Madame la Présidente, c'est avec plaisir que je prends la parole sur le projet de loi C-91, la Loi sur les langues autochtones, à l'étape de la troisième lecture.
Pour les gens qui nous regardent, il est important de souligner que nous venons de voter à l'étape du rapport et que la Chambre a voté à l'unanimité pour que ce projet de loi passe à l'étape suivante. Cela montre bien l'importance de cette mesure législative.
Comme nous savons qu'il est important de faire avancer ce projet de loi, l'expression « La quête de la perfection entrave souvent le progrès » me semble tout particulièrement à propos. Ce projet de loi est loin d'être parfait. Il reste de nombreux éléments qui seront étudiés plus en détail au Sénat. À mon avis, d'autres amendements seront proposés. Le projet de loi est considéré comme une étape fort importante, quelque chose que nous devrions tous appuyer, à tout le moins moins un pas dans la bonne direction. Nul doute qu'il s'agit d'une amélioration, mais cette mesure nous permet-elle d'atteindre l'objectif vers lequel il nous faut tendre? Pas du tout.
Je viens de m'entretenir avec un de mes collègues qui a assisté hier soir à un souper avec l'ambassadeur de la Nouvelle-Zélande. Une délégation de ce pays était au Canada. Je crois comprendre qu'il y a eu des tambours et un accueil en langue crie à ce souper. Ce que j'ai trouvé particulièrement intéressant est le fait que la délégation en entier, des députés de tous les partis, a parlé en maori pendant plus d'une minute. Tous les membres de cette délégation avaient une connaissance de la langue autochtone de leur pays.
J'ai trouvé cela très intéressant. Je sais que nous avons quelques personnes qui parlent une langue autochtone au Parlement, mais nous sommes bien loin de quelque chose qui ressemble à cela. Il va sans dire que le Canada est dans une situation bien différente puisque les langues et les dialectes parlés y sont très nombreux.
Ce projet de loi est important. De nombreux témoins ont souligné devant le comité du patrimoine que, pour eux, la protection et la revitalisation des langues autochtones sont essentielles. Dans leurs témoignages, ils ont présenté le résultat de recherches sur l'importance de la langue, des expériences vécues et des suggestions pour améliorer cette mesure législative. Je remercie tous les témoins d'avoir pris le temps de comparaître devant le comité pour donner leur point de vue sur ce projet de loi. Nous savons que certaines suggestions ont été prises en compte mais que, pour le moment, certaines autres seraient difficiles à mettre en oeuvre. Le changement doit être progressif, un peu comme s'il s'agissait d'un organisme en constante évolution. Quoi qu'il en soit, le projet de loi offre certainement un cadre de départ.
Je reviens un peu en arrière. Lors du débat à l'étape de la deuxième lecture, j'ai fait part d'une expérience personnelle. J'aimerais maintenant parler d'une réalité dont j'ai été témoin dans les années 1980. À l'époque, les aînés parlaient couramment leur langue, mais certaines politiques gouvernementales ont fait des ravages, et je ne parle pas seulement des pensionnats indiens et de la perte de la langue.
Je me souviens d'avoir rendu visite à une aînée qui parlait très bien sa langue. Pourtant, on m'avait dit que je ne devais pas aller la rencontrer parce qu'elle n'était plus considérée comme membre de la communauté du fait qu'elle avait épousé un Blanc, qui était maintenant décédé. J'ai trouvé la situation étrange parce que cette femme faisait bel et bien partie de la communauté: elle en parlait la langue et en représentait admirablement bien la culture. Toutefois, pour le gouvernement, elle avait perdu le statut d'Indienne inscrite parce qu'elle s'était mariée à un Blanc, depuis décédé. Cette aînée ne pouvait même pas redemander son statut d'Indienne.
C'était vraiment très étrange. C'est l'une des premières fois que j'ai vu l'impact des politiques gouvernementales. En tant qu'infirmière, je n'étais pas censée rendre visite à une aînée, parce qu'à l'époque, on me surnommait « l'infirmière des Indiens », et dans les communautés, je n'avais le droit de rendre visite qu'aux personnes qui étaient des Indiens inscrits. Nous avons tous ignoré ces règles, qui n'avaient véritablement aucun sens.
Tous les aînés, à l'époque, s'exprimaient aisément dans leur langue alors que, parmi les enfants revenus des pensionnats autochtones — qui étaient dans la cinquantaine ou la soixantaine à ce moment-là —, très peu avaient les connaissances linguistiques nécessaires pour entretenir une conversation avec leurs parents, et de nombreux aînés maîtrisaient très mal l'anglais. On ne peut qu'imaginer comment c'était difficile pour les communautés.
Si on revient un peu en arrière, la mise sur pied de la Commission de vérité et réconciliation était prévue dans la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens de 2007, laquelle reconnaît que le système des pensionnats a eu des effets majeurs, durables et désastreux sur la culture, le patrimoine et les langues autochtones. À l'époque, le très honorable Stephen Harper et le gouvernement conservateur précédent ont reconnu les torts causés et ont présenté aux anciens élèves, à leur famille et à leur communauté des excuses officielles à la Chambre des communes pour le rôle que le Canada a joué dans le fonctionnement de ces écoles.
Ce fut un moment de communion au Parlement. Comme nous formions le gouvernement, nous avons présenté les excuses. Cependant, je me souviens que les députés néo-démocrates ont joué un rôle déterminant dans ce dossier et je sais aussi que les libéraux ont salué cette journée.
Voici ce qu'a dit le premier ministre Harper à ce moment-là:
Le gouvernement du Canada a érigé un système d'éducation dans le cadre duquel de très jeunes enfants ont souvent été arrachés à leurs foyers et, dans bien des cas, emmenés loin de leurs communautés.
Bon nombre d'entre eux étaient nourris, vêtus et logés de façon inadéquate. Tous étaient privés des soins et du soutien de leurs parents, de leurs grands-parents et de leurs communautés.
Les langues et les pratiques culturelles des Premières Nations, des Inuits et des Métis étaient interdites dans ces écoles.
Certains de ces enfants ont connu un sort tragique en pension et d'autres ne sont jamais retournés chez eux.
Le gouvernement reconnaît aujourd'hui que les conséquences de la politique sur les pensionnats indiens ont été très néfastes et que cette politique a causé des dommages durables à la culture, au patrimoine et à la langue autochtones.
Comme nous le savons, la Commission a mené ses travaux à l'échelle du pays et a lancé des appels à l'action. Les appels à l'action 13, 14 et 15 portaient précisément sur la question des langues; c'est donc l'une des raisons pour lesquelles il y a consentement unanime à la Chambre pour adopter ce projet de loi.
Ce projet de loi est important. Nous l'avons dit, il n'est pas parfait. Je vais aborder les inquiétudes et les préoccupations qui continuent de me tracasser concernant les éléments techniques du projet de loi, plutôt que son esprit.
Ma principale préoccupation se rapporte à une situation que je n'avais jamais vue auparavant dans ma carrière de parlementaire. Les comités entendent des témoins, qui font des suggestions. Nous avons ensuite l'occasion de proposer des amendements au projet de loi afin de l'améliorer et d'en corriger les lacunes. Les amendements sont habituellement présentés suffisamment à l'avance pour permettre à tous les membres du comité de réfléchir aux incidences possibles de ces amendements et de déterminer s'ils les trouvent raisonnables et s'ils les appuieront.
Nous avons suivi ce processus. De nombreux amendements ont été proposés, y compris par des membres indépendants. Nous avons eu tout le loisir de réfléchir aux incidences de ces amendements dans le cadre du projet de loi dans son ensemble. Il y a ensuite eu l'étude article par article, où nous avons examiné les articles existants, ainsi que les amendements proposés.
Le gouvernement a présenté 23 amendements à l'étape de l'étude article par article. Au cours de ma carrière de parlementaire, j'ai déjà vu des indépendants ou les partis de l'opposition présenter des amendements à cette étape, mais je n'ai jamais vu un gouvernement présenter 23 amendements à un de ses projets de loi sans donner l'occasion de les étudier. En gros, nous avons été contraints de prendre une décision sur-le-champ quant aux conséquences de ces amendements.
C’est à mon avis un incroyable manque de rigueur, et c'est très inquiétant. Lorsque le Sénat sera saisi du projet de loi modifié, j’espère qu’il sera en mesure de détecter les anomalies qui pourraient en résulter.
L’autre chose que je trouve intéressante à propos de ce projet de loi, et que les Canadiens ignorent peut-être, c’est que le Parlement a été saisi de deux projets de loi qui sont, à certains égards, complémentaires: celui-ci et le projet de loi C-92, la mesure sur les enfants autochtones. Comme l’a confirmé Mme Laurie Sargent, du ministère de la Justice, c’est la première fois que, au lieu de passer par les tribunaux, le Parlement reconnaît dans une loi les droits prévus à l’article 35.
Les conservateurs ont souvent dit que le rôle des parlementaires est de légiférer et celui des tribunaux, d’interpréter. D’une certaine façon, il est tout à fait approprié qu’en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones de ce pays, nous essayions d’avancer en ce qui concerne les droits de l’article 35.
Mais il y a toujours la question de notre Constitution, et c’est un exercice auquel doivent absolument participer nos provinces et nos territoires. Il me paraît approprié que le gouvernement fédéral aborde la question de l’article 35 dans un projet de loi sur la langue, car cela n'imposera rien aux provinces. En revanche, dans le projet de loi C-92, qui concerne la protection des jeunes autochtones, le gouvernement définit certains droits de l’article 35 et se propose d’imposer ces définitions aux provinces alors que, jusqu’à présent, il s’est bien gardé de leur en parler. Lorsqu’on envisage de définir certains droits consacrés dans la Constitution, il est imprudent de ne pas en parler avec les provinces, et cela s’applique tout particulièrement au prochain projet de loi dont nous allons discuter. Je regrette vivement que le gouvernement ait choisi de procéder de cette façon.
Depuis que j’ai été élue députée, les relations fédérales-provinciales n’ont, à mon avis, jamais été aussi houleuses. C’est comme si l’ensemble du système était grippé, et j’espère sincèrement que la situation pourra revenir à la normale. Le fait que le gouvernement propose un projet de loi dont il n’a même pas discuté avec les provinces constitue une difficulté que nous devrons régler.
En relisant mes notes, j’ai remarqué autre chose. C’est le 5 février que le projet de loi a été déposé. À cette occasion, j'avais félicité le ministre du Patrimoine, tant pour son discours que pour le projet de loi. Mais le 5 février, c’était aussi le jour où le Globe and Mail a publié un premier article sur le scandale SNC-Lavalin.
Je me souviens que l’article venait tout juste de sortir et j’ai bien sûr posé une question au ministre à ce sujet, mais nous n’avons jamais obtenu de réponses satisfaisantes pendant les deux mois qui ont suivi. Ce que nous avons constaté, en lisant cet article et pendant les deux mois qui ont suivi, c’est que le gouvernement n’hésite jamais à mettre en exergue son engagement vis-à-vis des relations avec les Autochtones et de la réconciliation, mais que, trop souvent, il ne fait pas ce qu'il dit.
Je sais que l’ancienne procureure générale du Canada, qui siège maintenant en tant qu’indépendante, s’inquiète tout particulièrement de ce que le gouvernement est en train de faire par rapport aux engagements qu’il a pris dans le dossier autochtone.
Nous avons vu que les libéraux n’ont pas hésité à se débarrasser d’une femme qui était devenue la première procureure générale autochtone du Canada. Comment ont-ils pu faire cela à une personne qui avait une telle réputation? Ils ont mis deux mois à peine. Nous devrons leur demander des comptes à ce sujet.
Le projet de loi S-3, qui portait sur l’égalité entre hommes et femmes, est un autre projet de loi connexe qui a été présenté à la Chambre. Lorsque des fonctionnaires du ministère ont comparu devant le comité, nous avons eu l’impression qu’ils apportaient une réponse raisonnable à une décision du tribunal. Pourtant, les témoins qui les ont suivis nous ont expliqué les graves lacunes du projet de loi, que les fonctionnaires du ministère n’avaient pas repérées. La ministre avait dit que tout allait bien et que le gouvernement s’occupait de la décision du tribunal, mais le projet de loi était si mal ficelé que les libéraux ont dû le retirer et tout recommencer à zéro. Ensuite, il a fallu adopter un projet de loi imparfait, et nous avons appris récemment qu’il y avait des questions qui n’avaient toujours pas été réglées en ce qui concerne l’égalité entre hommes et femmes.
Voilà pour l’essentiel ce qui me préoccupe au sujet des projets de loi que le gouvernement a présentés. Il y avait le projet de loi S-3, qui contenait trop de lacunes et qui a dû être retiré. Il y a le projet de loi C-91, qui a nécessité 22 amendements avant d'être présenté sans préavis. Pour ce qui est du projet de loi C-92, il ne reste que six semaines avant la fin de la législature. Les libéraux ont pris des engagements importants qu’ils n’ont pas encore réussi à concrétiser; ils veulent donc précipiter les choses, surtout dans le cas du projet de loi C-92, qui concerne la protection de la jeunesse autochtone.
Lorsque j’ai commencé mon discours, j’ai parlé de certaines choses qui n’étaient pas parfaites, mais qui allaient dans la bonne direction. Cependant, en agissant avec précipitation, les libéraux risquent de se retrouver avec un projet de loi tellement lacunaire qu’ils seront contraints de faire marche arrière, comme ils ont dû le faire pour d’autres projets de loi. Nous devrons malheureusement attendre de voir s'ils auront le temps de le mener à bon terme.
En conclusion, j’aimerais dire combien le consentement unanime de cette Chambre me réjouit. Nous avons beaucoup travaillé sur ce dossier, mais ce n’est qu’une étape. L’instauration de nouvelles technologies me donne des raisons d’être optimiste. Un témoignage nous a appris que l’intelligence artificielle pouvait contribuer à préserver des langues.
Nous devons nous mettre au travail assidûment et sans tarder, alors nous sommes très heureux d’appuyer ce projet de loi pour passer à l’étape suivante.