Monsieur le Président, je souhaite tout d'abord souligner que nous nous trouvons sur les terres ancestrales du peuple algonquin.
J'interviens pour parler du projet de loi C-92, qui, s'il est adopté, représenterait une étape importante dans le processus de réconciliation et de renouvellement des liens entre le Canada et les peuples autochtones.
Le projet de loi C-92 établit le cadre législatif et les principes nécessaires pour orienter les travaux que doivent mener en collaboration les Premières Nations, les Inuits, les Métis, les partenaires provinciaux et territoriaux, ainsi que le gouvernement fédéral pour procéder à une réforme véritable des services à l'enfance et à la famille.
Le projet de loi à l'étude aujourd'hui est le fruit de consultations vastes et intensives menées auprès de partenaires autochtones, de représentants provinciaux et territoriaux, de jeunes — en particulier ceux qui ont été pris en charge par le système d'aide à l'enfance et à la famille —, ainsi que d'experts et de défenseurs d'intérêts particuliers.
En janvier 2018, notre gouvernement a organisé une réunion nationale d'urgence sur les services à l'enfance et aux familles autochtones afin de chercher ensemble des solutions pour que les familles puissent rester ensemble. Le compte rendu de la réunion d'urgence donne un survol du grand thème qui est ressorti comme suit: « Il est clair que le moment est venu de faire le transfert de compétences du gouvernement fédéral aux Premières Nations, aux Inuit et à la Nation métisse par voie législative [...] »
Le compte rendu continue ainsi:
Il est nécessaire d'apporter des réformes législatives qui auront pour effet de respecter et de promouvoir les droits des peuples autochtones de diriger les systèmes, et d'élaborer des normes et des pratiques tenant compte des lois et des pratiques culturelles autochtones, consacrant le droit des Premières Nations, des Inuits et de la Nation métisse de s'occuper de leurs enfants ainsi que le droit des enfants et des jeunes autochtones d'être élevés dans leur langue et leur culture.
Il faut apporter des réformes législatives qui respecteront et appuieront le droit des peuples autochtones de diriger le système, d'élaborer des normes et des pratiques tenant compte des lois et des pratiques culturelles autochtones.
À la conclusion de la réunion d'urgence, le gouvernement du Canada s'est engagé à prendre six mesures pour s'attaquer au problème de surreprésentation des enfants et des jeunes autochtones qui sont pris en charge au Canada.
Premièrement, il s'est engagé à poursuivre le travail entamé pour mettre pleinement en œuvre les ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne, y compris le principe de Jordan, et réformer les services aux enfants des familles des Premières Nations, notamment en adoptant un modèle de financement souple.
Deuxièmement, il doit collaborer avec nos partenaires afin d'axer les programmes sur la prévention adaptée sur le plan culturel, sur l'intervention précoce et sur la réunification des familles.
Troisièmement, il doit aussi collaborer avec nos partenaires pour aider les communautés à réduire les attributions dans le domaine des services aux enfants et aux familles, et notamment examiner la possibilité d'élaborer conjointement une loi fédérale.
Quatrièmement, il s'est engagé à accélérer le travail des tables techniques et tripartites mises en place partout au pays afin d'appuyer la réforme et à participer aux travaux de ces tables.
Cinquièmement, il doit aider les dirigeants inuits et métis à promouvoir une importante réforme des services aux enfants et aux familles adaptée sur le plan culturel.
Sixièmement, il s'est engagé à élaborer, avec les provinces, les territoires et les partenaires autochtones, une stratégie relative aux données pour accroître la collecte, le partage et la communication des données intergouvernementales, de façon à mieux comprendre les taux et les motifs d'appréhension.
D'autres demandes semblables de mesures législatives découlent de l'appel à l'action no 4 de la Commission de vérité et réconciliation ou émanent du Comité consultatif national sur les services à l'enfance et à la famille des Premières Nations et se reflètent dans les résolutions de l'Assemblée des Premières Nations de mai et de décembre 2018, pour ne parler que de quelques-unes.
Tout au long de l'été et de l'automne de cette année-là, le présent gouvernement a consulté activement des organismes communautaires, régionaux et nationaux et des particuliers — près de 2 000 dans le cadre de 65 rencontres — dans le but d'élaborer conjointement une approche législative, laquelle nous a menés là où nous en sommes aujourd'hui.
Dans la foulée de cette consultation intensive, le 30 novembre 2018, l'ancienne ministre des Services aux Autochtones a annoncé, en présence des chefs autochtones nationaux, que le gouvernement du Canada allait présenter un projet de loi élaboré conjointement sur les services à l’enfance et à la famille.
Je vais citer des paroles encourageantes du sénateur Murray Sinclair, ancien président de la Commission de vérité et réconciliation, qui a qualifié ces consultations de modèle de mise en oeuvre véritable et directe des appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation.
La consultation se poursuivra une fois la mesure législative en place et par la suite dans le cadre de l'étude d'une structure nationale de gouvernance pour la transition, qui tiendra compte des distinctions et dans laquelle seront représentés les partenaires autochtones, les provinces et les territoires.
Le groupe pourrait, par exemple, déterminer des outils et des processus pour améliorer la capacité des communautés à assumer la responsabilité des services à l'enfance et à la famille. Un tel comité pourrait aussi évaluer les manques et recommander, au besoin, des mécanismes pour la mise en oeuvre, dans un esprit de partenariat et de collaboration. De plus, le projet de loi C-92 prévoit la tenue d'un examen législatif tous les cinq ans en collaboration avec les partenaires métis, inuits et autochtones.
Le projet de loi cadre parfaitement avec la promesse du gouvernement de mettre en oeuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation et les engagements prévus par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
Le projet de loi a deux objectifs. Premièrement, il affirme le droit inhérent des peuples autochtones à l'autodétermination en ce qui concerne les services à l'enfance et à la famille. Le projet de loi s'appuie sur ce fondement et offre aux groupes autochtones du Canada la souplesse nécessaire pour déterminer la voie à suivre pour répondre le mieux possible aux besoins des enfants, des familles et de leurs communautés. Le deuxième objectif est d'établir les principes qui guideront la prestation des services aux enfants et aux familles autochtones dans presque toutes les régions et tous les provinces et territoires du pays.
Ces principes ont une portée nationale. Ils établissent une norme de base pour que la prestation de tous les services aux enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis tienne compte des besoins de chaque enfant, y compris celui de grandir en entretenant des liens solides avec sa famille, sa culture, sa langue et sa communauté.
Les principes sont les suivants: l'intérêt de l'enfant, la continuité culturelle et l'égalité réelle. Cette approche est conforme à l'appel à l'action no 4 de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande l'établissement de normes nationales. Elle s'appuie aussi sur les témoignages que les partenaires et les membres des communautés ont livrés au cours du vaste processus de consultation qui a eu lieu partout au Canada. Je précise qu'il s'agit ici de normes minimales. Les communautés peuvent les enrichir et les adapter pour tenir compte de leur culture et de leurs traditions uniques.
Les participants s'entendaient aussi pour dire que le projet de loi devrait souligner l'importance de préserver l'unité des familles autochtones en mettant en place des services de prévention et d'intervention précoce, des mesures qui favorisent la préservation et la réunification des familles.
Le projet de loi proposerait un ordre de préférence pour le placement de l'enfant: premièrement, la famille; deuxièmement, la famille élargie, d'autres membres de la communauté ou d'autres familles autochtones; troisièmement, un adulte non autochtone. L'ordre de priorité vise à ce que les enfants gardent contact avec leur culture et leur communauté et qu'ils conservent un attachement et des liens affectifs envers leur famille.
Le projet de loi établirait l'importance pour le système d'être axé sur la prévention plutôt que sur la prise en charge. Il accorderait la priorité aux services à l'enfance et à la famille qui favorisent les soins préventifs, y compris les services prénataux, plutôt qu'à ceux qui favorisent la prise en charge de l'enfant à la naissance.
Cet accent mis sur les soins préventifs contribuerait à promouvoir les liens affectifs entre les mères et les nouveau-nés, l'unification des familles ainsi que l'attachement, réduisant la prise en charge de nouveau-nés. Ces principes, axés sur l'enfant et la famille, ont été mentionnés à répétition tout au long des consultations, tout comme l'importance cruciale des programmes de prévention.
Il est évident que les services offerts aux enfants et aux familles autochtones doivent respecter leurs besoins et être adaptés à leurs expériences culturelles uniques. Les participants ont beaucoup insisté sur l'importance de la culture et du maintien de la santé et du bien-être des enfants et des familles, notamment grâce à des réseaux de soutien communautaire et à la mobilisation des aînés.
Il ressort également nettement du processus de consultation que les lois fédérales doivent respecter le droit inhérent des Premières Nations, des Métis et des Inuits à l'autodétermination.
Le projet de loi fait un premier pas en affirmant le droit inhérent des Autochtones de superviser les services à l'enfance et à la famille et il prévoit un mécanisme flexible pour que les groupes autochtones puissent créer leurs propres lois afin de mieux répondre aux besoins de leurs enfants et de leurs communautés. En effet, si un groupe autochtone choisit d'établir ses propres lois au moyen de ce mécanisme, le projet de loi indique clairement que, en cas de conflit entre la loi autochtone et une loi provinciale ou fédérale, la loi autochtone prévaudrait. Pour plus de clarté, le projet de loi n'aurait pas préséance sur les traités en vigueur, ni sur les accords d'autonomie gouvernementale, ni sur toute autre entente régissant déjà les services à l'enfance et à la famille pour les Autochtones, quoique les communautés pourraient choisir de l'adopter dans ces situations.
Les partenaires ont souligné que, dans ce cas-ci, l'approche universelle est tout à fait inappropriée. Toute mesure législative fédérale sur les services à l'enfance et à la famille doit reconnaître que les besoins, les souhaits et les priorités des communautés autochtones à cet égard varient d'une communauté à l'autre et d'une province à l'autre et qu'ils peuvent évoluer et changer au fil du temps. Par conséquent, la vaste majorité des intervenants a estimé que les mécanismes fédéraux, provinciaux et territoriaux d'appui aux services à l'enfance et à la famille destinés aux Autochtones devraient avoir la flexibilité nécessaire pour s'adapter à toutes sortes de circonstances et de variables.
En outre, le projet de loi indique surtout qu'un enfant autochtone ne serait pas pris en charge seulement en raison de sa condition socioéconomique. Il s'agit d'un point que les partenaires ont soulevé très clairement lors du processus de consultation. En effet, le principe de l'égalité réelle — le troisième principe directeur — est essentiel pour garantir que l'ensemble des fournisseurs de services demeurent concentrés sur l'obtention de résultats équitables et de chances égales pour les enfants autochtones et leur famille.
L'égalité réelle sous-tend d'autres initiatives importantes, comme le principe de Jordan, qui assure aux enfants des Premières Nations au Canada un accès aux services, aux produits et aux mesures de soutien dont ils ont besoin lorsqu'ils en ont besoin. Depuis 2016, le gouvernement s'est engagé à consacrer 680 millions de dollars pour donner suite aux demandes relatives au principe de Jordan, ce qui a permis de fournir aux jeunes des Premières Nations une vaste gamme de services pour répondre à leurs besoins sanitaires, sociaux et éducatifs.
Les effets positifs sont indéniables. Depuis le 31 janvier dernier, plus de 214 000 demandes de services et de soutien ont été approuvées pour les enfants des Premières Nations en vertu du principe de Jordan. Le gouvernement est déterminé à poursuivre ce travail important. La semaine dernière, de concert avec plusieurs autres députés, j'ai eu le plaisir d'accompagner le ministre à Winnipeg, où il a annoncé un investissement de 1,2 milliard de dollars pour appuyer le principe de Jordan.
Nous sommes tous conscients du traitement épouvantable des peuples autochtones, comme l'illustrent l'horreur des pensionnats et la rafle des années 1960.
Pourtant, le retrait des enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis, de leurs familles, de leurs communautés, de leur langue et de leur culture se poursuit à un rythme alarmant et injustifiable. Plus de la moitié des enfants en famille d'accueil au Canada sont des enfants autochtones. Certes, de nombreux facteurs entrent en jeu, mais il n'y a aucun doute que le système actuel laisse tomber les enfants autochtones, les familles autochtones et les communautés autochtones.
Nous sommes tous au courant de la manière déplorable dont les peuples autochtones ont été traités, les pensionnats indiens et la rafle des années 1960 en étant deux exemples horribles. Depuis trois ans, des sommes importantes ont été mobilisées afin de remédier à la situation. Depuis qu'il a été porté au pouvoir, le gouvernement a quasiment doublé le financement destiné chaque année aux services d'aide à la famille et à l'enfance dans les Premières Nations, qui s'élève désormais à plus de 1,1 milliard de dollars par année.
Dans le budget de 2016, nous avons affecté 635 millions de dollars sur cinq ans aux efforts visant à éliminer les écarts touchant le financement des services d'aide à la famille et à l'enfance dans les Premières Nations. Ces fonds ont permis de soutenir les organismes qui fournissent ces services, y compris ceux de petite taille, qui ont reçu plus d'argent. Ils se sont aussi traduits par la mise en oeuvre de modèles de financement axés sur la prévention partout au pays et l'entrée en scène d'un nombre accru de fournisseurs de services de première ligne.
Ces fonds donnent déjà des résultats. Nous avons par exemple annoncé, en août dernier, que la nation Huu-ay-aht, en Colombie-Britannique, recevrait 4,2 millions de dollars — soit près de 850 000 $ par année pendant 5 ans — pour financer de nouvelles initiatives liées aux services d'aide à la famille et à l'enfance. Environ 20 % des enfants de la nation Huu-ay-aht étaient pris en charge par l'État d'une manière ou d'une autre, ce qui a poussé ses dirigeants à déclarer une urgence de santé publique et à entreprendre une vaste étude dans le but de trouver des solutions. Grâce au financement du gouvernement fédéral et de différents partenaires, la nation Huu-ay-aht peut aujourd'hui donner suite aux 30 recommandations faites par les auteurs de l'étude, intitulée « Safe, Healthy and Connected, Bringing Huu-ay-aht Children Home ».
On a pu élargir la portée des programmes existants d'aide aux femmes enceintes et d'éducation parentale, embaucher des travailleurs offrant des services de protection et de soutien familial et élaborer de nouvelles initiatives de sensibilisation culturelle et de mobilisation des jeunes. En février 2018, nous avons aussi modifié les politiques afin de couvrir complètement les coûts assumés par les organismes autochtones offrant des services d'aide à la famille et à l'enfance pour qu'ils puissent se concentrer davantage sur la prévention et le soutien aux familles et, ultimement, réduire le nombre d'enfants pris en charge par l'État.
Dans le budget de 2018, le gouvernement a prévu un financement supplémentaire de 1,4 milliard de dollars sur six ans afin de soulager le fardeau financier des organismes de services à l'enfance et à la famille des Premières Nations. Le financement servira notamment à accroître les ressources de prévention pour faire en sorte que les enfants soient en sûreté et que les familles restent ensemble. Dans le cadre des efforts permanents de refonte du programme, on a prévu pour cette année un financement total de 105 millions de dollars au titre de l'Initiative sur le bien-être et la compétence des collectivités. Ce nouveau volet de financement s'attache à encourager les collectivités des Premières Nations à mener des activités de prévention afin d'aider les familles à risque à rester ensemble dans la mesure du possible. Il vise également à permettre aux collectivités d'exercer les compétences qui sont les leurs en matière de services à l'enfance et à la famille.
Le financement et l'innovation ont des limites dès lors que l'on a affaire à un système défaillant qui a négligé des générations d'enfants autochtones. Il faut donc le réformer. Le réseau actuel des services à l'enfance et à la famille des Premières Nations a abouti à ce que l'on a qualifié à juste titre de crise humanitaire. Le projet de loi dont nous sommes saisis constitue une avancée cruciale dans le règlement de cette crise et j'exhorte tous les députés à se joindre à moi pour l'appuyer.