Monsieur le Président, c'est avec un grand plaisir que j'interviens ce soir pour parler du projet de loi C-92.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais dire quelques mots au sujet de ma présence de ce matin à la publication du rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, en compagnie de la ministre du cabinet fantôme et députée de Kamloops—Thompson—Cariboo.
Je pense que tous les députés sont d'accord pour dire que nous sommes en présence d'une tragédie nationale. La conversation que j'ai eue ce matin avec la femme assise à côté de moi me l'a rappelé. Je ne la connaissais pas, mais quand nous nous sommes assis, j'ai remarqué qu'elle tenait une feuille sur laquelle figurait la photo d'une jeune fille. J'étais curieux, alors je lui ai demandé de me raconter son histoire.
Cette femme était la tante d'une jeune victime appartenant aux Six Nations et elle m'a immédiatement raconté son histoire. La photo qu'elle tenait était celle de Patricia « Trish » Carpenter, 14 ans, de la nation d'Alderville. Il y a 27 ans, en 1992, le corps de l'adolescente a été retrouvé, face contre terre, sur un chantier de construction près de la rue Yonge à Toronto. En poussant mes recherches, j'ai découvert que Trish Carpenter était la mère d'un petit garçon de deux mois. L'enquête du coroner a révélé qu'elle était morte asphyxiée. Une autre enquête a par la suite conclu que la mort de Trish était effectivement suspecte.
Le rapport de l'enquête nationale indique que les Autochtones, en particulier les femmes membres des Premières Nations, inuites et métisses, représentent un nombre disproportionné des victimes de cette violence. Le gouvernement libéral n'a pas traité adéquatement le dossier de la tragédie des femmes autochtones disparues et assassinées au cours de ses trois ans et demi au pouvoir. Il a également manqué à son devoir en attendant à la toute dernière minute pour présenter cet important projet de loi sur le bien-être des enfants autochtones. Voilà qui m'amène au sujet à l'étude ce soir, le projet de loi C-92.
J'ai commencé mon discours en parlant des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées parce que ce sujet est directement lié au projet de loi à l'étude. Bon nombre des victimes ont été prises en charge par un système déficient de services de protection de l'enfance. C'est peut-être notamment le cas de la femme avec qui je me suis entretenu ce matin lors de la publication du rapport. Cela dit, le projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, énonce d'importants principes nationaux applicables à la fourniture des services destinés aux enfants et aux familles autochtones, notamment l'intérêt de l'enfant, la continuité culturelle et l'égalité réelle. Ces principes sont très importants. Ils s'inscrivent dans le long cheminement de notre pays vers la réconciliation avec les peuples autochtones.
Cela dit, aussi importants que puissent être ces principes, le gouvernement libéral actuel présente ce projet de loi si tardivement dans le programme parlementaire que le Parlement a à peine le temps de l'étudier. Nous avons vu les conséquences au comité. L'étude a été précipitée. Nous avons disposé d'au plus deux semaines pour discuter de ce projet de loi essentiel.
Nous voulons nous assurer que les principes décrits dans le projet de loi C-92 sont bel et bien reflétés dans la pratique. Or, le dépôt tardif du projet de loi, pourtant important, dans le calendrier parlementaire rend cette tâche bien difficile. C'est inexcusable.
Comme nous le savons tous, la façon dont le gouvernement du Canada s'est occupé du bien-être des enfants autochtones est une histoire sombre et tragique. En instaurant son système de pensionnats, le gouvernement du Canada a séparé des générations d'enfants autochtones de leur famille, de leur communauté, de leur culture et de leur mode de vie. Lors de la rafle des années 1960, un grand nombre d'enfants autochtones ont été arrachés à leur famille pour être placés dans des foyers non autochtones, où ils étaient tout simplement coupés de leur culture et de leurs liens avec leur communauté. Je connais plusieurs personnes en Saskatchewan à qui c'est arrivé. Ce ne sont que quelques-unes des tragédies qu'ont vécues les enfants autochtones du Canada.
Alors que le Canada chemine vers la réconciliation, il doit le faire d'une façon qui représente et qui respecte les droits des Autochtones et qui respecte leur patrimoine culturel unique. Nous appuyons les principes qui sous-tendent ce projet de loi relativement à l'administration des services à l’enfance et à la famille à l'égard des enfants autochtones. Comme ma collègue de Kamloops—Thompson—Cariboo l'a souligné à maintes reprises à la Chambre, en allant de l'avant avec les principes qui sous-tendent ce projet de loi, nous ne nions pas l'excellent travail accompli par les travailleurs sociaux et nous ne refusons pas non plus de reconnaître les familles qui ont adopté des enfants par le passé; nous insistons simplement sur le fait qu'il faut faire mieux dans ce dossier crucial.
Toutefois, au comité, le ministre des Services aux Autochtones a déclaré que les intervenants en services d'aide sociale à l'enfance avaient collaboré à des « enlèvements ». Effectivement, il a vraiment utilisé ce terme en comité. Il s'agit de propos à la fois incendiaires et stériles qui nous divisent au lieu de nous rassembler. À cet égard, le ministre doit s'excuser auprès des organismes d'aide sociale, y compris ceux dirigés par des Premières Nations. Les propos injurieux et incendiaires n'ont pas leur place dans le cadre des discussions sur ce principe important que nous défendons ici ce soir.
Le premier principe énoncé dans le projet de loi concerne l'intérêt de l'enfant; il s'agit de la priorité absolue. Ce principe exige que, dans le cadre de leur processus décisionnel, les services à l'enfance et à la famille tiennent compte, entre autres facteurs, du patrimoine et de l'éducation culturels, linguistiques, religieux et spirituels de l'enfant autochtone. Ce principe revêt une importance cruciale, car les services à l'enfance et à la famille au Canada sont de plus en plus axés sur la prévention dans le but de permettre aux enfants autochtones de demeurer au sein de leur communauté et de préserver leurs précieuses attaches culturelles.
Selon Services aux Autochtones Canada, 52,2 % des enfants de 14 ans et moins qui vivent dans un foyer d'accueil privé sont autochtones. Cette statistique montre que les enfants autochtones sont nettement surreprésentés dans le système d'aide à l'enfance et à la famille du Canada, surtout quand on sait qu'ils ne représentent que 7,7 % de tous les enfants de 14 ans et moins du pays. Il faut en faire plus pour que les enfants autochtones puissent demeurer dans leur milieu d'origine et tisser des liens durables avec les membres de leur communauté. Ce projet de loi montre que l'administration des services d'aide à l'enfance et à la famille doit miser d'abord et avant tout sur la prévention si on veut que moins d'enfants autochtones finissent dans un foyer d'accueil, loin de leur culture et de leur entourage.
L'ancien gouvernement conservateur avait compris que la prévention doit être au cœur des services d'aide à l'enfance et à la famille destinés aux enfants autochtones. Parmi les nombreuses mesures concrètes à notre actif, nous avons notamment créé, en 2007, l'approche améliorée axée sur la prévention, qui repensait le modèle utilisé jusque-là pour le financement du programme Services à l'enfance et à la famille des Premières Nations.
L'approche a été immédiatement mise en oeuvre en Alberta. Un an plus tard, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse l'ont adoptée, ainsi que le Québec, l'Île-du-Prince-Édouard et le Manitoba par la suite.
Le financement a été réattribué à une approche axée sur la prévention visant à garder les enfants autochtones au sein de leur communauté et à favoriser, de manière adaptée sur le plan culturel, l'autonomie des communautés autochtones.
L'approche axée sur la prévention mise en oeuvre par l'ancien gouvernement conservateur a réorienté les services à l'enfance vers une pratique axée sur la famille avec des résultats centrés sur les enfants. Cette façon de faire a donné des résultats concrets et positifs, et a permis de renverser la tendance selon laquelle de plus en plus d'enfants autochtones étaient placés en foyer d'accueil au pays.
Durant la durée du règne conservateur, le pourcentage d'enfants autochtones des réserves qui ont été placés en foyer d'accueil est passé de 89,67 % la première année, soit en 2006-2007, à 76,08 % en 2014-2015. Nous convenons tous qu'il serait préférable de voir ce pourcentage descendre à zéro. Il s'agit tout de même d'une réduction de plus de 13 %, selon les statistiques recueillies par le programme Services à l'enfance et à la famille des Premières Nations. Durant la même période, le pourcentage d'enfants autochtones placés chez un membre de la famille est passé à 17,83 % en 2014-2015. Aucun pourcentage initial n'a été enregistré.
L'ancien gouvernement conservateur a en outre augmenté d'environ 50 % les dépenses nationales au titre des services à l'enfance et à la famille des Premières Nations. Ces résultats représentent un progrès concret que l'ancien gouvernement conservateur a réalisé pour améliorer les services à l'enfance et à la famille des Premières Nations sur le plan de la qualité et, surtout, des résultats découlant de la prévention.
Autre élément clé, le projet de loi affirmerait les droits et la compétence des peuples autochtones en matière de services à l'enfance et à la famille. Il autoriserait les organismes de gouvernance autochtones à adopter leurs propres lois en matière de services à l'enfance et à la famille, dans le respect de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces lois auraient la même force que les lois fédérales. À ce sujet, il y a toutefois encore des questions à régler.
L'une de ces questions concerne les cas où la compétence sur un enfant donné est revendiquée par plus d'un organisme de gouvernance autochtone. En effet, beaucoup d'enfants autochtones revendiquent de multiples antécédents. Il n'est pas rare qu'un enfant ait un père membre des Premières Nations et une mère métisse, ou vice versa. En l'occurrence, il est concevable que deux organismes de gouvernance autochtones prétendent chacun être compétents pour lui offrir les services à l'enfance et à la famille.
Même si le projet de loi aborde les conflits de compétence entre une province et un corps dirigeant autochtone, il ne traite pas adéquatement des conflits de compétence qui peuvent survenir entre des corps dirigeants autochtones qui ont des liens aussi solides l'un que l'autre avec l'enfant autochtone concerné.
Cette question de compétence est l'une des inquiétudes qui ont été directement exprimées au comité durant l'étude du projet de loi C-92. L'une des personnes ayant comparu devant le comité est Raven McCallum, une jeune femme éloquente qui est conseillère pour la jeunesse au sein du ministère du Développement de l’enfance et de la famille de la Colombie-Britannique. Elle est d'ascendance haïda et britannique du côté de sa mère, et d'ascendance métisse du côté de son père. Lors de son témoignage, au sujet du projet de loi C-92, elle a affirmé ceci:
[…] on ne semble indiquer d'aucune manière comment procéder dans les situations où un enfant appartient à plus d'une nation.
Puis, elle a ajouté:
C'est un enjeu important qu'il faut prendre en compte. Nous devons connaître tous les aspects de notre identité.
Au comité, nous avons sans cesse entendu dire que l'identité autochtone est complexe et comporte de nombreuses facettes. Cependant, le projet de loi ne s'est toujours pas penché correctement sur la complexité des questions de compétence relatives à la prestation de services à l'enfance et à la famille pour les enfants autochtones.
Nous voulons aussi nous assurer que le projet de loi ne nuira pas aux accords sur l'autonomie gouvernementale conclus entre des corps dirigeants autochtones et les gouvernements fédéral et provinciaux, et qui portent sur les services à l'enfance et à la famille. Cela comprend les accords conclus en mars dernier dans ma province, la Saskatchewan, entre le gouvernement provincial et le Conseil tribal de Saskatoon.
L'un de ces accords est une entente de délégation qui a rétabli l’organisme de services à l’enfance et à la famille du Conseil tribal de Saskatoon, et qui fournira des services aux communautés dans les réserves visées par ce corps dirigeant. Un autre accord est une entente de partenariat fondée sur la réconciliation, qui vise à s'assurer que les enfants autochtones restent en contact avec leur culture et leur communauté. Ces sortes d'accords favorisent le principe de continuité culturelle, qui reconnaît que l'un des intérêts vitaux des enfants autochtones est de vivre et grandir dans leurs communautés linguistiques et culturelles uniques.
Comme l'a déclaré devant le comité Mark Arcand, chef du Conseil tribal de Saskatoon, au sujet des accords, « tout ce travail est axé sur la prévention ». Toujours devant le comité, il a souligné de nouveau l'importance du travail: « Pour notre part, nous sommes d'avis que nous devons établir des partenariats et des relations, comme nous l'avons fait avec les gouvernements fédéral et provincial. Pour nous, cela signifie beaucoup, parce que cela permet de bâtir des ponts. Nous devons travailler ensemble. »
Au cours de l'étude du projet de loi C-92, nous devons examiner comment celui-ci aura une incidence sur les accords de ce genre, afin que nous puissions respecter les principes énoncés dans le projet de loi lui-même.
Les accords de délégation, comme ceux conclus entre le gouvernement de la Saskatchewan et le Conseil tribal de Saskatoon, sont extrêmement importants. Ils visent à confier de nouveau aux communautés autochtones la responsabilité de prodiguer des soins aux enfants autochtones, de telle sorte que ceux-ci ne soient plus séparés de leur culture et de leur patrimoine.
La continuité culturelle est l'un des grands principes du projet de loi. D'après les témoignages de nombreuses personnes, il est évident que les accords conclus entre les provinces et les corps dirigeants autochtones contribuent souvent à faire en sorte que les services à l'enfance et à la famille soient fournis de manière à ce que les enfants autochtones puissent maintenir des liens solides avec leur culture et leur communauté.
Le comité a aussi découvert un autre problème: certains acteurs majeurs sur lesquels ce projet de loi aurait une incidence directe n'avaient pas été consultés. Lorsque le grand chef Arlen Dumas, de l'Assemblée des chefs du Manitoba, est venu témoigner devant le comité, il a dit que son organisme n'avait pas du tout été consulté, lui qui avait déjà rédigé lui-même un texte de loi sur les services à l'enfance et à la famille conçu sur mesure selon son expérience dans la province du Manitoba.
Le grand chef nous a dit que, malgré tout le travail préparatoire déjà fait, l'Assemblée des chefs du Manitoba s'est vue imposer le projet de loi C-92: « nous avons été très surpris quand le projet de loi C-92 nous a été présenté. C'était presque une gifle, car nous avions consacré beaucoup de temps à proposer une solution qui plairait à tous. »
Comment le gouvernement libéral a-t-il pu présenter un projet de loi prévoyant des changements radicaux dans les services aux enfants autochtones sans consulter l'un des organismes autochtones les plus importants, dans une province ayant l'un des taux les plus élevés d'enfants autochtones placés dans des familles d'accueil?
Il ne me reste presque plus de temps. De manière générale, nous sommes favorables aux principes énoncés dans ce projet de loi et nous voulons en poursuivre l'étude. Cependant, le gouvernement libéral l'a mis au bas de sa liste de priorités, ce qui fait qu'il ne nous laisse pratiquement pas le temps d'approfondir la question et de tenir un débat qui pourrait être très intéressant sur ce projet de loi.