Madame la Présidente, dans l'état actuel des choses, le Bloc québécois n'appuiera pas le projet de loi C-30 en troisième lecture. Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous allons nous y opposer. Comme chacun le sait, nous avons appuyé le principe de l'accord Canada-Europe. Cet accord comporte des atouts pour le Québec. Ce sont des atouts précieux.
Actuellement, notre voisin du Sud est plutôt imprévisible, pour ne pas dire erratique. L'élection de Donald Trump nous rappelle que nous ne pouvons pas nous contenter d'être accrochés au train américain et que nous avons besoin d'avoir plus d'un partenaire. L'Europe est toute désignée pour être ce partenaire privilégié.
Comme la ministre du Patrimoine canadien l'a si bien dit hier, le Québec est le coeur technologique du Canada. Notre économie comprend des secteurs de pointe comme l'aéronautique et l'intelligence artificielle où nous sommes reconnus partout dans le monde. Notre peuple est créatif, c'est pourquoi c'est un des leaders reconnus sur la scène internationale, dans des secteurs comme les jeux vidéo.
Le Québec est aussi un leader en matière de recherche-développement, malgré le fait que le gouvernement fédéral ne l'appuie pas adéquatement. Nous avons le chantier naval le mieux coté en Amérique du Nord. Le Québec est un des leaders mondiaux en production d'énergie verte. Contrairement au Canada qui s'enfonce dans le bitume, nous sortirons gagnants de notre dépendance au pétrole. L'avenir du Québec s'annonce beau.
Toutefois, développer un produit de pointe, c'est long et cela coûte cher. Nos entreprises de pointe, nos secteurs d'avenir, ne pourraient pas rentabiliser leur production seulement sur le marché intérieur. Nous avons besoin d'accès au monde. Nos secteurs de pointe en dépendent. Notre avenir en dépend.
L'accord Canada-Europe aurait donc pu être un bon accord. Il avait le potentiel d'être taillé sur mesure pour le Québec, qui joue déjà un peu le rôle de pont entre l'Amérique du Nord et l'Europe. Le Québec représente environ 40 % du commerce Canada-Europe. Aussi, environ 40 % des investissements européens au Canada se font chez nous, au Québec. La force de l'économie québécoise n'est plus à démontrer. Notre modèle de développement, un peu différent du reste de l'Amérique du Nord, ne fait pas peur aux investisseurs européens. Après tout, l'Allemagne est plus syndiquée que nous et elle s'en sort assez bien, merci. Les Européens n'ont pas peur du fait que nos employés soient plus syndiqués qu'ailleurs en Amérique du Nord. Cela est tout le contraire des investisseurs américains qui craignent la différence québécoise, en partie parce que le Canada fait mal la promotion et vend mal les forces du Québec.
Devant le protectionnisme grandissant des États-Unis, les Européens auront davantage besoin du Québec comme porte d'entrée en Amérique du Nord.
Oui, cet accord présentait son lot d'occasions, mais nous ne pouvons pas appuyer n'importe quoi. Partout dans le monde, on voit ce qui se passe, lorsqu'on oublie de soutenir les perdants des accords commerciaux. L'accord Canada-Europe apporte son lot de victimes au Québec, et Ottawa néglige de les compenser correctement. Le Québec est une nation commerçante, et nous avons toujours su tirer notre épingle du jeu, malgré le fait que le Québec n'est pas indépendant et doit constamment se battre pour qu'Ottawa tienne compte de sa différence dans les traités commerciaux.
Contrairement au gouvernement, nous ne laisserons pas tomber nos gens. Nous avons un secteur de produits laitiers et fromagers très stable grâce à la gestion de l'offre qui permet de répondre à la demande. Le gouvernement canadien a décidé de sacrifier les producteurs fromagers du Québec pour satisfaire la production bovine de l'Ouest. La réalité du marché européen est bien différente de celle du marché québécois. En Europe, les producteurs sont hautement subventionnés, ce qui n'est pas le cas au Québec. Ils peuvent donc facilement vendre sous le prix coûtant leurs fromages ici au Québec. Ce n'est pas le cas ici où l'on s'assure que l'offre rejoint la demande pour éviter le gaspillage et où l'on s'assure de maintenir une stabilité pour les producteurs. Les producteur fromagers québécois sont plus souvent qu'autrement des petites entreprises artisanales, des entreprises fragiles. L'accord Canada-Europe va ouvrir le marché canadien, incluant le marché québécois, aux produits fromagers européens, mais l'inverse n'est pas vrai. Selon les règles de l'OMC, le système de gestion de l'offre ne nous permet pas d'exporter notre production. Nous nous retrouvons donc dans une situation où les producteurs fromagers perdent à coup sûr sans aucune possibilité de faire des gains.
Les entreprises européennes ultra subventionnées pourront donc vendre à très bas prix du fromage au Québec. Cela va mettre une énorme pression sur nos producteurs. Comme la production québécoise représente la moitié des fromages au Canada et plus de 60 % des fromages fins, c'est le Québec qui est le plus touché par l'accord.
À terme, l'accord donnera 7 % du marché canadien à l'Europe, soit 18 000 tonnes de fromage. Les fromages fins représenteront la quasi-totalité des importations futures. Je le répète: le Québec représente plus de 60 % de la production de fromages fins au Canada, et il sera donc la première victime de la mesure. Ainsi, les pertes pour les producteurs fromagers sont estimées à plus de 300 millions de dollars, année après année.
Le gouvernement ne s'est jamais engagé à compenser intégralement les producteurs. En fait, il a offert à l'industrie laitière et fromagère un total de 350 millions de dollars étalés sur cinq ans. Il n'a donné aucun détail sur les critères ou sur la répartition. Qui plus est, il n'a donné aucune garantie pour l'avenir. Tout ce que l'on demandait au gouvernement, c'était qu'il s'engage fermement à compenser intégralement les pertes, mais il n'a jamais voulu le faire.
Les producteurs fromagers du Québec se sont résignés à ce que le gouvernement adopte l'accord Canada-Europe et qu'il ouvre notre marché des produits fromagers aux Européens. Par conséquent, l'UPA s'est résignée à demander une compensation financière pour les pertes que les producteurs laitiers et fromagers vont nécessairement subir. D'ailleurs, le gouvernement du Québec va dans le même sens.
Nos producteurs fromagers sont inquiets, et le gouvernement canadien n'a pas fait le nécessaire pour les rassurer en leur offrant les garanties demandées. La diversification de nos marchés est souhaitable, puisqu'en ayant plus de partenaires commerciaux, nous nous assurons une économie plus stable. Malheureusement, encore une fois, le Canada ne tient pas compte du marché québécois.
Comme le Québec n'est pas un pays, cela signifie que le Canada parle au nom du Québec, bien que le Canada ne comprenne pas le modèle québécois. Bien souvent, le modèle québécois est incompatible avec le modèle canadien. Bien entendu, dans ce genre de situations, le gouvernement fédéral penche pour le reste du Canada, car c'est tout simplement plus rentable sur le plan politique; c'est une question de mathématiques. C'est encore le cas avec l'accord Canada-Europe.
S'il avait fait ses devoirs, le gouvernement aurait pu proposer des solutions novatrices, comme celle de permettre aux artisans et aux petites entreprises d'obtenir des licences d'importation de fromages européens. Cela leur aurait permis de profiter de la vente de fromages européens et de compenser les pertes encourues à cause de l'accord. Si rien n'est fait, les grandes chaînes risquent d'obtenir les licences, et ce sont elles qui en profiteront. Cela fera souffrir davantage nos producteurs. Pour l'instant, rien n'indique que le gouvernement soit sensible au sort de nos producteurs fromagers.
Bref, pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas appuyer le projet de loi. Le Bloc québécois n'abandonnera pas les producteurs fromagers et laitiers du Québec. Nous avons pris un engagement ferme lors de la dernière élection. En effet, nous avons promis d'appuyer l'accord Canada-Europe seulement si le gouvernement s'engageait à compenser intégralement l'industrie fromagère et laitière. Faute d'engagement clair, nous nous y opposerons. Le Bloc québécois respecte ses engagements, et il dénonce le manque de sensibilité du gouvernement face aux producteurs. Nous sommes solidaires des producteurs.