[Le député s'exprime en cri ainsi qu'il suit:]
[Les propos du député sont traduits ainsi:]
Monsieur le Président, je salue tous les gens que je connais. Je suis très fier d'être ici.
Je m’appelle Robert Gauthier. Je suis membre de la nation de Red Pheasant.
[Traduction]
Monsieur le Président, je viens de la communauté crie de Red Pheasant, en Saskatchewan, et j'en suis très fier.
Je me souviens du jour où j'ai pris la parole pour la première fois à la Chambre, le 8 décembre 2015. J'ai parlé des services à l'enfance et à la famille parce que c'est une question très importante pour les Manitobains, plus particulièrement pour les résidants de Winnipeg-Centre. Ils étaient très fâchés de ce qui se passait dans notre province et dans notre ville.
Imaginons que 90 000 enfants de la province de Québec aient été placés en famille d'accueil ou que 130 000 enfants de l'Ontario aient été placés en famille d'accueil. Il y aurait eu une révolution et des émeutes dans les rues. Cela aurait été incroyable si cela avait été le cas dans d'autres provinces.
Ce projet de loi est peut-être la plus importante mesure législative que nous allons adopter, non seulement parce qu'elle concerne les enfants et l'intérêt supérieur des enfants, mais aussi parce qu'elle concerne les champs de compétences et la cession du contrôle aux communautés autochtones. Elle est importante pour diverses raisons. Elle vise à réparer le passé colonialiste des pensionnats, à l'époque où nous arrachions les enfants à leur famille pour les assimiler de force à l'entité politique canadienne, à l'époque où nous les privions de leur langue.
J'ai déclaré dans mon premier discours: « Je songe au premier de nos premiers ministres, John A. Macdonald, Dieu ait son âme, qui a jeté des Autochtones en prison, qui a volé nos enfants, qui a volé nos langues. » Je parlais de l'histoire de ce pays. L'histoire des pensionnats s'est poursuivie jusque dans les années 1960, lorsque, au lieu de placer les enfants dans de grands établissements éloignés des grands centres urbains, on les a placés dans des centres d'adoption et envoyés dans le monde entier. J'ai en effet rencontré des jeunes de mon âge, hommes et des femmes, qui sont revenus au Canada après avoir été adoptés en France ou aux États-Unis. C'est ce que l'on appelle généralement la rafle des années 1960.
Il y a encore des familles d'accueil aujourd'hui. Au Manitoba, 11 000 enfants sont placés. Le chiffre de 90 000 est fondé sur ce nombre. Proportionnellement selon le nombre d'habitants, ces 11 000 donneraient 90 000 au Québec et 130 000 en Ontario.
Le système d'aide à l'enfance a d'importantes répercussions sur la vie de gens bien réels. Prenons l'exemple de Dwayne Gladu, qui habite ma circonscription, et de sa fille Lisa.
Lorsqu'il était enfant, Dwayne a été placé dans une famille d'accueil. Il en a été de même pour sa fille, mais, dans son cas à elle, c'était parce qu'il y avait une note au dossier de son père indiquant qu'il avait été en famille d'accueil, ce qui voulait dire qu'il ne serait pas un bon parent. Il était Autochtone, donc il aurait des problèmes, même si Dwayne est un homme qui suit ce que nous appelons le « chemin rouge ». C'est quelqu'un de bien. Je l'ai rencontré à de nombreuses reprises dans des pow-wow. Il est peut-être pauvre, mais c'est un homme très bon.
Lisa, la fille de Dwayne, a elle aussi fait l'objet d'un signalement de naissance en situation de risque. Lorsqu'elle a accouché, il y a quelques années, son enfant lui a été enlevé immédiatement. Elle n'a jamais eu l'occasion de prouver qu'elle pouvait être une bonne mère. Elle a sombré dans le désespoir. Elle n'avait pas le droit de voir son enfant. Elle a été obligée de prouver qu'elle pouvait être une bonne mère et de suivre des cours sur le rôle parental, alors que personne d'autre n'avait à le faire. Son seul crime était d'avoir elle-même été placée dans un foyer d'accueil.
Son désespoir a tourné à la dépression. Elle a commencé à avoir de mauvaises fréquentations parce qu'elle était pauvre et vivait au centre-ville de Winnipeg. Elle s'est mise à consommer de la drogue et est éventuellement décédée d'une surdose dans les rues de Winnipeg.
Dwayne continue de visiter son petit-fils à la moindre occasion. Chaque semaine, il passe du temps en compagnie de son petit-fils et ils s'amusent ensemble. Il tente d'être un bon grand-père et de transmettre sa culture.
Si je pense à Lisa aujourd'hui, c'est aussi parce que l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a présenté son rapport.
Le veston que je porte est un cadeau de la part des femmes de Winnipeg-Centre. Je ne sais pas si les caméras peuvent s'approcher pour le montrer en gros plan, mais deux femmes sont brodées de perles sur les revers. On me l'a donné pour me rappeler la raison pour laquelle je suis ici et pour me rappeler Lisa. C'est pour faire en sorte que je n'oublie jamais son nom, ses espoirs, ses rêves et son désir de tenir son enfant dans ses bras lorsqu'elle se réveille et s'endort. Elle n'a jamais eu l'occasion de le faire. Le système lui a refusé cette chance. C'est cela que le projet de loi est censé changer. Voilà l'objet du projet de loi et la raison pour laquelle il est si important.
Lorsque j'ai prononcé mon premier discours à la Chambre, plus de 300 000 personnes l'ont visionné sur Facebook. Cela indique que les gens ont soif de changement.
Je suis très fier du travail accompli par tous les membres du comité, que ce soient les conservateurs, les néo-démocrates, le Parti vert ou les députés indépendants. Ils se sont réunis au comité pour étudier ce projet de loi parce qu'il améliorera considérablement la situation pour l'avenir. Dans 30 ou 40 ans, nous pourrons songer à ce moment-ci et dire que ce projet de loi était peut-être le meilleur à avoir été présenté à la Chambre. Même s'il est présenté à la fin de la session, cela ne diminue en rien son importance.
Il y a aussi la question des champs de compétence. La Loi sur les Indiens de 1876 a divisé les Autochtones et leurs nations en petits groupes. Au titre de cette loi, de grands groupes de gens se trouvant sur les territoires visés par les traités nos 1, 3 et 7, où des centaines de groupes, de tribus et de nations autochtones vivaient dans un esprit communautaire et se réunissaient à certaines périodes de l'année, ont été divisés en petites communautés qui ont été isolées les unes des autres. Ces gens ne s'en remettaient à aucun organisme. L'objectif est de permettre à ces nations autochtones de procéder elles-mêmes à des réformes et d'avoir une pleine compétence dans un domaine précis. Leurs lois auraient préséance sur les lois fédérales et provinciales. C'est significatif.
Le député de Saint-Boniface—Saint-Vital applaudit en ce moment parce qu'il sait à quel point c'est important au Manitoba.
Au cours de quelques périodes de questions et observations, j'ai récemment dit que les gouvernements ne peuvent pas légiférer sur l'amour. C'est quelque chose qu'ils ne peuvent jamais faire. Un gouvernement ne peut pas aimer des gens. Sir John A. Macdonald, ou plutôt son fantôme, ne sera jamais capable d'aimer nos enfants. Ce sont les Canadiens qui doivent le faire.
Un autre participant au débat a affirmé que nos enfants sont une ressource. Malheureusement, oui, elles en sont une parce que nous recevons des fonds pour nous occuper d'eux. Il est plus facile de payer quelqu'un d'autre pour s'occuper des enfants que d'aider une famille à réussir et de s'assurer que les enfants demeurent avec leurs parents afin qu'ils puissent garder leur lien avec leur culture et leur identité, ainsi qu'avec les membres de leur famille et les personnes qui les aiment le plus. L'amour que ces enfants recevront sera peut-être imparfait, mais il sera tout de même profond.
Je suis très fier du travail que chacun d'entre nous a accompli. Je vois la leader à la Chambre. Je ne veux pas dire qu'elle est ici, mais j'espère que, lorsque nous adopterons ce projet de loi et qu'il recevra la sanction royale, il y aura une cérémonie avec la gouverneure générale et que les peuples autochtones participeront. Même si, dans ses affaires, dans ses décisions et dans la façon dont il légifère, le Parlement est souverain, nous pouvons aussi décider d'inclure d'autres participants. Il est très important le projet de loi inclue la vision du monde autochtone et que c'est cette vision qui soit reflétée avant tout.
Je suis maintenant prêt pour les questions. Je souhaite remercier tous les députés. Je suis très fier de tout le travail que nous avons accompli. Je vais pouvoir regarder mes enfants dans les yeux et dormir sans remords. Peu importe l'issue des élections, peu importe le parti qui sera au pouvoir, les députés peuvent être sûrs que les Autochtones et tous les Canadiens se battront pour l'administration et le financement adéquats des services à l'enfance et pour que les Autochtones puissent le faire eux-mêmes, sans qu'on leur dise quoi faire.