Monsieur le Président, je suis heureuse de cette occasion qui m'est offerte de parler du projet de loi C-30, Loi de mise en oeuvre de l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada.
J’ai l’intention de me pencher tout particulièrement sur les dispositions investisseur-État de l'AECG. Je veux que le compte rendu indique que le Parti vert partage l’opinion de bien des gens qui craignent que ces dispositions ne fassent monter le prix des médicaments. Nous avons vraiment besoin d’une assurance-médicaments et nous n’avons pas à donner aux entreprises pharmaceutiques plus d’avantages qu’elles n’en ont déjà en matière de protection des brevets. Il nous faut protéger le droit des administrations municipales de soumissionner et ne pas leur enlever la possibilité de s’approvisionner localement. L’AECG a sur divers secteurs de l’économie, dont l’industrie laitière, des conséquences qu’il faut examiner plus attentivement.
Je veux me pencher sur les raisons pour lesquelles l’Accord est tellement controversé qu’il n’est toujours pas considéré comme chose faite en Europe. Je crois que les Canadiens se sont laissés embobiner.
Il va sans dire que les conservateurs veulent donner l'impression d'avoir négocié un accord impeccable, que les libéraux n'ont plus qu'à signer. Or, ce n'est pas du tout le cas. Pourquoi l'Accord économique et commercial global avec l'Union européenne est-il encore si controversé à ce jour? Parce qu'il s'agit d'un premier projet d'accord dans le cadre duquel l'Union européenne souscrira à une disposition investisseur-État. Voilà pourquoi l'AECG demeure controversé. D'ailleurs la Cour européenne de justice doit encore se prononcer à cet égard. Les dispositions investisseur-État sont les seules dispositions de l'AECG que de nombreux parlementaires européens jugent inadmissibles. C'est pour cette raison que la Cour européenne de justice doit se prononcer sur cet enjeu. Si la Cour statue que l'Union européenne outrepasse ses pouvoirs en privant de leurs droits les États parties à l'accord pour privilégier les sociétés étrangères, l'AECG sera sérieusement compromis.
Il en sera de même lorsque le Parlement européen votera sur cet accord commercial, vraisemblablement entre décembre et février. S'il est adopté par le Parlement européen, il sera ensuite renvoyé à chacun des Parlements des États membres de l'union. En pratique, comme 38 gouvernements nationaux et régionaux devront encore se prononcer sur cet accord, le processus d'approbation pourrait durer entre deux à cinq ans.
La première question que je me pose est celle-ci: pourquoi le gouvernement est-il si pressé de faire adopter le projet de loi C-30? Pourquoi ne pas tenir des consultations appropriées partout au Canada pour entendre des témoins, comme le gouvernement le fait dans le cas du PTP? On précipite les choses alors que l'Accord n'a pas encore été ratifié en Europe. Soit, les commissaires européens ont accepté l'Accord, mais il n'a pas encore été ratifié parce que l'Europe souhaite maintenant conclure un accord commercial avec les États-Unis. Si les députés pensent que, en Europe, les gouvernements locaux et nationaux ont du mal à accepter l'idée que des entreprises canadiennes puissent les poursuivre devant des tribunaux bidon, ils peuvent être sûrs que ces gouvernementaux craignent encore plus que des entreprises américaines soient en mesure de faire de même.
Par conséquent, la principale raison pour laquelle cet accord fait l'objet d'une controverse en Europe, c'est parce qu'il renferme des dispositions investisseur-État. J'aimerais expliquer en quoi consistent ces dispositions.
Les députés les ont souvent confondues, aujourd'hui, avec les mécanismes de résolution des différends. Je n'ai besoin d'expliquer à personne que, quand deux ou trois pays concluent un accord commercial — dans le cas qui nous intéresse, avec une vaste zone commerciale comme l'Union européenne —, il arrive que des différends surgissent concernant tel ou tel enjeu commercial. Il y en a assez eu entre le Canada et les États-Unis au sujet du bois d'oeuvre pour que l'on saisisse bien à quoi renvoie la notion de mécanisme de résolution des différends portant sur l'aspect commercial d'un accord. Ce n'est toutefois pas de cela qu'il s'agit ici. Ces fameuses dispositions ne servent pas à résoudre les différends d'ordre commercial.
À quoi, dans ce cas-là, peuvent bien servir les dispositions investisseur-État d'un accord commercial? Il s'agit d'une excellente question. En fait, elles ne devraient même pas exister. Ces dispositions se sont comme qui dirait immiscées en douce dans le paysage commercial. Jamais, tout au long du débat qui a eu lieu d'un océan à l'autre, les Canadiens n'ont mentionné le chapitre 11 de l'ALENA lorsqu'ils ont exprimé leurs inquiétudes. Il était pour ainsi dire caché. J'ai pu discuter avec les personnes qui ont négocié l'ALENA. Même elles ignoraient comment ces dispositions seraient utilisées. Selon elles, le chapitre 11 de l'ALENA précisait simplement que, si un gouvernement étranger expropriait une société — comme lorsque Fidel Castro et le gouvernement de Cuba ont nationalisé la totalité des actifs américains —, il devrait la dédommager en conséquence. C'est ce que tout le monde avait compris. C'est ainsi que les choses se font partout dans le monde. Or, le chapitre 11 contenait aussi quelques mots en apparence anodins qui se révélèrent en fin de compte catastrophiques pour la gouvernance intérieure: « une mesure équivalant [...] à l'expropriation ».
Le chapitre 11 de l'ALENA a donc été accepté sans susciter de controverse, et des avocats très astucieux s'en sont ensuite emparés. Ceci a créé un noyau d'avocats peu scrupuleux qui incitent des entreprises à entamer des poursuites.
Lorsque le gouvernement canadien a adopté la règle interdisant l'utilisation d'un additif pour essence toxique, les avocats d'une entreprise ont pensé pouvoir monter un dossier contre le gouvernement en invoquant les dispositions investisseur-État. Le Canada s'est donc fait poursuivre aux termes du chapitre 11 de l'ALENA pour avoir aboli l'utilisation d'un additif pour essence. Nous avons aussi été poursuivis par l'Ethyl Corporation aux termes du chapitre 11 pour avoir interdit l'exportation de déchets contaminés aux BPC. AbitibiBowater est une autre entreprise qui a poursuivi le Canada. Cependant, la pire poursuite et la plus récente à être lancée contre notre pays a été intentée par Bilcon. C'est une société américaine qui a décidé de ne pas demander réparation aux tribunaux canadiens, mais plutôt de se présenter devant un tribunal secret prévu au chapitre 11 pour obtenir un jugement contre le Canada afin de faire annuler une évaluation très forte, solide, justifiable et raisonnable.
Soit dit en passant, aucune de ces poursuites ne comporte un aspect commercial. Ce ne sont pas des différends commerciaux. Ces poursuites ont été intentées par des sociétés étrangères parce qu'une décision nationale prise par un gouvernement démocratique leur a coûté de l'argent et a réduit les profits qu'elles pouvaient s'attendre à réaliser.
Le chapitre 11 de l’ALENA a fait proliférer les traités bilatéraux d’investissement. En général, la puissance économique la plus importante fait des affaires dans un petit pays en développement — pensons à une société minière canadienne installée à l’étranger —, mais le collectif international des traités d’investissement engendre de véritables difficultés pour les petits pays en développement. Le scénario est connu et il a été dévoilé et documenté par un groupe de réflexion européen qui a réalisé une étude intitulée « Les profiteurs de l’injustice ». Une tendance se dessine: la puissance économique la plus importante va gagner.
Le processus d’arbitrage, en d’autres mots, n’est ni neutre ni juste. Partout dans le monde, des avocats peu scrupuleux spécialisés en droit international se font payer 1 000 $ l’heure pour être arbitres ou avocats pour le compte d’une société étrangère qui poursuit un État. La puissance économique la plus importante va gagner. Donc, lorsque le Canada est poursuivi par les États-Unis, il perd.
Le pire de tous ces accords, c'est sans contredit le traité sur les investissements entre le Canada et la Chine, que Harper a présenté, puis imposé au moyen d'un vote au sein du Cabinet. Il n’a jamais été débattu à la Chambre et il n’y a jamais été mis aux voix; pourtant, il liera les gouvernements canadiens jusqu’en 2045, dans le secret le plus complet.
Place aux tribunaux secrets du chapitre 11 de l'ALENA et à ceux prévus dans l'accord entre le Canada et la Chine. Comparons ces ententes commerciales régressives et antidémocratiques aux efforts de l’Union européenne et du Canada, en l'occurrence, en vue de créer un tribunal des investissements: on prend tous les moyens pour essayer de maquiller un système fondamentalement antidémocratique qui permet aux sociétés d'imposer leur volonté aux États en lui donnant une allure plus démocratique, sauf que cela ne fonctionne pas. L'idée qu'une société étrangère ait le droit de poursuivre un État pour des décisions qui ne reposent sur aucun motif commercial, mais plutôt sur la volonté de protéger la santé, la sécurité et l’environnement à l’intérieur d’un pays demeure une notion fondamentalement antidémocratique.
Pourquoi faudrait-il le moindrement être d’accord avec cela?
Plus tôt dans le débat, j’ai dit que l’Accord économique et commercial global crée un tribunal des investissements. Il regroupe des arbitres qui sont semi-permanents. En d’autres mots, ils ne sont pas payés pour une cause pour ensuite, du jour au lendemain, se porter à la défense d'intérêts particuliers dans le processus de l’AECG. Le député qui avait la parole lorsque j'en ai parlé a fait valoir ce point. Or, je n’ai pas pu revenir à la charge et expliquer que la même personne peut être à la fois un juge au tribunal des investissements dans l’Union européenne et un avocat incitant des entreprises à entamer des poursuites au titre de l’ALENA ou du traité sur les investissements entre le Canada et la Chine. Ces gens peuvent en réalité être de connivence avec quiconque a retenu leurs services, puisqu'il existe des avocats corrompus qui travaillent pour des sociétés comme Bilcon. Ces avocats peuvent être de connivence avec une société du genre et siéger ensuite à titre d’arbitres au sein du tribunal des investissements de l’Union européenne et du Canada, sans avoir à divulguer qu’ils travaillent déjà comme avocats pour l’entreprise même à propos de laquelle ils doivent rendre une décision pour le tribunal des investissements dans l’Union européenne.
Ces dispositions sont toxiques. Comme l’a dit un spécialiste canadien du droit commercial, Steven Schreibman, les dispositions investisseur-État sont « fondamentalement nuisibles à la démocratie ». Elles n’ont rien à voir avec le commerce.
Si le Canada veut faire approuver cette entente en Europe et si les libéraux veulent l’appui du Parti vert à la Chambre, il faut supprimer les dispositions investisseur-État.