propose que le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, c'est un honneur de prendre la parole pour débattre du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones.
D'emblée, je tiens à souligner que la Chambre est située sur les terres ancestrales du peuple algonquin anishinabe.
Je veux aussi souligner le rôle majeur des peuples autochtones dans l'histoire du Canada et l'importance de la relation que le gouvernement entretient avec les Autochtones. Ce passé et cette relation déterminants sont à l'origine du projet de loi concernant les langues autochtones, une mesure historique dont l'influence se fera sentir pendant des générations.
Cette loi sur les langues autochtones est historique. Elle aura des répercussions profondes sur les générations à venir. Je suis honoré d'avoir un petit rôle à jouer dans l'avancement de cette mesure législative.
Avant d'aller plus loin, je tiens à rappeler à la Chambre pourquoi cette mesure législative est si importante.
Avant l'arrivée des Européens, les peuples autochtones parlaient environ 90 langues. Leurs langues et leurs cultures, très vivantes, définissaient leur identité, leurs coutumes et leur spiritualité. Tout a changé lorsque les colons européens ont commencé à s'installer au pays. Un processus se résumant à l'isolement forcé et à l'assimilation s'est alors enclenché.
Il ne faut pas sous-estimer les ravages de cette assimilation. Il s'agissait de nier sciemment l'identité d'un peuple, c'est-à-dire ses langues et ses cultures, pour lui en faire adopter une autre. Les pensionnats autochtones ont joué un rôle déterminant à cet égard.
Le 11 juin 2008, le gouvernement du Canada a reconnu ces erreurs dans sa présentation d'excuses officielles. Voici un extrait de la déclaration:
Le système des pensionnats indiens visait deux objectifs principaux: isoler les enfants et les soustraire à l'influence de leurs foyers, de leurs familles, de leurs traditions et de leur culture, et les intégrer par l'assimilation dans la culture dominante [...] D'ailleurs, certains cherchaient, selon une expression devenue tristement célèbre, « à tuer l'Indien au sein de l'enfant ».
Aujourd'hui, nous reconnaissons que cette politique d'assimilation était erronée, qu'elle a fait beaucoup de mal et qu'elle n'a aucune place dans notre pays.
Dans l'espace de 130 ans, plus de 150 000 enfants autochtones ont été envoyés dans des pensionnats indiens. Leurs parents, qui étaient souvent menacés d'emprisonnement, étaient forcés d'y consentir. Dans ces écoles, les enfants autochtones étaient agressés, négligés et isolés de leur culture. Ils étaient battus ou humiliés lorsqu'ils se parlaient dans leur propre langue. Beaucoup d'enfants sont devenus tellement effrayés qu'ils ont complètement arrêté de parler. Lorsqu'ils ont perdu leur langue, ils ont perdu une part d'eux-mêmes. Il s'agit d'un triste héritage et d'un sombre chapitre de l'histoire du Canada.
D'autres facteurs ont eu des répercussions négatives sur les langues et les cultures autochtones, notamment la création de réserves et la relocalisation des Autochtones loin de leurs terres ancestrales, qui les a coupés de leurs modes de vie; le déplacement de communautés autochtones dans des communautés non autochtones, comme de grandes villes où le nombre de services de soutien en place était limité; la séparation des enfants de leur famille et de leur communauté en vue de les placer dans des familles d'accueil non autochtones; et le nombre démesurément élevé d'Autochtones dans les prisons, où les jeunes et les adultes ont accès à un soutien linguistique limité. Cette période de notre histoire a entraîné une perte sur les plans de la culture, de l'identité et de la langue.
Selon l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, l'UNESCO, aucune des quelque 90 langues autochtones au Canada n'est jugée dans un état sûr. En fait, l'UNESCO estime que les trois quarts des langues autochtones actuellement parlées au Canada sont en danger.
L'état des langues autochtones au Canada a fait l'objet de beaucoup de recherches et de nombreux rapports. En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones a rapporté que le nombre de locuteurs des langues autochtones représente un petit pourcentage de la population autochtone, que ces personnes vieillissent et que même les langues autochtones les plus vivantes risquent de disparaître, puisque de moins en moins de jeunes les parlent couramment.
En 2004, le gouvernement de l'époque a mis sur pied le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones. Ce groupe de travail comptait des représentants de l'Assemblée des Premières Nations, d'Inuit Tapiriit Kanatami et du Ralliement national des Métis.
En 2005, le groupe de travail a produit un rapport exhaustif. Il comprenait 25 recommandations, qui furent transmises au gouvernement du Canada. Ces recommandations devaient aider à préserver, à promouvoir et à revitaliser les langues et les cultures des Premières Nations, des Inuit et des Métis. Malheureusement, la réponse à ce rapport a été limitée, et la vitalité des langues autochtones a continué de s'éroder.
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation a mis le Canada au défi d'intervenir sur ces enjeux. Trois de ses appels à l'action concernent particulièrement la langue. Dans l'appel à l'action no 13, par exemple, on demande au gouvernement de reconnaître que les droits des Autochtones comprennent les droits linguistiques autochtones. Dans l'appel à l'action no 14, on demande au gouvernement fédéral d'adopter une loi sur les langues autochtones fondée notamment sur les principes suivants: les langues autochtones représentent une composante fondamentale et valorisée de la culture et de la société canadiennes, et le gouvernement fédéral a la responsabilité de fournir des fonds suffisants pour la revitalisation et la préservation des langues autochtones, tâches que les peuples et les communautés autochtones sont les mieux à même de gérer. L'appel à l'action no 15 demande au gouvernement fédéral de nommer, à la suite de consultations avec les groupes autochtones, un commissaire aux langues autochtones qui sera notamment chargé de contribuer à la promotion des langues autochtones et de présenter des comptes rendus sur l'efficacité du financement fédéral destiné aux initiatives liées aux langues autochtones.
De toute évidence, il est urgent d'agir. Nous devons agir dès maintenant, car, comme nous le savons tous, la langue est ce que nous sommes, c'est notre identité. Le premier ministre a déclaré récemment que c'est sur la langue que repose essentiellement l'image que l'on a de soi. C'est par elle que nous transmettons notre patrimoine et notre culture. C'est par elle que nous racontons nos histoires et que nous nous relions au monde.
En tant que personne qui a la chance de parler trois langues, tout en essayant fort d'en apprendre une quatrième, je sais à quel point nos langues sont liées à notre propre identité. Je ne peux pas imaginer ce que cela représenterait d'être empêché de parler ma langue maternelle, la seule que j'aie parlée pendant plusieurs années: l'espagnol.
C'est pourtant ce qui est arrivé à des milliers d'enfants autochtones. Ils ont été empêchés de parler leur langue. Ils ne pouvaient plus utiliser leur langue. On ne peut pas changer le passé, mais on peut, et on doit, ensemble, changer l'avenir.
Comme me l'a dit il y a quelques jours le chef national Perry Bellegarde: « Une limite a désormais été fixée: plus aucune langue autochtone ne doit disparaître. »
Le rétablissement et le renforcement des langues autochtones sont un élément fondamental de la réconciliation, qui est elle-même le moteur d'à peu près tout ce que nous accomplissons. C'est précisément pour cette raison que, par exemple, la lettre de mandat de tous les ministres comporte un objectif de renouvellement de la relation avec les peuples autochtones, relation fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat.
Alors que je lis ces lignes, notre gouvernement travaille en partenariat avec les peuples autochtones pour améliorer l'accès à l'eau potable, lutter contre la pauvreté dans les communautés autochtones et réunir les familles séparées par des politiques discriminatoires.
C'est aussi pourquoi, dans le budget de 2017, nous avons engagé des fonds de 90 millions de dollars sur trois ans pour contribuer à préserver, à promouvoir et à revitaliser les langues autochtones.
Plus récemment, les députés ont accepté que l'on offre des services d'interprétation pour que les langues autochtones puissent se faire entendre à la Chambre. C'est énorme.
Ce sont des mesures positives, certes, mais il reste encore du pain sur la planche. Je vais continuer à collaborer avec mes collègues pour améliorer la vie des Autochtones. La revitalisation des langues autochtones nécessite un cadre à long terme, et je suis fier de dire que c'est exactement ce que prévoit ce projet de loi. Il prévoit précisément ce genre de cadre.
Ce projet de loi est historique. Il est absolument essentiel, non seulement pour les peuples autochtones, mais aussi pour tous les Canadiens. Ce projet de loi trace une ligne claire dans le sable. Il est le fruit de deux années de travail intensif avec les peuples autochtones de partout au pays, de chaque région. On se rappellera que ce travail a commencé par un engagement du premier ministre, en décembre 2016, selon lequel le Canada promulguerait une loi pour préserver, promouvoir et revitaliser les langues des Premières Nations, des Inuits et des Métis. En vertu de cet engagement, la loi serait élaborée en collaboration avec les peuples autochtones.
À cette fin, en juin 2017, mon honorable prédécesseure et les leaders de l'Assemblée des Premières Nations, d'Inuit Tapiriit Kanatami et du Ralliement national des Métis ont déclaré leur intention très ferme et très claire de collaborer à l'élaboration de cette loi. À la suite de cette déclaration, le gouvernement s'est mobilisé, et nous avons commencé à travailler ensemble.
En un peu plus de huit mois, le ministère du Patrimoine canadien a organisé partout au pays plus de 20 tables rondes rassemblant un large éventail d'experts, de locuteurs et de chercheurs en langues autochtones. Les commentaires recueillis lors de ces rencontres et de celles qu'ont organisées nos partenaires sont à l'origine des 12 principes fondamentaux qui sous-tendent la mesure législative.
Les fonctionnaires de mon ministère ont aussi organisé une trentaine de séances de discussion intensives, partout au Canada, avec des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le portail en ligne a recueilli quelque 200 questionnaires et documents soumis par voie électronique. Sur demande, on a organisé des rencontres avec des groupes autonomes visés par les traités modernes et on leur a fait des présentations.
D'autres organismes ont fourni de la rétroaction, notamment l'Association des femmes autochtones du Canada, l'Association nationale des centres d'amitié, la Confédération des centres éducatifs et culturels des Premières Nations, et j'en passe.
Mes collègues à la Chambre ont aussi travaillé d'arrache-pied, discutant avec les Canadiens et les Autochtones de la nécessité de cette mesure législative très importante. Comme les députés peuvent le constater, la démarche qui a mené au projet de loi a été rigoureuse.
Comme je l'ai mentionné, le projet de loi est fondé sur 12 principes qui ont été établis et approuvés par les quatre partenaires. Le projet de loi reflète ces principes. En fait, ce projet de loi incarne ces principes.
Il est un cadre concret, qui contribue à l'atteinte des objectifs de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en ce qui touche les langues autochtones. De plus, je tiens à rappeler à la Chambre que notre gouvernement s'est engagé à mettre en oeuvre les 94 appels à l'action de la Commission de vérité et de réconciliation. Ce projet de loi répond directement à trois de ces appels, qui sont en lien direct avec les langues autochtones. Ces appels à l'action sont soutenus par les peuples autochtones eux-mêmes, et notre gouvernement s'est engagé de façon claire et sincère à les mettre en oeuvre. Je suis heureux de dire aujourd'hui que cette promesse a été tenue.
Maintenant, je veux parler des mécanismes qui sont fournis par notre projet de loi. Tout d'abord, le projet de loi reconnaît que les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par la Loi constitutionnelle de 1982 comprennent les droits linguistiques autochtones. C'est fondamental.
Notre projet de loi met également en place des mesures pour faciliter l'octroi de financement adéquat, stable et à long terme en ce qui touche la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones. Il m'oblige, en tant que ministre, à consulter divers gouvernements et autres corps dirigeants autochtones, pour que nous puissions atteindre ensemble cet objectif. Cela témoigne de notre détermination à investir dans les peuples autochtones et leurs collectivités, à investir et à travailler ensemble pour leur avenir.
Notre projet de loi va également établir un bureau du commissaire aux langues autochtones. Ce bureau va contribuer à la promotion des langues autochtones et va effectuer des recherches et appuyer les peuples autochtones dans la défense de leurs droits linguistiques. Le projet de loi représente aussi un cadre législatif qui va permettre au gouvernement du Canada de conclure des accords avec les gouvernements provinciaux, territoriaux, autochtones et autres. Cela va nous permettre de prendre en compte les besoins uniques des collectivités et des différents peuples autochtones.
Finalement, les dispositions du projet de loi ont pour but ultime de permettre aux Autochtones de retrouver et de conserver la maîtrise de leur langue, d'assurer la survie de leur culture. Il est important de mentionner que cette loi a volontairement été conçue pour n'être ni restrictive ni exhaustive. Au contraire, elle a été conçue pour être flexible, afin qu'on puisse l'adapter aux réalités de tous un chacun.
Mardi, le Ralliement national des Métis a dit que ce projet de loi était un pas de géant fait par le Canada pour soutenir leur longue lutte pour préserver, revitaliser et promouvoir l'utilisation du michif. L'Assemblée des Premières Nations l'a décrit comme une mesure historique et dit que, grâce à elle, il leur est permis d'espérer.
Certains pourraient dire que cette loi ne va pas assez loin. Dans les faits, elle a été conçue expressément pour qu'il soit possible de bâtir autour de celle-ci. Elle offre la possibilité d'intégrer des ententes qui seront développées dans le respect des aspirations et des besoins de chaque nation autochtone. Ces ententes garantiront que les circonstances uniques de chacun des groupes distincts, les Premières Nations, les Inuits et les Métis peuvent être reflétées et traitées. Ainsi, cette loi est flexible et elle tient compte des besoins des différents groupes, des différentes communautés, des différentes régions. Comme je l'ai mentionné à plusieurs reprises, nous allons nous engager à continuer nos conversations et le codéveloppement jusqu'à la mise en oeuvre complète de la loi.
J'ai récemment appris que le mot « dakota » signifie « alliés ». Je crois que c'est une bonne façon de décrire comment nous avons approché la mesure législative proposée, c'est-à-dire comme des alliés, comme des partenaires des Autochtones. Bien que ce soit ma voix qui se fasse entendre à la Chambre aujourd'hui, celles des Autochtones se font aussi entendre. Ils se font entendre parmi nous aujourd'hui comme nos partenaires, nos dakotas.
La mesure législative proposée concerne toutes les langues autochtones au Canada et tous les Autochtones. Elle a été conçue pour profiter à tous les Autochtones, indépendamment de leur âge, de leur sexe, de leur groupe linguistique ou distinctif ou de l'endroit où ils habitent.
Nous en arrivons là après avoir causé du tort à cinq générations d'Autochtones, mais, aujourd'hui, nous faisons bouger les choses. Le message est clair: il est temps d'agir. Faisons-le ensemble.