propose que le projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, c'est pour moi un honneur d'intervenir pour ouvrir le débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Avant d'aller plus loin, il importe de rappeler que nous sommes rassemblés sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin.
Mes observations porteront sur trois grands thèmes: premièrement, la conformité du projet de loi C-92 à l'engagement pris par le gouvernement de renouveler la relation entre le Canada et les peuples autochtones; deuxièmement, l'importance du bien-être des enfants en général et la nécessité de prévoir des protections culturelles dans les régimes de protection de l'enfance; troisièmement, la mesure dans laquelle la mise en oeuvre de ce projet de loi permettra de mieux protéger les enfants, les jeunes et les familles vulnérables tout en reconnaissant et en affirmant le droit inhérent à l'autonomie des peuples autochtones.
Je ne peux pas, en toute conscience, intervenir aujourd'hui sans reconnaître l'excellent travail accompli par la députée de Markham—Stouffville. C'est elle qui nous a montré la voie, et nous ne pouvons pas oublier ses réalisations à titre de première ministre des Services aux Autochtones. Nous lui sommes reconnaissants de ce qu'elle a accompli pendant son mandat.
Tant qu'à rendre à César ce qui lui revient, je dois aussi reconnaître le rôle joué par la ministre des Relations Couronne-Autochtones dans la préparation du projet de loi. Son engagement évident envers le renouvellement de la relation entre le Canada et les peuples autochtones ne se dément pas. C'est un plaisir de reconnaître sa contribution à l'élaboration conjointe de cette importante mesure législative.
Plus tôt, j'ai indiqué en quoi le projet de loi C-92 s'inscrivait dans les progrès réalisés au chapitre du renouvellement de la relation du Canada avec les peuples autochtones. Les Canadiens sont de plus en plus conscients que les enjeux autochtones sont des enjeux canadiens, que ces enjeux sont d'une grande importance pour le pays et qu'il faut y répondre. Le gouvernement a toujours la ferme intention de faire face à ces enjeux parce que c'est ce que les Canadiens veulent, parce que c'est ce dont le pays a besoin et parce que, fondamentalement, c'est la bonne chose à faire.
Nous avons fait des investissements sans précédent pour construire et rénover des milliers de logements sûrs dans les communautés autochtones, comme ceux que j'ai récemment visités à Cat Lake. Le plus important, c'est que ces investissements sont réalisés au moyen d'une nouvelle approche fondée sur les distinctions. Finies les approches mur à mur qui sont sensées convenir à toutes les collectivités, du Sud-Ouest de la Colombie-Britannique à la pointe du Labrador en passant par l'Arctique. Nous avons collaboré avec les peuples autochtones afin de créer une stratégie du logement orientée par les Premières Nations, la stratégie sur le logement pour l'Inuit Nunangat et la stratégie sur le logement pour la nation métisse.
Tous les Canadiens devraient avoir accès à de l'eau potable, salubre et sécuritaire. Nous nous sommes engagés à réaliser cela, et nous sommes en bonne voie de pouvoir lever les avis à long terme sur la qualité de l'eau potable touchant les systèmes publics dans les réserves d'ici la fin de mars 2021, comme prévu.
Nous continuons d'investir dans l'infrastructure des communautés autochtones. Des rues, des écoles, des centres récréatifs, des aérodromes: la liste est longue. Nous le faisons parce que le fait de fournir une infrastructure efficace aide ces communautés à prospérer. Des communautés qui fleurissent mènent à des activités, à des initiatives et à de la croissance qui créent des possibilités de développement économique.
Nous savons bien que la grosse tache qu’ont laissée des dizaines d’années de négligence ne disparaîtra pas de sitôt. Il sera difficile de retourner la situation, mais nous y parviendrons. Il est crucial que nous prenions les mesures actuelles en partenariat et non à l’ombre du paternalisme.
Le gouvernement et le premier ministre ont promis dès le départ qu’ils allaient renouveler la relation avec les peuples autochtones en l’ancrant dans les droits, le respect, la coopération et le partenariat. Ce projet de loi illustre cela merveilleusement. J’espère donc que, grâce au présent débat et à l'appui des parlementaires de tous les partis à la Chambre et au Sénat, nous adopterons un projet de loi incarnant le type de travail que nous devrions poursuivre.
Avant de présenter les détails de ce projet de loi à la Chambre aujourd’hui, je crois qu’il serait bon de prendre un peu de recul et de parler de la protection de l’enfance en général ainsi que de la nouvelle prise de conscience concernant l’importance d'assurer la stabilité de l'environnement culturel des enfants pris en charge.
Fait intéressant, mars est le mois du travail social au Canada. Je le souligne maintenant parce qu’à mon avis, il est important, dans le cadre du présent débat, que nous nous arrêtions un instant pour souligner le précieux apport des travailleurs sociaux de tout le pays dans l'exercice quotidien de leur profession. Ils se trouvent souvent dans des situations que la plupart des Canadiens ne pourraient même pas imaginer. Ils sont souvent obligés de faire des choix difficiles, contraints par une dure réalité. Leurs décisions leur sont souvent imposées par les systèmes dans lesquels ils travaillent. Je tiens à préciser que, même si nous voulons remédier aux problèmes systémiques, nous ne critiquons pas indûment les personnes qui travaillent au sein de ces systèmes.
Tout cela pour dire que, parmi les gens qui étudient la question et ceux qui travaillent sur le terrain, on est de plus en plus conscient que les systèmes actuels de protection de l’enfance ne répondent pas aux besoins des jeunes Autochtones.
Pensons-y un peu. Les Autochtones constituent moins de 8 % de la population canadienne, mais 52 % des enfants pris en charge sont autochtones. C'est une statistique désastreuse et honteuse. Mais ce n’est pas tout. Il arrive bien trop souvent que des travailleurs sociaux non autochtones se présentent dans des communautés pour y appliquer des normes artificielles sans tenir compte du contexte culturel et qu’ils arrachent des enfants à leur mère, à leurs grand-mères et à leurs tantes. Ils les emmènent loin de leurs cousins et de leurs camarades de classe pour les placer supposément en sécurité. Ils sont en sécurité, mais seuls; ils sont en sécurité, mais loin de leur culture; ils sont en sécurité, mais effrayés. Ces choses se passent parce que le système de protection de l’enfance suit un modèle occidental et urbain qui ne s’applique pas du tout aux communautés autochtones.
Regardons, par exemple, ce qui se passe dans ma province. À Terre-Neuve-et-Labrador, quand le ministère des Enfants, des Aînés et du Développement social décide d’intervenir pour protéger un enfant, il évalue les options de placement disponibles. Elles peuvent être de quatre natures. Premièrement, on cherche à placer l'enfant dans une famille, puis dans une maison d’accueil non familiale. On peut aussi éventuellement avoir recours à un établissement résidentiel doté de personnel. Il est évident que, dans les petites communautés isolées comme Nain ou Natuashish, les possibilités de placement sont très limitées. C'est le cas dans n'importe quelle localité, qu’elle soit autochtone ou non. Plus la population de l'endroit est petite, moins on a d’options.
Évidemment, les jeunes qui ont besoin de protection finissent généralement par devoir quitter leur localité pour vivre dans une plus grande ville. Les enfants qui sont enlevés à leur famille et placés auprès d'étrangers subissent un grave traumatisme. Les députés peuvent s'imaginer comment peut se sentir un enfant qui est enlevé à sa famille et placé dans une ville où les gens ne lui ressemblent pas, ne parlent pas sa langue et ne le comprennent pas.
Trop souvent, les systèmes en place cherchent avant tout à placer l'enfant dans un milieu qui est considéré comme sécuritaire dans un contexte urbain, mais ils ne tiennent pas compte de certains facteurs de développement importants comme la culture, la communauté, la langue et le sentiment d'appartenance. Arracher un enfant au milieu et à la communauté qui lui sont familiers n'apporte rien de bon. C'est parfois nécessaire, mais ce devrait être l'exception et non la règle. Si nous ne changeons pas notre façon de concevoir les services de protection de l'enfance destinés aux communautés autochtones, nous allons continuer de causer de graves préjudices à des personnes et à des communautés.
C'est tout à fait inacceptable. Il s'agit d'une crise humanitaire. Nous devons agir. L'adoption du projet de loi ouvrirait la voie à la réforme fondamentale qui s'impose.
J'aimerais expliquer comment les mesures prévues dans ce projet de loi permettraient de mieux protéger les enfants, les jeunes et les familles autochtones vulnérables tout en reconnaissant et en affirmant le droit inhérent des peuples autochtones à l'autodétermination.
D’abord et avant tout, le projet de loi C-92 contribuerait à faire en sorte que les services autochtones à l’enfance et à la famille aient pour principe de base d'accorder la priorité à l’enfant, et non de constituer un système pratique. Ces services devraient être pleinement alignés sur la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce serait une affirmation claire du droit inhérent des Premières Nations, des Inuits et des Métis d’exercer leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, permettant ainsi aux communautés non seulement d’administrer des programmes et des services de prévention et de protection qui témoignent de leurs coutumes, de leurs pratiques et de leurs traditions, mais aussi d’adopter des lois dans ce domaine si elles décident de le faire.
Le processus proposé ne serait pas une approche universelle. Les peuples autochtones pourraient exercer complètement ou partiellement leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, à leur propre rythme. Ils pourraient ainsi adapter l’exercice de leur compétence à leurs besoins.
Dans ce projet de loi, nous établissons des principes applicables, à l’échelle nationale, à la prestation de services à l’enfance et à la famille en ce qui concerne les enfants et les familles autochtones. Ces principes contribueraient à garantir que les enfants autochtones et leurs familles soient traités avec dignité et que leurs droits soient préservés. Certains de ces principes, par exemple, aideraient à faire en sorte que les enfants autochtones ne soient pas pris en charge uniquement en fonction des conditions socioéconomiques, comme c’est le cas actuellement. Si des enfants étaient pris en charge, ce serait dans leur intérêt et ils seraient placés chez un membre de leur famille ou dans la communauté immédiate.
Au lieu d’un système conçu pour intervenir en cas de crise, nous devons mettre en place un système axé sur la prévention. Le projet de loi met l’accent sur la nécessité que le système soit axé sur la prévention plutôt que sur la prise en charge, en accordant la priorité aux services qui favorisent la prévention pour soutenir la famille. Il priorise la prestation de services comme les services prénataux et le soutien aux parents. Nous savons que la prévention est un important facteur de réussite et d'épanouissement des enfants. Les universitaires et les professionnels de première ligne le savent aussi.
Les dispositions du projet de loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis marquent le début d’un virage à 180 degrés, un virage qui nous éloigne d’un système ayant permis la création des pensionnats.
Le projet de loi C-92 montre également l’importance d’une approche collaborative dans l’élaboration des mesures législatives qui touchent les peuples autochtones. Cette mesure législative découle d’une période intensive de consultation auprès de dirigeants, de communautés et de particuliers des Premières Nations, des Inuits et des Métis, ainsi que des provinces et des territoires. Cette mobilisation des intéressés aboutirait à l’élaboration et à la mise en oeuvre d’un nouveau système de services à l’enfance et à la famille avalisé par le projet de loi.
Des familles et des communautés autochtones se font séparer. Des enfants autochtones sont arrachés à leur famille, à leur communauté, à leur langue et à leur culture. Leurs droits en tant que membre des peuples autochtones, en tant qu'enfant et en tant qu'être humain ont été négligés trop longtemps.
Ce projet de loi s'aligne sur l'engagement de ce gouvernement à un renouvellement des relations entre le Canada et les peuples autochtones.
Le projet de loi reconnaît les enjeux systémiques actuels liés à la protection de l'enfance en général et renforce les exigences en matière de protection culturelle dans les systèmes de protection de l'enfance.
Cette mesure législative permettrait de mieux faire valoir les besoins des enfants, des adolescents et des familles vulnérables tout en reconnaissant le droit inhérent des peuples autochtones à l'autodétermination.
S'il est possible de créer des espaces sûrs pour les enfants et les adolescents, si des tantes, des oncles, des cousins et des amis peuvent unir leurs efforts pour soutenir ces jeunes et si les communautés concernées souhaitent mettre un terme au cycle de retrait des enfants de leur famille — solution qui engendre un traumatisme permanent et généralisé —, aucun enfant ne devrait être enlevé à sa famille pour passer ses années de formation en situation d'isolement loin du milieu auquel il appartient et sans bénéficier de l'appui nécessaire pour bien démarrer dans la vie. Pour permettre à un enfant de faire son chemin dans la vie, il faut lui faire connaître sa place dans le monde. Il doit savoir d'où il vient et à quel milieu il s'identifie. Bref, il doit savoir qui il est.
Le temps presse. Nous devons collaborer de façon efficace, et continuer sur notre lancée. Nous devons mener cette tâche à bien. Une génération entière d'enfants et d'adolescents autochtones compte sur nous et espère que nous ferons ce qui s'impose et ne la laisserons pas tomber.
La façon dont une société traite ses éléments les plus vulnérables, notamment les enfants, constitue la meilleure mesure de sa valeur. Aujourd'hui, nous pouvons être fiers parce que nous allons dans la bonne direction. Nous nous employons à remédier aux problèmes.
J'exhorte l'ensemble des députés à se joindre à moi pour appuyer le projet de loi C-92 dans le but de mettre fin à cette crise.