Monsieur le Président, je reprendrai plus ou moins où je m'étais arrêté vendredi dernier.
Les députés se souviendront que le débat a commencé, vendredi, par la réponse du gouvernement aux amendements apportés par le Sénat. Cette réponse n'avait été déposée que la veille, le jeudi, en soirée. Je reviendrai sur ce point, puisqu'une grande partie du débat entourant la réponse du gouvernement porte sur le manque de temps disponible. En raison de la motion d'attribution de temps qui vient tout juste d'être adoptée, la Chambre aura peu de temps pour examiner la réponse du gouvernement et en débattre. Du même coup, les partis de l'opposition et les intéressés, notamment les membres de la GRC et les agents négociateurs potentiels, ont peu de temps pour analyser les détails de la réponse du gouvernement aux amendements du Sénat et déterminer s'ils sont d'accord ou non. Bref, je tiens à répéter que le temps est limité.
Lorsqu'on regarde la propre évaluation du gouvernement concernant la complexité de la question et le temps requis pour examiner adéquatement les enjeux qu'elle suppose, on comprend qu'il faudrait beaucoup plus de temps pour bien examiner la réponse du gouvernement. Les libéraux ont mis presque 11 mois à étudier la réponse du Sénat au projet de loi. Je rappelle à la Chambre que nous avons voté sur la version originale du projet de loi C-7 le 30 mai 2016. Le projet de loi a ensuite été présenté au Sénat le 31 mai 2016. Je n'ai entendu aucun député ministériel dire que l'autre endroit avait bâclé son examen de la mesure législative. En fait, le gouvernement a dit que le Sénat avait fait un excellent travail d'étude des détails présentés. Cela s'est fait dans un délai de 20 jours, soit du 31 mai au 21 juin 2016. Or, il a ensuite fallu 11 mois avant que le gouvernement revienne au projet de loi, et il nous demande à présent de nous prononcer au sujet de sa réponse, et ce, en 5 jours seulement. Par conséquent, c'est véritablement une question d'équité.
Je n'irais jamais jusqu'à dire que le président du Conseil du Trésor a induit la Chambre en erreur avec ses réponses. Plus tôt, il a dit que nous avons débattu de ce projet de loi à la Chambre pendant 16 heures. Si ce n'était pas une façon délibérée d'induire la Chambre en erreur, alors il a peut-être fait preuve d'une certaine paresse en ne se donnant pas la peine de modifier le discours qu'il avait prononcé à l'étape de la troisième lecture du projet de loi, une étape de l'étude qui a également fait l'objet d'une motion d'attribution de temps. L'objet du débat de mai 2016 était très différent de ce dont nous débattons aujourd'hui, car non seulement il est question d'amendements proposés à l'autre endroit que nous n'avons pas eu la chance d'étudier dans cette enceinte, mais en plus nous devons débattre de la réponse du gouvernement à ces amendements de l'autre endroit que le gouvernement a mis 11 mois à étudier. Or, ce n'est pas une réponse comme les autres qui consiste tout simplement à rejeter ou à accepter les amendements en question. Il s'agit plutôt d'un amendement à ces amendements.
Par conséquent, l'idée que nous allons bien faire les choses et rendre justice aux membres de la GRC de tout le pays, qui se battent depuis des années devant les tribunaux pour avoir droit à des négociations collectives et qui veulent que cela se fasse correctement — tout comme le gouvernement dit vouloir que les choses soient faites correctement —, et tout cela en cinq jours est, malheureusement, irréalisable. Je trouve que c'est regrettable, tout comme le fait que nous ne disposions que de cinq jours. Nous faisons de notre mieux de ce côté-ci de la Chambre pour donner notre avis sur le contenu de cette mesure législative, mais c'est difficile à faire adéquatement compte tenu de l'échéance injuste et déraisonnable qu'impose le gouvernement relativement à la motion en question. C'est important de le dire, car cela influera beaucoup sur la tournure que prendra le débat d'aujourd'hui et sur la décision qui en découlera.
Nous avons quelques réserves. Il y a quelques bons points dans cette réponse, mais il y a quelques aspects qui méritent d'être plus amplement examinés. Je répète que l'étude ne se fera pas, car nous allons régler la question aujourd'hui, d'une manière ou d'une autre, et le projet de loi retournera à l'autre endroit.
Parlons d'un des bons côtés. Ce n'est un secret pour personne: nous appuyons l'idée de laisser aux membres de la GRC l'option de recourir à un système de vérification des cartes. Le gouvernement l'appuie lui aussi de façon claire et constante. Nous sommes sur la même longueur d'onde sur ce point. C'est bien, et nous sommes contents de voir dans la réponse du gouvernement qu'il ne se dédit pas de sa promesse à ce chapitre. C'est important du point de vue du principe, mais également du point de vue de la logique, en l'occurrence, car les membres de la GRC sont répartis à la grandeur du pays. Certains se trouvent des régions rurales ou éloignées. D'autres sont affectés à l'étranger. Si on joint 50 % ou plus des membres et qu'ils approuvent la syndicalisation, alors on a l'assurance qu'un vote permettra d'obtenir les 50 % plus 1 nécessaires.
S'il y a un vote pour tout le monde en même temps, cela veut dire que tout le monde doit recevoir son bulletin de vote en même temps et qu'ils doivent tous le renvoyer dans un délai similaire. La logistique en cause est très complexe, surtout si le processus incombe à l'agent négociateur potentiel, car, par définition, le syndicat n'est pas encore reconnu.
La GRC n'a jamais été syndiquée, et le projet de loi C-7 exige, à juste titre, que le syndicat qui représente ses membres représente uniquement les membres de la GRC. Le projet de loi C-7 traite également d'une unité de négociation nationale composée uniquement de policiers. Il n'y a pas de syndicat préexistant qui possède les ressources et l'expertise nécessaires pour organiser ce genre de scrutin et pour garantir aux membres de la GRC que le processus sera mené avec la rigueur et l'intégrité auxquelles ils s'attendent lorsqu'ils accréditent un agent négociateur.
Nous sommes heureux de constater que cela figure dans le projet de loi. Nous sommes heureux que les exclusions aient été retirées du projet de loi. Les députés qui ont suivi la progression de la mesure législative savent que nous, les néo-démocrates, avons fait des pieds et des mains pour faire retirer ces exclusions. Nous croyons qu'il s'agit de la meilleure façon d'assurer aux membres de la GRC le droit à des négociations collectives libres et justes pour lequel ils ont lutté avec acharnement devant les tribunaux.
J'ouvre d'ailleurs une petite parenthèse: nous avons entendu le gouvernement tenter en quelque sorte de s'attribuer le crédit pour avoir accordé aux membres de la GRC le droit à la négociation collective, ce qui est tout simplement faux. C'est à la suite d'un jugement de la Cour suprême que les agents de la GRC ont obtenu ce droit. Il ne s'agit nullement d'une décision de l'actuel ou du précédent gouvernement. La Cour suprême a reconnu le droit des membres de la GRC à la négociation collective en vertu de la Charte des droits et libertés du Canada, laquelle garantit cette liberté aux gens qui la souhaitent.
Le projet de loi C-7 contribue à établir un cadre pour la négociation collective. Nous savons que ce projet de loi n'est pas nécessaire, mais il demeure souhaitable — à condition que le gouvernement fasse les choses correctement. Le projet de loi renferme certaines dispositions demandées par les membres de la GRC, notamment une unité de négociation nationale unique et le recours à l'arbitrage exécutoire, ce qui est bien. Il est sensé d'établir un cadre unique pour la GRC en ce qui concerne la négociation collective.
Or, le projet de loi C-7 n'accorde rien de nouveau aux agents de la GRC. Le droit à la négociation collective leur est déjà reconnu à l'heure où on se parle. En fait, deux demandes d'accréditation sont présentement à l'étude par la commission, l'une de la Fédération de la police nationale, concernant la création d'une unité de négociation nationale, et l'autre de l'Association des membres de la Police montée du Québec, qui représenterait uniquement les membres du Québec. J'y reviendrai dans un instant.
Voilà où nous en sommes. Le projet de loi C-7 n'accorde en rien le droit à la négociation collective aux agents de la GRC, puisque ce droit, ils l'ont déjà, quoi qu'en dise le gouvernement du jour. Il est d'ailleurs garanti par la Cour suprême.
Nous nous réjouissons que les exclusions aient été supprimées et que le gouvernement se soit ainsi rallié à la proposition que le NPD avait faite en ce sens en mai dernier, ici et au comité.
Nous craignons toutefois que la disposition sur les droits de la direction, qui remplace les exclusions, ne soit en fin de compte qu'un moyen détourné de ramener plus tard ces mêmes exclusions. Si on nous laissait le temps d'étudier les amendements en profondeur, nos craintes se dissiperaient sans doute d'elles-mêmes, car c'est vrai que de nombreuses conventions collectives et lois contiennent elles aussi une disposition semblable, mais c'est correct.
Cela dit, certaines formulations soulèvent des questions. Selon l'amendement du Sénat, les droits de la direction de la GRC viseraient essentiellement tout ce qui touche les pouvoirs du commissaire en matière de gestion des ressources humaines attribués par la Loi sur la GRC. Ce que nous avons entendu du gouvernement, c'est qu'il n'approuve pas l'amendement et qu'il désire le modifier. Il veut une clause plus ciblée sur les droits de la direction.
Au cours du débat de vendredi dernier, la secrétaire parlementaire a utilisé le mot « ciblée », et non pas « limitée ». Le gouvernement a donc modifié le libellé afin de passer des pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines attribués au commissaire par la Loi sur la GRC à une clause sur les droits de la direction qui garantit les pouvoirs du commissaire afin d'assurer l'efficacité des opérations. À première vue, cela semble très bien. Qui ne voudrait pas que les opérations de la GRC soient efficaces?
Cependant, le commissaire a justement défendu devant les comités de la Chambre et du Sénat que les exclusions devaient être maintenues parce que leur retrait nuirait à l'efficacité des opérations de la GRC.
Je pense que les membres de la GRC et les Canadiens ont le droit d'avoir ces craintes au sujet de la disposition sur les droits de la direction. En effet, même si, d'un point de vue fonctionnel, elle est davantage axée sur l'efficacité de la force, j'estime néanmoins que sa portée est plus vaste parce qu'elle permet au commissaire d'outrepasser les pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines qui lui ont été conférés par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada — et qui y sont énumérés au paragraphe 20.2(1), alinéas a) à l) — et de les interpréter complètement à sa guise, en fonction de ce qui est proposé à la table de négociation.
Cette disposition suscite des préoccupations raisonnables. Je pense que nous avons besoin de plus de temps pour l'examiner afin de déterminer si elle offrira au commissaire de la GRC un autre moyen détourné de rétablir les exclusions qui ont été éliminées. Même si nous pourrions être en mesure de contester l'interprétation donnée par le commissaire à l'expression « efficacité opérationnelle » — il pourrait ne pas être l'autorité ultime en la matière —, je crois qu'une unité de négociation nouvellement accréditée par les membres de la GRC pourrait avoir à entreprendre de très longues démarches, peut-être d'abord auprès de la commission du travail, puis des tribunaux, pour tenter de définir la signification de cette expression. Ensuite, je suppose qu'un membre de la commission déterminera si le commissaire a bien établi ce qu'il faut faire pour assurer l'efficacité des opérations à la GRC.
Les conséquences de cette disposition de protection des droits de la direction ne sont pas claires à mes yeux. J'ai l'impression que c'est peut-être un moyen de faire accepter des exclusions de ce genre. Il est possible que cette disposition déclenche de longues et coûteuses procédures au bout desquelles, en fin de compte, des précisions additionnelles seront apportées, car le gouvernement ne définit pas « l'efficacité opérationnelle ». Il ne précise pas la portée de ce terme. Je pense que nous devons nous en inquiéter.
En ce qui a trait aux griefs, le gouvernement dit qu'il ne souhaite pas qu'on puisse les présenter en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Une seule loi devrait pouvoir être invoquée, de manière à ce que les griefs ne soient pas présentés en double.
Dans ce cas aussi, la position du gouvernement semble logique. Son argument a du sens, tout comme le président du Conseil du Trésor a l'air raisonnable lorsqu'il dit que nous avons déjà débattu ce projet de loi pendant 16 heures. Néanmoins, si nous examinons les détails, nous sommes amenés à penser que l'argument est peut-être trompeur.
La plupart des arguments du gouvernement concernant le projet de loi C-7 portent sur le fait qu'il veut que les relations de travail de la GRC soient gérées de manière plus conforme au modèle préexistant de la fonction publique. Toutefois, ce qu'il semble faire en ce moment, c'est insérer le processus de griefs dans la Loi sur la GRC. Cela fera que la plupart des griefs seront traités en vertu de la Loi sur la GRC plutôt que de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
Cela pose deux problèmes. Le premier a trait d'un point de vue très pratico-pratique aux effets qu'auront ces changements en milieu de travail. Les sous-officiers de la GRC seront bientôt considérés comme étant des fonctionnaires une fois que le processus qui a lieu en ce moment sera complété à un moment donné en 2018. Cela veut dire qu'un agent et un membre civil de la GRC qui travaillent côte à côte dans un bureau d'un quartier général divisionnaire et qui sont victimes de harcèlement sexuel de la part du même officier supérieur auront à suivre deux processus de griefs différents. L'un aura lieu en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et sera supervisé par une tierce partie indépendante. Toutefois, pour l'agent, le processus de griefs aura lieu en vertu de la Loi sur la GRC et nous savons que dans ce cas-là c'est le commissaire qui a le dernier mot.
D'ailleurs, un rapport publié hier affirmait que, en ce qui concerne la GRC et sa culture institutionnelle, une partie du problème réside dans le fait que la décision finale concernant les griefs relève du commissaire de la GRC. Une des recommandations était de changer cela.
Voici ce que dit le rapport en question, qui a été publié hier par la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes et qui s'intitule « Rapport sur le harcèlement en milieu de travail à la GRC »:
[...] contrairement aux employés de la fonction publique qui ont le droit d'interjeter appel d'une décision rendue dans une plainte de harcèlement conformément à la procédure établie dans leur convention collective (ce qui comprend l'arbitrage par un tiers indépendant), les membres de la GRC n'ont toujours pas accès à un organe d'appel impartial et indépendant.
Il en est ainsi parce que les griefs sont traités par l’entremise du processus établi en vertu de la Loi sur la GRC.
Ce que propose le gouvernement dans sa réponse est le contraire de ce que préconise la recommandation du rapport publié hier selon laquelle le commissaire devait jouer un moins grand rôle dans le processus de griefs, et non l'inverse. Le gouvernement s'écarte ainsi de ce qu'il présente comme étant son principal objectif: harmoniser davantage les pratiques de relations de travail de la GRC avec celles du reste de la fonction publique. Il semble cependant qu'on opte pour l'harmonisation de ces pratiques de façon sélective. Quand cela n'arrange pas le gouvernement ou la direction — ce n'est pas toujours clair —, on choisit plutôt des processus distincts, en invoquant le caractère unique de la GRC.
Comme je l’ai dit, nous nous soucions des questions d’équité à la fois dans le milieu de travail et par rapport aux arguments d’ordre général avancés par le gouvernement. L’un des problèmes que présente ce processus est qu’il est trop souvent difficile de distinguer les intérêts du gouvernement de ceux de la direction. Nous savons que les intervenants n’ont pas pu prendre connaissance de la réponse du gouvernement avant qu'elle soit diffusée. Voilà pourquoi j’ai demandé au président du Conseil du Trésor si la direction de la GRC, elle, avait pu y jeter un coup d'oeil à l'avance et si, contrairement à d’autres groupes, elle avait eu son mot à dire. Je note que nous n’avons pas eu de réponse claire à cette question et que la réponse que nous avons eue portait sur une question que nous n’avons pas posée.
Si le gouvernement essaie de donner l’impression — et je crois qu’il devrait le faire — qu’il n’est pas de mèche avec la direction dans ce processus et qu’il veut plutôt servir d’arbitre indépendant soucieux de permettre la tenue de négociations collectives libres et équitables, je dois dire qu’il s’en est très mal sorti jusqu’à maintenant.