Monsieur le Président, c'est avec beaucoup de sérieux et d'émotion que je prends la parole aujourd'hui. Ce n'est pas la première fois; il y a deux ans, alors que j'étais député à 'Assemblée nationale du Québec, j'ai eu également à me lever pour discuter de cette question extrêmement délicate qu'est l'aide médicale à mourir. Au provincial, il était question des soins de fin de vie.
C'est donc la deuxième fois que je suis confronté à ce vote et à ce débat concernant cette question extrêmement délicate et j'entends me gouverner avec diligence, sérieux, mais surtout avec beaucoup de compassion.
D'habitude, quand je prends la parole, c'est pour convaincre. Convaincre, c'est ce que doivent faire tous les élus. Dans ce cas-ci, je ne veux pas convaincre, je veux simplement exposer mon point de vue. Dans les débats politiques, il y a des bons et des méchants. Dans ce cas-ci, il n'y a ni bons, ni méchants; il n'y a que d'honnêtes citoyens qui veulent ce qu'il y a de mieux pour l'avenir du pays et de la population, même si ce débat est très difficile et porte sur une question fort délicate.
Pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui?
Nous sommes ici parce que, il y a un an, en février 2015, la Cour suprême rendait une décision qui avait des conséquences très graves et très importantes. C'était l'arrêt dans l'affaire Carter qui faisait état de l'aide médicale à mourir.
Essentiellement, la Cour suprême ne demandait pas à la Chambre des communes et au Parlement canadien d'être pour ou contre l'aide médicale à mourir, mais bien de savoir comment l'appliquer. C'est sur ce principe que repose tout notre débat. Nous ne sommes pas ici pour débattre du fait que l'aide médicale à mourir est bonne ou mauvaise, mais plutôt pour savoir comment l'appliquer pour nos citoyens.
Par contre — j'ai eu l'occasion de le dire souvent, mais je tiens à le répéter ici, à la Chambre, depuis mon siège de député —, je trouve très malheureux que la Cour suprême ait ordonné au Parlement canadien d'agir en l'espace d'à peine un an. C'est tout à fait non responsable. Je sais de quoi je parle. J'ai siégé à l'Assemblée nationale du Québec pendant près de sept ans. J'ai été témoin des six ans de travaux studieux et rigoureux qui ont conduit à l'adoption du projet de loi no 52. Cela a duré six ans, sous trois gouvernements différents, avec trois premiers ministres différents, les honorables Jean Charest, Pauline Maurois et Philippe Couillard. Nous avons travaillé pendant six ans. Il y a eu deux années complètes de consultations directes, et plus de 275 citoyens québécois ont pu s'exprimer sur ce sujet. Cependant la Cour suprême a ordonné au Parlement canadien d'agir en dedans d'un an.
Pourquoi est-ce que je trouve que ce n'était pas responsable? C'est parce qu'on savait que nous étions dans une année électorale et que ce sujet-là ne tolère pas les discussions politiques partisanes. Malgré cela, la Cour suprême nous a ordonné de faire cela en à peine un an. Or on savait qu'à partir du mois de février, le décompte était commenté jusqu'au mois de juin et qu'après cela, nous arrêtions tout parce que l'élection avait lieu à l'automne et donc qu'un nouveau gouvernement arriverait. Donc rien ne pouvait se faire, théoriquement parlant, pour les parlementaires, avant les mois de décembre ou janvier. Cela a d'ailleurs été le cas. Bref, nous avons perdu six mois pour ce débat extrêmement important.
Toutefois, tout n'a pas été perdu. En effet, le gouvernement précédent, sous l'égide du très honorable député de Calgary Heritage, a mis sur pied un comité de trois experts, dont un ancien ministre québécois, que je salue. Ce comité a évalué toutes les possibilités légales et parlementaires possible pour cette délicate question et a produit un document de plus de 400 pages. Je suis bien fier de savoir que ce travail a été fait, malgré le fait que nous étions en année électorale. J'aurais l'occasion d'y revenir un peu plus tard, au cours de mon allocution.
Donc, le rapport est conçu. Il y a eu une élection et le nouveau gouvernement a créé un comité parlementaire que nous pourrions qualifier de bicéphale puisqu'il y avait à la fois des députés et des sénateurs. Le comité était coprésidé par un député libéral et un sénateur conservateur. Bref, la base de la non-partisanerie était établie, et c'est tant mieux.
Malgré le fait que nos travaux étaient très circonscrits dans le temps — à peine cinq à six semaines —, nous avons tenu 13 rencontres, nous avons entendu 61 témoins et 132 mémoires ont été déposés. C'est bien, eu égard au temps imparti. Je tiens à saluer chacun et chacune de mes collègues qui sont ici présents. Je vois le coprésident de la Chambre, je vois également ma collègue de Toronto. On m'excusera, je ne connais pas par coeur tous les noms de comté. D'ailleurs les noms sont très longs et il faudra peut-être changer cela un jour; mais cela est une autre affaire.
Donc je tiens à saluer tous mes collègues d'avoir travaillé dans un esprit positif, constructif, non partisan. C'était un sujet affreusement délicat et très difficile, mais nous l'avons fait de façon sérieuse et rigoureuse.
Après tous ces travaux, deux rapports ont été publiés: un rapport principal et un rapport dissident signé par les députés de Langley—Aldergrove, de Kitchener—Conestoga, de St. Albert—Edmonton, et moi-même.
Avant d'entrer dans le coeur du rapport dissident, dont j'étais cosignataire, je tiens à préciser qu'il est vrai que les députés conservateurs membres du comité l'ont signé. Toutefois, ce n'était pas un rapport dissident conservateur. Les sénateurs conservateurs, eux, ont signé le rapport principal.
Ne nous y trompons pas: le rapport dissident n'est pas un rapport du Parti conservateur, c'est un rapport de députés, car les sénateurs conservateurs ont signé le rapport principal.
C'est très clair, et il faut bien se garder d'y chercher des visées politiques.
Dans le rapport dissident, mes trois collègues et moi avons été animés par le besoin de protéger les plus vulnérables, mais également par l'affaire Carter et, surtout, par ce que nous avons appelé dans notre rapport « l'expérience québécoise ».
Je suis fier de dire que j'ai été témoin de l'expérience québécoise. Ensemble, nous l'avons appliquée dans le rapport dissident et nous nous sommes basés sur elle pour déterminer ce qui devait être fait. Nous l'avons fait ainsi parce qu'au Québec, on avait pris le temps de le faire correctement.
Au Québec, après six ans de débats, de travaux, de rigueur intellectuelle et de précautions mises à gauche et à droite, on a abouti à certaines conclusions. Le projet de loi 52 est devenu une loi afin que tout se fasse correctement, avec un certain consensus social.
Il est très difficile d'arriver à un consensus sur cette question délicate.
Notre rapport dissident contenait cinq éléments. Je vais en faire la lecture, puis je les reprendrai un par un.
D'abord, nous estimions que les soins de fin de vie ne devaient pas être destinés aux mineurs. Ensuite, nous avons établi que les gens souffrant de maladie mentale ne devaient pas recevoir l'aide médicale à mourir. Puis, nous avons soulevé la nécessité de protéger la conscience des médecins et des professionnels de la santé. L'aide médicale à mourir ne devrait s'adresser qu'aux gens en fin de vie. Finalement, nous avions une préoccupation majeure concernant les soins palliatifs. Voilà les cinq éléments de notre rapport dissident. Reprenons-les un par un.
Tout d'abord, il ne fallait pas que cela s'adresse aux mineurs. C'est un sujet très délicat. La Cour suprême parlait d'adultes et non de mineurs. Au-delà de cela, l'expérience québécoise s'adressait uniquement aux adultes. Autrement, cela pose des problèmes quasiment insolubles.
Imaginons que les parents d'un jeune homme ou d'une jeune femme de 16 ans refusent que leur enfant reçoive des soins de fin de vie. Que peut-on faire? Qui a raison, l'enfant ou les parents?
Dans le pire des scénarios, si un jeune de 17 ans réclame des soins de fin de vie et que son père y consent, mais que sa mère ne le veut pas, qui a raison? Faut-il essayer de convaincre la mère? C'est extrêmement difficile et délicat.
C'est pourquoi, à la lumière de l'expérience du Québec, le rapport dissident recommande l'exclusion des mineurs.
Par ailleurs, nous ne souhaitons pas que ce projet de loi sur l'aide médicale à mourir s'adresse aux gens souffrant de maladie mentale, car il est presque impossible de déterminer à quel moment ces gens sont aptes à donner leur plein et entier consentement. C'est le propre des gens qui souffrent de maladie mentale de ne pas être conscients de ce qui se passe. Je sais que c'est terrible de dire de telles choses, mais c'est la vérité.
C'est la vérité. Pour les personnes souffrant d'une maladie mentale, il est extrêmement difficile d'exprimer clairement ce qu'elles veulent. Si on les place dans une situation de ce genre, on verra le pire. C'est pourquoi, encore une fois à la lumière de l'expérience du Québec, nous les excluons.
Parlons maintenant de la protection de la conscience des médecins et des gens qui pratiquent dans le domaine médical. C'est un sujet délicat, mais très important. Au Québec, on a trouvé une solution un peu particulière, mais qui devrait servir d'inspiration au gouvernement.
On doit respecter le patient qui veut, en son âme et conscience, recevoir les soins de fin de vie, mais on doit aussi respecter le médecin qui doit donner ces soins. Si le médecin ne veut pas procéder, il faut le respecter. Au Québec, voici ce qu'on a fait: le médecin qui ne veut pas prodiguer ces soins doit référer son patient à un tiers, c'est-à-dire au directeur de l'hôpital ou du CLSC, et ce tiers va référer le patient à un autre médecin. Un médecin ne réfère donc pas son patient à autre médecin, car il y a un tiers. Par conséquent, un médecin, mal à l'aise de traiter un tel cas, ne se trouve pas dans une situation où il réfère son patient à un autre médecin. On doit respecter sa décision. C'est de la dentelle, mais tout est dentelle dans ce projet de loi et dans cette situation de l'aide médicale à mourir. Il faut protéger la conscience.
Nous estimons aussi — c'est encore une fois basé sur l'expérience québécoise — que c'est la même chose sur la question de la fin de vie. À quel moment le patient peut-il donner son consentement pour l'aide médicale à mourir?
Au Québec, après y avoir travaillé pendant six ans, on est arrivé à la conclusion que c'était à la fin de la vie et pas avant. Il est bien facile pour un gars comme moi, de 51 ans en bonne santé et qui va bien, de dire qu'à un moment donné, si je suis malade, il n'y aura pas de trouble, les médecins passeront et on n'en parlera plus. C'est facile pour moi de dire cela à 51 ans, quand je suis en bonne santé. Toutefois, aurais-je cette même perception quand je serai dans l'extrême hiver de ma vie? Pas nécessairement, et c'est pourquoi il faut protéger cet aspect. Encore une fois, il y a cinq éléments basés sur l'expérience du Québec, et voici le quatrième: c'est précisément dit que ce sont les patients en soins de fin de vie qui doivent recevoir ce genre d'aide médicale.
Finalement, il est question des soins palliatifs. Mon collègue du deuxième groupe de l'opposition en a parlé tout à l'heure. Pour nous, c'est extrêmement important d'avoir des soins palliatifs pleins et entiers pour l'ensemble des Canadiens, et non pas uniquement pour le tiers des Canadiens, comme c'est le cas actuellement. Il faut donc mettre beaucoup l'accent sur cela.
Il y a eu le rapport principal, le rapport dissident et les cinq éléments dont j'ai parlé qui sont basés sur la protection des plus vulnérables, sur l'arrêt dans la cause Carter et sur l'expérience québécoise. Voici donc qu'après avoir déposé notre rapport, il fallait maintenant que le gouvernement procède et dépose son projet de loi.
Nous voilà donc saisis du projet de loi C-14. Ce que nous aimons de cette mesure législative, c'est ce qu'elle ne contient pas. Cela peut sembler curieux, mais c'est vrai, car le projet de loi fait abstraction de certains des éléments les plus épineux abordés dans le rapport dissident.
Dans notre rapport dissident, nous ne voulions pas que l'aide médicale à mourir soit accessible aux mineurs ni aux gens souffrant d'une maladie mentale. Le gouvernement a épousé notre position. C'est tant mieux. Nous l'en remercions. Félicitations.
Toutefois, nous avons quand même d'autres préoccupations concernant ce projet de loi, notamment sur le plan de la protection de la conscience. Dans ce projet de loi, il n'y a aucune disposition concernant la protection de la conscience des médecins et de ceux qui auront à pratiquer la médecine, que ce soit les infirmiers ou les pharmaciens, dans le cadre de l'aide médicale à mourir.
J'ai posé la question à la ministre de la Santé lors du débat, il y a deux semaines. Elle m'a dit que ce n'est pas mentionné parce que cela relève des provinces. Techniquement, c'est vrai, mais nous sommes ici dans un Parlement fédéral. Dans le préambule même du projet de loi, il est écrit qu'il faut que la loi s'adapte et s'applique d'un océan à l'autre. Il nous faut avoir une politique nationale pour éviter des fluctuations provinciales. Là encore, j'invite le gouvernement à s'inspirer de l'expérience québécoise qui permet la protection de la conscience des médecins.
Que va-t-il arriver si jamais il n'y a pas cette protection? Cela va se passer selon le bon vouloir des provinces qui diront si oui ou non, ils encadrent cela de telle ou telle façon. Je comprends la bonne volonté de la ministre de la Santé, mais il y a place à trop de flou. Dans cette situation, il n'est pas question de choisir entre une pomme et une orange, il s'agit de choisir entre la vie ou la mort. Le flou n'est pas tolérable dans cette situation. Il faut donner des lignes directrices claires, particulièrement en ce qui concerne la protection de la conscience, parce qu'il n'y a rien de plus fragile et de plus précieux que la conscience de quelqu'un qui est là pour sauver des vies ou mettre un terme à la vie, selon le désir du patient.
J'invite le gouvernement à observer l'expérience québécoise, de prendre acte de cette expérience, ainsi que de ce que nous avons dit.
Aussi, j'en ai parlé tout à l'heure, au Québec, c'est clair: c'est à la fin de la vie que les soins sont prodigués. Dans la loi, on retrouve — je le lis parce qu'on m'a interpellé à quelques reprises à cet égard et j'ai toujours du mal parce que c'est un peu flou — le concept de « raisonnablement prévisible ».
Je peux assurer une chose à la Chambre: je vais mourir. C'est prévisible. C'est clair. J'ai 51 ans et je pense que j'en ai fait plus qu'il ne m'en reste à faire. Raisonnablement, je pourrais mourir dans quelques dizaines d'années. Je ne suis pas pressé, soit dit en passant.
Ce que je veux dire par là, c'est que ce n'est pas clair. Raisonnablement prévisible. Dans une entrevue à RDI, Mme Julie Drolet, une ancienne collègue que je salue, m'a demandé dans sa première question si j'avais compris quelque chose de ce « raisonnablement prévisible ». Eh bien, la réponse est non, pas vraiment. Cela dit, ce n'est pas moi qui ai écrit la loi. Il aurait peut-être fallu poser la question au ministre.
Tout cela pour dire qu'il faut que ce soit précis, au même titre que ce qui concerne la « protection de la conscience » doit être précis. C'est la même chose pour la question de la fin de vie et de ce qui est raisonnablement prévisible. Or c'est beaucoup trop flou.
D'ailleurs, le ministre de la Santé du Québec, le Dr Gaétan Barrette, en entrevue à Radio-Canada en fin de semaine, aux Coulisses du pouvoir, s'est dit convaincu qu'on pouvait certainement débattre de ce projet de loi sur le plan juridique concernant la mort raisonnablement prévisible. Il a ajouté que celle-ci devait être raisonnablement prévisible sans égard au pronostic sur l'évolution de la maladie. Or, si la mort est raisonnablement prévisible, cela signifie qu'un pronostic a été établi raisonnablement.
Cela n'en finit plus, dans une telle situation. J'invite donc raisonnablement, sans jeu de mot, le gouvernement à préciser sa pensée dans cette affaire.
C'est la même chose quand il est question des infirmières et des médecins. On dit que les soins peuvent être prodigués par les infirmières. Je vais être bien clair. J'ai énormément de respect pour les infirmières qui, selon mon expérience au Québec, tiennent le réseau de la santé à bout de bras — je les en remercie d'ailleurs —, mais quand vient le temps déposer un diagnostic de cette importance, nous croyons que cela relève du médecin. On trouvera que je suis redondant et que je répète toujours la même chose, mais c'est ce qu'a conclu l'expérience québécoise après six ans de travaux sérieux et rigoureux.
Enfin, pour ce qui est des soins palliatifs, nous sommes tous d'accord pour qu'on y alloue des sommes plus importantes. Or je tiens à rappeler que le dernier budget n'accordait pas de sommes à la situation extrêmement importante et délicate qui est celle des soins palliatifs. Nous avons entendu le leader du gouvernement à la Chambre des communes en conférence de presse qui envisageait d'allouer des sommes de 3 milliards de dollars. Ce sont de beaux mots mais nous souhaitons que ces paroles soient inscrites dans le budget. Le gouvernement peut être assuré que, à cet égard, nous allons l'applaudir à deux mains et l'appuyer.
Il n’y a rien de parfait, surtout pas ce projet de loi, mais cela devrait nous préoccuper profondément. Nous devrions être très inquiets, parce que si nous n’adoptons pas une loi, bonne ou mauvaise, nous devrons traiter de l’arrêt Carter. Certaines personnes considéreront cela comme la pire des situations possibles parce qu’alors les associations professionnelles médicales de certaines provinces diront une chose, et celles d’autres provinces en diront une autre; la législature de certaines provinces adoptera certains projets de loi et d’autres législatures adopteront d’autres projets de loi. Il y aura alors beaucoup de remue-ménage au Canada, et la dernière chose que nous voulons est du remue-ménage. Il nous faut un projet de loi qui traite clairement de ces questions.
Je tiens à dire que c'est évidemment avec beaucoup d'émotion que nous prenons part à ce débat. Tous ceux qui vont s'exprimer — non seulement ils ont le droit de le faire mais nous souhaitons qu'ils le feront — auront raison. Personne ici n'a tort, personne ici n'a raison. Nous sommes tous d'honnêtes Canadiens et nous souhaitons le meilleur pour l'avenir de ce pays et pour l'avenir de nos concitoyens.