Madame la Présidente, aujourd'hui, dans le contexte de ce débat, nous soulignons le quatrième anniversaire de cet horrible attentat qui a eu lieu ici, sur la Colline parlementaire. On a perdu le caporal Nathan Cirillo. Or, il y a deux jours, c'était aussi l'anniversaire de cette attaque qui nous a enlevé l'adjudant Patrice Vincent à Saint-Jean-sur-Richelieu, qui n'est pas très loin de ma circonscription. Je pense que c'est tout à fait approprié, compte tenu du débat que nous avons aujourd'hui sur cet enjeu complexe et difficile et qui, trop souvent, enlève des vies, soit le terrorisme, et les gestes que le Canada doit poser pour assurer la sécurité publique. Nous nous souviendrons de ces deux hommes qui ont servi leur pays et qui ont perdu la vie dans d'horribles circonstances il n'y a pas si longtemps.
J'aimerais aussi profiter de l'occasion pour rappeler à la Chambre que les néo-démocrates étaient fiers d'appuyer, il y a maintenant un peu plus d'un an, la motion des conservateurs qui reconnaissait que les crimes horribles et haineux commis par le groupe État islamique constituent un génocide. Il n'y a aucun doute, quand on voit les minorités, les femmes, la communauté LGBT et toutes les personnes qui sont victimes de cette horrible violence, que nous devons reconnaître sa nature réelle. Nous appuyions la motion des conservateurs.
Nous reconnaissons aussi que tous les partis partagent le même objectif. Peu importe ce que nous pouvons dire, peu importe nos différentes opinions au sujet des outils qui devraient être utilisés ou des méthodes qui devraient être déployées, l'objectif est de mettre les criminels, les terroristes, derrière les barreaux.
La question qui est devant nous aujourd'hui est comment y arriver d'une façon appropriée dans une société démocratique basée sur le droit. Il y a des défis qui se posent et je vais y revenir dans quelques instants au fil de mon discours. Il est clair que le fait que nous reconnaissons ces défis et que nous n'avons pas de réponses faciles pour les régler ne veut surtout pas dire que nous sommes mous sur la question ou que nous voulons voir la sécurité publique être menacée par des individus potentiellement présents dans nos communautés ici au Canada.
Je pense qu'il est utile de s'attarder aux deux principales parties de la motion. Cependant, avant d'aller plus loin, je m'en voudrais de ne pas féliciter Nadia Murad, qui a reçu le prix Nobel de la paix pour le travail extraordinaire qu'elle a accompli afin d'attirer l'attention sur cet enjeu.
Je suis d'accord avec la députée de Calgary Nose Hill sur une chose, même si nos opinions divergent sur d'autres points: il est troublant de constater le silence assourdissant qui suit parfois ce type de militantisme, ces initiatives menées par des personnes comme Nadia Murad. En tant que parlementaires et en tant que pays, nous voulons toujours faire mieux.
À ce sujet, il est également important de reconnaître que nous ne pouvons même pas imaginer la force et le courage nécessaires pour passer au travers des terribles épreuves et des horreurs dont Nadia Murad a été témoin. Cependant, il faut encore plus de courage pour accepter de revivre ces horreurs, pour devenir une militante et pour faire partie du processus politique cherchant à obtenir justice et à changer la façon de gérer ces questions difficiles dans différents pays.
Cela étant dit, je parlerai des deux parties de la motion. Je commencerai par la partie a), qui porte précisément sur le terrorisme et la réadaptation.
Il faut se pencher sur la lutte contre la radicalisation. De nombreux experts dans les domaines de la sécurité nationale et d'autres domaines connexes l'ont dit clairement: l'un des grands défis auxquels nous sommes confrontés à l'ère des médias sociaux, par exemple, où des gens, souffrant souvent de problèmes mentaux, sont facilement manipulés par l'intermédiaire des médias sociaux ou d'autres moyens utilisés par des individus liés au groupe État islamique ou d'autres groupes, consiste à mettre sur pied une stratégie globale et en bonne et due forme de lutte contre la radicalisation. L'enjeu ne concerne pas uniquement le groupe État islamique; c'est la même chose pour les tenants de la suprématie blanche ou d'autres extrémistes qui prônent la violence.
Une telle approche est essentielle pour lutter contre la radicalisation qui mène à la violence. C'est un volet essentiel pour assurer la sécurité publique dans ces domaines.
Ce sont les arguments que les néo-démocrates ont fait valoir lors de la législature précédente, à l'occasion du débat sur le projet de loi C-51. Nous avions déclaré au gouvernement de l'époque que, même s'il s'agissait d'assurer la sécurité publique, plutôt que d'adopter un nouveau projet de loi draconien qui ne règle pas le problème et qui n'assure pas la sécurité des collectivités, pourquoi ne pas dégager des ressources supplémentaires pour la police, par exemple?
En 2012, le Fonds de recrutement de policiers a été supprimé. Il donnait aux provinces et aux municipalités les ressources nécessaires pour embaucher des agents de police et, dans certains cas, mettre sur pied des unités spéciales pour lutter, par exemple, contre le crime organisé et les gangs de rue. Il offrait le genre de ressources permettant à la police d'accomplir leur mission et de compléter les efforts déployés par la GRC dans la lutte contre le terrorisme et les autres formes d'extrémisme qui sévissent malheureusement au Canada et dans d'autres pays aujourd'hui. Nous avions soulevé cette question.
Nous avons également soulevé la question de la radicalisation et de la prévention. Je sais que le mot « prévention » a un sens, mais que parfois des gens cherchent à lui en donner un autre à grand renfort de discours. La prévention, ce n'est pas traiter avec ménagement des personnes qui commettront peut-être d'horribles crimes. C'est assurer la sécurité des Canadiens et éviter que des crimes et des attaques terroristes soient commis au départ. Après tout, nous avons beau déployer toutes les ressources et tous les outils législatifs après coup, si le mal est fait, nous avons déjà échoué. Comment pouvons-nous éviter d'en arriver là dans la mesure du possible? La lutte contre la radicalisation est une façon d'y arriver.
Il y a certainement des défis qui se rattachent à cela. Par exemple, à Montréal, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence est dépourvu de financement. Je n'entrerai pas dans le détail, puisqu'il y a également une question de gestion interne liée aux programmes offerts par le gouvernement du Québec. Cependant, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a soulevé un point important dans ce débat. Elle a dit que l'administration montréalaise hésitait à offrir un financement continu à ce centre parce qu'il servait une population beaucoup plus large que celle de la grande région de Montréal. Après tout, c'est le seul centre en Amérique du Nord ayant pour mission de contrer la radicalisation menant à la violence.
Dans le cadre d'une étude du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, nous nous sommes réunis avec les gens du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence. Ils nous ont dit qu'ils recevaient des appels de partout au Canada et même de la côte Est américaine. À New York, par exemple, des parents et des membres d'une communauté vulnérable appelaient le Centre pour obtenir de l'aide. Cela démontre qu'il y a un besoin criant non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis et ailleurs dans le monde. En Europe, certaines stratégies ont été déployées pour remédier à ce problème, mais ici, en Amérique du Nord et au Canada, il y a un manque flagrant.
Je ne peux qu'accueillir favorablement le financement octroyé par le gouvernement fédéral à cet égard, mais évidemment, ce n'est pas assez. Si c'était le cas, il y aurait plus qu'un seul centre. Si je comprends bien, on ne finance que des projets individuels. Or on a besoin d'un effort chapeauté et généralisé.
N'oublions pas non plus l'importance de donner une formation additionnelle à nos corps policiers et surtout à la GRC pour appuyer leur travail auprès des communautés vulnérables à toutes sortes d'extrémisme, que ce soit de la part du groupe État islamique ou de l'extrême droite. Celle-ci est d'ailleurs une menace croissante, selon un reportage publié il y a quelques semaines dans le Toronto Star. J'encourage tous mes collègues à le lire.
Tout cela démontre qu'il faut non seulement en faire plus, mais aussi penser aux types de stratégies qui sont déployées. Il s'agit d'une question essentielle afin d'assurer la sécurité publique. Lorsqu'on parle de crime et de terrorisme, certaines personnes et certains partis politiques pourraient penser que le mot « prévention » signifie traiter délicatement les personnes qui sont en voie de commettre les crimes les plus horribles de l'histoire de l'humanité. Soyons clairs: la prévention, c'est assurer la sécurité publique et éviter la perte d'autres vies comme celles de l'adjudant Patrice Vincent et du caporal Nathan Cirillo, que nous avons perdus il y a quatre ans.
Évidemment, il y a aussi le fait que les autorités ne sont pas en mesure de transformer les renseignements recueillis en éléments de preuve, je parle plus précisément de la partie b) de la motion qui porte sur la manière de traduire en justice ces militants, en particulier ceux qui reviennent au Canada. Nous sommes confrontés à un grand problème et nous ne sommes pas les seuls.
Différentes raisons expliquent pourquoi les autorités ne sont pas en mesure de transformer les renseignements recueillis en éléments de preuve. Les pouvoirs supplémentaires accordés au SCRS en sont une. Le SCRS conserve les pouvoirs de réduction des menaces qui lui ont été accordés dans le projet de loi C-51, malgré les amendements que j'ai présentés au comité de la sécurité publique dans le cadre des débats sur le projet de loi C-59, qui constitue essentiellement une tentative ratée des libéraux de corriger bon nombre des questions en suspens. Le gros problème est que ces pouvoirs de réduction des menaces sont, en un mot — et je suis sûr que certains avocats frémiront en m'entendant parce que je n'utilise probablement pas la bonne terminologie — extraconstitutionnels. Le SCRC s'adresse à des juges pour obtenir l'autorisation judiciaire d'utiliser ses pouvoirs de réduction des menaces d'une manière pouvant contrevenir à la Charte.
Dans le projet de loi C-59, nous avons constaté que ces pouvoirs existent encore mais qu'ils sont devenus, comme j'aime le dire, moins inconstitutionnels qu'aux termes du projet de loi C-51. Cependant, le principal enjeu dans le débat d'aujourd'hui concerne les renseignements recueillis par le SCRS grâce à ces pouvoirs, parce que, en pratique, à titre d'organisme d'application de la loi, la GRC s'emploie, en collaboration avec les procureurs de la Couronne, à traduire devant la justice les combattants terroristes qui rentrent au Canada, et à ce qu'ils soient incarcérés. Or, comme la GRC ne peut pas utiliser les renseignements dont dispose le SCRS, elle doit se débrouiller toute seule. Elle ne peut simplement faire une sélection des renseignements obtenus par le SCRS aux termes d'un régime d'autorisation judiciaire complètement différent. Elle doit d'abord et avant tout respecter les termes de la Loi sur la preuve au Canada et bien sûr la Constitution, qui s'applique à l'échelle nationale.
L'autre enjeu qui nous intéresse ici n'est pas lié aux pouvoirs utilisés par le SCRS et la GRC dans leurs activités respectives, mais plutôt à l'utilisation, lors de procès équitables et dans le respect de la Constitution, des renseignements concernant les conflits internationaux et leurs conséquences. J'attire l'attention sur le terme « procès équitable » parce que je suis persuadé que bon nombre de Canadiens qui nous écoutent et certains députés des autres partis se demandent peut-être pourquoi on recherche l'équité alors qu'il s'agit d'individus qui ont perpétré certains des crimes les plus horribles que l'humanité ait jamais vus. Ils ont commis un génocide. En fait, le respect de l'équité est garant de la sécurité publique parce qu'il assure l'irréprochabilité des procédures judiciaires. Par conséquent, l'équité est un incontournable si on souhaite vraiment poursuivre adéquatement et condamner ces individus dans les cas où, espérons-le, il est évident que cela s'impose, notamment parce que les preuves le justifient. À défaut d'un procès équitable, les procédures seront invalidées et nous serons de retour à la case départ.
Cela comporte différents éléments. L'un d'eux a déjà été soulevé. Ici, mes collègues peuvent se reporter aux extraordinaires balados de Craig Forcese et Stephanie Carvin, intitulés « Intrepid », dans le cadre desquels on a diffusé un entretien avec Solomon Friedman, un avocat criminaliste. Comme le mentionne ce dernier dans cet entretien, les individus en question ne sont pas toujours très populaires quand on pense aux victimes de crimes horribles. Il a cependant soulevé un point important. Si on prend les excellents reportages de Stewart Bell, par exemple, sur ce qui arrive aux combattants qui sont détenus dans des prisons kurdes, on constate que les conditions y sont abominables et que la GRC ne peut pas simplement entrer dans des lieux où on a peut-être recours à des pratiques répréhensibles — la torture ou autre chose — ou où les conditions sont grandement inférieures aux normes auxquelles s'attendent les Canadiens pour les délinquants emprisonnés dans les établissements correctionnels de notre pays. Le grand problème est qu'il serait facile pour un juge, en se fondant sur les arguments avancés par l'avocat de la défense, de penser au centre de détention kurde et de dire qu'il y a manifestement lieu de se demander si l'information présentée au tribunal est vraie ou non parce que la confession a été obtenue sous la contrainte. Certes, il ne m'appartient pas d'en décider, mais je veux, en tant que législateur, m'assurer que nous veillons à ce que le processus soit le plus équitable possible afin de maximiser le taux de réussite pour que nous puissions vivre dans des collectivités plus sûres et respecter les objectifs de notre système en matière de sécurité publique et de justice, système qui est fondé, lui, sur la primauté du droit.
Ce ne sont pas toujours des réponses satisfaisantes pour la population, j'en conviens.
Ultimement, il faut reconnaître que nous avons tous le même objectif. La grande question est la suivante: comment faut-il procéder pour régler ce problème? Cela pose un défi.
Un journaliste m'a posé une question à la suite d'un reportage de Global News, dans le cadre duquel le journaliste Stuart Bell a fait un excellent travail. Le journaliste m'a demandé si le gouvernement devrait entreprendre des démarches pour ramener ces personnes au Canada.
C'est une question à laquelle je n'ai pas de réponse. Bien évidemment, je ne veux pas que les diplomates, comme l'a dit le ministre, se mettent en danger pour ramener ces individus. Je ne veux pas non plus que des individus reviennent au pays et causent une menace à la sécurité publique.
Cela étant dit, nous avons aussi une responsabilité envers les personnes qui ont la citoyenneté canadienne. Si elles ont effectivement commis des crimes horribles, il faut nous assurer de les poursuivre en justice ici au Canada et de les mettre derrière les barreaux ici au Canada. C'est notre responsabilité de non seulement protéger les citoyens respectueux de la loi, mais de poursuivre en justice ceux qui ne le sont pas. Ce n'est pas toujours un concept très populaire, mais c'est au coeur des principes qu'évoque la citoyenneté canadienne.
Il n'est pas juste question des caricatures créées par les conservateurs, comme celle d'un homme dans la vingtaine, effrayant, qui va revenir et causer une menace à notre sécurité. Il y a aussi des cas extrêmement complexes comme les femmes qui ont été à l'étranger. Dans certains cas, à cause des déplacements qu'elles ont effectués et des activités qu'elles ont faites avec le groupe État islamique, elles pourraient être poursuivies en justice.
Ces cas-là sont beaucoup plus compliqués, parce que, dans certains cas, certaines ont été victimes de viol, de violence conjugale et de toutes sortes d'autres circonstances plus nébuleuses à l'étranger, des circonstances dont on ne détient pas forcément les informations. Ce sont des cas très compliqués. Les femmes sont évidemment parmi les groupes victimes du groupe État islamique. Pourquoi voudrions-nous abdiquer nos responsabilités envers des Canadiennes victimes du groupe État islamique?
Je peux comprendre que, dans certains cas, certaines seront peut-être trouvées coupables d'avoir commis certains crimes liés aux éléments du Code criminel concernant le déplacement et l'appui à un groupe terroriste. Néanmoins, il ne faut pas négliger celles qui sont victimes.
Le gouvernement a un travail à faire, il doit utiliser l'information dont il dispose pour s'assurer qu'on fait ce qu'on peut pour protéger les citoyens et les citoyennes du Canada qui sont victimes.
Cela va de soi aussi pour les enfants. Je crois que tous les Canadiens, ceux qui nous écoutent à la maison et ceux qui sont ici à la Chambre, peuvent reconnaître que c'est inacceptable que des enfants, dans certains cas en bas de 5 ans, qui ont la citoyenneté canadienne se retrouvent dans des camps, dans une zone de conflit, à l'étranger. Par le fait qu'on ne ramène pas ces femmes ici au Canada, les enfants restent aussi pris à l'étranger dans des conditions exécrables.
Je reviens à la citation de Nadia Murad qui se trouve dans cette motion. Elle parle de lavage de cerveau. Des enfants âgés d'environ 5 ans, des fois moins, des fois plus, peuvent devenir à l'étranger des enfants-soldats, comme on le voit si souvent dans les zones de guerre où on voit des génocides. Radicalisés, ils peuvent eux aussi devenir de futures menaces à la sécurité publique et on ne veut pas cela.
Protéger un enfant et en plus protéger la sécurité publique, ce sont des objectifs extrêmement louables qu'on ne peut qu'appuyer, bien que ce soit dans des zones de guerre où les situations peuvent se corser et devenir extrêmement compliquées à gérer.
Pour conclure, bien que je reconnaisse certainement les préoccupations des Canadiens relativement à la sécurité publique, je tiens à préciser que, si nous ne sommes pas d'accord sur les méthodes à déployer et la façon d'améliorer les outils dont nous disposons pour traduire en justice les combattants étrangers qui reviennent ici et contrer la radicalisation, tous à la Chambre estiment que nous pouvons faire plus pour transformer les renseignements recueillis en éléments de preuve afin d'assurer la sécurité publique. Toutefois, nous ne nous rendons pas service lorsque nous le faisons d'une manière qui, parfois, ne tient pas compte du fait que toutes les personnes visées ne vivent pas la même situation. Il y a une énorme difficulté que nous ne pouvons pas ignorer quand il s'agit de femmes et d'enfants. Pour cette raison, il faut en faire plus. Nous avons hâte de collaborer avec le gouvernement à la recherche de solutions à ce problème.
Dire que ce n'est pas l'enjeu le plus compliqué auquel nous faisons face en sécurité publique en ce moment serait naïf. Il faut donc s'y attaquer de front. Je suis très heureux de travailler avec mes collègues de tous les partis pour tenter de le régler et ultimement assurer la sécurité publique.