Monsieur le Président, je suis heureuse de profiter de ce moment à la Chambre pour parler des droits des personnes handicapées et de la responsabilité du Canada en tant que signataire de la convention des Nations unies relative à ces droits. Le NPD appuie le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles, tel qu’il a été amendé par le Sénat.
Je suis fière d’avoir fait partie d’un vaste mouvement constitué de groupes d’intervenants et de défenseurs des droits civils qui ont déployé beaucoup d’efforts pour que ce projet de loi soit le meilleur possible. Nous l’avons appuyé dès le début et nous avons proposé de nombreux amendements qui auraient permis d'atteindre l'objectif du projet de loi, qui est de créer un Canada sans obstacle.
Les néo-démocrates croient depuis longtemps que tout projet de loi sur l’accessibilité présenté par le gouvernement devrait essentiellement être une loi visant à mettre en œuvre les obligations que la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées impose au Canada. Le Canada a ratifié cette convention en 2010, mais à ce jour, il n’a rien fait pour que nos lois s’y conforment.
Je félicite la ministre et son équipe pour leur travail sur ce projet de loi et pour sa volonté d’accepter les amendements du Sénat. Plusieurs dispositions du projet de loi doivent encore être corrigées, et je m’en voudrais de ne pas en parler maintenant, afin que nous comprenions mieux ce qu’il reste à accomplir. Comme nous sommes dans une année d'élections fédérales, je sais que nos militants sont à l’écoute et qu’ils acquièrent une meilleure compréhension de la façon dont ils peuvent utiliser efficacement une campagne électorale.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-81 ne comble pas l’attente de créer une société à laquelle tous les citoyens peuvent participer à part entière et égale. Ce n'est même pas imaginable tant que toutes nos institutions ne sont pas ouvertes et complètement accessibles à tous. C’est vraiment ce à quoi ressemblera la promotion d’un Canada sans obstacle. Malheureusement, le projet de loi C-81 ne fait qu’un pas minime dans cette direction.
Nos préoccupations sont partagées. Lors de l'étude du projet de loi C-81 au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, le gouvernement fédéral a reçu moult commentaires sur les nombreuses lacunes du projet de loi de la part de personnes handicapées de tout le Canada ainsi que de réseaux organisés de défense des droits. Par exemple, en octobre dernier, une lettre ouverte, signée par non moins de 95 organismes au service des personnes handicapées, a été envoyée au gouvernement fédéral. Un grand nombre de ces organismes sont venus témoigner devant le Comité. Ils ont insisté sur la nécessité de renforcer le projet de loi.
Notre estimé ami David Lepofsky est président de l'Accessibility for Ontarians with Disabilities Act Alliance. C'est un intellectuel estimé et respecté et un expert en droits à l'accessibilité. Devant le comité du Sénat, il a dit:
Le projet de loi C-81 repose fondamentalement sur l’idée louable selon laquelle le gouvernement fédéral adoptera des règlements exécutoires qu’on appelle des normes d’accessibilité qui indiqueront aux organismes sous réglementation fédérale ce qu’ils doivent faire. Or, il n’exige pas l’adoption de normes fédérales d’accessibilité en tant que règlements exécutoires. Les personnes handicapées méritent mieux.
Je vais être clair: les règlements dont le projet de loi exige l’adoption dans les deux ans concernent des questions de procédure et non des normes d’accessibilité comme telles. Le gouvernement fédéral pourrait respecter cette échéance simplement en prescrivant les formulaires que les personnes handicapées doivent utiliser si elles veulent exprimer leur avis à Air Canada ou à Bell Canada. Les personnes handicapées méritent mieux.
La version amendée du projet de loi C-81 ne règle en rien les problèmes mentionnés par M. Lepofsky dans la citation que je viens de lire.
Il s’agit d’une question très sérieuse pour les néo-démocrates. Pour comprendre pourquoi, jetons un coup d'oeil aux grands titres des journaux. Le mois dernier, le gouvernement de l’Ontario a annoncé un plan de plusieurs milliards de dollars pour la construction de nouvelles lignes de métro à Toronto, mais en précisant qu’il ne se réaliserait que si d’autres ordres de gouvernement, y compris le gouvernement fédéral, ajoutaient des milliards aux fonds que la province s'engage à verser. Ce n’est pas nouveau. Cependant, avant de dépenser notre argent dans un projet de ce genre, le gouvernement fédéral doit préciser que pour obtenir des fonds fédéraux, il faut respecter certaines exigences fédérales en matière d’accessibilité. Si on demande des fonds au gouvernement fédéral, voici les exigences en ce qui concerne l’accessibilité. Cela semble très simple.
La ministre déclare ne pas être autorisée par la Constitution à imposer des normes d’accessibilité aux provinces, mais elle l’est. Elle a ce qu’on appelle le pouvoir fédéral de dépenser et ce pouvoir est très important. Nous connaissons tous la Loi canadienne sur la santé. Elle prévoit que, si les provinces reçoivent des fonds fédéraux pour des programmes de santé provinciaux, elles doivent satisfaire aux exigences fédérales en matière d’accessibilité, pas d’accessibilité pour les personnes handicapées, mais d’accessibilité financière. Si le gouvernement fédéral n’a vraiment pas ce pouvoir, alors voilà plus de trois décennies que la Loi canadienne sur la santé n’est pas constitutionnelle. Si le gouvernement fédéral peut énoncer des conditions dans cette loi, il peut aussi en imposer quand il consacre des fonds à des projets locaux et pas seulement à des immeubles fédéraux.
Je félicite les nombreux groupes d’intervenants de leur travail remarquable à l’étape de l’examen du projet de loi C-81 par le Sénat. Nos amis de l’Accessibility for Ontarians with Disabilities Act Alliance, ou l'AODA Alliance, ainsi que de l’ARCH Disability Law Centre, entre autres, ont fait du lobbying auprès des sénateurs avec une liste réduite d’amendements visant les changements les plus importants à apporter au projet de loi C-81, si ce projet de loi doit devenir le genre de loi dont ont besoin nos concitoyens handicapés.
En fait, nous souhaitons remercier toutes les organisations de personnes handicapées, et il en existe au moins 71, qui ont signé la lettre ouverte adressée il y a quelques semaines à la Chambre des communes. Elles lui demandent de ratifier les amendements du Sénat au projet de loi C-81. Cette lettre ouverte, que le Conseil des Canadiens avec déficiences a remise à tous les députés au nom de ses 28 signataires, tous énumérés à la fin, explique que ces amendements améliorent le projet de loi. Le Sénat les a formulés après avoir tenu des audiences publiques au cours desquelles des organisations et des porte-parole de personnes handicapées ont souligné qu’il était nécessaire de renforcer un projet de loi adopté l’automne dernier à la Chambre des communes. Le Sénat a entendu le message et a formulé 11 amendements qui tiennent sur deux pages seulement.
Je voudrais également féliciter toutes les personnes qui ont participé à la campagne massive d’envoi de lettres à la ministre, au premier ministre et à tous les députés. Il est toujours réjouissant de voir le public concerné agir dans un dossier, quel qu'il soit. Il n’était pas du tout clair dans le témoignage de la ministre devant le comité sénatorial qu’elle accepterait certains des amendements proposés, mais je crois que la campagne a changé la donne.
Quand le projet de loi a été renvoyé au Sénat, avant son examen en comité, des intervenants importants ont proposé une version condensée des changements qu’ils voulaient voir apporter au projet de loi avant son adoption. Les amendements proposés au projet de loi C-81 avant que le Sénat commence à en débattre constituaient une version condensée des amendements qu’ils avaient présentés durant les audiences du comité de la Chambre des communes.
Je souhaiterais les passer très rapidement en revue, car ils sont tout à fait essentiels pour que le projet de loi C-81 soit efficace.
Premièrement, il faudrait imposer au gouvernement des obligations et des délais précis relativement à la mise en œuvre de cette loi.
Deuxièmement, nous devrions fixer une date butoir à laquelle le Canada sera devenu accessible.
Troisièmement, l’application de la loi devrait être confiée au seul commissaire à l’accessibilité et pas être divisée entre différents organismes, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l’Office des transports du Canada qui, comme cela a été souligné maintes fois, ont un triste bilan quant au respect des quelques obligations en matière d’accessibilité qui leur sont faites. N’allons donc pas en ajouter d’autres.
Quatrièmement, nous devrions veiller à ce que les fonds publics fédéraux ne soient jamais utilisés pour créer ou perpétuer des obstacles pour les personnes handicapées.
Cinquièmement, nous devrions veiller à ce que le gouvernement fédéral ne puisse se dispenser d’aucune des obligations en matière d’accessibilité prévues par le projet de loi.
Le Sénat a fini par accepter les amendements suivants au projet de loi C-81: premièrement, fixer à 2040 la date butoir à laquelle le Canada sera devenu accessible; deuxièmement, veiller à ce que cette échéance de 2040 ne justifie aucun retard dans l’élimination ou la prévention d’obstacles à l’accessibilité aussi tôt que possible; troisièmement, reconnaître la langue des signes américaine, la langue des signes du Québec et les langues des signes autochtones comme étant les langues les plus utilisées par les sourds au Canada pour communiquer; quatrièmement, faire en sorte que, par principe, le projet de loi prenne en compte les formes multiples et intersectionnelles de discrimination que rencontrent les personnes handicapées; cinquièmement, veiller à ce que le projet de loi C-81 et les règlements connexes ne puissent pas restreindre les droits des personnes handicapées garantis par la Loi canadienne sur les droits de la personne; sixièmement, veiller à ce que l’Office des transports du Canada ne puisse pas réduire les protections existantes des droits des passagers handicapés quand il traite les plaintes relatives aux obstacles dans les transports; et septièmement, régler les problèmes que le gouvernement fédéral a relevés entre les dispositions du projet de loi relatives à l’emploi et la loi qui régit la Gendarmerie royale du Canada.
Comme les députés peuvent s’en apercevoir en comparant les amendements proposés avec ceux approuvés par le Sénat, plusieurs amendements essentiels ne figurent pas dans le projet de loi. Un des plus importants concerne la question de l’application de la loi et de sa mise en œuvre, scindées de façon qui prête à confusion entre quatre organismes publics, au lieu de fournir aux personnes handicapées le service à guichet unique dont elles ont besoin.
Le projet de loi permet, ainsi, à deux organismes publics, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l’Office des transports du Canada, de continuer de superviser l’accessibilité, malgré leur bilan insatisfaisant en la matière depuis de nombreuses années et dans un passé très récent. Le NPD comprend qu’il s’agit d’une question urgente qui doit être réglée d’urgence.
À l’étape de l’étude en comité, j’ai déposé des amendements qui auraient mis fin à beaucoup d’exemptions et de pouvoirs autorisant des fonctionnaires à dispenser toute organisation d’appliquer des parties essentielles du projet de loi C-81. Le NPD est d’avis que le projet de loi ne fait pas en sorte que le gouvernement fédéral utilise effectivement tous les leviers du pouvoir pour promouvoir l’accessibilité dans tout le Canada. Par exemple, il n’exige pas que le gouvernement fédéral veille à ce que les fonds fédéraux ne soient jamais utilisés par quelque bénéficiaire que ce soit pour créer ou perpétuer des obstacles pour les personnes handicapées, par exemple lorsque des fonds fédéraux servent à financer de nouvelles infrastructures ou la rénovation d’infrastructures existantes.
C’est un point important parce que le gouvernement fédéral peut facilement exiger que tous les projets utilisant des fonds fédéraux répondent à des normes d’accessibilité. Nous savons d’expérience que sans cette exigence, les organismes fédéraux sous-traiteront des travaux importants à de tierces parties pour faire des économies et qu’on passera ainsi outre aux spécifications fédérales en matière d’accessibilité. Les amendements proposés par les néo-démocrates auraient réglé ce problème directement.
Par exemple, des logements sociaux inaccessibles pourraient être construits et personne n’aurait guère de recours, malgré l’engagement répété du gouvernement à l’égard des questions concernant les personnes handicapées et, notamment, des questions d’accessibilité.
Bien que nous félicitions le gouvernement d’avoir accepté 2040 comme date limite à laquelle le Canada doit devenir accessible à cinq millions de personnes, le projet de loi C-81 ne comporte pas de dates butoirs obligatoires pour la mise en œuvre. Il permet, sans obliger, le gouvernement à adopter des normes d’accessibilité, mais n’impose pas d'échéancier selon lequel cela devra être fait. Sans de tels échéanciers, la mise en œuvre et même le démarrage du processus pourraient traîner pendant des années.
Une des lacunes flagrantes du projet de loi est l’absence d’une exigence que l’ensemble des lois, des politiques et des programmes fédéraux soient étudiés sous l’angle du droit des personnes handicapées. Une telle omission semble des plus étranges puisque c’est une des solutions faciles.
Il est crucial que les sociétés éliminent ces formes de discrimination, pas seulement parce que c’est la bonne chose à faire, mais aussi parce que cela permet à une portion assez importante et précédemment ignorée de la population de mettre son talent et ses capacités à contribution pour le bien de tous. Tout le monde gagne quand tout le monde peut contribuer.
En ce qui concerne l’accessibilité pour cinq millions de Canadiens handicapés, le Canada est loin derrière les États-Unis qui ont adopté la loi historique Americans with Disabilities Act il y a 29 ans déjà. Les Canadiens handicapés sont confrontés à de trop nombreux obstacles dans les voyages aériens, les services de câblodistribution, ainsi que dans leurs échanges avec le gouvernement fédéral.
Maintenant que le projet de loi C-81 est de retour à la Chambre, il suffit d’un vote pour ratifier ces modifications. Plus besoin d’audiences publiques ou d’études du projet de loi par un comité permanent. Une fois ces modifications adoptées par ce vote, le projet de loi C-81 aura terminé son cheminement dans le Parlement du Canada. Il sera devenu loi. Il entrera en vigueur quand il obtiendra la sanction royale.
D’importants intervenants ont récemment écrit aux dirigeants des principaux partis, leur demandant de s’engager à présenter au Parlement un projet de loi sur l’accessibilité nationale plus fort après les élections fédérales cet automne. Voilà pourquoi, bien que nous appuyions aujourd’hui l’adoption du projet de loi C-81 sous sa forme modifiée, le NPD s’engage aussi à déposer, quand il formera le gouvernement en 2020, une version beaucoup plus forte de ce projet de loi, une version qui rectifiera certaines des lacunes les plus flagrantes.
Comme d’autres l’ont mentionné, certes, ce projet de loi est une première étape importante. Cependant, les personnes handicapées ont attendu bien trop longtemps de pouvoir vivre dans un pays qui leur permet de s’épanouir en tant que citoyens dont les droits fondamentaux sont entièrement respectés. Par exemple, nos voisins et les membres de nos familles ne devraient pas se faire dire qu’ils doivent attendre jusqu’en 2040 pour pouvoir utiliser des ascenseurs accessibles et en bon état dans les métros, utiliser leur propre fauteuil roulant sur des vols internationaux, ou encore assister à un débat entre tous les candidats qui leur soit accessible, et ainsi de suite.
Malheureusement, le gouvernement actuel a laissé à des gouvernements futurs la tâche de rendre le Canada pleinement accessible. Je peux affirmer avec confiance que les néo-démocrates sont capables d’accomplir cette tâche et y sont sincèrement déterminés.