Madame la Présidente, c’est toujours avec beaucoup de plaisir que je prends la parole à la Chambre des communes.
À l’intention des Canadiens qui ne connaissent pas la procédure parlementaire, je précise que les partis d’opposition ont le droit de proposer un certain nombre de motions par an. Celle que les conservateurs ont proposée aujourd’hui demande au gouvernement de « de cesser de hausser le prix de l’essence en ouvrant la voie aux pipelines et en éliminant la taxe carbone sur les carburants ». Ce n’est pas très sérieux de leur part, parce que même s’ils prétendent bien connaître le fonctionnement de l’industrie pétrolière et gazière et le mécanisme de fixation du prix de l’essence, en présentant des motions pareilles, ils montrent bien qu’ils sont profondément réticents à prendre en compte tous les aspects du problème.
Je vais vous donner un exemple. En 2006, le NPD, qui faisait partie de l’opposition, a demandé au gouvernement conservateur alors au pouvoir de nommer un ombudsman du pétrole et du gaz et de lui demander d’examiner la question des prix de l’essence dans toutes les régions du pays. Nous avons tous constaté qu’avant une longue fin de semaine ou une date importante, les prix s’envolent dans les stations d’essence. À l’époque, nous avions demandé au gouvernement conservateur, dans l’intérêt du consommateur, de vérifier s’il y avait collusion entre certaines agences et d’examiner de quelle façon un arrêt de la production à certaines périodes de l’année entraînait une flambée des prix, ce qui était une véritable manne pour les entreprises, mais un gros problème pour les travailleurs.
Pendant leurs 10 années au pouvoir, les conservateurs ne se sont jamais souciés du prix à la pompe. Aujourd’hui, ils voient qu’ils ont une occasion de s’en prendre à un gouvernement qui a perdu beaucoup de crédibilité en matière de lutte contre le changement climatique. Plus personne ne croit le premier ministre, même lorsqu’il met la main sur le cœur, quand il dit que les libéraux se préoccupent vraiment du changement climatique, parce que les gestes sont plus éloquents que les paroles.
Je pense qu’il faut reprendre le débat à partir de ce que les conservateurs et les libéraux ont en commun, et ils ont davantage de points en commun que les Canadiens ne l’imaginent.
Les conservateurs et les libéraux croient aux cibles fixées par Stephen Harper. Les conservateurs les ont mises en place, et les libéraux les ont conservées comme cibles du Canada dans l’accord de Paris. Le vérificateur général et la commissaire à l’environnement montrent tous les deux dans leurs rapports que les libéraux sont incapables d’atteindre les cibles fixées par Stephen Harper. En fait, pas plus tard que l’année dernière, notre empreinte carbone a augmenté de 12 millions de tonnes avec le gouvernement libéral.
Les libéraux continuent de prétendre qu’ils luttent contre le changement climatique et qu’ils ont pris des mesures extraordinaires, mais tout indique que non seulement la tendance ne s’inverse pas, mais qu’au contraire elle s’accélère. Les libéraux nous disent pourtant de ne pas nous inquiéter, que nous y arriverons.
L’autre point qu’ils ont en commun concerne les subventions pétrolières et gazières. Les députés n’ignorent pas que, selon le rapport du vérificateur général, les subventions directes que nous versons à l’industrie pétrolière et gazière se situent entre 1 et 2 milliards de dollars, selon l’année. Un grand nombre de Canadiens se demandent pourquoi. Quand les affaires vont bien, c’est-à-dire la plupart du temps, ce secteur gagne énormément d’argent. Dans ce cas, pourquoi devons-nous le subventionner?
C’est une bonne question. Lorsque Stephen Harper était premier ministre, il a déclaré à l’OCDE, avec la main sur le cœur, que le Canada cesserait de verser ces subventions à partir d’une certaine date. Mais il n’a rien fait de tel.
Au cours de la dernière campagne électorale, le futur premier ministre libéral a dit aux Canadiens de ne pas voter pour les conservateurs parce qu’ils ne croyaient pas aux changements climatiques. Il a dit aux Canadiens que les libéraux, eux, y croyaient, et qu’ils cesseraient de verser des subventions au secteur du pétrole et du gaz naturel. Trois ans et demi plus tard, le budget fédéral des libéraux contient toujours des subventions pétrolières et gazières. Les conservateurs et libéraux sont donc en parfait accord sur ce point.
Nous avons demandé au gouvernement fédéral combien il dépensait, en comparaison de ce qu’il dépense en subventions pétrolières et gazières, dans ce qu’on appelle les énergies alternatives, qui sont de plus en plus rentables, notamment l’énergie éolienne, l’énergie solaire, l’énergie marémotrice et l’énergie géothermique. Cela fait trois ans que je demande ces chiffres au gouvernement. Combien investit-il du côté des énergies alternatives? Nous savons ce qu’il dépense pour le secteur pétrolier et gazier, mais combien investit-il dans les énergies alternatives? Le gouvernement refuse de nous le dire, et c’est sans doute parce que les chiffres ne sont pas très flatteurs.
Le dernier point important sur lequel les libéraux et les conservateurs s’entendent concerne l’expansion des pipelines canadiens pour l’exportation de bitume dilué, dans l’optique de desservir les marchés asiatiques, entre autres.
Nous exportons déjà du bitume dilué à partir de la côte Ouest de la Colombie-Britannique. On aurait pu croire que l’expansion du pipeline Trans Mountain était destinée à desservir le marché asiatique, parce que nous ne pouvions pas acheminer de pétrole jusqu’à la côte. Or, nous acheminons actuellement du pétrole jusqu’à la côte, environ 330 000 barils par jour. Certains s’imaginent peut-être que l’Asie achète tout ce pétrole, et que c’est cela qui fait augmenter le prix pour tous les producteurs canadiens et qui fait augmenter les taxes. Mais ce n’est pas le cas. Alors, où va tout ce pétrole?
Il part aux États-Unis. Pratiquement 95 % du bitume dilué qui arrive sur la côte Ouest part aux États-Unis. Quel problème cette expansion réglera-t-elle au juste?
Non seulement les libéraux et les conservateurs sont totalement d’accord au sujet de l’augmentation des exportations de bitume dilué, qui est la forme la plus brute du pétrole, celle qui a le moins d’intérêt pour l’économie canadienne parce qu’elle crée le moins d’emplois — il n’y a aucune valeur ajoutée —, mais les libéraux sont allés acheter un pipeline de 65 ans pour la bagatelle de 4,5 milliards de dollars de l'argent des contribuables. J’adore quand les libéraux disent que c'est rentable, sans tout comptabiliser. J’adore quand ils n’incluent aucun des facteurs de risque que prennent normalement en compte les entrepreneurs qui tiennent une comptabilité.
Les libéraux ont acheté un pipeline de 65 ans avec l’intention de dépenser encore de 10 à 15 milliards de dollars. Ce pipeline est tellement fantastique que personne d’autre ne voulait l’acheter. Aucune société pétrolière ou gazière où que ce soit sur la planète, ni les Américains, ni les Chinois, ni les Britanniques, ni les Hollandais n’en voulaient. C’était une si bonne affaire.
Les députés peuvent-ils imaginer vouloir vendre leur vieille voiture? Personne n’en voudra, sauf le gouvernement canadien, qui dira faire une bonne affaire. La vieille épave est une des meilleures qui existent, et il va y consacrer toujours plus de fonds.
Imaginons que le gouvernement libéral investisse dans l'industrie de la location de films, disant qu’il aura de meilleurs DVD. Peu importe Netflix, il aura un meilleur affichage pour ses magasins Blockbuster. Les libéraux nous disent: « Faites-nous confiance. Voilà comment nous allons procéder. Nous allons dépenser votre argent judicieusement. »
Sur tous ces points, les libéraux et les conservateurs s’entendent. Ils ont d'ailleurs les mêmes objectifs. Ils croient qu’il faut toujours subventionner le secteur pétrolier et gazier. Ils veulent augmenter la quantité de bitume dilué acheminé vers la côte à grand coût pour le climat. Ils parlent d’une tarification du carbone, qui est un élément d’un plan, mais ce n’est pas un plan en soi. Nous le savons en Colombie-Britannique. Le gouvernement britanno-colombien, du temps de Gordon Campbell, n’a pas seulement tarifé le carbone, il a pris tout un tas d’autres mesures.
Les libéraux ne nous expliqueront pas comment ils comptent atteindre ne serait-ce que les objectifs de Stephen Harper pour le climat, parce qu’ils ne le peuvent pas. Ils forment le gouvernement depuis trois ans et demi, et ce qu’ils étaient censés régler une fois élus est encore pire. L’an dernier, on a enregistré une augmentation de 12 millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère sous un gouvernement qui prétend lutter pour le climat.
Quand les Canadiens prennent du recul, ils sont très inquiets. Ils lisent les mêmes rapports que nous tous. Le récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat indique que si la courbe ne s’infléchit pas nettement en 12 ans, nous ne nous dirigerons pas seulement vers un réchauffement de 2 ou 2,5 degrés Celsius, nous dépasserons largement ce seuil critique. Nous connaissons les effets du réchauffement sur l’Arctique. Nous connaissons l’effet de la fonte des glaces dans le Nord. Nous connaissons les effets de l’intensité croissante des feux de forêt.
Je veux parler un instant de ma circonscription, Skeena—Bulkley Valley, dans le Nord-Ouest de la Colombie-Britannique. Nous avons battu le record des feux de forêt il y a deux ans. C’était sans précédent. Nous n’avions jamais vu de feux qui brûlent avec une telle intensité. Presque tous les secteurs de la province étaient en alerte. C’était d’une ampleur inédite. Puis, nous avons de nouveau battu le record l’an dernier.
Nous avons dans ma circonscription quelques localités assez conservatrices, qui triment dur et qui dépendent beaucoup des ressources naturelles. Des pompiers forestiers qui avaient 30 ans de métier, pas vraiment du type écolo à la David Suzuki, sont venus me dire que ces feux étaient différents. Ils combattaient des incendies de forêt depuis trois décennies et ils n’avaient jamais vu pareille intensité auparavant. Ils disaient que les feux ne se comportaient pas comme d’habitude. Leur ampleur et leur vitesse de propagation étaient différentes, et c’est à cause du climat.
Les agriculteurs ne comprennent plus les précipitations parce que nous n’avons plus autant de neige qu’avant ou parce que le régime de précipitations a changé.
Nous voyons des inondations. La ville d’Ottawa, où siège le Parlement, a déclaré l'état d’urgence climatique. Nous voyons changer le régime des crues. Les crues à récurrence de 100 ans ou de 500 ans se produisent maintenant tous les deux ans.
C’est exactement ce qu’on prédisait. La seule chose sur laquelle les spécialistes mondiaux du climat se sont trompés, c’est qu’ils pensaient que cela n’arriverait pas avant 2030 ou 2040. Nous ne sommes pas encore en 2020 et cela arrive maintenant.
Si les députés souhaitent débattre du prix de l’essence, soit, parlons-en. Parlons des entreprises qui arnaquent les Canadiens à la pompe. Si les députés souhaitent parler de la tarification du carbone, soit, parlons-en. Toutefois, il faut que ce soit inscrit dans un plan qui nous mène là où nous devons aller. Comme nous le savons, les Canadiens consomment plus d’énergie et produisent plus de gaz à effet de serre par habitant que tout autre pays du monde.
Nous avons beaucoup de comptes à rendre. Nous ne pouvons continuer de semoncer d’autres pays sur la scène internationale et de leur dire de s’inspirer du Canada. Ce n’est pas une solution aujourd’hui. Cependant, ce devrait être une solution dans l’avenir et je crois que le NPD présentera ce nouveau plan vert audacieux qui tiendra cette promesse.