Monsieur le Président, pendant tout le débat qu’il y a eu à l’étape de la deuxième lecture, pendant les audiences du comité et maintenant à l’occasion de ce débat final, des montagnes de preuves ont été apportées pour montrer à quel point la détermination du gouvernement de légaliser la marijuana à des fins récréatives pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Malgré cela, le gouvernement libéral s'entête et reste déterminé à faire adopter ce projet de loi en vitesse de sorte que, le 1er juillet 2018, à l’occasion du 151e anniversaire du Canada, des jeunes d’à peine 18 ans pourront légalement acheter de la marijuana dans des magasins gouvernementaux et la consommer sans pratiquement aucune restriction.
On m’a accordé 20 minutes pour présenter mes objections à cette mesure législative nuisible. Or, il me faudrait des heures pour présenter toutes les preuves soumises par les médecins, les psychiatres, les chercheurs, les policiers, les parents et tous les spécialistes qui enjoignent le gouvernement de ne pas s’engager dans cette voie, car cela pourrait avoir de graves conséquences.
Je me limiterai donc à quelques articles et études, et je demanderai aux députés d’en face comment ils peuvent justifier leur action après en avoir pris connaissance.
J’ai sous les yeux les lettres de mandat que le premier ministre a remis aux ministres concernant les attentes et les résultats que l’on attend d’eux. Je m’en servirai dans mon exposé pour montrer à quel point les ministres ont renié l’action du premier ministre.
Après les dernières élections, le premier ministre a remis une lettre de mandat à chaque ministre.
Dans la lettre de mandat de la ministre de la Santé, il est écrit:
Je m’attends à ce que vous travailliez en étroite collaboration avec votre sous-ministre et ses cadres supérieurs, pour vous assurer que les travaux en cours dans votre ministère soient effectués de manière professionnelle et que les décisions soient prises dans l’intérêt du public.
Je me demande si la ministre, à ce moment-là, a informé le premier ministre du document de son propre ministère, modifié le 19 août 2016. Je suis certain qu'elle en connaissait l'existence. Entre autres choses, ce document dit:
L’utilisation de cannabis peut altérer votre concentration, votre capacité à penser et à prendre des décisions ainsi que votre temps de réaction et votre coordination. Elle peut nuire à vos habiletés motrices, notamment à votre capacité à conduire. Elle peut également accroître l’anxiété et causer des attaques de panique et, dans certains cas, la paranoïa et des hallucinations.
Il dit aussi:
Vous ne devriez pas consommer de cannabis si:
vous êtes âgé de moins de 25 ans;
vous êtes allergique à n’importe quel cannabinoïde ou à la fumée;
vous êtes atteint d’une grave maladie du foie, des reins, du cœur ou des poumons;
vous avez des antécédents personnels ou familiaux d’un grave trouble mental, comme la schizophrénie, la psychose, la dépression ou le trouble bipolaire;
vous êtes enceinte, prévoyez devenir enceinte ou allaitez;
vous êtes un homme qui désire fonder une famille;
vous avez des antécédents de dépendance ou d’abus d’alcool ou de drogues.
Parmi les conséquences pour la santé liées à la consommation à court ou à long terme, mentionnons les suivantes:
Augmentation du risque de déclencher ou d'aggraver des troubles psychiatriques ou de l’humeur (schizophrénie, psychose, anxiété, dépression, trouble bipolaire);
Diminution du nombre, de la concentration et de la mobilité des spermatozoïdes et augmentation de l’altération morphologique du sperme;
Incidences négatives sur le développement comportemental et cognitif de l’enfant né d'une mère qui a consommé du cannabis pendant la grossesse.
Ce document était à la disposition de la ministre. Ainsi, il est clair qu'elle n'a pas suivi les instructions du premier ministre. Le premier ministre a également écrit ceci:
Aucune relation n’est plus importante pour moi et pour le Canada que la relation avec les peuples autochtones.
C'est ce qu'on peut lire dans la déclaration préliminaire de la lettre de mandat à l'intention de la ministre des Services aux Autochtones. Pourquoi la ministre n'a-t-elle pas sonné l'alarme et transmis au premier ministre le message qu'elle a reçu de la présidente de la Nunavut Tunngavik, Aluki Kotierk? Celle-ci a dit:
Le gouvernement fédéral doit consulter les Inuits à savoir s'il faut légaliser ou non le cannabis et, le cas échéant, quand. Il doit également les consulter pour planifier la gestion des conséquences négatives possibles de la légalisation du cannabis [...]
Ce n'est pas tout. La chef Gina Deer du Conseil des Mohawks de Kahnawake a dit ce qui suit:
Notre communauté adopte la politique de la tolérance zéro en matière de drogue depuis plusieurs années. Maintenant, quand on dit aux membres de la communauté qu'il faudra accepter la marijuana en tant que produit légal, qu'il ne s'agira plus d'une drogue, ils ont de la difficulté à l'accepter, particulièrement les anciens.
Le premier ministre avait aussi affirmé ce qui suit à la ministre des Relations Couronne-Autochtones:
Je m’attends à ce que vous repreniez le processus de renouvellement de la relation de nation à nation avec les Autochtones afin de réaliser de réels progrès sur les enjeux les plus importants pour les Premières Nations, la Nation métisse et les communautés inuites, comme le logement, l’emploi, les soins de santé et de santé mentale [...]
Le chef Isadore Day a affirmé ce qui suit au comité:
Il est juste de dire que les Premières Nations ne sont pas non plus prêtes à composer avec les impacts découlant du projet de loi C-45 [...] le Canada est-il au courant actuellement de tous les impacts du cannabis? [...] Quand les États du Colorado et de Washington ont légalisé la vente de cannabis en 2013, cela a eu un impact défavorable sur les tribus autochtones aux États-Unis.
De plus, le chef Day a également dit au comité que, même s'ils sont au courant de tout cela, les libéraux continuent d'affirmer qu'il est important que nous travaillions à accomplir cette tâche aussi rapidement que possible.
Le chef a réitéré que l'une des grandes préoccupations que soulève le projet de loi C-45 chez les Premières Nations touche la santé et la sécurité de leur peuple. Il a mentionné des statistiques indiquant que le cannabis se classe au deuxième rang parmi les substances les plus utilisées chez les Autochtones. Il a ajouté que, pour la seule province de l'Ontario, il faudrait un montant de 33 millions de dollars pour traiter la toxicomanie et l'alcoolisme chez les Premières Nations. Il a conclu en disant qu'il semblait y avoir plus de questions que de réponses et que les Premières Nations restaient ainsi dans un état compromis alors que l'échéancier était accéléré.
Le premier ministre a également dit à la ministre de:
Collaborer avec le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ainsi qu’avec la ministre des Affaires autochtones et du Nord afin de combler les lacunes associées aux services offerts aux Autochtones et aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale qui naviguent dans le système de justice pénale.
Elle aurait dû lui parler du rapport que je viens de mentionner et des préoccupations que son propre gouvernement avait au sujet de la légalisation de la marijuana et de la consommation de cette drogue.
Santé Canada a émis des mises en garde. J'en ai mentionné quelques-unes, mais les suivantes sont pertinentes aussi:
Le cannabis [...] contient des centaines de constituants, dont certains peuvent altérer le fonctionnement approprié du cerveau et du système nerveux central. L'utilisation du produit comporte des risques pour la santé, dont certains pourraient ne pas être connus ou entièrement compris. [...] Vous ne devriez pas consommer de cannabis si: [...] vous avez des antécédents personnels ou familiaux d'un grave trouble mental, comme la schizophrénie [...].
Le premier ministre adore rappeler à la ministre de la Justice, qui vient de prendre la parole, son amour et son respect infinis pour la Charte. Dans la lettre de mandat à l'intention de la ministre, il a affirmé ceci:
Vous devrez veiller à la protection des droits des Canadiens et des Canadiennes, faire en sorte que nos travaux respectent le plus possible la Charte canadienne des droits et libertés.
Un groupe de défense des enfants au Nouveau-Brunswick a évalué les violations possibles à la convention relative aux droits de l'enfant. Il en a conclu qu'il est fort probable que cette mesure législative fasse l'objet de contestations judiciaires. Je me demande si la ministre aurait dû dire au premier ministre qu'une contestation judiciaire, selon ce qui a été affirmé, est une bonne idée aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 7 précise ce qui suit:
Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
La ministre aurait dû prévenir le premier ministre qu'en légalisant la marijuana, une drogue psychoactive, le gouvernement du Canada encouragera la vente et la consommation de cette substance. Ainsi, tous les Canadiens seront soumis à un risque accru de subir des lésions corporelles et de mourir par l'entremise d'accidents de la route et du travail causés par des facultés affaiblies, de maladies liées à l'habitude de fumer et d'autres blessures entraînées par la marijuana. Par exemple, des chefs de police de partout au pays ont exprimé leur crainte de ne pas pouvoir assurer la sécurité de la population contre les conducteurs ayant consommé de la drogue. Ainsi, la proposition de légaliser la marijuana contrevient à la disposition de la Charte qui porte sur le droit à la sécurité de la personne.
Au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, il a écrit ceci:
À titre de ministre [...] votre objectif principal sera de diriger le travail de notre gouvernement pour que les Canadiens demeurent en sécurité.
Je voudrais parler encore une fois du rapport du ministère de la Santé, mais je tiens aussi à mentionner un rapport qui vient tout juste d'être publié et qui porte sur les répercussions de la légalisation de la marijuana au Colorado. Le résumé contenu dans ce rapport dit ceci: « Le nombre de décès dans les accidents de la route liés à la consommation de marijuana, où l'on a détecté la présence de marijuana dans l'organisme d'un conducteur, a plus que doublé. Il est passé de 55 décès en 2013 à 123 décès en 2016. » Puis, le résumé dit encore ceci: « En 2009, le nombre de décès dans les accidents de la route liés à la consommation de marijuana, où l'on a détecté la présence de marijuana dans l'organisme d'un conducteur, représentait 9 % du nombre total de décès sur les routes. En 2016, cette proportion avait plus que doublé et s'établissait à 20 %. » La suite du rapport est à l'avenant. D'autres statistiques nous montrent ce qui arrive aux jeunes, notamment l'augmentation dramatique de la consommation de marijuana chez les jeunes.
Voici maintenant ma citation favorite. Le premier ministre a écrit les mots suivants à la ministre des Sciences, celle qui a maintes fois répété dans cette enceinte que le gouvernement actuel était à l'écoute de la science, justement à cause de ce que le premier ministre lui a écrit:
Notre gouvernement croit en la science et croit que de bonnes connaissances scientifiques devraient être à la base du processus décisionnel.
Je me demande si cette ministre a parlé au premier ministre du rapport sur la légalisation de la marijuana au Colorado, ou possiblement de ce rapport du National Institute on Drug Abuse. Voici un autre excellent article qu'elle aurait dû lire, de la revue Frontiers in Psychiatry: « Persistency of Cannabis Use Predicts Violence following Acute Psychiatric Discharge ». Il y a aussi le long rapport de l'Organisation mondiale de la Santé, intitulé « The Health and Social Effects of Nonmedical Cannabis Use ».
La liste est longue. Je suis certain que la ministre a lu le rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, intitulé « Analyse du marché des drogues d'origine végétale, C. Le marché du cannabis ».
Tous ces rapports aboutissent à la même conclusion: l'utilisation du cannabis est limitée pour une raison. Il y a une raison pour laquelle les gouvernements ont continuellement suivi cette pratique.
J'ai souvent dit à la Chambre que je suis réellement impressionné par le caucus libéral. Il est composé de médecins et d'avocats, de titulaires de doctorat et de boursiers Rhodes. Ce n'est pas un groupe dont les membres pourraient utiliser l'excuse de ne pas disposer des renseignements pertinents.
J'ai trouvé un excellent article de James Di Fiore dans le Huffington Post, dans lequel nous pouvons lire ceci:
J'ai déjà écrit au sujet de ma contribution modeste à la levée de l'interdiction du pot. Pour récapituler, en 2011, des hauts placés du Parti libéral du Canada m'ont engagé pour faire pression sur les délégués libéraux afin que ceux-ci votent en faveur d'une initiative stratégique qui prônait la légalisation. Pendant trois mois, mon équipe a approché des groupes militants pro-marijuana et a mobilisé leurs membres pour qu'ils bombardent [tous] les délégués de courriels, gazouillis et messages Facebook. Le plan était de leur mettre assez de pression pour qu'ils votent pour un Canada qui allait délaisser ses opinions draconiennes au sujet du pot. Lorsque nous avons commencé, nous avions l'appui de seulement 30 % des délégués [30 % de ce caucus]. Après la comptabilisation des votes, lors du congrès libéral en 2012, plus de 75 % des délégués avaient voté oui.
Ce groupe peut faire le bon choix. Je sais que de nombreux députés au sein du caucus libéral s'opposent à ce que fait le gouvernement et à ce que le premier ministre les contraint de faire également. Le temps est venu pour eux de s'affirmer, de faire le bon choix et de voter contre ce projet de loi dangereux.
J'aimerais souligner que le premier ministre n'est pas à l'avant-garde dans ce dossier et ne cherche pas à faire du Canada une nation progressiste sur cette question. Le premier ministre Mark Rutte, des Pays-Bas, a déclaré dans un article publié en 2014, au sujet de la consommation de marijuana, que « les gens devraient pouvoir faire ce qu'ils veulent de leurs corps, du moment qu'ils savent ce que cette saloperie leur fait ». Les Néerlandais ont une façon différente de voir les choses en ce qui concerne la marijuana.
L'article dit ensuite que M. Rutte a ajouté, lors de l'entrevue, qu'il était hors de question de légaliser le cannabis selon le modèle adopté au Colorado — et je dois souligner que ce modèle s'applique aux personnes de 21 ans et plus —, où l'État taxe et réglemente tous les niveaux de la chaîne d'approvisionnement et où les adultes de 21 ans et plus sont autorisés à acheter du cannabis dans des points de vente officiellement licenciés. Il a ajouté que les Pays-Bas seraient la risée de l'Europe s'ils adoptaient ce modèle.
Cette mesure proposée par le premier ministre et le caucus libéral n'est pas progressiste. D'ailleurs, même si le système néerlandais comporte des lacunes majeures, les traités actuels de l'ONU interdisent aux pays signataires de légaliser ou de réglementer la consommation de drogue à des fins récréatives. Plus particulièrement, la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 précise que les États membres ont l'obligation générale de « limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention des stupéfiants ».
Le ministère de la Justice a récemment demandé à Piet Hein van Kempen, professeur de droit criminel et de procédure pénale aux Pays-Bas, d'examiner si les conventions internationales sur les drogues offrent une marge de manoeuvre pour légaliser, décriminaliser, tolérer ou réglementer autrement la consommation de cannabis à des fins récréatives. Sa réponse a été un non catégorique. La prochaine fois que le premier ministre rencontrera son nouveau meilleur ami, Xi Jinping, il pourra peut-être lui parler de son projet de légalisation de la marijuana et lui demander ce qu'il en pense. Je suis certain qu'il donnerait au premier ministre une leçon d'histoire sur ce qui s'est passé au sein de la société chinoise.
Les libéraux sont en bonne voie de légaliser la consommation de marijuana à des fins récréatives d'ici le 1er juillet 2018. Ils affirment avoir mené de vastes consultations, effectué le plus important sondage en ligne et produit le rapport intitulé « Un cadre pour la légalisation et la réglementation du cannabis au Canada ». Les libéraux disent qu'ils ont consulté les Canadiens, les administrations provinciales, territoriales et municipales, les gouvernements autochtones, des représentants d'organismes, les jeunes, les parents et des spécialistes de domaines pertinents. Ils tentent de faire adopter le projet de loi à la Chambre à toute vapeur sans tenir compte des mises en garde des médecins, des chefs de police et des parents des Premières Nations.
Le projet de loi changera de façon radicale la société canadienne. Toutes les conséquences se feront sentir pendant des années. Les libéraux disent que le projet de loi va nous protéger et enlever la marijuana des mains des criminels. Je tends plutôt à croire que le projet de loi va asservir les jeunes et faire du gouvernement le nouveau vendeur de drogue sur le marché.
Je propose:
Que la motion soit modifiée par substitution, aux mots suivant le mot « Que », de ce qui suit: « le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit renvoyé au Comité permanent de la santé pour que ce dernier en réexamine l’article 226 afin d’établir une date d’entrée en vigueur qui respecte le désir des provinces, des territoires, des municipalités, des forces de l’ordre et des groupes des Premières Nations de disposer de plus de temps pour se préparer en vue de la légalisation du cannabis. »