Monsieur le Président, le 12 février, le premier ministre s'est dit surpris et déçu que l'ancienne procureure générale ait démissionné du Cabinet. Il a également dit ceci: « Le gouvernement du Canada a fait son devoir quant aux normes claires auxquelles le public s'attend de lui. Si quelqu'un avait un avis contraire, il avait l'obligation de m'en parler. Personne, pas même [l'ancienne procureure générale, qu'il a nommée par son prénom], ne l'a fait. »
Le premier ministre a également déclaré que, en aucun temps, ni lui ni son cabinet n'avaient donné d'instructions à l'actuel procureur général ou à sa prédécesseure quant à la décision à prendre dans cette affaire.
Cependant, c'est en contradiction directe avec ce que l'ancienne procureure générale a affirmé dans son témoignage hier devant le comité de la justice. Elle a dit: « Pendant environ quatre mois, soit de septembre à décembre 2018, j’ai fait l’objet de pressions soutenues et constantes de la part de nombreuses personnes au sein du gouvernement qui, pour des considérations d’ordre politique, souhaitaient que je passe outre au pouvoir discrétionnaire des procureurs en tant que procureure générale. » Elle a ajouté: « Ces événements impliquaient 11 personnes [...] du Cabinet du premier ministre, du Bureau du Conseil privé et du cabinet du ministre des Finances. » Elle a aussi précisé qu'il s'agissait « de rencontres en personne, d'appels téléphoniques, de courriels et de messages textes », dont « environ 10 appels téléphoniques et 10 rencontres au sujet de SNC » auxquels son personnel et elle ont participé.
La chronologie est importante. Le 4 septembre, l'ancienne procureure générale a été informée par la directrice des poursuites pénales, qui est indépendante, qu'elle avait décidé de maintenir les accusations au criminel contre SNC-Lavalin.
Le 17 septembre, le premier ministre a abordé la question de SNC-Lavalin avec l'ancienne procureure générale. Il l'a reconnu. Elle a raconté lui avoir dit directement qu'elle avait bien étudié le dossier et qu'elle avait choisi de ne pas infirmer la décision de la directrice des poursuites pénales dans le dossier de SNC-Lavalin.
Elle a expliqué que la réaction du premier ministre a été d'exprimer des inquiétudes à propos de l'éventualité que SNC-Lavalin quitte le Canada si la poursuite allait de l'avant. Elle a aussi dit qu'elle avait été surprise d'entendre le greffier du Conseil privé proposer un accord de suspension des poursuites, ce qui aurait exigé d'elle qu'elle change d'idée et intervienne.
Voici où l'ancienne procureure générale révèle les motivations réelles du premier ministre. Elle a dit que le greffier avait souligné la réunion imminente avec les actionnaires, le jeudi 20 septembre, ainsi que les élections qui allaient avoir lieu sous peu au Québec. Elle a dit dans son témoignage qu'« à ce moment-là, le premier ministre a insisté sur les élections au Québec, ajoutant “je suis un député du Québec, le député de Papineau” ».
Les libéraux continuent de prétendre que les pressions concertées exercées par le premier ministre découlaient de son inquiétude à l'égard des emplois, mais soyons réalistes sur ce qu'il en est réellement. Le premier ministre fera toujours passer son pouvoir politique et ses intérêts partisans libéraux avant les principes, avant de faire ce qui est juste et même, comme nous le savons tous maintenant, avant le respect de la primauté du droit.
On peut comprendre les centaines de milliers de travailleurs du secteur pétrolier et gazier partout au Canada, les Albertains, les travailleurs de l'automobile d'Oshawa et d'ailleurs de se demander pourquoi il ne se soucie pas de leurs emplois à eux. Toutefois, les pressions exercées sur l'ancienne procureure générale n'étaient pas vraiment liées aux emplois au Québec non plus. C'est pour son emploi à lui qu'il s'inquiétait.
De toute évidence, le fait de parler des élections au Québec et d'établir un lien avec sa circonscription montre qu'il s'agit d'une question de politique et de pouvoir. Je suis à peu près certaine que les Québécois ne veulent pas vraiment que le premier ministre se serve d'eux, de leurs emplois et de leur gagne-pain pour justifier son comportement inapproprié et ses manquements à l'éthique ni pour justifier la crise qu'il a créée.
Cependant, ses considérations politiques ont été présentées à maintes reprises à l'ancienne procureure générale. Le guide du Service fédéral des poursuites exclut expressément comme facteur déterminant « les avantages ou inconvénients politiques éventuels pour le gouvernement ou tout autre groupe ou parti politique ».
L'ancienne procureure générale a dit que, lorsqu'elle a demandé directement au premier ministre si ce qu'il faisait constituait de l'ingérence politique, il a répondu: « Non, non, non, il faut juste trouver une solution. »
Deux semaines après la décision prise par la directrice des poursuites pénales, qui est indépendante, le premier ministre a déclaré à l'ancienne procureure générale qu'elle devait « trouver une solution ». Si, pour le premier ministre, dire à son ancienne procureure générale — après qu'elle lui ait explicitement dit qu'elle n'allait pas intervenir — qu'elle devait encore « trouver une solution », ce n'est pas lui « donner des directives », qu'est-ce que c'est alors?
Le premier ministre et tous les libéraux reconnaissent qu'il y a eu des pressions. Ils utilisent le mot eux-mêmes et ils ne contestent pas le compte rendu qu'elle a fait de ces multiples réunions, appels et messages de plusieurs personnes. En fait, ils disent tous que c'est normal, mais le problème, c'est que toutes ces tentatives constituent l'infraction en l'espèce. C'est pourquoi tous les Canadiens devraient être conscients de la gravité de cette situation inacceptable.
Le Code criminel stipule qu'« [e]st coupable [...] quiconque volontairement tente [...] d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice ». On peut y lire aussi qu'« agir de quelque manière que ce soit dans l’intention de provoquer la peur [...] chez une personne associée au système judiciaire en vue de lui nuire dans l’exercice de ses attributions » est un acte criminel.
Bien que l'ancienne procureure générale soit manifestement loin d'être une petite nature, elle a parlé du niveau d'anxiété élevé qu'elle a ressenti — ce qui est compréhensible — face au harcèlement et aux menaces voilées du premier ministre, de son personnel influent et du greffier du Conseil privé, qui ont tous refusé d'accepter que non, c'est non et qui ont essayé à plusieurs reprises de la convaincre d'annuler sa décision et d'intervenir auprès de la directrice des poursuites pénales.
Fait révélateur, aucun de ces libéraux n'a contredit ce qu'a dit l'ancienne procureure générale dans son témoignage. Pendant des semaines, ils ont laissé entendre qu'il y avait de multiples versions de la vérité. Ils l'ont blâmée en disant que c'était sa perception et qu'elle aurait dû agir ou dire quelque chose différemment. Je suppose qu'elle portait une jupe trop courte. Ils l'ont rabaissée, ils ont remis en question ses compétences et ils ont prétendu qu'elle était difficile.
Même aujourd'hui, un député libéral a dit que les préoccupations de l'ancienne procureure générale étaient dues à « un manque d'expérience ». Je suis désolée, mais c'est une avocate et une ancienne procureure de la Couronne, donc c'est de la foutaise. On a aussi dit qu'elle n'est pas « une joueuse d'équipe », ce qui, bien sûr, est une attaque qu'on entend souvent lorsqu'une personne seule est prête à tenir tête à un groupe qui se couvre mutuellement les arrières.
Il y a aussi ces paroles: « Vu la façon dont elle se comporte, je pense qu'elle ne pouvait pas supporter le stress. » Désolée, mais cela ne passe pas, les garçons. Peut-être qu'il va l'accuser d'avoir ses règles la prochaine fois. Il a dit: « Je crois qu'il y a quelqu'un d'autre derrière, peut-être son père, qui tire les ficelles. » Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que, s'il y a bien une chose qu'elle a prouvée, c'est qu'elle n'est la marionnette de personne.
Le député a lu consciencieusement des excuses après avoir été forcé de le faire aujourd'hui, ce qui nous rappelle les paroles creuses du premier ministre selon lesquelles il aurait dû dire quelque chose au sujet de ce genre d'attaques plus tôt. Cela dit, il faut bien appeler un chat un chat.
Il est clair pour tout le monde, à l'exception des défenseurs aveugles des libéraux, que le premier ministre, le chef de ces faux féministes, s'est allié à d'autres et a passé quatre mois, malgré les « non » clairs et répétés de l'ancienne procureure générale, à essayer de lui faire dire « oui ». Comme elle a refusé d'obtempérer, il l'a renvoyée, puis tous les libéraux ont dit que c'était sa faute.
Tout ce spectacle désolant est symptomatique de plusieurs tendances: dire une chose et faire le contraire; faire passer les copains riches et puissants avant tout le monde; refuser de prendre ses responsabilités personnelles et blâmer les autres à la place; faire preuve de condescendance et attaquer quiconque ose remettre en question ou contester; imposer une norme pour soi et ses amis de l'élite et une autre pour le reste du monde.
C'est une culture établie par le premier ministre et elle est omniprésente. L'enquête sur SNC-Lavalin est maintenant la cinquième enquête du commissaire à l'éthique sur ce premier ministre qui, de toute l'histoire du Canada, est le premier titulaire de sa fonction à avoir été déclaré coupable d'une violation des lois canadiennes en matière d'éthique.
Il y a de l'ingérence politique dans le contrat du chantier naval Davie pour l'ami de Scott Brison, et on refuse de remettre des documents dans le cadre d'une enquête pour tenter de se servir d'un officier supérieur distingué comme bouc émissaire dans le but de passer cette affaire sous silence.
L'ancien organisme de réglementation indépendant du Canada a été la cible d'attaques et de tentatives d'ingérence dans le but d'empêcher des projets de pipeline pour des raisons politiques et électoralistes dans certaines régions du pays.
Les libéraux n'arrêtent pas de dire que tout va bien parce que les poursuites vont aller de l'avant et que les institutions du Canada sont intactes. Toutefois, ce n'est pas grâce au premier ministre. C'est uniquement grâce à la force morale de l'ancienne procureure générale et à sa détermination à défendre l'indépendance de ces institutions, de faire respecter la primauté du droit et de résister aux tentatives répétées et constantes des plus hauts échelons du gouvernement libéral de l'intimider pour la convaincre d'intervenir.
L'ancienne procureure générale affirme que le greffier du Conseil privé lui a dit: « Je pense qu'il [le premier ministre] va trouver un moyen de le faire, d'une façon ou d'une autre. Il est déterminé, et je voulais que vous le sachiez. » Il a dit que le premier ministre était résolu et qu'il n'était pas sûr de ce qui allait se passer.
Elle a dit que le vendredi avant que le premier ministre ne la destitue de son poste de procureure générale, le greffier a informé son ancienne sous-ministre du remaniement et que « l'une des premières conversations que le nouveau ministre devrait avoir avec le premier ministre porterait sur SNC-Lavalin, autrement dit, que le nouveau ministre serait prêt à parler au premier ministre à ce sujet ».
Cela soulève une question légitime. Qu'en est-il de l'actuel procureur général? Que se passe-t-il maintenant derrière des portes closes? Pourquoi le premier ministre a-t-il empêché l'ancienne procureure générale de parler de tout ce qui s'est passé entre le moment où elle a été nommée ministre des Anciens Combattants et celui de sa démission?
Aujourd'hui, c'est le 28 février. Il y a 35 ans aujourd'hui, le père du premier ministre, Pierre Elliott Trudeau, a fait une longue marche dans la neige et pris une décision.
Les allégations contre le premier ministre actuel sont très graves, même choquantes, et l'ensemble de la haute direction du parti est impliqué dans cette culture de corruption: le premier ministre, ses deux plus proches conseillers, dont l'un a déjà démissionné; le ministre des Finances et ses plus hauts conseillers; même le greffier du Conseil privé, le fonctionnaire responsable de protéger et de mettre en oeuvre les valeurs objectives et non partisanes de la fonction publique; le procureur général actuel.
Le premier ministre a perdu l'autorité morale de gouverner. Les Canadiens ne peuvent pas avoir un premier ministre qui est prêt à contourner la loi et à intimider d'autres personnes pour qu'elles contournent la loi dans son intérêt personnel et politique et dans celui de ses amis riches et puissants.
C'est pourquoi les Canadiens ont besoin que la police enquête sur ces graves allégations, et c'est pourquoi le premier ministre doit démissionner.