Monsieur le Président, j'interviens au sujet du projet de loi C-85, Loi modifiant la Loi de mise en oeuvre de l’Accord de libre-échange Canada-Israël et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Comme les néo-démocrates l'ont souligné au cours des débats tenus sur ce projet de loi, le manque de protection des droits de la personne dans la loi nous inquiète vivement, notamment en ce qui concerne les droits des Palestiniens se trouvant dans les territoires occupés par Israël. Le NPD a tenté de régler ce problème en comité, mais tous les amendements ont été rejetés.
Cela dit, nous ne sommes pas contre un accord de libre-échange avec Israël. Les néo-démocrates sont favorables aux accords commerciaux internationaux qui respectent les droits de la personne et des travailleurs, l'environnement et toutes les obligations internationales du Canada. En fait, nous avons appuyé le projet de loi à l'étape de la deuxième lecture et avons proposé des amendements qui auraient fait du projet de loi C-85 un accord de libre-échange véritablement progressiste — en plein le genre d'accord que l'actuel gouvernement se vante haut et fort d'appuyer sans jamais en signer en réalité.
D'autres partis se plaisent à dire que le NPD n'appuie pas le libre-échange et qu'il n'a jamais appuyé un accord de libre-échange. Ma réponse à cette affirmation est que le NPD appuie et encourage activement les accords commerciaux justes et responsables qui respectent les droits de la personne, les droits des travailleurs, l'environnement et toutes nos obligations internationales. Le Canada n'a toujours pas signé un tel accord et, si on se fie à ses actions et ses interactions, cela ne l'intéresse pas encore particulièrement.
Je suis très fière des amendements au projet de loi qui ont été proposés en comité. Nous en avons proposés qui portent sur les droits de la personne, les droits fondés sur le genre, les droits des Autochtones et les droits des travailleurs et qui feront en sorte que les relations entre le Canada et Israël soient axées sur le respect des droits de la personne et du droit international. Comme le prouvent les progrès réalisés par l'Union européenne dans la mise à jour de son accord de libre-échange avec Israël, il s'agit d'amendements raisonnables et réalistes.
D'abord et avant tout, les amendements visent à garantir le respect de ce concept fondamental. Ils visent aussi à obliger le gouvernement à effectuer chaque année une analyse comparative entre les sexes et une étude sur la sexospécificité des répercussions qui s'appliquera à tout l'accord, ainsi qu'à garantir l'utilisation de dispositions exécutoires sur la responsabilité sociale des entreprises, conformément aux normes et aux principes énoncés dans le document des Nations unies intitulé « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme ».
Nous avons également présenté des amendements pour que les dispositions de l'accord soient conformes à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et pour que les droits des travailleurs soient protégés au moyen des mécanismes obligatoires prévus dans l'Agenda pour le travail décent de l'Organisation internationale du travail, qui définit les quatre piliers inclus dans les objectifs de développement durable. L'un des mécanismes obligatoires consiste à établir un secrétariat indépendant du travail habilité à superviser un processus de règlement des différends.
Un autre amendement visait à assurer la création d'un cadre pour la négociation transnationale en vue de permettre aux syndicats de représenter des travailleurs au Canada et en Israël.
Nous avons également proposé des amendements portant sur des mesures de protection environnementales. Ils visaient à assurer un niveau élevé de protection de l'environnement par des engagements exhaustifs et juridiquement contraignants, en vue de respecter les obligations du Canada aux termes de l'Accord de Paris conclu le 12 décembre 2015, et à empêcher les exportations d'eau en vrac ou l'étiquetage de l'eau comme une marchandise, ce qui est un enjeu crucial.
Nous avons également présenté des amendements visant l'inclusion d'une évaluation des effets sexospécifiques, d'une analyse de l'impact économique comportant une analyse détaillée sur l'emploi et d'une analyse de l'impact de la loi sur les droits de la personne dans les deux pays, y compris dans les territoires palestiniens occupés.
Comme les députés peuvent le constater, ce sont là des propositions relevant du bon sens pour faire en sorte que tous bénéficient de l'accord, et non seulement les multinationales.
En tant que porte-parole de notre parti en matière de droits de la personne, je m'inquiète beaucoup des répercussions que ces accords commerciaux ont sur les droits de la personne dans les pays concernés. Dans de nombreux cas, malheureusement, le respect des droits de la personne se heurte frontalement aux objectifs économiques.
Le Canada, par exemple, a signé des accords de libre-échange avec un certain nombre de pays au bilan catastrophique en matière de droits de la personne comme le Honduras, le Mexique, un pays où l'appareil gouvernemental a été près de succomber sous le poids de la corruption et du conflit avec les plus gros narcotrafiquants au monde, et la Colombie, où plus de 400 défenseurs des droits de la personne ont été assassinés au cours des trois dernières années.
Quant à cet Accord de libre-échange Canada-Israël, je m'inquiète beaucoup de l'absence de mesures de protection des droits de la personne et de reconnaissance du droit des Palestiniens à vivre sur leurs terres souveraines occupées par Israël.
Les Canadiens attendent de leur gouvernement qu'il signe des accords commerciaux qui respectent les droits de la personne, le droit international et notre politique étrangère. Ce n'est pas le cas de cette mesure législative. Sans ces mesures de protection, le gouvernement canadien ne respecte pas l'engagement que le Canada a pris de favoriser une solution juste et pacifique au conflit israélo-palestinien.
Au moins, l'Union européenne a exigé et obtenu l'insertion d'une disposition sur les droits de la personne dans son accord de libre-échange avec Israël. Depuis 2015, l'Union européenne, qui est membre de l'Organisation mondiale du commerce, exige notamment que les produits provenant des territoires occupés soient étiquetés comme tels. Même si le gouvernement israélien s'est opposé à ces mesures, il ne les a pas contestées devant l'Organisation mondiale du commerce. C'est important parce que les Canadiens craignent que certains produits ne soient pas étiquetés correctement, par exemple qu'il ne soit pas indiqué sur le vin israélien si les raisins ont été cultivés dans les territoires occupés.
En juillet 2017, l'Agence canadienne d'inspection des aliments a jugé que les vins produits en Cisjordanie occupée ne pouvaient pas être étiquetés en tant que produits d’Israël. Après la décision, la Régie des alcools de l'Ontario a ordonné à ses commerçants de retirer ces produits des tablettes. L'Agence a souligné que le Canada ne considère pas que les territoires occupés font partie d’Israël et que si les produits de là-bas portent une étiquette « Produit en Israël », cela induirait les consommateurs en erreur, en plus d'enfreindre la Loi sur les aliments et drogues du Canada.
Après que cela eut provoqué un énorme tollé, les représentants de l'Agence ont dit que leur « évaluation ne tenait pas pleinement compte de l'Accord de libre-échange Canada-Israël », dans lequel le territoire d’Israël s'entend « du territoire auquel s'applique la législation douanière d'Israël ». C'est inacceptable.
Les négociations qui ont mené à cet accord de libre-échange modernisé ont constitué l'occasion parfaite pour nous de régler ce problème. Je m'explique. Cet accord commercial semble ne pas faire la distinction entre l'État d'Israël et les territoires palestiniens occupés. Comme je l'ai indiqué, depuis 2015, l'Union européenne exige que l'étiquette des produits provenant des territoires occupés porte une mention à cet effet. Or, aux termes de l'alinéa 1.4.1b) de l'Accord de libre-échange Canada-Israël, le territoire d'Israël s'entend « du territoire auquel s'applique la législation douanière d'Israël ».
Aux termes du protocole de Paris signé en 1994, Israël et la Palestine font partie d'une union douanière au sein de laquelle Israël perçoit les droits de douane sur les marchandises destinées aux territoires palestiniens. Toutefois, l'existence d'une union douanière ne change en rien le fait que la Cisjordanie, où les colonies de peuplement israéliennes illégales ont proliféré, reste un territoire occupé. Le projet de loi C-85 semble viser les produits fabriqués dans ces colonies de peuplement situées en territoire occupé.
Ni le Canada ni les Nations unies ne reconnaissent que ces colonies font partie d'Israël. Il s'agit de colonies illégales qui enfreignent clairement la quatrième Convention de Genève, laquelle interdit notamment la colonisation de territoires acquis pendant une guerre et le déplacement des peuples indigènes de ces territoires.
En fait, presque tous les pays du monde sont d'avis que les territoires saisis et occupés par Israël depuis 1967, à savoir la Cisjordanie, le plateau du Golan et Gaza, ne font pas partie d'Israël. En effet, ces territoires représentent une fraction des terres octroyées au peuple palestinien lors de la partition par les Nations unies en 1947.
Comme on l'a dit, les Palestiniens sont sous occupation militaire israélienne depuis 1967, soit depuis 51 ans. La politique du gouvernement du Canada ne reconnaît pas la mainmise israélienne permanente sur ces territoires et stipule que les colonies de peuplement, l'occupation et le contrôle israéliens violent la quatrième Convention de Genève et de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.
Comme le Conseil de sécurité de l'ONU l'a encore affirmé aussi récemment qu'en 2016:
[Le Conseil de sécurité] réaffirme que la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement en droit et constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable;
Il poursuit en demandant à tous les États, dont le Canada, « de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ». À mon avis, pour qu'on puisse dire qu'un instrument commercial respecte le droit international, il faut qu'il fasse la distinction entre les territoires occupés et l'État d'Israël, car un accord commercial est un rapport d'échange.
Je suis très inquiète que cet accord ne respecte pas cet engagement international. Il ne respecte pas son propre engagement à se conformer au cadre commercial établi avec d'autres pouvoirs souverains. Il fait en sorte que nous contrevenons au droit international. Des produits fabriqués sur le territoire palestinien occupé doivent être étiquetés en conséquence, autrement, cela revient à accepter l'annexion illégale du territoire.
De façon plus générale, je souhaite parler au nom des millions de Canadiens qui souhaitent voir la paix dans cette région et la création des États sécuritaires et souverains d'Israël et de la Palestine, où les populations vivraient côte à côte en harmonie.
Israël a failli à ses obligations en vertu de la Convention de Genève. Au fil du temps, il a constamment et volontairement multiplié les colonies de peuplement illégales en Palestine.
En fin de compte, la plupart des Canadiens souhaitent des États d'Israël et de Palestine sûrs et souverains, vivant en paix et en amitié, et collaborant entre eux. Nous voulons tous voir s'accroître les relations commerciales, politiques, sociales et culturelles avec Israël. Toutefois, nous voulons voir les avantages de cette relation accordés aussi aux Palestiniens. Les accords commerciaux sont des instruments juridiques qui, au même titre que la diplomatie, jouent, un rôle important pour garantir le respect des normes et des lois internationales en matière de droits de la personne.
Les Israéliens doivent absolument se conformer à ces lois et à ces normes. L'Accord de libre-échange Canada-Israël n'est pas simplement la manifestation technique d'une relation économique contenant un certain nombre de chapitres sur l'échange de biens et de services et quelques promesses rassurantes. C'est aussi un traité politique qui exerce une profonde influence sur les populations. Il est totalement irresponsable de signer un accord de libre-échange qui passe sous silence la question des territoires occupés. Cela ne fait qu'exacerber la situation, et pour quels résultats?
J'ai déjà dit que le NPD appuie les accords commerciaux qui respectent les engagements internationaux, les droits de la personne, les objectifs de développement durable et l'égalité entre les sexes, et qui s'alignent sur notre propre politique étrangère. Or, j'aimerais souligner qu'un an après la signature de l'Accord économique et commercial global, nos exportations ont baissé. Voilà pourquoi il y a lieu de remettre en question un accord commercial qui sape les droits de la personne et la responsabilité sociale. Pourquoi signer avec Israël un accord commercial qui ne respecte pas la position des territoires palestiniens? C'est irresponsable parce que cela exacerbe la crise, et pourquoi? Pour quels avantages?
Nous avons conclu d'autres accords de libre-échange qui ont entraîné une diminution des exportations vers les pays signataires. Nous avons signé 14 ententes commerciales, et les exportations vers ces pays ont diminué. Il y a un problème majeur dans l'approche adoptée pour ces ententes, et nous devons tâcher de le résoudre. Il y a des causes sous-jacentes sur lesquelles nous devons nous pencher, et nous devons prendre des mesures plus musclées pour veiller à ce que nous respections et nos politiques étrangères, et le droit international.
Le Canada cherche à se tailler une place dans le Conseil de sécurité des Nations unies, et la mise à jour de cet accord de libre-échange est l'occasion parfaite pour se montrer à la hauteur. Ce faisant, nous n'avons pas besoin de pousser l'ambition jusqu'à réinventer la roue. L'Union européenne a déjà trouvé une formule que nous pourrions adopter intégralement pour modifier l'accord puisqu'elle est conforme à nos obligations internationales et nos politiques étrangères.
Nous devons nous pencher sur les sérieux problèmes que présentent les accords commerciaux que nous négocions et signons. Si ces accords ne créent pas réellement de débouchés pour les entreprises canadiennes, c'est qu'il y a lieu de les remettre en question. Nous devrions en profiter pour approfondir la question et voir ce qui est fondamentalement mauvais dans les accords. Il s'agit d'une occasion rêvée pour le gouvernement du Canada de corriger le tir.
C'en est assez des lignes directrices facultatives relativement à la responsabilité sociale des entreprises. Il doit y avoir de véritables règles applicables. Nous aurions pu négocier un libellé plus strict, comme l'a fait l'Union européenne avec Israël. Nous pourrions à tout le moins prendre la mesure intelligente qu'a prise l'Union européenne concernant l'identification de l'origine des produits sur les étiquettes afin de préciser le fait qu'un produit provient d'un territoire occupé. Pourquoi avoir peur des mots? Pourquoi ne pas affirmer le droit international et les droits de la personne? Pourquoi ne pas insister là-dessus?
Il est décevant que l'on ne saisisse pas l'occasion que représente cette mise à jour de l'Accord de libre-échange Canada-Israël en ce qui concerne Israël et la Palestine. La politique commerciale du Canada n'est pas cohérente avec sa politique étrangère. Cette dernière reconnaît l'importance du droit international et le fait que les colonies enfreignent ce droit. En incluant les produits provenant des colonies dans les dispositions de l'Accord de libre-échange Canada-Israël, cela légitime de facto les colonies, encourage leur croissance économique et contribue à leur permanence. Pour tout accord de libre-échange, la question que l'on doit toujours se poser est « cui bono? »: à qui bénéficie-t-il?