Madame la Présidente, je poursuis la citation de ce qu'a dit le ministre de la Sécurité publique au comité:
[L]e gouvernement est sur le point de lancer, presque immédiatement, un processus de consultation publique sur notre cadre de sécurité nationale qui touchera directement ce projet de loi, et il me faut disposer des résultats de cette consultation avant de m’engager à l’endroit d’une loi précise.
Eh bien, c'était il y a presque trois ans. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le projet de loi a pris du retard. Il a fallu au ministre plus de trois ans pour présenter cette mesure législative. C'est plutôt long pour quelqu'un qui disait travailler là-dessus en 2016.
Conformément à l'habitude qu'il a prise dernièrement, il semble qu'il n'y ait eu aucune consultation externe dans la préparation du projet de loi, ou très peu. J'espère que, au comité, le gouvernement sera en mesure de recevoir au moins un groupe ou un organisme non gouvernemental pour appuyer le projet de loi. Cependant, je ne me fais pas d'illusions.
Le gouvernement a même embauché un ancien greffier du Conseil privé pour qu'il produise un rapport indépendant. Mel Cappe a fait un examen et a présenté des recommandations en juin 2017. La seule raison pour laquelle le Parlement a été informé de la production de ce rapport, c'est que CBC News a fait une demande d'accès à l'information.
L'article de CBC News indiquait ceci:
Le rapport rédigé en juin 2017 par l'ancien greffier du Conseil privé, Mel Cappe, aujourd'hui professeur à l'Université de Toronto, a été obtenu par La Presse canadienne par l'entremise de la Loi sur l'accès à l'information. [...]
[Un] porte-parole du ministre de la Sécurité publique [...] n'a pas voulu commenter directement les recommandations de Mel Cappe, mais il a affirmé que le gouvernement travaille à l'élaboration d'une mesure législative afin de mettre en place le « mécanisme approprié » pour surveiller le comportement des agents des services frontaliers canadiens et pour traiter les plaintes.
Le mécanisme proposé élargirait le mandat de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC.
Le gouvernement et le ministre ont reçu ces recommandations il y a deux ans, mais ils présentent cette mesure législative à la dernière minute comme s'il s'agissait d'une préoccupation secondaire. En février dernier, le ministre a dit, encore une fois, que le gouvernement travaillait aussi vite que possible afin de présenter un projet de loi relatif à la surveillance de l'Agence des services frontaliers du Canada.
Le gouvernement libéral a peut-être été distrait par les nombreuses blessures qu'il s'est lui-même infligées. Il a créé bien des difficultés pour les Canadiens. Maintenant, il présente à la dernière minute une mesure législative qui porte sur de véritables enjeux, et il demande aux parlementaires de l'aider à compenser sa distraction et le manque d'attention qu'il a accordé aux questions qui revêtent de l'importance pour le Canada, nos concitoyens et notre démocratie, des questions comme la sécurité publique et nationale, la criminalité en milieu rural, le commerce, les politiques énergétiques et l'allégement du fardeau fiscal.
La mauvaise gestion et les mauvaises décisions ont des conséquences. L'incompétence des libéraux a des effets qui se font sentir à tous les postes frontaliers et dans beaucoup de régions du pays.
Nous savons que la GRC a dû déployer des agents pour lutter contre les passages illégaux à la frontière. Lorsque les libéraux ont mis sur pied un poste frontalier à Lacolle, au Québec, des agents de la GRC étaient présents pour surveiller les personnes qui entraient au Canada. Ces agents n'étaient pas prévus à cet endroit ce jour-là. Ils ont été retirés de leur détachement d'un bout à l'autre du pays, où ils surveillaient les combattants du groupe État islamique revenus au pays et surveillaient et luttaient contre le crime organisé. Il est très probable qu'ils ont été retirés de détachements ruraux dans l'ensemble du Canada et redéployés. Nous savons que dans ma province, l'Alberta, la GRC connait une pénurie d'agents, près de 300 en fait. Il n'est donc pas surprenant que le taux de criminalité en milieu rural ait augmenté pendant cette période. Le taux de criminalité en milieu rural augmente maintenant plus rapidement que celui en milieu urbain.
Toutefois, la mauvaise gestion à la frontière n'a pas seulement eu des répercussions sur la GRC. Elle en a également eu sur les agents frontaliers, qui seront l'objet d'une surveillance supplémentaire créée par le projet de loi C-98.
Les agents de l'ASFC m'ont informé, ainsi que de nombreux autres députés, que d'autres quarts de travail et d'autres travailleurs ont été transférés au Manitoba et au Québec. Les médias ont rapporté que des étudiants prennent la place d'agents frontaliers dûment formés à plein temps à l'aéroport Pearson. Il s'agit du plus grand aéroport du Canada, et les répercussions d'avoir des agents non formés et inexpérimentés qui surveillent possiblement l'endroit de prédilection des contrebandiers de marchandises illégales sont renversantes.
Le Canada a un sérieux problème aux frontières, un problème qui va de mal en pis. Selon les témoignages entendus au comité pendant l'étude du projet de loi C-71, la majorité des armes illégales viennent des États-Unis. Elles sont introduites clandestinement. Dans le cadre du sommet sur les armes à feu et les gangs, la GRC a montré au Canada des photos d'armes à feu introduites clandestinement avec autre chose. Même le ministère de la Sécurité publique dit que l'introduction clandestine de marchandises, de tabac de contrebande et de drogue aux frontières constitue un problème.
Au lieu de protéger concrètement les Canadiens, on propose de la surveillance. Oui, il en faut de la surveillance, mais ce n'est pas la priorité à l'heure actuelle.
Selon les médias, à cause de la décision des libéraux de supprimer certains visas, de nombreux criminels, certains dangereux, mènent leurs activités dans notre pays. Cela s'ajoute, semble-t-il, à un nombre record de mesures d'expulsion de personnes qui présentent une menace pour la sécurité. Il y en a eu 25 en 2017. Le nombre de renvois, lui, est à son plus bas. Entre 2010 et 2015, il y en a eu environ 12 000 à 15 000 par année. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Même si des dizaines de milliers de gens entrent au Canada illégalement, les libéraux renvoient en moyenne la moitié moins de gens.
L'ASFC est bien consciente de ces problèmes et de ces menaces pour la sécurité. Elle n'a tout simplement pas assez de ressources et celles dont elle dispose doivent maintenant s'occuper des passages illégaux à la frontière et surveiller des dizaines de milliers de gens de plus.
Il n'y a pas que moi qui pense que le gouvernement a échoué dans ce domaine. Bien des Canadiens le pensent aussi.
En août dernier, le Calgary Herald titrait « Plus personne ne fait confiance à Justin Trudeau en matière d'immigration ». Le 29 mai dernier, on pouvait lire dans le Toronto Sun, « Selon le rapport du VG, le traitement des demandes d'asile est un fouillis ». Autre titre, « Le vérificateur général dénonce les échecs des libéraux ». Ce ne sont là que quelques manchettes; il y en a bien d'autres.
Le projet de loi C-59, présenté par le ministre, prévoit certaines réformes en matière de sécurité nationale, dont la création de trois organismes de surveillance pour nos équipes de la sécurité nationale et du renseignement: le nouveau commissaire au renseignement, qui exercera une surveillance élargie des activités du SCRS et du CST; l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement; et, dans le cadre du projet de loi C-22, le nouveau Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Ces nouvelles instances viennent s'ajouter aux fonctions du conseiller à la sécurité nationale auprès du premier ministre, et à celles des sous-ministres de la Défense nationale, des Affaires étrangères, et de la Sécurité publique et de la Protection civile.
La surveillance peut être une bonne chose. En effet, elle a souvent un effet dissuasif; la nature humaine est ainsi faite. J'ai appris au fil de ma carrière que le simple fait de savoir que des policiers se tiennent prêts à intervenir non loin peut créer un effet dissuasif sur les criminels. De même, le fait d'être conscient que des responsables vont examiner toute allégation d'inconduite va conférer plus de poids à l'ASFC, qui jouit déjà d'une bonne réputation.
Il est bien dommage que ce projet de loi ait tant tardé à être déposé, car il aurait facilement pu être adopté à la Chambre et au Sénat, et la loi pourrait être en vigueur depuis un an ou deux, voire plus. En raison de son dépôt tardif, ce projet de loi, s'il est renvoyé au Sénat, risque de rester en suspens.
La Chambre et le comité peuvent et doivent examiner le projet de loi en profondeur. Bien que l'idée semble bonne et que le modèle soit meilleur que celui d'autres projets de loi, je me méfie de tout ce que le gouvernement fait relativement aux frontières. Il ne les a pas bien gérées et il n'a pas été honnête avec la Chambre et les Canadiens à leur sujet. En 2017, des dizaines de milliers de personnes traversaient illégalement la frontière, mais les libéraux nous ont dit qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. Ils ont dit qu'ils n'avaient pas besoin de nouvelles ressources et que tout se passait bien au chapitre de la sécurité et en général.
Eh bien, en réalité, on a réduit la sécurité pour composer avec le volume de gens, les provinces et les villes étaient submergées par les coûts et les refuges qui débordaient, les agences frontalières et la GRC étaient surchargées et on accumulait du retard dans le contrôle des réfugiés. Selon les ministres, tout allait bien. Puis, dans le budget, il y a eu de nouveaux fonds, comme dans le budget suivant, et dans celui d'après. Des milliards de dollars de dépenses sont maintenant prévus, notamment pour la GRC, l'Agence des services frontaliers du Canada et la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
Que devrions-nous surveiller? D'abord, je crois que nous devrions entendre les personnes touchées par cette décision, comme les agents de première ligne de la GRC et de l'Agence des services frontaliers du Canada, qui feront l'objet de ces évaluations.
Voici ce qu'on pouvait lire dans un article de CBC:
Le syndicat représentant les agents frontaliers a peu entendu parler de la proposition et n'a pas été consulté sur le projet de loi. Jean-Pierre Fortin, président national du Syndicat des douanes et de l'immigration, a déclaré que le président de l'Agence des services frontaliers du Canada a également été laissé dans l'ignorance et qu'il n'a pas pu donner de détails au syndicat au sujet de la mesure législative.
À quel point une mesure législative est-elle fiable si l'organisme qu'elle touche et auquel elle s'applique a été tenu dans l'ignorance?
Je trouve étrange que les libéraux veuillent confier à un syndicat, Unifor, le soin d'administrer un fonds d'aide aux médias de 600 millions de dollars, juste après que le syndicat en question ait annoncé une campagne contre les conservateurs, tandis que le gouvernement n'a même pas consulté le syndicat des agents des services frontaliers au sujet d'un projet de loi qui touche ses membres. J'ose espérer que les consultations ne sont pas menées en fonction des dons et des contributions politiques.
C'est pour cette raison que le Parlement devrait choisir soigneusement qui fera partie de ce nouvel organisme. Nous n'avons pas besoin d'autres militants; il nous faut des professionnels chevronnés. Il nous faut des spécialistes du domaine. Il nous faut des gens avec de l'expérience en gestion. Nous devons nous assurer que les personnes qui travaillent au sein de ces organismes d'examen ont suffisamment de compétences et de ressources pour faire leur travail. Nous devons nous assurer que les ressources ne seront pas accaparées par le traitement de plaintes frivoles et que les agents ne seront pas la cible de plaintes frivoles et vexatoires.
Nous devons nous assurer que les Canadiens n'auront pas à engager un avocat pour s'adresser à la commission de traitement des plaintes.
Nous devons nous assurer que le ministre, son personnel et les responsables de la dotation dans le domaine de la sécurité publique ne pourront pas se mêler des procédures et des décisions de ces organismes. L'organisme doit être doté de processus et de systèmes transparents et équitables, tant pour les plaignants que pour les défendeurs. Nous devons nous assurer que ces processus ne vont pas réduire les ressources de deux organismes qui manquent déjà de personnel.
J'espère qu'il reste assez de temps pour bien faire les choses. J'espère qu'on prendra le temps d'entendre tous les témoins pertinents, d'obtenir un avis juridique et de rédiger des amendements. Si on se fie au bilan du ministre, il est presque certain que des modifications seront nécessaires.
Alors que la Chambre commence ses travaux sur ce projet de loi, j'ose espérer que le ministre et son personnel ne demanderont pas au président du comité de la sécurité publique de respecter un échéancier impossible. Il semble difficile d'y arriver étant donné qu'il ne reste qu'une semaine avant l'ajournement. Je sais que le président est une personne respectée et rigoureuse. Chose certaine, il ne voudrait sûrement pas que l'étude d'une mesure législative soit terminée avant d'entendre tous les témoignages pertinents.
Il faut beaucoup de confiance pour que la Chambre puisse bien travailler sur des projets de loi comme celui-ci et beaucoup d'autres mesures législatives, une confiance qui se bâtit au moyen de réponses honnêtes à des questions légitimes, une confiance qui est renforcée en faisant preuve d'intégrité et en étant animé par la volonté de bien faire les choses, et non par le besoin de tout simplement avoir raison.
J'espère que, pour une fois pendant l'actuelle session parlementaire, le gouvernement tentera d'établir une telle confiance pour faire avancer le projet de loi C-98. Je ne me fais pas trop d'illusions, cela dit.