Monsieur le Président, j'aurais bien voulu prendre la parole aujourd'hui pour appuyer le projet de loi C-83. Le recours à ce qu'on appelait au départ l'isolement dans une cellule, qui est ensuite devenu l'isolement préventif et qu'on veut maintenant appeler les unités d'intégration structurée, dans le système correctionnel canadien pose un problème. Alors qu'on veut régler un vrai problème qui existe dans le système correctionnel, le gouvernement essaie avec ce projet de loi de le rebaptiser pour qu'on l'oublie.
Je serais étonné que les tribunaux se laissent prendre par ce projet de loi. La Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour supérieure de l'Ontario ont toutes les deux conclu clairement que l'isolement dans une cellule était une pratique inconstitutionnelle. En réalité, ce projet de loi rendrait la pratique plus courante qu'elle ne l'est à l'heure actuelle et réduirait les mesures de protection dont bénéficient les détenus. Je vais revenir sur la question des droits un peu plus tard.
J'aimerais parler du projet de loi depuis deux autres points de vue, qui sont, à mon avis, tout aussi importants, soit ceux des travailleurs des services correctionnels et des victimes.
Au cours de la dernière législature, j'ai eu le privilège d'être le porte-parole néo-démocrate en matière de sécurité publique. On m'avait confié la tâche en raison de mes 20 années d'expérience en tant que professeur de justice pénale au collège Camosun, dans un programme de formation des futurs policiers et travailleurs des services correctionnels.
La plupart des étudiants qui participaient à ce programme souhaitaient devenir policiers, ce qui est toujours le cas. Lorsqu'ils commencent leurs études, ils se rendent compte qu'il existe beaucoup d'autres emplois au sein du système correctionnel, dans les services de police et dans l'univers de la justice pénale. Bon nombre d'entre eux finissent dans le système correctionnel.
Je parle toujours aux étudiants qui s'apprêtent à commencer un emploi au sein du système correctionnel des difficultés de ce travail. Ce n'est pas aussi prestigieux qu'être policier. Il n'y a pas beaucoup d'émissions de télévision qui glorifient les agents correctionnels. Toutefois, ce travail est tout aussi difficile.
L'une des premières difficultés que les travailleurs doivent apprendre à gérer, c'est le fait d'être enfermé pendant la journée. Pour certains, c'est trop difficile à gérer psychologiquement. Cela va de pair avec la deuxième difficulté de ce travail: les travailleurs des services correctionnels ne choisissent pas les individus qui sont incarcérés. Ils doivent s'occuper des personnes les plus antisociales et les plus difficiles de la société.
Le système correctionnel complique souvent la tâche de ses travailleurs. Au sein du système, il y a de longues listes d'attente pour les programmes de traitement. Il y a aussi de longues listes d'attente pour les programmes de réadaptation. Tandis que les détenus purgent leur peine, le problème n'est pas seulement qu'ils ne reçoivent pas les services de réadaptation dont ils ont besoin pour les aider à leur sortie de prison ou qu'ils ne reçoivent pas les traitements contre la toxicomanie dont ils ont besoin. C'est qu'ils ne reçoivent tout simplement rien. Ils ne font que purger leur peine.
Nombreux sont ceux qui estiment que c'est le genre de punition que méritent les délinquants. Ceux qui pensent ainsi ont tendance à oublier que plus de 90 % des détenus dans nos établissements correctionnels réintégreront la société tôt ou tard. Si nous nous soucions des victimes, si nous voulons éviter que les délinquants fassent d'autres victimes à leur sortie de prison, il faut leur offrir de bons programmes de réadaptation et de traitement de la toxicomanie.
Tout à l'heure, en réponse à une question que je venais de lui poser, le ministre a dit que je ne semblais pas au fait des derniers développements. Selon lui, les libéraux ont réglé tous les problèmes. Ils ont injecté de l'argent frais dans les soins en santé mentale et le traitement de la toxicomanie. D'un côté, il affirme prévoir ce financement, mais, de l'autre, il fait des compressions dans le système correctionnel.
Notre système était déjà à bout de ressources à cause des compressions effectuées pendant des années par les conservateurs, mais le budget des libéraux ne fait rien pour répondre aux besoins. C'est bien beau de se vanter de financer de nouveaux programmes, mais si les libéraux n'ont pas le personnel, les installations et tout ce qui est nécessaire pour assurer leur prestation efficace, cela ne sert pas à grand-chose. Annoncer des mesures qu'on est incapable de concrétiser ne sert pas à grand-chose.
Un des autres graves problèmes dans le système correctionnel est le système correctionnel pour les femmes. Il présente encore plus de difficultés que celui pour les hommes parce que, étant donné le nombre de délinquantes, il est, de par sa nature, un système beaucoup plus petit. Il offre moins de ressources et moins d'options de rechange pour les délinquantes.
Je pense que le système correctionnel pour les femmes est aussi victime de ce que beaucoup de gens qualifieraient d'« essentialisme ». Il s'agit d'un principe selon lequel les femmes sont en quelque sorte différentes des hommes et que, en raison de leur nature compatissante et bienveillante, elles n'ont pas leur place en prison. Il existe un préjugé contre les délinquantes. Les gens pensent qu'elles doivent être en quelque sorte les pires êtres humains, encore pires que les délinquants, parce qu'ils s'attendent à ce que des crimes soient commis par des hommes, mais pas par des femmes. Ce genre d'essentialisme a vraiment fait obstacle à la prestation des types de programmes nécessaires pour venir en aide aux délinquantes, dont la plupart sont atteintes de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.
Bien que, habituellement — c'est ce qui a été observé — les femmes sont mises en isolement moins souvent et moins longtemps que les hommes, leur expérience est la même. Autrement dit, l'état de la personne qui souffre d'une maladie mentale va s'aggraver plutôt que s'améliorer, car lorsqu'un détenu est en isolement, il n'a pas accès aux programmes de santé mentale. C'est la même chose pour les problèmes de dépendance. Si un détenu est placé en isolement préventif, il n'a pas accès à des programmes de traitement.
Dans les établissements correctionnels pour femmes, ces programmes sont déjà très limités, difficiles d'accès et difficiles à organiser, et si des femmes sont sans cesse placées en isolement préventif, elles ne reçoivent pas les services de traitement et de réadaptation qu'elles méritent avant de réintégrer la société.
Parfois, les politiciens compliquent la tâche des travailleurs correctionnels en rendant la gestion des délinquants plus difficile. Les conservateurs réclament constamment des peines consécutives. Ils disent que les crimes sont si graves que, s'il y a plus d'une victime, nous devrions imposer des peines consécutives plutôt que concurrentes. Il faut garder les pires monstres enfermés. C'est la position des conservateurs.
Ce genre d'approche fait en sorte que les détenus dans le système n'ont aucun intérêt à faire des efforts de réadaptation, de désintoxication ou de civisme durant leur séjour en prison. Tant qu'un détenu se trouve dans une situation où il n'a aucune chance d'être libéré, il n'a aucun intérêt à faire autre chose qu'adopter la pire conduite possible. Ainsi, les peines consécutives ne font qu'alourdir encore plus la tâche des agents correctionnels et encouragent les pires comportements de la part des délinquants.
Dans le même ordre d'idées, on a éliminé la disposition de la dernière chance, qui permettait aux pires délinquants de faire une demande de libération conditionnelle anticipée après avoir purgé 15 ans de leur peine.
Pour s'opposer à cette disposition, on la présente souvent comme un droit acquis. Pourquoi ces délinquants auraient-ils droit à une libération conditionnelle anticipée? Or, le même raisonnement que je viens d'invoquer s'applique. En offrant aux gens une dernière chance, si minime soit-elle, d'être éventuellement libérés, on les encourage à bien se comporter durant leur incarcération. On les incite aussi à suivre un traitement de désintoxication et à entreprendre un travail de réadaptation.
Sans la disposition de la dernière chance, qui a été abolie lors de la dernière législature dans un projet de loi des conservateurs appuyé par les libéraux, nous nous retrouvons avec des pénitenciers remplis de détenus qui sont extrêmement difficiles à gérer et, par conséquent, qui menacent sérieusement la sécurité des agents correctionnels.
Les personnes qui tentent de sortir de prison au moyen de la disposition de la dernière chance ne sont pas les plus engageantes de la société. La question de l'élimination de la disposition de la dernière chance du Code criminel a été soulevée en 1977, dans l'affaire Clifford Olson. Ce tueur en série a assassiné 11 jeunes hommes et femmes. Il est important de souligner que, lorsque M. Olson a présenté sa demande de libération anticipée, 15 minutes ont suffi pour la rejeter. Les pires criminels ne parviendront jamais à sortir de prison.
Parmi les 1 000 détenus qui ont présenté une demande de libération en vertu de la disposition de la dernière chance, 1,3 % ont été libérés sous condition, et aucun n'a récidivé.
La disposition de la dernière chance s'est avérée très efficace pour maintenir la discipline au sein du système correctionnel et renforcer la sécurité des travailleurs correctionnels. Malheureusement, seuls le NPD et le Bloc se sont opposés à l'élimination de la disposition de la dernière chance.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure dans une question adressée au député conservateur, l'imposition de peines minimales obligatoires est une troisième façon pour les politiciens d'empirer les choses. Sous le gouvernement Harper, nous avons eu droit à toute une série de peines minimales obligatoires qui ont été créées dans l'intention de punir toute personne reconnue coupable. J'estime plutôt que nous devons veiller à ce que chaque personne reconnue coupable puisse être réadaptée. Il s'agit de la meilleure manière d'assurer la sécurité publique.
Lors de la campagne électorale, les libéraux avaient promis d'abroger les peines minimales obligatoires. Pourtant, ils ont mis deux ans et demi à présenter le projet de loi C-75, qui ne respecte pas cette promesse.
Nous nous retrouvons encore avec beaucoup de contrevenants — par exemple des Autochtones, souvent des femmes, souvent des personnes ayant des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale — qui ne devraient pas être dans le système correctionnel. Leur place serait plutôt dans le système des soins de santé mentale ou dans le système des traitements pour toxicomanes. Ils ont besoin de soutien pour se remettre sur pied. Malheureusement, comme l'ancien gouvernement conservateur a choisi d'imposer des peines minimales obligatoires, il a éliminé les outils dont les tribunaux disposaient pour que ces personnes soient placées dans les programmes dont elles auraient besoin pour assurer notre sécurité à tous.
Étant donné tous ces éléments, auxquels s'ajoute le manque de ressources du système correctionnel — un manque de ressources dont l'ancien gouvernement conservateur avait fait sa marque de commerce et qui continue sous les libéraux —, tout ce qui se passera ici, c'est que le travail des agents correctionnels deviendra plus difficile et plus dangereux, et qu'il sera moins probable qu'on déploie les efforts nécessaires à une réelle réhabilitation.
Pour donner un visage humain au problème que pose l'isolement, je présenterai deux cas, l'un du niveau fédéral, l'autre du niveau provincial.
Le premier de ces tristes exemples est celui d'Ashley Smith. Cette jeune fille des Maritimes a été emprisonnée à 15 ans pour avoir lancé des pommettes à un facteur. Elle a reçu une peine d'emprisonnement de 90 jours mais, en raison de multiples problèmes de comportement pendant sa détention, sa peine a été prolongée, puis prolongée de nouveau, jusqu'à atteindre 4 ans. Comme c'était une détenue difficile, elle a été transférée 17 fois d'un établissement à l'autre; elle a été forcée de prendre des médicaments et elle a subi de longues périodes d'isolement.
Ce qui est arrivé à Ashley Smith est une tragédie, car elle s'est suicidée après de nombreux incidents d'automutilation survenus pendant sa détention. C'est malheureusement un triste exemple de ce qui se passe lorsque des gens sont placés en isolement cellulaire, en isolement préventif ou dans des unités d'intervention structurée — peu importe le nom qu'on veut leur donner. Ce n'est pas le nom qui importe; ce sont les terribles effets négatifs que subissent en particulier ceux qui souffrent d'une maladie mentale.
Le deuxième cas est survenu dans un établissement provincial en Ontario. Il s'agit du cas d'Adam Capay, un Autochtone atteint d'une maladie mentale qui est demeuré en isolement pendant plus de quatre ans, sans accès à des soins de santé mentale et dans des conditions que les tribunaux ont jugées inhumaines. Les effets subis par M. Capay comprennent une perte de mémoire permanente et l'exacerbation des problèmes psychiatriques qu'il éprouvait déjà.
Lorsqu'il était dans un établissement carcéral, M. Capay n'a malheureusement pas obtenu les traitements dont il avait besoin et il a fini par poignarder un autre délinquant, qui est décédé des suites de l'agression. Ces événements ont créé de nouvelles victimes, dont la personne tuée, mais aussi sa famille.
Le résultat, dans ce cas, a été un jugement rendu par le juge de la cour provinciale John Fregeau, qui a conclu que M. Capay était incapable de subir un procès pour ce meurtre au sein du système correctionnel en raison de la manière dont il avait été traité et des périodes excessives qu'il avait passées en isolement. Les poursuivants n'ont pas interjeté appel de cette décision. M. Capay a donc été libéré, au grand désarroi de la famille de la victime du meurtre.
Quelle est la véritable cause ici? La véritable cause, la cause fondamentale — et je ne dirai même pas qu'il s'agit de l'isolement —, c'est le manque de ressources pour gérer les problèmes de santé mentale et de dépendance dans le système correctionnel.
Je reviens au projet de loi. Les libéraux disent qu'ils établissent un nouveau système pour gérer les délinquants récalcitrants. Ils y ont donné un nouveau titre. La sénatrice Kim Pate, qui a passé de nombreuses années à la tête de la Société Elizabeth Fry et qui s'est vu décerner l'Ordre du Canada pour son oeuvre auprès des femmes en milieu carcéral, a déclaré:
En ce qui concerne l'isolement, en plus de renommer la même pratique nuisible « unités d'intervention structurée », le nouveau projet de loi C-83 [...] élimine aussi pratiquement les restrictions existantes, déjà insuffisantes, s'appliquant à son application.
Les libéraux ont présenté ce projet de loi pour tenter d'éliminer l'isolement préventif. Or, étrangement, le projet de loi élargira l'application de cette pratique. En effet, les dispositions prises par les libéraux augmenteront le nombre de personnes placées en isolement dans le système correctionnel. Les libéraux ont, en fait, éliminé des mesures de protection qui limitaient le temps pendant lequel un détenu pouvait être isolé dans une cellule. Le projet de loi n'impose aucune limite au temps qu'un détenu peut passer en isolement.
L'enquêteur correctionnel du Canada, Ivan Zinger, un mandataire indépendant du gouvernement, a critiqué le projet de loi. Selon lui, le nouveau régime mettrait en place des routines beaucoup plus restrictives que celles imposées à la plupart des détenus dans le régime actuel. Le projet de loi empirerait la situation.
Josh Patterson, de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, a souligné que le projet de loi autoriserait les mêmes pratiques que celles qui existent sous le nom d'isolement préventif dans le régime actuel. Or, les tribunaux ont qualifié ces pratiques de traitement inhumain. Le projet de loi ne fait donc que renommer les pratiques existantes.
En dernier lieu, je veux aborder la question de la surveillance. Plus tôt aujourd'hui, le ministre m'a reproché, en quelque sorte, de vivre dans le passé. Parfois, j'aimerais bien que ce soit le cas. Cela dit, il a affirmé que je ne semblais pas être au fait des amendements qu'il avait proposés concernant la surveillance. La vérité, c'est que le ministre n'a pas compris ce que les témoins ont dit à ce sujet. En remontant jusqu'à l'enquête sur certains événements survenus à la prison des femmes de Kingston, Louise Arbour a recommandé de mettre en place une surveillance judiciaire du recours à l'isolement. Voilà qui serait un processus vraiment indépendant. Ce serait un véritable examen externe des mesures prises.
Par ailleurs, Josh Patterson a souligné que non seulement on ne prévoit pas de surveillance judiciaire, mais qu'on ne prévoit pas non plus de recours pour ceux qui sont placés en isolement. On ne prévoit pas l'accès à un avocat pour permettre aux détenus de contester leurs conditions de détention.
Donc, avec ses amendements, le gouvernement n'a pas créé de mécanisme de surveillance indépendant, mais plutôt un comité consultatif pour le ministre. Ce n'est pas un mécanisme de surveillance indépendant, et c'est l'une des raisons pour lesquelles le NPD continue de s'opposer au projet de loi.
J'aimerais revenir à la décision du tribunal britanno-colombien. Deux grandes raisons ont été données pour justifier la non-constitutionnalité du régime actuel: le manque d'accès à un avocat relativement à ce qui s'apparente à des mesures punitives additionnelles imposées aux détenus placés en isolement cellulaire, et le fait que l'isolement puisse avoir une durée indéterminée. Le projet de loi n'aborde aucun de ces deux aspects constitutionnels clés en ce qui a trait à l'isolement cellulaire.
Où risquons-nous de nous retrouver après un certain temps? Nous serons à nouveau devant les tribunaux, et le projet de loi sera contesté pour les mêmes raisons que l'ancien régime d'isolement cellulaire.
Comme je l'ai dit au début de mon discours, j'adorerais offrir mon appui à un projet de loi qui créerait un système de gestion des détenus les plus difficiles, ceux qui ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie par exemple, un système qui respecterait leurs droits constitutionnels et qui ne les priverait pas des programmes de traitement de leurs dépendances et de réadaptation, de manière à ce qu'ils deviennent des membres à part entière de la société à leur sortie de prison. Malheureusement, le projet de loi C-83 n'est pas ce projet de loi-là.