Madame la Présidente, c'est avec plaisir que je prends la parole aujourd'hui à la Chambre au sujet du projet de loi C-7 et que je participe au débat sur ce projet de loi.
Je vais d'abord me faire l'écho des remerciements adressés par d'autres députés aux hommes et aux femmes de la GRC pour le service qu'ils rendent au pays. N'y a-t-il pas meilleure façon de les remercier que de leur accorder le droit — qu'ils devraient avoir depuis longtemps — à des négociations collectives avec leur employeur? Il a malheureusement fallu que la Cour suprême s'en mêle pour qu'il leur soit accordé. Nous sommes néanmoins en mesure maintenant de reconnaître ce droit. C'est une bonne chose pour le pays. Au NPD, nous tenons à ce que ce projet de loi soit le meilleur possible et nous tenons à faire respecter le droit de négocier collectivement dans toute la mesure du possible.
Cet enjeu a pris une tournure plus personnelle pour moi lorsque j'ai fait du porte-à-porte lors de la dernière campagne électorale. J'ai frappé à la porte d'un membre de la GRC qui habite dans ma circonscription. Il m'a demandé ce que j'en pensais. Il va sans dire que, intellectuellement, j'ai défendu les travailleurs et leurs droits toute ma vie, mais cet homme qui travaillait pour la GRC était insatisfait de certaines choses dans son milieu de travail, qu'il estimait pouvoir être améliorées. Or, il trouvait qu'il n'existait pas, au sein de la GRC, de mécanismes permettant aux membres d'exprimer leurs doléances et d'être vraiment entendus, car il jugeait qu'en fin de compte, c'était la direction qui contrôlait tous les processus. Il trouvait que les négociations collectives seraient un bon point de départ pour faire connaître leurs motifs de plainte.
Bien qu'il ait mentionné la paye et les avantages sociaux, il a soulevé beaucoup d'autres questions. J'ai eu la nette impression que lui et nombre de ses collègues policiers considéraient les négociations collectives avant toute chose comme un moyen de résoudre les problèmes de santé et de sécurité au travail. Comme certains membres de la GRC l'ont déjà dit, le harcèlement au sein de ce service de police fait partie des problèmes. Pour d'autres, ce sont les ratios de personnel et le nombre d'agents qui répondent aux appels qui posent problème, en particulier dans le Nord et les autres régions éloignées. Certains membres de la GRC doivent se rendre sur les lieux seuls lorsqu'ils répondent aux appels.
L'impression que j'ai eue ce jour-là est confirmée par l'Association canadienne de la police montée professionnelle du Canada, qui dit ceci: « Malheureusement, dans sa forme actuelle, ce projet de loi comporte des lacunes puisqu’il supprime de la table de négociation des questions essentielles telles que les mesures disciplinaires et la répartition des ressources. »
J'en conclus que la conversation que j'ai eue avec ce membre de la GRC de ma circonscription, au cours de la campagne électorale, était représentative de ce que pensent au moins une partie des membres de la GRC au pays, sinon un grand nombre d'entre eux. Certains se sont regroupés volontairement au sein d'une association pour affirmer qu'à part la paye et les avantages sociaux, ils souhaitent vraiment que les négociations de leur convention collective portent sur leurs conditions de travail et sur les décisions de la direction qui les mettent en danger lorsqu'elle détermine qui répondra aux appels et comment on y répondra.
Ce serait une erreur de la part du gouvernement de ne pas saisir l'occasion qui se présente et de se contenter de faire le minimum pour se plier aux exigences de la Cour suprême. Il faudrait plutôt créer un mécanisme permettant à la GRC de prendre des décisions en tenant compte du point de vue de ses membres qui ont de l'expérience sur le terrain et qui peuvent y constater eux-mêmes les conséquences, sur les agents partout au pays, des politiques conçues par la direction.
La décision de la Cour suprême est claire. Dans cette enceinte, nous savons tous que le droit de discuter d'une question à la table de négociation ne garantit en rien l'issue de la discussion. La direction peut très bien s'en tenir à ses prérogatives.
Comme nous avons parlé du processus de négociation collective et de ce qui devrait être inclus ou non dans le cadre du processus, je crois qu'il serait utile de mentionner ce que la Cour suprême a déclaré au sujet du processus de négociation, de son utilité et de son importance.
Je vais citer abondamment la décision. On y lit ceci:
En tant qu’êtres sociaux, notre liberté d’agir collectivement est une condition première de la vie communautaire, du progrès humain et d’une société civilisée. En s’associant, les individus ont été en mesure de participer à la détermination et au contrôle des conditions immédiates de leur vie et des règles, mœurs et principes qui régissent les collectivités dans lesquelles ils vivent.
La liberté d’association est on ne peut plus essentielle dans les circonstances où l’individu risque d’être lésé par les actions de quelque entité plus importante et plus puissante comme le gouvernement ou un employeur.
Dans le cas qui nous occupe, c'est les deux.
On y dit également ceci:
L’association a toujours été le moyen par lequel les minorités politiques, culturelles et raciales, les groupes religieux et les travailleurs ont tenté d’atteindre leurs buts et de réaliser leurs aspirations; elle a permis à ceux qui, par ailleurs, auraient été vulnérables et inefficaces de faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force de ceux avec qui leurs intérêts interagissaient et, peut-être même, entraient en conflit.
Voilà, je crois, ce qu'on entend de la part des membres de la GRC. Il semble y avoir un fort sentiment que les moyens dont ils disposent pour régler les problèmes dans leur milieu de travail sont inefficaces. On ressent leur frustration, qui est attribuable au fait qu'ils se sentent vulnérables et qu'ils ne disposent pas d'un processus équitable auquel ils peuvent recourir pour contester les mesures prises par une personne ou une entité plus puissante.
Je dirais que ce que les membres de la GRC ont cherché à faire dans le cadre de cette procédure judiciaire, qui a, au bout du compte, donné lieu à une décision de la Cour suprême selon laquelle ils ont le droit à la négociation collective, c'est d'obtenir le droit de poursuivre leurs objectifs dans le cadre de leur milieu de travail. Nous savons que certains des objectifs les plus importants ont trait à la sécurité et à la santé en milieu de travail, plutôt qu'à la rémunération et aux avantages sociaux.
La Cour suprême a reconnu, dans sa décision, que cette capacité est ce qui rend la négociation collective importante. Elle a déclaré, par exemple, qu'un « processus de négociation collective n’aura pas un caractère véritable s’il empêche les employés de poursuivre leurs objectifs ».
La Cour suprême poursuit ainsi:
L’équilibre nécessaire à la poursuite véritable d’objectifs relatifs au travail peut être rompu de maintes façons. Des lois et des règlements peuvent restreindre les sujets susceptibles de faire l’objet de négociation ou imposer des résultats arbitraires.
Je pense que c'est justement ce qui se passe à certains égards dans le projet de loi dont nous sommes saisis. Une loi — le projet de loi C-7 en l'occurrence — ferait en sorte que les membres de la GRC ne soient pas libres de poursuivre leurs objectifs dans le cadre de la négociation collective. C'est pour cette raison que le NPD est très préoccupé par certaines exclusions. La Cour suprême a dit, à juste titre, que l'aspect le plus important dans la négociation collective est la liberté accordée aux employés de poursuivre les objectifs qu'ils établissent eux-mêmes en fonction de leur milieu de travail.
Nous avons tous entendu parler de cas où des agents de la GRC répondent seuls à des appels dans des collectivités éloignées ou du Nord, et du danger que ce genre de situation représente pour leur sûreté et leur sécurité. Il y a eu des discussions à ce sujet. Récemment, nous avons entendu parler dans les médias d'allégations persistantes de harcèlement sexuel et du fait que certains membres de la GRC se sentent impuissants au moment de formuler une plainte. Je comprends donc pourquoi ils voudraient pouvoir intervenir dans ces dossiers et pourquoi ils estiment que le meilleur processus pour les aborder serait qu'ils puissent prendre place d'égal à égal à la table de négociation. Or, le gouvernement, de concert avec le commissaire, propose un autre régime dans le cadre duquel les décisions qui seraient prises relativement à ces dossiers pourraient être, de l'avis de certains membres, inadéquates.
Bien sûr, puisque la négociation collective à la GRC a été interdite d'une façon ou d'une autre depuis 1918, le gouvernement et le commissaire ont eu amplement le temps de proposer des solutions à ces problèmes qui persistent au sein de la GRC, et qui n'ont toujours pas été réglés. Nous avons maintenant un nouveau gouvernement qui va tenter de régler ces problèmes à sa façon.
Notre modeste proposition est la suivante: nous croyons qu'il est peut-être temps de laisser les employés qui travaillent sur le terrain venir à la table afin de négocier en tant qu'égaux comment certaines de ces questions vont être réglées.
Bien entendu, cela ne garantit aucun résultat particulier. Cela ne veut pas dire que les employés vont faire des gains. Tout ce que nous disons, c'est qu'il serait normal que ces employés soient à la table des négociations pour soulever ces questions s'ils croient qu'elles sont importantes — et nous savons que certains d'entre eux sont de cet avis.
Pourquoi ne les laisserions-nous pas soulever ces questions à la table de négociations? Pourquoi ne les laisserions-nous pas prendre une décision en fonction d'une proposition concrète? Pourquoi ne les écouterions-nous pas afin de savoir si ce qu'ils disent a du sens ou non et si leurs propos concordent avec ce que nous avons entendu sur la nature propre de police nationale de la GRC? Permettons que ces choses soient décidées une fois que les propositions seront à la table plutôt que de présumer de l'issue des négociations et d'affirmer que toute proposition venant de membres de la GRC ne saurait être fidèle à la nature propre de police nationale de la GRC.
J'estime que de nombreux membres de la GRC — à vrai dire, la majorité d'entre eux, sinon tous — comprennent la nature de leur milieu de travail, souscrivent tout autant que les autres à cette idée de la GRC en tant que police nationale, croient tout autant que les autres au rôle très important de la GRC au Canada et souhaitent appuyer des solutions qui seront dans leurs intérêts, certes, mais aussi dans l'intérêt de l'organisation — l'un n'empêche pas l'autre, selon moi. Bref, ce que nous disons, c'est que certaines de ces exclusions ne sont pas très bien fondées. En tout cas, si elles le sont, on ne nous a jamais dit pourquoi.
Nous avons entendu des arguments sur la nécessité d'agir en temps opportun. Nous avons entendu dire qu'il est urgent de faire adopter le projet de loi parce que nous avons seulement jusqu'au 16 mai pour le faire. Je dirais que ce n'est pas une raison valable. C'est un problème que l'on peut résoudre de façon raisonnable, que ce soit simplement en retirant ces dispositions d'exclusion ou — si cette option s'avère complexe sur le plan législatif en raison des dispositions déjà en place — en établissant simplement l'échéancier selon lequel les ententes conclues pourraient entrer en vigueur et l'emporter sur toute disposition législative actuellement en place. Ce sont des détails qui peuvent être réglés au comité. J'espère que le gouvernement sera à l'écoute, et que, à l'étape du comité, nous pourrons réduire le nombre de dispositions d'exclusion qui se trouvent dans ce projet de loi. C'est pour cette raison que nous voterons pour le renvoi de ce projet de loi au comité. Ce n'est pas parce que le projet de loi est parfait, mais parce qu'il doit tenir compte du droit des membres de la GRC de prendre part à une négociation collective, et nous avons hâte de pouvoir soumettre des propositions en vue d'améliorer ce projet de loi.
Je m'en voudrais de ne pas mentionner que la Cour suprême a également précisé que des limites peuvent raisonnablement être imposées à la négociation collective. Mon collègue conservateur y a fait allusion tout à l'heure. Voici ce qu'a dit la Cour suprême:
L'article premier de la Charte permet au législateur d'adopter des lois qui restreignent les droits garantis par la Charte s'il est établi que les limites imposées sont des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Cette procédure de justification exige que l'objectif de la mesure soit urgent et réel et que le moyen choisi pour l'atteindre soit proportionné à cet objectif, c.-à-d. qu'il possède un lien rationnel avec l'objet de la loi, qu'il porte le moins possible atteinte au droit [...] et qu'il soit proportionné sur le plan de ses effets.
Le gouvernement a allégué — au tribunal, pas à la Chambre aujourd'hui — que le refus du droit à la négociation collective aux membres de la GRC visait « à préserver et à renforcer la confiance du public à l’égard de la neutralité, de la stabilité et de la fiabilité de la GRC à titre de force policière indépendante et objective ».
Je signale que la Cour suprême a jugé l'argument insatisfaisant, mais il me semble que c'est sur des arguments du même ordre que repose, dans le projet de loi C-7, l'exclusion de certaines questions du processus de négociation. Même si le refus du droit à la négociation collective n'est pas la même chose que l'exclusion de certaines questions de la négociation, il vaut la peine d'examiner la réponse de la Cour suprême à l'argument du gouvernement:
D'une part, il est difficile de comprendre pourquoi l'exclusion d'un groupe d'un processus de négociation collective protégé par la loi peut assurer sa neutralité, sa stabilité ou même sa fiabilité. L'exclusion des membres de la GRC du régime de négociation collective de la fonction publique fédérale [...] a eu pour effet de favoriser plutôt que d'atténuer le mécontentement et l'agitation qui régnaient au sein de cette organisation.
D'autre part,
[...] il n'est pas établi que l'autorisation d'un véritable régime de négociation collective pour les membres de la GRC perturbera la stabilité de cette force policière ou influencera la perception du public quant à sa neutralité. Le gouvernement n'a produit aucun élément de preuve convaincant à cet égard. La recherche empirique tend plutôt à indiquer le contraire, tout comme l'expérience des provinces avec les forces policières syndiquées [...]
Je ferai remarquer à la Chambre aujourd'hui que la même chose s'applique, mutatis mutandis, aux exclusions du processus de négociation collective contenues dans le projet de loi C-7. Il s'agissait d'arguments liés au fait de ne pas donner du tout aux membres de la GRC le droit à la négociation collective. Cependant, nous pourrions dire qu'un critère semblable doit être appliqué à chaque exclusion. Je ne suis pas convaincu qu'il soit d'une grande utilité d'exclure des enjeux importants du processus de négociation, et j'aimerais beaucoup entendre les députés ministériels au sujet de ces exclusions.
Sans qu'elle garantisse un résultat particulier si les employés présentaient une proposition sur les lignes directrices en matière de dotation ou, s'ils le faisaient, que ces lignes directrices seraient efficaces dans le processus, comment l'exclusion des ratios de dotation du régime de négociation collective, par exemple, rendrait la GRC plus fiable, plus neutre ou plus stable? Nous n'avons tout simplement pas entendu de justification valable à cet égard.
Nous avons entendu un vague commentaire, tout à l'heure, de la part de la secrétaire parlementaire du président du Conseil du Trésor, qui a dit que certaines choses ont toujours relevé de la responsabilité du commissaire et que c'est une prérogative de la direction.
Une question s'impose alors: il faut se demander ce qui relèvera de la prérogative de la direction. Cela ne poserait peut-être aucun problème si nous présentions une plaidoirie en Cour et que la loi était bien établie, mais à titre de législateurs à la Chambre des communes, il nous revient de décider ce qui relèvera de la prérogative de la direction. C'est sur ce point que porte notre contestation d'aujourd'hui.
La décision de la Cour suprême offre un test utile. Les critères qui servent à déterminer si les membres de la GRC devraient avoir le droit de négocier une convention collective, en général, peuvent aussi servir à évaluer chaque exclusion. Il faut alors voir, à la lumière d'arguments et de données pertinents, si le fait de soumettre ces éléments à une négociation mettrait en péril l'institution qu'est la GRC.
Cela serait difficile à démontrer, notamment parce que le projet de loi n'accorde pas de droit de grève. En effet, les désaccords seraient soumis à un arbitrage exécutoire, et les arbitres auraient pour consigne de tenir compte, pendant leurs délibérations, du rôle unique que joue la GRC à titre de police nationale.
Si les membres de la GRC faisaient des propositions pendant les négociations, il est clair dans le projet de loi C-7 que les points n'ayant pu être réglés — supposément parce que la direction de la GRC estimait que les propositions étaient déraisonnables — iraient en arbitrage. Dans le cadre de leur mandat, les arbitres auraient à déterminer si ces propositions étaient conformes au rôle unique que joue la GRC comme force policière nationale et, par conséquent, si une de ces propositions représenterait, en quelque sorte, une menace pour la stabilité, la neutralité ou la fiabilité de la GRC comme force policière nationale.
Le mandat de la GRC et son rôle unique — terme que nous employons ici — seraient bien protégés dans le cadre de ce processus, alors ces exclusions me semblent superflues. En l'absence d'autres arguments de la part du gouvernement, bien que j'insiste encore sur le fait que je n'estime pas qu'on nous ait présenté d'argument en faveur de ces exclusions en particulier, il me semble que le rôle unique de la GRC est assez bien protégé par cette mesure législative, alors les exclusions sont superflues.
Comme je le dis, j'espère que ces lacunes pourront être corrigées en comité. Si nous y arrivons, nous aurons une proposition qui reflète mieux le souhait des membres de la GRC, qui ont été très clairs sur ce point. C'est ce à quoi nous devrions aspirer. Il ne suffit vraiment pas de réunir au minimum les conditions énoncées dans la décision de la Cour suprême.
Nous avons l'occasion ici de respecter l'esprit de ce que devraient être les négociations collectives. Le projet de loi contient déjà un mécanisme — et il ne s'agit pas d'une exclusion — pour faire en sorte que le rôle unique que joue la GRC à titre de force policière nationale soit respecté et qu'il y ait moyen de le faire respecter par l'arbitre dans le cadre de ce processus.
Voilà pourquoi nous estimons que le projet de loi devrait être soumis à l'examen du comité, où il pourrait être étudié plus à fond. Nous nous attendrons à ce que le gouvernement justifie les exclusions précises, faute de quoi nous présenterons des propositions pour améliorer la mesure législative et veiller à ce que les membres de la GRC obtiennent le droit de négocier collectivement, conformément à l'esprit et à la lettre de la loi.