et municipales applicables.
Ce principe existe depuis plus de 150 ans et il a parfois été très médiatisé et parfois non. Toutes les compétences doivent travailler en collaboration dans certains dossiers pour promouvoir et protéger les intérêts de tous les Canadiens. Même lorsque nous convenons de travailler ensemble, nous devons quand même respecter les champs de compétence.
Il est important de montrer l'incidence qu'aurait le projet de loi C-392 sur les activités sous réglementation fédérale et l'incertitude dans le cadre réglementaire qu'il entraînerait subséquemment pour les exploitants, leurs affaires et leurs investissements, ainsi que leur participation dans la chaîne d'approvisionnement et l'économie au Canada.
Les ports pour petits bateaux sont très populaires par chez nous, dans le nord-est de Terre-Neuve. Ils sont un atout très précieux pour les pêcheurs de la province, de la côte Est, de la côte Ouest et de la côte Nord. Le programme consiste à faire fonctionner et à maintenir un système national de ports afin d'offrir aux pêcheurs commerciaux et aux autres utilisateurs des ports des installations sécuritaires et accessibles. Plus de 5 000 bénévoles partout au pays prennent part à l'administration du Programme des ports pour petits bateaux et des ports sur les côtes du pays. C'est dire que le programme est crucial pour l'industrie de la pêche et, partant, pour la culture et l'économie du Canada.
En mai 2018, le programme comptait 1 013 ports, dont 883 ports de pêche et 130 ports de plaisance. Ensemble, ces ports représentent plus de 10 000 structures situées un peu partout dans notre vaste pays et évaluées à environ 6,03 milliards de dollars.
Pour ce qui est de l'aviation, Transports Canada collabore avec des partenaires et des intervenants, y compris le public, l'industrie de l'aviation, bien entendu, d'autres ministères fédéraux, les provinces, les territoires, les municipalités, les groupes autochtones et des organismes internationaux afin de prévenir ou réduire les effets nuisibles du transport aérien sur l'environnement.
J'ai pu en faire l'expérience moi-même, puisqu'un petit aéroport bien connu, l'aéroport de Gander, ou YQX, se trouve dans ma circonscription. Au fil des années, les trois ordres de gouvernement ont collaboré: la Ville de Gander, la province de Terre-Neuve-et-Labrador et, évidemment, le gouvernement du Canada et le conseil de l'administration aéroportuaire de Gander.
En janvier 2017, en réponse directe aux préoccupations de la collectivité à l'égard de l'aménagement d'un aérodrome, le gouvernement a instauré une nouvelle exigence réglementaire. Ainsi, quiconque souhaite construire un aérodrome doit consulter les parties intéressées, y compris les voisins et l'autorité locale responsable de l'utilisation des terres. Incidemment, toutes les parties intéressées, dont le gouvernement provincial, peuvent soumettre leurs commentaires et exprimer leurs préoccupations dans le cadre du processus de consultation. Le promoteur du projet doit tenir compte de ces préoccupations et faire un effort raisonnable pour y remédier.
Ma collègue du NPD a mentionné plus tôt beaucoup de situations où l'une des parties sentait que l'autre lui imposait sa volonté. Elle a aussi dit qu'il y a un manque de respect entre les deux ordres de gouvernement. Or, c'est un symptôme propre aux personnes concernées dans cette situation. Le système que nous avons facilite le dialogue. Parfois, ces choses se produisent, mais ce n'est pas la faute du système en soi. Parfois, les intervenants s'échauffent un peu. Le même genre de raisonnement s'applique aux ports pour petits bateaux.
Les aéroports et les aérodromes sont l'épine dorsale de l'industrie de l'aviation au Canada, une industrie qui emploie 140 000 Canadiens et qui contribue au PIB à hauteur de plus de 35 milliards de dollars. Dans les deux cas, quiconque gère un bien ou en construit un nouveau doit déjà se conformer à toutes les lois fédérales et provinciales relatives à la protection environnementale, à l'utilisation des terres et à l'aménagement du territoire. S'il y a incompatibilité entre les lois fédérales et provinciales, les intervenants de l'industrie savent que la loi fédérale l'emporte.
Étant donné que des centaines de milliers d'emplois et des dizaines de milliards de dollars sont en jeu dans les secteurs de l'aviation et des ports pour petits bateaux seulement, il est dans l'intérêt national de maintenir un cadre réglementaire stable et uniforme. Le fait est qu'il arrive parfois que les lois et les intérêts fédéraux et provinciaux entrent en conflit. Nous ne le nions pas. Dans de telles situations, il doit y avoir un moyen de déterminer les lois et les intérêts qui devraient l'emporter. C'est là qu'entrent en jeu la doctrine de la suprématie et la doctrine de l'exclusivité des compétences.
Je tiens à préciser que les provinces bénéficient elles aussi de ce partage clair des pouvoirs. Comme je l'ai constaté à maintes occasions, les provinces n'hésitent pas à faire valoir le même argument lorsque les municipalités tentent d'apporter des changements qui dépassent les champs de compétence établis pour elles dans les lois provinciales. C'est pourquoi les règlements municipaux, en particulier ceux concernant le zonage, sont couramment contestés devant les tribunaux, au motif qu'ils dépassent les pouvoirs conférés aux municipalités par la loi. Les provinces ne tolèrent pas plus que le gouvernement du Canada les lois ultra vires. Nous avons évidemment le devoir de protéger ces pouvoirs.
En conclusion, ce que le projet de loi C-392 propose est irréalisable parce que cela entraverait l'autorité fédérale au lieu de favoriser un esprit de fédéralisme coopératif.