Monsieur le Président, j'ai remarqué que même un profane peut déchiffrer le deuxième mouvement de la Septième Symphonie de Beethoven. C'est un morceau qui juxtapose la retenue et la passion dans sa cadence. Il est à la fois strict et fantaisiste. Il dénote la patience et l'agressivité. Il est élégant et rudimentaire. Il exprime la beauté, l'art et un équilibre parfait. Il représente tout ce que nous pouvons accomplir de plus beau.
Nous avons écrit Anna Karenine, envoyé des hommes sur la lune, créé les antibiotiques et découvert le boson de Higgs. Nous représentons la beauté et l'art. Pourtant, nous répétons les échecs bien documentés de notre passé.
L'année dernière, la première pensée que j'ai eue lorsque je suis arrivée à l'esplanade des Mosquées ne portait pas sur la paix de Dieu, mais sur le nombre de vies sacrifiées au cours de l'histoire de notre espèce au nom du tribalisme, de la religion et de la haine. À la frontière syrienne, lorsque j'ai regardé dans les yeux hantés de Nadia Murad pendant qu'elle me décrivait sa semaine, j'ai été dépouillée violemment de ma naïveté occidentale qui me permettait de croire qu'il était possible de raisonner ou d'apaiser les personnes qui tuent au nom de la religion.
Nous voici aujourd'hui, à la Chambre législative de l'un des pays les plus riches, les plus démocratiques, les plus capitalistes du monde, à deux générations d'un conflit mondial ouvert, à beaucoup plus de générations d'un conflit ouvert soutenu se déroulant à l'intérieur de nos propres frontières, de nombreuses innovations, oeuvres d'art et des milliards de dollars de richesse générée plus tard, et nous nous retrouvons à débattre de ce qui nous distingue d'eux.
Il est facile pour nous de croire que personne sur la planète ne s'oppose à notre mode de vie. Il y a des gens dont les opinions sont si extrêmes qu'ils tuent au nom de leur dieu. Ils violent au nom de leur dieu. Ils asservissent et ils terrorisent au nom de leur dieu. Aucune religion ni aucune nation n'est à l'abri de telles choses. Ces gens vivent à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières. Ils sont musulmans et ils sont chrétiens. Ils sont sikhs et ils sont hindous.
Et pourtant, il y a des gens qui cherchent à apporter la lumière et la beauté dans le monde. Ils cherchent à apporter la paix, la prospérité et la tolérance. On les retrouve dans chaque religion et dans chaque nation. Ils sont musulmans et ils sont chrétiens. Ils sont sikhs et ils sont hindous.
La bonté, le courage, l'innovation, la créativité, la tolérance, l'amour, la lumière et l'espoir ne connaissent aucune frontière. Le mal, la haine, l'asservissement, l'intolérance, la décadence et la violence non plus.
Que devons-nous faire, nous qui valorisons l'égalité des chances, nous qui avons créé l'art et la beauté, le vaccin contre l'Ebola et la nanotechnologie, nous qui valorisons l'espoir et le bien commun, nous qui valorisons la connaissance, nous qui valorisons l'amour, nous, en tant que Canadiens?
Ce soir, alors que nous discutons de nos responsabilités législatives en ce qui a trait aux politiques d'immigration du Canada, j'exhorte mes collègues à refuser d'appliquer à des personnes les arguments simplistes qui servent à vendre des marchandises, et à privilégier plutôt la logique et la compassion.
Je suis presque sûre que personne ici ne va aimer le discours que je vais faire ce soir.
Avant de nous prononcer sur les politiques d'immigration des autres pays, nous devons d'abord mettre de l'ordre dans notre propre politique afin de pouvoir ensuite montrer au reste du monde à quoi ressemble une politique d'immigration exemplaire. Si nous voulons avoir de l'influence sur les politiques d'immigration étrangères, nous devons poser des gestes pour contrer la nouvelle tendance à l'échelle internationale qui, dans le cadre du débat sur l'immigration, consiste à se cantonner fermement dans des positions diamétralement opposées.
La première école de pensée consiste à croire qu'on ne devrait pas débattre longuement du nombre d'immigrants à accueillir pour des motifs humanitaires alors que nous sommes aux prises avec la plus grave crise migratoire de l'histoire mondiale récente. Ceux qui mettent en doute cette croyance sont souvent soupçonnés de racisme.
Les tenants de la deuxième approche croient que nous devrions fermer complètement la porte à ces gens, qu'ils volent nos emplois, qu'ils nous coûtent trop cher en programmes publics, que ce sont tous des terroristes, qu'ils sont différents de nous, et que tous ceux qui pensent le contraire sont des socialistes trop sensibles.
Les deux positions sont puériles.
Pour ceux qui souscrivent à la première école de pensée, les Canadiens acceptent ouvertement l'immigration dans leur pays à deux conditions, la première étant que le système d'immigration soit bon. Les Canadiens s'attendent à ce que notre système de contrôle soit rigoureux et qu'il bloque l'accès aux personnes qui pourraient nuire à notre pays ou qui tentent d'y entrer sous de faux prétextes. À cet égard, la décision du gouvernement libéral de ne plus exiger de visas des Mexicains sans avoir étudié la question comme il se doit, pour s'assurer que les processus nécessaires sont en place pour empêcher qu'il y ait de grandes quantités de fausses demandes d'asile, était une mauvaise politique.
Ce n'est pas parce qu'on se demande si les processus d'immigration fonctionnent bien qu'on est raciste, pas plus que cela signifie que nous ne voulons pas entretenir de bonnes relations avec un pays comme le Mexique. Cela vient du fait que, avant que l'obtention d'un visa soit imposée, le Canada recevait des milliers de fausses demandes d'asile de ce pays et craignait que les ressortissants mexicains qui cherchaient à entrer au Canada compromettent la sécurité.
Dans le cadre d'un examen en bonne et due forme, les fonctionnaires de l'immigration collaboreraient avec leurs homologues mexicains pour établir des mécanismes empêchant une telle situation de se reproduire. Ce serait une démarche constructive, mais elle prendrait du temps. Le gouvernement a préféré se soumettre aux désirs des groupes de pression de divers secteurs économiques et a éliminé l'obligation d'obtenir un visa. Selon lui, les avantages découlant de l'augmentation du nombre de touristes mexicains au Canada et l'élimination en retour de certaines barrières commerciales par le Mexique auraient pesé plus lourd dans la balance que les désavantages issus du traitement des dossiers et de l'expulsion de milliers de faux demandeurs d'asile.
Or, une note publiée par les fonctionnaires de l'immigration dans la Gazette du Canada, à la fin de 2016, nous révèle que, même après avoir comptabilisé ces retombées économiques prévues, ils estiment que cette décision coûtera plus d'un quart de milliards de dollars aux contribuables canadiens. Voilà qui n'est pas de nature à inspirer confiance à l'égard du système d'immigration de notre pays.
De même, lorsque le gouvernement libéral songeait à soumettre les 25 000 réfugiés syriens à des vérifications d'ordre sécuritaire et sanitaire après leur arrivée au Canada, plutôt qu'avant, nous avons protesté. En effet, expulser des gens du territoire après qu'ils ont demandé le statut de réfugié au Canada est difficile et coûte cher. Si le gouvernement avait pris cette décision, elle aurait miné la sécurité au pays ainsi que la confiance du public à l'égard de notre système d'immigration. Malgré le choix plus sage du gouvernement, un comité du Sénat des États-Unis a tout de même examiné la procédure d'admission des réfugiés syriens. Remettre en question les mécanismes de vérification destinés à assurer la sécurité n'a rien de raciste et ne signifie pas que le Canada ne souhaite pas aider les gens. C'est un signe de prudence et de respect envers les Canadiens.
La deuxième condition des Canadiens ouverts à l'immigration, c'est qu'ils s'attendent à ce que les nouveaux immigrants respectent le pluralisme canadien et s'intègrent à nos structures sociales et économiques. Il faut donc que les réfugiés aient accès à des programmes adéquats qui leur permettront d'acquérir des compétences, par exemple d'apprendre l'une de nos langues officielles, de façon à éviter l'isolement et à décrocher un emploi. Établir ces services exige temps et argent. Le gouvernement doit se montrer transparent à propos de ces coûts et en tenir compte lorsqu'il fixe les niveaux d'immigration.
Voilà pourquoi le gouvernement doit, chaque année, déposer un rapport au Parlement dans lequel il indique le nombre d'immigrants qu'il compte accueillir pour des raisons humanitaires et pour des raisons économiques. Le ratio était auparavant de 70 réfugiés économiques pour 30 réfugiés humanitaires, mais le gouvernement libéral l'a fait passer à 50-50. Ce n'est pas par racisme que je demande comment le gouvernement paiera le coût des programmes d'intégration, plus élevé que jamais. Je pense simplement aux commentaires des chômeurs de ma circonscription et des réfugiés récents qui n'arrivent pas à s'inscrire à des cours de langue.
Le gouvernement libéral n'a pas expliqué comment il prévoit aider 25 000 réfugiés syriens à s'intégrer à l'économie canadienne. Bon nombre de ces réfugiés n'ont pas trouvé d'emploi. Il n'existe aucun budget qui fournirait une aide sociale à ceux qui sont sans emploi quand leur financement de transition prend fin, après un an. De leur côté, les commissions scolaires n'ont reçu aucun financement supplémentaire pour répondre aux besoins spéciaux de nombreux jeunes réfugiés. Soulignons aussi que certains réfugiés doivent fréquenter les banques alimentaires. Pourquoi?
Poser ces questions ne remet aucunement en question la compassion du Canada, au contraire. Nous avons besoin de plans et de budgets transparents qui fourniront aux réfugiés les outils dont ils ont besoin pour réussir au Canada et qui prépareront le terrain pour l'accueil de futurs réfugiés. Pressés d'atteindre le nombre de réfugiés promis, les libéraux ont sauté beaucoup d'étapes.
On devrait également se demander comment nous hiérarchisons les réfugiés et si on devrait les classer en fonction de leur vulnérabilité. Le Canada n’est pas en mesure de soutenir un nombre illimité de réfugiés; il faut fixer un plafond et donner priorité à certains. Ce n’est pas faire preuve de racisme que de reconnaître que des personnes demandent asile parce qu’elles sont persécutées pour des motifs religieux et bien que les demandes d’asile suggèrent que des populations entières sont en danger, certains groupes sont plus vulnérables que d’autres. C’est pour cette raison que le gouvernement libéral et les Nations unies ont lamentablement ignoré les demandes d’asile de personnes membres de groupes minoritaires persécutés en Syrie et en Irak, un grand nombre de ces groupes étant victimes de génocide. Les yézidis, les chrétiens, les groupes musulmans minoritaires et les LGBTI ont tous subi des exactions aux mains d’extrémistes membres de la majorité religieuse dans la région. En effet, toute la population de la région est en danger et souffre. Il n’en demeure pas moins que certains groupes ne peuvent être identifiés dans les camps de réfugiés, sinon ils seront tués en raison de leur croyance religieuse.
À la fin de l’année dernière, deux hauts responsables du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sont venus me voir pour me dire qu’une des raisons pour lesquelles aucun yézidi n’avait fait partie des 25 000 réfugiés acheminés au Canada, c’était que le gouvernement libéral avait imposé une date limite et qu’il avait été plus simple de trouver le nombre souhaité parmi les réfugiés faisant partie de la majorité religieuse dans les camps que de rechercher activement des victimes de génocide.
De plus, lors de la dernière campagne électorale, le Parti libéral a renchéri sur le nombre de réfugiés syriens qu’accueillerait le pays, afin d’amplifier les rumeurs de racisme de la part de notre parti. On a laissé entendre que notre parti n’aimait pas les réfugiés syriens parce que le ministre conservateur de l’Immigration avait demandé qu’une vérification établisse le nombre de groupes ethniques et religieux minoritaires persécutés qui avaient été acheminés au Canada par les Nations unies aux fins du parrainage par le gouvernement.
Pendant ce temps, des milliers de femmes yézidies ont été violées des dizaines de fois par jour par des dizaines d’hommes, et ce, au nom de Dieu. Pendant ce temps, un génocide était commis. Pendant ce temps, on a substitué la facilité bureaucratique et le gain politique à la compassion. Honte à nous tous.
Nous devrions tous être couverts d’opprobre parce que cela m’amène à la seconde école de pensée qui polarise le débat. Bien que la religion ne doive pas être exclue des critères d’hiérarchisation des réfugiés, si notre société est aussi éclairée que nous le prétendons, nous ne devrions pas refuser l’asile à quelqu’un pour le seul motif de sa religion ou de son pays d’origine. Depuis un temps infini, les guerres de religion sévissent. Au Canada, le pluralisme est soutenu par des lois qui distinguent l’Église de l’État et punissent sévèrement le meurtre, le viol, le discours haineux et autres actes souvent commis au nom de l’un ou l’autre dieu.
Je suis chrétienne. Mes amis les plus intimes sont juifs, sikhs et musulmans. Nous parlons du fait que nous comptons tous des extrémistes parmi les gens de notre confession. Pensons, par exemple, à ceux qui croient qu'il est juste de persécuter les membres de la communauté LGBT et les femmes et de leur faire subir la discrimination. Au Canada, étant donné la liberté de religion, nous sommes libres de vivre dans la foi de notre choix, ce qui ne nous donne pas pour autant le droit de commettre des actes criminels au nom de notre religion. Nous aurions donc tort de fermer nos portes à de nouveaux immigrants.
Devrions-nous tenir un débat ouvert et transparent au sujet du nombre de nouveaux arrivants que nous accueillons au Canada et des circonstances de leur entrée au pays? Oui. Faut-il faire preuve de transparence par rapport aux coûts et aux places disponibles dans les programmes d'intégration, étant donné le contexte économique au pays? Oui. Devrions-nous assurer que ceux qui entrent au Canada fassent l'objet de mesures de contrôle sécuritaire rigoureuses et solides? Oui. Faut-il appliquer fermement les lois de sorte que les crimes commis au nom de la religion soient sévèrement punis? Oui.
Le gouvernement libéral devrait-il nous dire pourquoi, cette année, la responsabilité du programme de parrainage privé a été assumée entièrement par le programme financé à même les fonds publics, et devrait-il changer cette décision? Oui. Est-ce que le fait de fermer nos portes aux immigrants éradiquera les crimes haineux contre la religion au Canada et fera en sorte que tous les Canadiens auront soudainement un emploi? Non.
C'est mai 1938 qui figure sur la fiche de traversée de ma grand-mère lorsqu'elle est venue de la Slovaquie. Elle a trouvé refuge au Canada en tant que migrante pendant l'une des plus importantes crises migratoires de l'histoire moderne. C'est à l'avant-plan de mes préoccupations alors que je prends la parole à la Chambre aujourd'hui, deux générations plus tard, en tant que porte-parole de l'opposition officielle en matière d'immigration.
Nous avons posé certains de nos gestes les plus honteux dans l'histoire de notre pays lorsque nous avons manqué de compassion envers des personnes dans le besoin. Je pense aux incidents du St. Louis et du Komagata Maru. Le Canada est rempli de personnes qui ont été persécutées et qui sont venues ici pour bâtir un pays qui est un symbole d'espoir et qui montre que les hommes peuvent faire ce qui est bon, juste et beau. Fermer complètement nos portes à des gens uniquement en raison de leur religion va à l'encontre de ce principe.
De nombreux propriétaires d'entreprises créatrices d'emplois, ainsi que des investisseurs, des innovateurs et des artistes, sont de nouveaux arrivants au Canada. Fermer nos portes à ces personnes parce que l'on croit pouvoir ainsi faire baisser le taux de chômage est un faux raisonnement.
Pendant la dernière campagne électorale, mon parti a annoncé la mise en oeuvre d'une politique qui servirait à créer une ligne de dénonciation pour signaler les pratiques culturelles barbares. Si nous étions si préoccupés par les droits des femmes se trouvant dans des situations que la ligne de dénonciation devait servir à prévenir, alors pourquoi avons-nous présenté cette ligne de dénonciation en mettant l'accent sur les différences entre nous et les autres? Pourquoi devrions-nous céder comme tous les autres à l'attrait d'un langage politique codé? Nous ne ferions qu'empirer la situation des plus isolés, et attiser et banaliser les allégations de racisme.
Aujourd'hui, au lieu de formuler des critiques justifiées à l'égard de notre système d'immigration, certaines personnes prétendant avoir la même affiliation politique que moi brouillent la discussion en politisant une tuerie à une mosquée et en présentant une politique vague pouvant donner l'impression qu'une personne doit être prête à manger une bouchée de sandwich au jambon pour pouvoir entrer au Canada. Est-ce mieux que le gazouillis du premier ministre déclarant que le Canada est un pays ouvert aux réfugiés après avoir refusé catégoriquement de protéger les victimes de génocide à l'aide d'une intervention militaire ou, au moins, d'accorder la priorité à la réinstallation de ces victimes? Non. Nous sommes tous complices.
Lire et observer les réactions du monde occidental aux atrocités commises en Syrie ont confirmé l'existence de lacunes systémiques vastes et graves qui m'ont amenée à me demander si les mots « plus jamais » n'étaient pas seulement un lieu commun. Avons-nous vraiment la capacité de répondre à l'effondrement de l'humanité et dans quelles circonstances est-ce que nous nous préoccupons du sort de cette dernière?
De nos jours, les étudiants en histoire sont souvent remplis de mépris quand on leur parle d'époques où la classe dirigeante était complètement déconnectée du prolétariat. En général, les Occidentaux modernes ont la prétention de croire que la décadence qui existait à l'époque de Marie-Antoinette ne se reproduira plus. Pourtant, le fonctionnement du capitalisme et des institutions démocratiques a donné lieu à une prospérité mondiale et à une paix durable. Deux générations après le dernier conflit mondial, c'est ce que nous croyons aujourd'hui immuablement et sottement.
Après la dernière année, je me demande si le sentiment ne s'est pas transformé en une culture du « tout m'est dû ».
De plus en plus souvent, nous laissons la défense de nos valeurs à d'autres, à condition de nous en préoccuper. Personne ne veut faire ce travail? Il n'y a pas à s'inquiéter, un travailleur étranger temporaire va s'en occuper. On veut fermer les industries extractives au Canada tout en continuant d'offrir la même égalité des chances? Les travailleurs des secteurs sales n'ont qu'à se recycler dans un autre domaine. Entre-temps, l'État dépensera à crédit pour maintenir en vie l'économie, et nous pouvons dépendre de lui plutôt que de nous fier à nous-mêmes. Après tout, les taux d'intérêt sont bas en ce moment, n'est-ce pas? De toute façon, nous pouvons toujours réduire nos dépenses militaires parce que la paix ne coûte rien et que la guerre ne nous touche pas.
Il n'y a probablement pas eu de plus grand symptôme du début de la décadence occidentale que notre réaction au conflit syrien. Nous avons tenté de pacifier des ennemis irréconciliables; nous avons réagi lamentablement à la crise migratoire — les approches raciste et socialiste s'opposaient alors qu'une voie pragmatique aurait dû être privilégiée —; nous avons qualifié la situation de bourbier dans lequel nous ne devrions pas entrer; nous avons aussi avancé que nous étions la cause du problème et que nous devrions rester à l'écart en espérant que notre inaction règle le conflit. Pendant ce temps, dans les cinq dernières années, des centaines de milliers d'êtres humains ont été massacrés et déplacés. Les droits des femmes, des minorités et de la personne en général ont été bafoués. Un génocide a eu lieu. Il est également devenu tabou de remettre en question l'efficacité des organismes que nous avons mis en place pour prévenir ces malheurs.
L’ONU est impuissante dans de nombreux dossiers, mais son échec face aux Syriens et aux victimes du génocide yézidi devrait galvaniser le monde pour exiger que des changements s’opèrent dans son fonctionnement. Au lieu de cela, ses acteurs manipulent des ficelles pour savoir qui aura un siège au Conseil de sécurité pendant qu’Alep brûle.
Comble de l’ironie, tout cela arrive alors que nous sommes devenus branchés sur le monde. Alep n’est plus une ville lointaine, elle vit sur notre fil Twitter. Or, nous traitons ces images, ces films de massacres de nos frères humains comme une sorte de jeu vidéo, pour autant qu'on s'en soucie.
Le fait est que l’Occident n’a pas le luxe d’affirmer que la crise en Syrie ne nous touche pas. Celle-ci nous prouve une chose, à nous et à ceux qui ne partagent pas les institutions de la démocratie et des marchés libres qui soutiennent la paix: nous avons oublié que le pouvoir se prend et ne se donne pas.
Peu importe notre allégeance politique et le gouvernement qui nous dirige, nous estimons maintenant que nous avons droit à notre tranquillité. Nous croyons aussi que notre variante occidentale d'extrémisme idéologique aveugle peut résoudre les problèmes, quand en réalité elle nous a surtout paralysés dans une caisse de résonnance. Cela se traduit en une politique étrangère dont l'objectif principal est d'être irréprochable et qui suppose que les extrémistes religieux et les despotes peuvent être achetés ou apaisés jusqu'à ce qu'ils abandonnent.
De plus, cela a montré au monde entier que cela ne nous fait rien lorsque l'humanité et la civilisation se désagrègent complètement, parce que, après tout, ce n'est pas à nous que cela arrive.
Si nous ne trouvons pas un moyen de changer le statu quo des dogmes politiques polarisateurs, notre antipathie sélective à l'égard de la condition humaine et l'échec lamentable des institutions politiques occidentales visant à prévenir ces atrocités nous mériteront sans doute les reproches des générations futures. Si, bien sûr, dans notre décadence égoïste nous leur léguons même une quelconque société qui leur permettra de le faire.
Nous devrions tous avoir honte de la façon dont nos motivations politiques, notre égoïsme, notre décadence et la politicaillerie nous ont menés dans la situation de débats polarisés où nous sommes aujourd'hui.
Notre seule rédemption passera par le fait de demander pardon et de comprendre que nous ne pouvons pas confier la tâche ingrate d’établir la paix dans le monde uniquement à nos soldats. Malgré notre désir intense d’ouvrir toutes grandes nos portes aux réfugiés, nous ne pouvons faire fi de la menace que posent les gens qui désirent détruire notre mode de vie. Nous ne pouvons pas nous détourner des personnes d’autres régions qui partagent nos idéaux, mais qui sont menacées d’annihilation. Nous y parviendrons en lançant des initiatives pour favoriser la prospérité et la durabilité économiques dans le monde entier. C'est à nous que revient cette responsabilité, puisque nous avons la chance de vivre dans des pays où règne le pluralisme.
De quelle façon le Canada donnera-t-il l'exemple en matière de pluralisme? Veillons à ce que le débat chez nous outrepasse deux faussetés qui cristallisent les oppositions. Il faut protéger la sécurité des Canadiens, laisser croître notre économie et faire preuve de compassion. Appuyons le libre-échange et soutenons ceux qui respectent les droits des marginalisés et des réfugiés partout dans le monde.
Si nous ne réussissons qu'à politiser les situations les plus graves, nous retomberons infailliblement dans nos péchés d’antan.
En conclusion, j’espère qu’aucun de nous ici ne se résignera à demeurer complice. Concentrons-nous plutôt sur notre capacité de créer la beauté et de célébrer l'art. Nous progresserons ainsi grâce à notre humanité, et non grâce à notre bannière politique.