Monsieur le Président, je suis très heureuse de prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones.
Comme tous les députés le savent, les questions autochtones comptent parmi celles qui posent les plus grands défis à notre pays, mais elles représentent également d'importantes occasions à saisir. Nous devons mettre de côté toute partisanerie et unir nos efforts afin de créer un espace qui permettra aux peuples autochtones de devenir entièrement autonomes et de bénéficier d'une meilleure qualité de vie.
C'est dans cet esprit que je tiens à remercier la députée de Kamloops—Thompson—Cariboo de m'avoir donné l'occasion d'intervenir au sujet de cet important projet de loi à titre de députée indépendante.
Le préambule du projet de loi C-91, mais pas le texte lui-même, indique ceci:
[...] le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui prévoit des droits relatifs aux langues autochtones.
J'aimerais rappeler aux députés que l'article 13 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones précise ce qui suit:
Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.
L'article 14 ajoute ce qui suit:
Les peuples autochtones ont le droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage [...]
Les États, en concertation avec les peuples autochtones, prennent des mesures efficaces pour que les autochtones, en particulier les enfants, vivant à l’extérieur de leur communauté, puissent accéder, lorsque cela est possible, à un enseignement dispensé selon leur propre culture et dans leur propre langue.
Le projet de loi C-91 prévoit une mesure très importante, à savoir la création du Bureau du commissaire aux langues autochtones.
Je veux me servir du temps qui m'a été alloué aujourd'hui pour parler de quelques initiatives destinées aux Autochtones qui ont été mises en place par des Autochtones partout au Canada pour promouvoir les langues autochtones.
J'ai eu le privilège de visiter de nombreuses collectivités lorsque j'étais la ministre des Services aux Autochtones et la ministre de la Santé et je tiens à attirer l'attention de la Chambre sur quelques initiatives intéressantes que j'ai vues.
Commençons par la Colombie-Britannique.
On estime qu'il y a environ 30 langues des Premières Nations et près de 60 dialectes dans cette province. Il est impossible de parler des langues des Premières Nations et de ne pas penser au Kukpi7 Ron Ignace. Kukpi7 signifie « chef » dans la langue secwepemc de la Colombie-Britannique. Le Kukpi7 Ron Ignace est sans contredit un des champions des langues autochtones dans sa Première Nation en Colombie-Britannique.
Avec son épouse, Marianne Ignace, qui est professeure à l'Université Simon Fraser, il a écrit un livre extraordinaire. C'est le travail de toute une vie. L'ouvrage s'intitule Secwépemc People, Land, and Laws.
J'ai eu l'occasion de visiter la collectivité de Skeetchestn, où Kukpi7 Ignace est le chef. J'ai entendu les enfants chanter et parler ensemble dans leur langue, c'était inspirant.
Je vais raconter l'histoire de la nation huu-ay-aht de la Colombie-Britannique. Elle fait partie des Premières Nations qui parlent le nuu-chah-nulth. La nation huu-ay-aht a lancé une initiative incroyable alors qu'elle poursuit ses efforts pour être pleinement autonome et elle continue d'être une source d'inspiration pour d'autres. Elle a mis sur pied un projet de services sociaux qui met en oeuvre un certain nombre d'initiatives, en particulier pour les enfants. Elle a décidé d'exercer son droit de prendre en charge les services à l'enfance et à la famille au sein de la nation huu-ay-aht, et elle l'exerce spécifiquement pour ramener les enfants dans leur communauté pour que ces derniers soient élevés dans leur langue et leur culture.
Tournons-nous maintenant un peu plus vers l'est, vers la province de l'Alberta.
Je souhaite faire part aux députés du travail incroyable qui est accompli dans la région de Maskwacis, située tout près d'Edmonton. J'ai eu le privilège d'être dans cette collectivité lorsqu'elle a annoncé la création de la Maskwacis Education Schools Commission.
J'ai assisté à l'annonce en compagnie du grand chef Willie Littlechild qui a déjà siégé dans cette enceinte. J'ai parlé de la formidable initiative des Maskwacis pour mettre en place leur propre système scolaire.
Le grand chef Willie Littlechild a grandi dans les pensionnats indiens. Il a expliqué comment il a été dépossédé de sa langue et de sa culture lorsqu'il a été placé dans l'un des plus grands pensionnats du pays. Néanmoins, aujourd'hui, les Maskwacis — un regroupement de quatre bandes assujetties à la Loi sur les Indiens — se sont concertés pour exercer leur droit à l'autodétermination en mettant sur pied un conseil scolaire. Leur système d'éducation est fondé sur la langue et les enseignements du peuple cri. Les programmes d'enseignement sont axés sur la culture et la langue cries.
Allons un peu plus à l'est, dans la charmante province de la Saskatchewan, où on trouve de nombreux exemples éloquents partout sur le territoire. Néanmoins, j'ai gardé un souvenir marquant de la visite que j'ai eu le privilège de faire à la Première Nation dakota de Whitecap, une communauté extraordinaire établie juste à l'extérieur de Saskatoon.
Lors de mon passage, le chef m'a montré de nombreuses réalisations, mais j'ai été particulièrement impressionnée par l'école primaire Charles Red Hawk. J'ai rencontré la dame qui enseignait la langue dakota aux élèves de cette école. J'ai assisté à un grand moment de fierté quand un petit groupe d'enfants s'est levé spontanément pour me demander s'ils pouvaient me chanter le Ô Canada en langue dakota. Ce moment est resté gravé à tout jamais dans ma mémoire. J'ai vu l'immense fierté, non seulement des enfants, mais aussi des aînés qui leur avaient enseigné la langue.
J'aimerais maintenant parler de la merveilleuse province du Manitoba. J'ai déjà parlé à la Chambre des choses que j'ai apprises des Premières Nations du Manitoba, ainsi que de la nation métisse du Manitoba.
Toutefois, j'aimerais vous parler en particulier d'une conversation que j'ai eue à propos de l'action menée par l'Assemblée des chefs du Manitoba. Ceux-ci ont été de vrais leaders en ce qui concerne l'un des problèmes les plus importants auxquels notre pays fait face, soit la surreprésentation des enfants autochtones dans le système d'aide à l'enfance. Ils ont fait ressortir le lien qui existe entre le retrait de ces enfants de leur communauté et leur placement en famille d'accueil et la perte de la langue qui en découle. Ils sont même allés jusqu'à proposer une loi intitulée « Bringing our children home ».
Par cette loi, les chefs du Manitoba disent: « Nous voulons revendiquer, pratiquer et promouvoir la responsabilité qui est la nôtre de transmettre à nos enfants nos connaissances, notre langue, notre culture, notre identité, nos traditions et nos coutumes ».
J'étais ce matin au comité des affaires autochtones où l'on a entendu un homme originaire du Manitoba qui a vécu le placement en famille d'accueil. Il s'appelle Jeffry Nilles. J'encourage les gens à écouter l'enregistrement de son témoignage d'aujourd'hui au comité. Il parle de ce que cela a signifié pour lui d'être arraché à sa collectivité et à sa famille, d'être couvert de honte s'il parlait sa langue. Lorsqu'il nous a parlé des traitements cruels qu'il a subis parce qu'il voulait naturellement utiliser sa langue maternelle, nous avons eu les larmes aux yeux. Il est aujourd'hui fier de la langue de son peuple, mais il lui a fallu du temps avant d'en arriver là.
Je vais parler d'une communauté encore plus à l'est, dans le Nord de l'Ontario. J'aimerais souligner en particulier la communauté extraordinaire de la Première Nation de Fort Albany. Je tiens à parler d'un homme qui y habite et qui m'a beaucoup inspirée. Il s'appelle Edmund Metatawabin. D'autres députés ont peut-être eu l'occasion de le rencontrer.
Edmund a écrit un livre merveilleux, Up Ghost River, qui a eu une grande influence sur ma vie. Il parle du rôle des pensionnats autochtones. En fait, son livre raconte son expérience en pensionnat. Il parle du traumatisme d'être privé de sa langue et de sa famille. On lui a interdit de parler sa langue. Il parle des conséquences désastreuses de la suppression des langues et des coutumes autochtones par les pensionnats.
Le livre donne une bonne idée de l'importance des langues autochtones. Une des phrases les plus significatives du livre est celle-ci: « Le concept de justice n'existe pas dans la culture crie; le mot “kintohpatatin” est ce qui s'en rapproche le plus. » Selon Edmund, ce mot se traduit approximativement par « on vous a écouté ». Voici ce qu'écrit M. Metatawabin: « Le mot “kintohpatatin” fait référence à un concept plus riche que la justice — il signifie que vous avez été entendu par une personne compatissante et juste, et que vos besoins seront pris au sérieux. »
C'est un mot que je n'oublierai jamais. Il me rappelle la richesse que peuvent avoir les mots, tout ce qu'une culture peut nous apprendre uniquement à l'aide du vocabulaire de sa langue, ainsi que la grande importance que cela peut revêtir pour nous tous.
Restons en Ontario. Je veux vous parler maintenant d'une communauté située aux limites de la frontière entre l'Ontario et le Québec, et dont une partie du territoire se trouve également sur le sol américain. Il s'agit de la communauté d'Akwesasne, qui est dirigée par un extraordinaire leader: le grand chef Abram Benedict. Là encore, j'ai pu constater que la langue représente une grande source de fierté pour cette communauté.
J'ai eu l'occasion de visiter, pour la première fois, l'école d'immersion mohawk qui s'y trouve. Dans cette école, les jeunes enseignants ont appris la langue grâce aux aînés, et ils l'enseignent maintenant aux enfants. En effet, ces jeunes adultes ne connaissaient pas le mohawk. Ce sont les aînés qui le leur ont appris. Maintenant, ils l'enseignent à leur tour aux enfants.
L'une des choses qui m'ont impressionnée, à cette école, est que les enseignants ont créé leur propre matériel pédagogique. Ils se sont servis de livres pour enfants et ils les ont adaptés pour que les mots soient en mohawk, et ils n'ont pas seulement adapté les mots, mais aussi les concepts, les images, les traditions et les histoires. Il s'agit là d'une initiative exceptionnelle qu'il faut saluer.
Je veux maintenant visiter la belle province de Québec. Il y a plusieurs Premières Nations, au Québec, mais je ne parlerai que d'une seule, la nation huronne-wendat. Leur leader, le grand chef Konrad H. Sioui, est un homme extraordinaire.
Konrad Sioui m'a beaucoup impressionnée. Il peut parler de plusieurs histoires, des régions et de l'histoire de son peuple. Il m'a expliqué comment ces peuples ont choisi les noms des endroits, des rivières et des montagnes. Dans sa région, chaque endroit a un nom dans sa langue.
Partout au pays, les noms de plusieurs endroits nous viennent de langues autochtones. Le grand chef Sioui parle de l'importance de conserver ces noms dans les langues autochtones.
Nous savons, par exemple, que le mot « Toronto » vient d'une langue autochtone. On pense que ce serait un dérivé du nom mohawk tkaranto, qui signifie « arbres qui poussent dans l'eau ». Ici même, à Ottawa, nous savons que le nom de la ville vient du mot adaawe en langue anishinabe, qui signifie « acheter ». Peut-être devrions-nous un jour réfléchir au fait que notre ville a un lien avec le fait d'acheter, mais je ne m'attarderai pas trop sur ce point.
Déplaçons-nous maintenant au Québec, puisque je viens d'en parler. Shawinigan est un mot algonquin qui veut dire « portage sur la crête ». Ensuite, dans le Nord du Québec, parce qu'il ne faut pas oublier le Nord, il y a l'incroyable village de Kuujjuaq, qui veut dire « la grande rivière » en inuktitut.
Il faut aussi absolument parler de l'Atlantique, même si je sais qu'il ne me reste pas beaucoup de temps. Je tiens à souligner l'incroyable travail accompli par les Micmacs dans l'Atlantique, notamment en ce qui a trait à l'incroyable autorité scolaire. Celle-ci est entièrement dirigée par des Micmacs et se nomme Mi'kmaw Kina'matnewey. Je sais que les Micmacs ne m'en voudront pas de ne pas avoir la prononciation exacte. Nous avons souvent affectueusement appelé ce groupe « MK », parce que c'est plus simple.
Il s'agit d'une autorité scolaire conçue par les Micmacs pour les jeunes Micmacs. Elle connaît un succès incroyable et c'est en grande partie dû à la place faite à la langue micmaque. D'ailleurs, elle a même créé un dictionnaire parlant en ligne afin que les gens puissent trouver des mots en micmac en ligne. Il contient quelque 6 000 mots en micmac. L'autorité offre aussi des cours de langue par Internet et des locaux de vidéoconférence ont été créés afin que les garderies de la région puissent enseigner le micmac aux enfants.
J'étais heureuse d'apprendre que l'Université St. Francis Xavier a offert son premier programme en langue micmaque.
Puisque nous sommes dans la région atlantique, dirigeons-nous vers le nord, au Labrador, et parlons du Nunatsiavut, l'une des quatre régions de l'Inuit Nunangat visées par une revendication territoriale. La volonté des dirigeants inuits du pays de revitaliser, préserver et promouvoir l'inuktitut est extraordinaire. Les Inuits disent fréquemment que l'inuktitut est au coeur de leur identité, de leurs croyances spirituelles, de leur relation avec la terre, de leur vision du monde et de leur culture. Cette langue est fondamentale pour leur autodétermination. J'en ai été témoin lorsque j'ai assisté à des réunions du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, lesquelles sont toutes traduites en inuktitut.
Cela dit, je dois signaler que les Inuits n'appuient pas le projet de loi C-91. Il est important que nous en tenions compte. L'Inuit Tapiriit Kanatami espère que le projet de loi sera amendé pour y inclure à la fois une annexe traitant l'inuktitut comme une langue distincte ainsi que des dispositions permettant aux personnes qui parlent inuktitut d'accéder aux services publics fédéraux dans leur langue.
Le fait que ces services ne sont pas offerts en inuktitut a une incidence. Je l'ai moi-même constaté dans le domaine de la santé. Par exemple, dans certains cas, la tuberculose n'a pas été décelée assez rapidement parce que les fournisseurs de soins de santé ne parlaient pas inuktitut et n'ont donc pas pu vérifier les antécédents médicaux adéquatement. C'est une réalité importante.
Le temps me manque pour dire aux députés ce que j'ai observé dans des endroits merveilleux comme les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon. Les exemples abondent de gens travaillant à raviver les langues autochtones.
J'ai l'intention d'appuyer ce projet de loi, mais il reste beaucoup de travail à faire dans ce dossier. Il faudrait que ceux qui auront le privilège de revenir siéger ici poursuivent le travail lors de la prochaine législature.
J'ai eu la chance d'apprendre une langue autochtone quand je vivais au Niger, en Afrique de l'Ouest. Je suis parvenue à parler la langue haoussa plus ou moins couramment. Le peuple haoussa a un dicton:
[La députée s'exprime en haoussa.]
[Traduction]
Cela signifie que « le silence aussi est parole ». Aucun d'entre nous ne devrait garder le silence sur cette question, sur la nécessité de revitaliser, de maintenir et de promouvoir les langues autochtones. Rappelons-nous que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones énonce des normes minimales pour la survie, le bien-être et la dignité des peuples autochtones.
Le droit d'utiliser, de développer et de transmettre les langues autochtones aux générations futures n'est rien de moins qu'une question de survie. Le devoir de reconnaître et d'affirmer ce droit nous incombe à tous.