Monsieur le Président, le projet de loi C-83 propose d’apporter plusieurs modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, mais l’élément central en est qu’il vise à mettre fin au recours à l’isolement dans les pénitenciers et à lancer des unités d’intervention structurée.
Je parlerais plus en détail de ces unités dans un moment, mais je commencerai par reconnaître que beaucoup de groupes d’intervenants militent depuis des années pour qu’on limite le temps passé en isolement préventif.
L’enquêteur correctionnel recommande un maximum de 30 jours et les Règles Mandela de l’ONU, 15 jours au plus. Nous nous sommes demandé, toutefois, si cela n’avait pas pour seul effet de priver des personnes de tout contact significatif pendant 15 ou 30 jours. Est-ce que cela ne revient pas à priver des personnes des interventions et des formations dont elles ont besoin pendant 15 ou 30 jours, de même que de soins de santé mentale dont elles pourraient avoir besoin?
Qu'en serait-il si nous étions capables, par conséquent, de créer un système où, lorsque des personnes doivent être placées dans une structure sécurisée séparée, au sein de la prison, elles peuvent continuer d’avoir accès à toutes ces choses? Qu'en serait-il si nous pouvions assurer la sécurité des détenus, du personnel correctionnel et des établissements sans avoir à mettre des détenus en isolement, à les couper de tous ces autres points de contact importants et de leurs traitements? Qu'en serait-il si on ramenait à zéro le nombre de jours sans contact humain significatif en milieu carcéral?
Voilà ce qui est au cœur du projet de loi C-83. Il concilie la nécessité de la sécurité dans les établissements correctionnels et la nécessité de mettre fin à l’isolement et de créer un système plus à même de réadapter les détenus.
Dans les unités d’intervention structurée, les détenus passeront deux fois plus de temps en dehors de leur cellule que dans le régime d’isolement préventif actuel. Cependant, ce ne sera pas sans supervision, comme le laissait entendre la députée de Lethbridge.
Le service correctionnel recevra le financement nécessaire pour augmenter le nombre de gardiens afin d’assurer les déplacements en toute sécurité des détenus à l’intérieur des unités d’intervention structurée, que ce soit pour se rendre en classe, pour suivre les programmes ou pour avoir des interactions avec un autre détenu compatible. Bref, il s’agit d’une refonte totale du service correctionnel afin d'arriver à un meilleur système pour le personnel, pour les détenus et, au fond, pour la société.
Si ce projet de loi est aussi important, c’est parce que l’immense majorité des détenus sous responsabilité fédérale finiront par être remis en liberté dans les collectivités. Or, les collectivités sont plus sûres lorsque les détenus qui souffrent de problèmes mentaux ont reçu un diagnostic et ont été soignés comme il faut. Elles sont plus sûres lorsqu’ils ont suivi avec succès un programme de réadaptation du service correctionnel ainsi que la formation voulue pour trouver un emploi à la fin de leur peine, de manière ce qu'ils subviennent à leurs besoins et soient moins susceptibles de récidiver.
Même si, pour certains, ce projet de loi semble prometteur, sa mise en œuvre suscite un certain scepticisme. Je peux assurer à la Chambre que nous avons l’intention de veiller à ce que la mise en oeuvre permette de tenir les promesses du projet de loi, en affectant toutes les ressources nécessaires pour que ce soit bien le cas. J’ai même interrogé le ministre plus tôt dans le débat à ce propos.
Soyons clairs: le statu quo n’est plus une option. Des tribunaux en Ontario et en Colombie-Britannique ont invalidé des pans entiers de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui autorisent le placement d’un détenu en isolement préventif. Un appel a été interjeté dans ces deux affaires, un par l’appelant et l’autre par le gouvernement, mais à compter de décembre et janvier, l’isolement préventif ne pourra plus être utilisé dans ces provinces. Sans système pour le remplacer, la situation sera dangereuse pour le personnel du Service correctionnel et pour les délinquants. De plus, comme il ne peut y avoir de réadaptation effective dans un milieu dangereux, le danger nous guette tous.
Passons maintenant à d’autres éléments du projet de loi C-83. Des victimes nous ont dit que les audiences de la Commission des libérations conditionnelles leur font souvent vivre un tel tourbillon d’émotions qu’après coup, bon nombre de détails importants leur échappent. Le projet de loi permettra aux victimes qui ont assisté à une audience de libération conditionnelle d’en recevoir un enregistrement sonore. Actuellement, les victimes inscrites qui ne peuvent pas assister à une audience peuvent demander ce type d’enregistrement. Toutefois, si elles y assistent, elles n’y ont pas droit. Il ne devrait pas en être ainsi, et c’est pourquoi le projet de loi C-83 modifiera la loi pour permettre à toutes les victimes inscrites, qu’elles aient assisté ou non à une audience de libération conditionnelle, d’en recevoir un enregistrement sonore.
Le projet de loi permettra aussi au Service correctionnel d’acquérir des détecteurs corporels et d’y faire passer toutes les personnes qui pénètrent dans les prisons. L'introduction de substances et d'objets interdits en milieu carcéral, allant des drogues aux téléphones cellulaires, est un phénomène et un problème mondial. De nouvelles technologies permettent de soumettre les personnes qui pénètrent dans des établissements correctionnels à des fouilles plus efficaces et plus faciles, tout en étant moins intrusives que les méthodes conventionnelles, comme les fouilles à nu.
Je suis persuadé que personne n’a oublié le décès tragique d’Ashley Smith, qui s’est enlevé la vie alors qu’elle était placée sous surveillance préventive constante, en 2007. Son décès et l’enquête subséquente du coroner nous ont fait prendre conscience que d’énormes améliorations étaient nécessaires dans nos établissements correctionnels pour femmes. Le projet de loi C-83 donne suite à l’une des plus importantes recommandations issues de cette enquête.
Le service correctionnel aura l'obligation de donner aux détenus accès à des services en matière de défense des droits des patients pour les aider à mieux comprendre leurs droits et leurs responsabilités relativement aux soins de santé. Il sera par ailleurs tenu de soutenir l'autonomie des professionnels de la santé et leur indépendance clinique, qui est un principe fondamental de la profession médicale.
Le projet de loi consacre les principes découlant de la décision historique rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Gladue et qui exige que les programmes et traitements offerts aux détenus autochtones, et ce, dès l'admission de ceux-ci dans un établissement carcéral, intègrent les facteurs systémiques et historiques qui sont propres à ces détenus.
Toutes ces mesures feront finalement avancer la cause de la sécurité publique partout au pays.
Lorsque le système correctionnel fonctionne efficacement pour réadapter les délinquants dans un milieu carcéral protégé, c'est nous tous qui en profitons.
Je suis fier du projet de loi C-83 et j'encourage tous les députés à voter en sa faveur.
Puisqu'il me reste encore un peu de temps, je vais parler brièvement de la situation à Terre-Neuve et Labrador.
Le principal pénitencier de Terre-Neuve et Labrador n'est pas un établissement fédéral et ne sera donc pas régi par ce projet de loi. On sait toutefois, d'après les reportages des médias et l'histoire accablante du pénitencier royal de Sa Majesté à St. John's ce qui peut arriver dans les pénitenciers où des services et des soutiens adéquats ne sont pas mis en place pour protéger à la fois les détenus et les gens qui y travaillent.
Le trouble de stress post-traumatique est un énorme problème tant pour les gens qui travaillent dans les établissements correctionnels que pour les personnes incarcérées. Il nous faut trouver un meilleur moyen de gérer les détenus en périodes de trouble, de manière à pouvoir continuer à leur prodiguer le soutien dont ils ont besoin.
Lorsque les nouvelles normes élevées du gouvernement fédéral seront respectées à l’échelle fédérale, des pressions supplémentaires s’exerceront sur les établissements provinciaux, où sont incarcérées les personnes devant purger une peine de deux ans ou moins. Ainsi, les provinces seront encouragées à mettre sur pied des modes de soutien et des normes semblables de sorte que le système soit davantage en mesure non seulement de gérer la détresse que la personne envoyée à l’unité d’intervention structurée cause aux autres détenus, mais aussi de fournir davantage de fonds et de soutien pour aider un personnel du service correctionnel plus nombreux à gérer et superviser ces détenus. C’est là la clé.
Au cours de nos trois premières années de mandat, nous avons pu constater en observant le déroulement de changements proposés par le gouvernement précédent, qu’il s’agisse de Phénix, du déplacement de la TI ou du service correctionnel, que, sans un financement de la transition, sans un financement des exigences législatives supplémentaires, nous sommes voués à l’échec.
Le ministre a mentionné que 80 millions de dollars seraient accordés aux soutiens supplémentaires en santé mentale au sein des prisons au cours de la période couverte par les deux prochains budgets. C'est extrêmement important. Ce financement visera une augmentation du personnel correctionnel et l’acquisition de détecteurs à balayage corporel qui contribueront à réduire, voire à éliminer le problème de l’introduction clandestine de substances dans les prisons.
Aujourd’hui, nous avons entendu des députés de l’opposition signifier leur inquiétude à savoir que nous n’accordons pas suffisamment de temps au débat sur ce sujet. Cependant, il semble que plusieurs des arguments soulevés aujourd’hui commencent à se répéter. Les nouveaux arguments ont été rares, même pendant le court débat qui s’est déroulé.
Ce sera une bonne chose que de renvoyer le projet de loi au comité compétent, où toute préoccupation légitime soulevée par l’opposition concernant une rétroaction suffisante des groupes intéressés pourra être étudiée et où on tiendra compte de ces observations. Le comité est le meilleur endroit où le projet de loi pourra être amendé de façon constructive.
Compte tenu du fait que décembre et janvier représentent des dates butoirs importantes auxquelles il faudra avoir mis sur pied une solution de rechange à l’isolement préventif dans les prisons, il est essentiel que le projet de loi soit terminé et adopté par la Chambre et le Sénat. Il faut éviter le genre de scénario apocalyptique qui pourrait se présenter en l’absence de moyen de gérer correctement et de maintenir la sécurité des prisons en Colombie-Britannique et en Ontario au cours de la prochaine année.
Pour toutes ces raisons, j’encourage tous les députés à voter pour le renvoi au comité du projet de loi.