Madame la Présidente, je suis heureuse de prendre part au débat sur le projet de loi C-30, Loi de mise en oeuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne.
On ne saurait trop insister sur les retombées économiques extrêmement positives que représente pour les entreprises canadiennes un accès privilégié à la zone commerciale la plus riche du monde. En effet, l'Accord aura pour effet de réduire ou d'éliminer à peu près 99 % des droits de douane entre le Canada et l'Union européenne. Voilà qui améliorera la compétitivité des entreprises canadiennes chaque fois qu'elles vendent quelque chose sur le marché européen.
Inversement, il en coûtera moins cher aux entreprises canadiennes qui achètent des produits spécialisés, comme de la machinerie lourde et des pièces qui ne sont pas offertes au Canada.
D'après une étude menée conjointement par le Canada et l'Union européenne, l'Accord économique et commercial global pourrait entraîner une hausse de 20 % des échanges commerciaux bilatéraux et injecter 12 milliards de dollars dans l'économie canadienne. Voilà pourquoi l'ancien gouvernement conservateur s'efforçait inlassablement de conclure des accords commerciaux partout dans le monde.
C'est à la suite de ces efforts que le Canada a conclu son premier accord commercial avec une des principales économies de l'Asie, c'est-à-dire la Corée du Sud, et son premier grand accord commercial avec une économie sud-américaine, soit la Colombie. Ces ancrages sont très importants pour les exportateurs canadiens qui souhaitent traiter avec l'Asie ou l'Amérique du Sud. Pour une économie qui repose sur le secteur des services et l'exportation, ces accords revêtent une importance capitale.
Voilà pourquoi, en mai 2009, le gouvernement précédent a entamé des négociations avec l'Europe pour conclure l'accord de libre-échange le plus ambitieux de l'histoire du Canada. Après des années de pourparlers avec l'Union européenne et ses 28 États membres, les négociations ont pris fin en août 2014, et un accord de principe a été conclu à l'été 2015.
L'AECG a été offert aux libéraux sur un plateau d'argent. Pourtant, pour des raisons que nous ne connaîtrons peut-être jamais, ils l'ont presque laissé filer. Pendant plusieurs jours après l'annonce que la Wallonie, une petite région de la Belgique, n'appuierait pas l'Accord, on a redouté avec raison que l'entente soit tombée à l'eau.
Le 25 octobre, tandis qu'elle défendait à la Chambre le travail qu'elle avait effectué dans le dossier, la ministre a déclaré qu'« en ce qui concerne l'Accord économique et commercial global, le Canada a fait ce qu'il avait à faire ». L'argument selon lequel le Canada avait travaillé fort jusqu'ici et il convenait maintenant de laisser l'Europe faire sa part comporte tellement de failles que je ne saurais même pas par où commencer. Les accords ne se signent pas d'eux-mêmes. Le Canada ne doit jamais cesser de défendre ses intérêts; il ne peut pas se contenter d'attendre en croisant les doigts.
Heureusement, les grandes puissances européennes favorables au commerce qui appuyaient fortement l'Accord ont réussi à le remettre sur les rails. Elles l'ont fait parce que l'AECG pouvait servir ultérieurement de modèle pour un accord semblable entre l'Europe et les États-Unis.
La ministre du Commerce international répète sans cesse qu’elle a pu faire aboutir l'AECG en adoptant une approche « inclusive et progressiste ». La seule chose qui a changé dans l’accord de principe dont nous parlons aujourd’hui par rapport à celui qui a été négocié par les conservateurs, c'est le processus de règlement des différends entre un investisseur et un État, et rien d’autre.
Le Canada a toujours été reconnu comme le pays qui a le bilan le plus solide en matière de droits de la personne, de primauté du droit, de démocratie, de réglementation, etc. L’AECG a toujours été inclusif et progressiste, parce que le Canada l’a toujours été. Dire le contraire est malhonnête.
Concernant les mécanismes de règlement des différends entre un investisseur et un État dont j’ai parlé, des tribunaux d’arbitrage sont prévus dans près de 3 000 traités bilatéraux d’investissement. Même la Belgique a des dispositions sur les investissements avec 182 parties. Ces tribunaux d’arbitrage ne sont pas nouveaux et nombre d’entre eux fonctionnent très bien.
Dans le cadre du processus de règlement des différends entre un investisseur et un État, les investisseurs étrangers peuvent poursuivre l’État hôte devant un tribunal d’arbitrage nommé au cas par cas par les deux parties concernées, s'ils estiment que le traité régissant les échanges bilatéraux entre les deux pays a été violé. Ce système fait partie des mécanismes de règlement des différends dans plus de 3 000 accords commerciaux bilatéraux, y compris l’ALENA, et ses forces et faiblesses sont connues et comprises.
Des groupes de la société civile ont remis en question l'opportunité d'appliquer à des différends en matière de droit international public un mécanisme qui a été créé pour régler des différends commerciaux privés. Ces groupes estiment que cela pourrait privilégier les entreprises des grands pays. Des détracteurs ont également évoqué d'éventuels conflits d'intérêts et la possibilité que l'arbitre ait un parti pris.
En réponse aux critiques et en prévision des négociations en vue de conclure un accord de libre-échange avec les États-Unis, l'Union européenne a commencé à mettre au point l'idée d'un tribunal des investissements après que l'accord de principe avec le Canada a été conclu en 2014. Le tribunal des investissements serait un tribunal de première instance composé de 15 juges, et il y aurait un tribunal d'appel composé de 6 juges. Les juges seraient nommés conjointement par l'Union européenne et le Canada. Le tribunal serait supervisé par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements de la Banque mondiale.
Trois juges à la fois présideraient aux audiences du tribunal de première instance et rendraient une décision relativement à la plainte initiale. Comme pour n'importe quel nouveau processus, il est difficile de prévoir comment les choses se dérouleront exactement. Qui dans chaque pays aura la responsabilité de nommer des juges? Quels seront la formation et le domaine d'expertise de ces juges? Pendant combien de temps siégeront-ils? Resteront-ils les bras croisés s'il n'y a pas beaucoup de contestations devant le tribunal ou seront-ils autorisés à travailler et à faire de la consultation en plus de remplir leurs fonctions au sein du tribunal?
Puisque la taille de la population du Canada ne représente qu’un dixième de celle de l’Europe, combien des 21 juristes seront Canadiens? Combien de juristes viendront de la Wallonie plutôt que de la France ou de l’Allemagne? Il n’y a pas de règles communes sur lesquelles peuvent se baser les juristes pour rendre des décisions sur les différends internationaux entre les grandes entreprises et les gouvernements. Il est donc difficile de dire si le résultat des contestations judiciaires sera différent.
L’une des principales critiques envers les tribunaux saisis des différends entre un investisseur et un État porte sur le fait que les arbitres ne considèrent pas forcément les décisions d’autres arbitres, en raison de la nature décentralisée du mécanisme. Ainsi leurs décisions manquent de cohérence. Toutefois, le nouveau système ne remédiera pas forcément à cela. Si les tribunaux des investissements deviennent la norme, il pourrait y avoir des centaines de tribunaux dans le monde statuant sur des différends commerciaux. Nous ne savons pas dans quelle mesure leurs décisions s'inscriront dans une suite logique. De plus, un tribunal multilatéral des investissements ne fera preuve de cohérence que dans le cas de décisions relatives aux traités régissant le commerce entre deux pays.
Comme je l’ai déjà dit, il est difficile de savoir comment tout cela va se dérouler. C'est vrai pour tout nouveau processus. Si les négociateurs européens sont satisfaits du nouveau tribunal, il faudrait l’inclure en tant que principal mécanisme de règlement des différends du traité. La question demeure. Pourquoi les libéraux pensent-ils que cela ferait de l’AECG un accord plus inclusif ou progressiste? Les juristes qui travailleront au nouveau tribunal vont prendre des décisions en se fondant sur la jurisprudence et sur le texte de l’accord commercial, qui est le même que celui négocié par les conservateurs il y a 15 mois.
Bien franchement, conclure cet accord commercial aurait dû être la grande priorité du gouvernement. Maintenant qu’il est signé, j’espère que le gouvernement déploiera davantage d’efforts pour faire ratifier le Partenariat transpacifique le plus tôt possible. Plus les producteurs canadiens ont de marchés où vendre leurs produits sans que des droits de douane les désavantagent, plus la situation de notre pays s'améliore.