Après une étude et de mûres délibérations au Sénat, le projet de loi revient à la Chambre des communes aux fins de l'examen des 14 modifications apportées à ce projet de loi.
J'aimerais tout d'abord reconnaître la contribution de tous les députés et sénateurs — en particulier les membres des comités des deux Chambres — à la réduction des délais dans le système de justice pénale.
Je remercie tout particulièrement le président du comité de la justice et le député de Nova-Ouest, qui, tous les deux, m'ont donné des conseils essentiels à des moments appropriés.
Je tiens aussi à remercier tous les témoins qui ont pris le temps de présenter des mémoires et de comparaître lors de l'étude en comité, car ils ont exprimé des points de vue extrêmement utiles sur le fondement de leur expérience dans le système de justice pénale, que ce soit en tant que professionnel, prévenu, victime ou membre de la famille.
Nombre de ces témoins ont fait écho aux préoccupations soulevées dans la décision que la Cour suprême du Canada a rendue, en 2016, dans l'affaire Jordan.
Nous savons tous que les retards dans le système de justice pénale sont nuisibles, surtout pour certains membres de la société parmi les plus vulnérables, soit les victimes d'acte criminel et leurs proches. Les retards ont aussi des conséquences pour les accusés qui appartiennent à des groupes surreprésentés au sein du système de justice pénale. Évidemment, cette inefficacité a aussi un coût pour les contribuables.
Je l'ai appris très tôt, lorsque j'ai eu la chance de travailler comme auxiliaire juridique auprès du juge de la Cour suprême Peter Cory. C'est pendant cette période que la cour a rendu sa décision dans l'affaire Askov, avant l'arrêt Jordan.
Le projet de loi C-75 représente une occasion importante de prendre des mesures concrètes pour réduire ces retards et remplir directement mon mandat. Il est le résultat de vastes consultations menées sur de nombreuses années, et il permettrait de moderniser le système de justice pénale d'une manière qui, selon les provinces et les territoires, responsables de l'administration du système, en améliorerait l'efficacité.
L'ensemble des modifications proposées ont été élaborées de manière à tenir compte de leurs effets sur le taux d'incarcération des Autochtones et des autres groupes vulnérables qui sont surreprésentés au sein du système de justice pénale canadien. Le projet de loi C-75 vise également à rendre les collectivités plus sécuritaires en donnant suite à l'engagement du gouvernement de durcir les lois pénales et les conditions de libération sous caution à l'égard de la violence contre un partenaire intime, afin d'assurer la protection des femmes et des enfants.
Les députés se rappelleront sans doute que, lorsque la Chambre l'a adopté pour la première fois, le projet de loi comprenait des mesures énergiques et porteuses et proposait nombre d'améliorations essentielles au système de justice pénale. Aujourd'hui, je vais donner un aperçu des principales réformes du système de justice pénale qui sont prévues dans le projet de loi C-75, ainsi que des détails sur les amendements proposés à l'autre endroit.
Premièrement, je vais parler de la modernisation et de la simplification des dispositions relatives à la mise en liberté sous caution.
Tous les intervenants sont favorables aux propositions du projet de loi visant à moderniser et à simplifier les dispositions relatives à la mise en liberté provisoire. Tous s'entendent pour dire que ces réformes sont nécessaires dans l'immédiat. Cette modernisation indispensable des dispositions relatives à la mise en liberté provisoire sera la plus exhaustive depuis plus de 45 ans. Elle permettra de renforcer les principes clés de la mise en liberté provisoire, dont la Cour suprême du Canada a fait état à maintes reprises, notamment tout récemment dans le jugement concernant l'affaire R. c. Antic, rendu en 2017.
De plus, ces propositions sont nécessaires pour réduire la surreprésentation des Autochtones et des personnes vulnérables dans le système de justice pénale. J'attends donc avec impatience l'adjonction au Code criminel de l'exigence proposée qu'une attention particulière soit apportée à la situation des prévenus autochtones dans les décisions concernant la mise en liberté provisoire.
L'autre Chambre a proposé une légère modification au projet de loi en matière de mise en liberté provisoire pour donner suite à la décision de la Cour suprême rendue en mars 2019 dans l'affaire R. c. Myers. La Cour a précisé que l'examen de la détention, prévu à l'article 525 du Code criminel, doit avoir lieu de plein droit, que le délai ait été anormal ou non. Cette décision a fait ressortir certaines préoccupations au Québec quant au tribunal compétent pour entendre ces affaires, compte tenu de la façon unique dont le terme « juge » est défini pour le Québec aux fins de ces enquêtes sur la mise en liberté provisoire.
La modification no 2 maintiendra la définition actuelle de ce terme pour le Québec, mais ajoutera qu'un juge seul de la Cour du Québec peut procéder à un examen de la détention, sauf lorsqu'il s'agit d'une décision relative à la détention rendue par la Cour supérieure du Québec.
J'exhorte tous les députés à appuyer la modification no 2 de l'autre Chambre, puisque celle-ci offrira davantage de latitude au Québec pour garantir une utilisation plus efficace des ressources judiciaires.
Les modifications apportées par le projet de loi contribuent également à accroître la sécurité des femmes et des filles, y compris les femmes et les filles autochtones. Plus précisément, elles obligeront les juges à tenir compte des accusations d'infraction de violence contre un partenaire intime au moment de décider si l'accusé doit être libéré ou détenu.
Les modifications exigeront également que les tribunaux tiennent compte du casier judiciaire de l'accusé, notamment les condamnations antérieures et le contexte de l'infraction. Dans les cas où un accusé qui a déjà été reconnu coupable de violence contre un partenaire intime fait face à de nouvelles accusations de cette nature, une inversion du fardeau de la preuve lui serait imposée au moment de l'audience de mise en liberté sous caution, ce qui signifie que le fardeau de la preuve serait transféré à l'accusé, qui devrait expliquer les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être détenu en attendant son procès.
Le projet de loi C-75 propose d'autres modifications visant à garantir que les condamnations pour violence contre un partenaire intime sont prises au sérieux à l'étape de la détermination de la peine.
S'il est adopté par la Chambre, le projet de loi C-75 modernisera la circonstance aggravante actuelle dans le Code criminel pour qu'elle soit conforme à notre compréhension actuelle de la violence contre un partenaire intime et il précisera qu'elle s'applique aux partenaires intimes actuels et anciens, ainsi qu'à la conception plus moderne de partenaires intimes, notamment les partenaires amoureux. Il permettra également de demander une peine maximale plus élevée dans les cas de récidive.
S'appuyant sur les témoignages des commissaires de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les amendements 6 et 7 proposés par l'autre endroit renforceraient ces amendements pour que la violence faite aux femmes et aux filles autochtones soit traitée plus sérieusement au moment de la détermination de la peine. L'amendement 6 de l'autre endroit établirait un nouvel objectif de détermination de la peine dans le Code criminel qui exigerait des tribunaux qu'ils accordent une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion dans le cas d'une infraction avec violence commise à l'égard d'un partenaire intime, surtout lorsque la victime est vulnérable en raison de son sexe ou s'il s'agit d'une personne autochtone.
L'amendement 7 de l'autre endroit étendrait la circonstance aggravante prévue dans le projet de loi C-75 pour inclure la violence commise à l'égard d'un partenaire intime qui est membre de la famille du contrevenant ou de la victime, et établirait un nouveau principe de détermination de la peine qui exigerait des tribunaux qui imposent une peine pour violence commise à l'égard d'un partenaire intime qu'ils prennent en compte la vulnérabilité accrue des victimes de sexe féminin et qu'ils portent une attention spéciale aux circonstances des victimes autochtones de sexe féminin.
J'appuie ces amendements, avec un changement mineur à l'amendement 6 de l'autre endroit pour éliminer le concept de la violence commise à l'égard d'un partenaire intime et remplacer la référence au sexe de la personne par une référence aux circonstances personnelles et une mention spécifique visant les femmes autochtones. Cela permettrait que les juges prennent en compte la vulnérabilité accrue des femmes autochtones comme victimes, pour toutes les infractions.
Ces amendements tombent en outre à point nommé, car ils donneraient suite aux recommandations nos 5.17 et 5.18 du rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui vient d'être rendu public, et à certaines des observations formulées récemment par la Cour suprême dans l'arrêt Barton. La Cour suprême y indique en effet que les femmes autochtones sont victimes d'injustices dans tous les aspects du système de justice pénale et que les taux de violence à leur endroit sont extrêmement élevés.
Je sais que certaines personnes se demanderont sans doute pourquoi nous appuyons ces deux amendements, puisque la Chambre a rejeté le projet de loi S-215 à l'étape de la deuxième lecture. C'est que les facteurs aggravants qui y étaient proposés s'appliquaient seulement à quelques infractions. L'amendement à l'étude se distingue du projet de loi S-215 en ce qu'il s'applique à un plus vaste groupe de victimes. Il exigerait des tribunaux qu'ils tiennent compte de la vulnérabilité des victimes de sexe féminin et qu'ils portent une attention particulière à la situation des femmes autochtones. Le projet de loi S-215, au contraire, parlait seulement du fait que la victime était une femme indienne, inuite ou métisse.
Le deuxième élément est l'amélioration de l'approche actuelle à l'écart des infractions contre l'administration de la justice, y compris pour les infractions commises par des adolescents. La procédure proposée de comparution pour manquement prévue dans le projet de loi C-75 constitue une autre réforme positive qui vise à déjudiciariser les affaires sans violence moins graves pour que celles-ci soient tranchées suivant une procédure plus efficace. Cette approche permettrait aussi de réduire la surreprésentation des Autochtones et des groupes marginalisés dans le système de justice pénale, qui sont surreprésentés chez les prévenus accusés d'infraction contre l'administration de la justice.
Ce domaine de réforme avait été recommandé dans le rapport final de juin 2017 du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles intitulé « Justice différée, justice refusée : L'urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada », compte tenu du nombre élevé de cas relatifs à des infractions contre l'administration de la justice dans le système, et de la pression que cela impose. Il est plus difficile pour les prévenus de rompre le cycle de criminalité à cause de ces infractions.
Le projet de loi offre aux policiers et aux procureurs un nouvel outil qui leur permet de demander à un juge d'examiner toute condition de mise en liberté à laquelle le prévenu est assujetti. Cela permet d'évaluer le caractère raisonnable des conditions et favorise un changement de culture qui encourage les professionnels du système pénal à jouer un rôle actif pour renverser la tendance à la hausse du nombre d'accusations relatives à des infractions contre l'administration de la justice, malgré la diminution d'autres types d'infractions.
Le troisième point porte sur les enquêtes préliminaires dans les affaires les plus graves. Dans sa version initiale, le projet de loi C-75 proposait de restreindre les enquêtes préliminaires aux actes criminels passibles d'une peine d'emprisonnement à perpétuité — il y en a environ 70 dans le Code criminel. Le Sénat estimait lui aussi que ces infractions devaient donner automatiquement lieu à une enquête préliminaire.
Cela dit, il souhaitait en outre qu'il puisse y en avoir une pour tous les autres actes criminels passibles d'une peine maximale autre que l'emprisonnement à perpétuité, ce qui ajouterait 393 infractions. Dans son amendement, le Sénat proposait qu'une enquête préliminaire soit possible dans deux situations: premièrement si une des deux parties en fait la demande et, deuxièmement, si le juge est convaincu que certains critères sont remplis, c'est-à-dire si le nécessaire a été fait pour atténuer les répercussions de l'une ou l'autre des deux approches sur les victimes et, dans les cas où une enquête est demandée par l'une des parties, si la tenue d'une telle enquête est dans l'intérêt de l'administration de la justice.
L'amendement visait à remédier à des préoccupations déplorant que les enquêtes préliminaires ne soient pas disponibles pour plus d'infractions et pour les infractions graves. Toutefois, le fait de les rendre possibles pour un plus grand nombre d'infractions, combiné aux nouveaux critères complexes, mènerait, selon nous, à d'autres retards et à des litiges inutiles, notamment pour interpréter l'application adéquate des critères.
Conscient, toutefois, que l'amendement de l'autre endroit était motivé par des préoccupations de longue date de la communauté juridique et d'autres, j'ai proposé de ne pas accepter les amendements 3 et 4 de l'autre endroit tels que rédigés, mais plutôt de réviser l'approche originale du projet de loi pour rendre les enquêtes préliminaires également disponibles pour les infractions assorties d'une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement, comme l'agression sexuelle armée.
Bien que cela étende la disponibilité des enquêtes préliminaires à 86 autres infractions, la proposition est conforme au consensus auquel étaient parvenus les ministres de la Justice à la réunion fédérale-provinciale territoriale de 2017, qui consistait à restreindre les enquêtes préliminaires aux infractions assorties des peines d'emprisonnement les plus graves. Un seuil de 14 ans procurera toujours une certitude et évitera les retards inhérents à l'amendement de l'autre endroit.
J'espère que vous vous joindrez tous à moi pour appuyer cet amendement, car il établit un juste équilibre important dans un débat controversé de longue date concernant les enquêtes préliminaires.