À cette époque, le ministre de la Sécurité publique a décidé de ne pas faire la deuxième lecture et d'envoyer directement le projet de loi C-59 au Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Selon lui, il fallait tenir des rencontres pour avoir encore plus d'informations afin d'améliorer le projet de loi, et c'est ce qu'on a fait.
Pendant l'étude du projet de loi C-59 en comité, 235 modifications ont été proposées: le Parti conservateur en a soumis 29 et le Parti vert, 45. Toutes ont été défaites par les libéraux. Quatre modifications proposées par le NPD et 40 modifications présentées par les libéraux ont été adoptées. Celles des libéraux concernaient plus des questions de libellé, soit 22 modifications, et des questions d'administration. Les libéraux ont aussi proposé une modification très importante dont je vais parler plus tard.
Le mandat du Comité était d'améliorer le projet de loi. Nous, les conservateurs, avons entrepris ce travail de bonne foi. Nous avons proposé des amendements importants pour que le projet de loi présenté à l'étape de la deuxième lecture soit plus complet et meilleur. Les membres libéraux du comité ont refusé d'adopter tous nos amendements, qui avaient beaucoup de bon sens. Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a tenu 16 réunions sur ce sujet lors desquelles nous avons reçu plusieurs témoins: des gens de tous les horizons et des personnalités importantes de la sécurité. Finalement, le gouvernement a préféré dire non à nos amendements.
Nous retenons deux choses importantes. Premièrement, avec le projet de loi C-59, il y aura moins d'outils pour nos agences de la sécurité, alors que la menace terroriste demeure présente dans notre monde. Deuxièmement, les agences auront encore plus de difficultés à s'échanger de l'information.
Une des choses importantes qui ont été proposées lors des réunions du comité, c'est l'amendement déposé par le député libéral de Montarville qui concerne la perpétration de la torture. Tous les partis à la Chambre s'entendent pour dire que l'utilisation de la torture par nos différentes agences de renseignement ou de sécurité est absolument interdite. Là-dessus, il n'y a aucun problème. Par contre, dans la partie sur la torture, il y a actuellement un problème et un jeu politique alors que nos amis d'en face ne sont pas encore prêts à dire à la Chine et à l'Iran de changer leurs façons de faire en ce qui concerne les droits de la personne. Dans un paragraphe de la partie sur la torture, il est écrit que si on pense — sans vraiment le savoir — qu'un renseignement qui provient de l'étranger a été obtenu par la torture, le Canada n'utilisera pas l'information. Par exemple, si un pays nous avertit qu'un attentat se prépare pour faire sauter demain la Tour CN, à Toronto, et qu'on pense que l'information a été soutirée par une forme de torture, on ne fera rien avec l'information si la loi reste comme cela. Cela n'a aucun sens. Nous pensons qu'il faut protéger les Canadiens d'abord et régler le problème avec le pays concerné après.
Ce sont des petits éléments comme celui-là qui font que nous ne pouvons pas appuyer le projet de loi. Cet élément a été proposé à la fin de l'étude. Encore une fois, il a été garroché sans avis, et nous avons dû voter.
Il y a des enjeux clés. Dans la partie 1 qui porte sur l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, il n'y a aucun budget prévu. Les libéraux ont donc augmenté la structure, mais n'y ont pas associé de budget. Comment pouvons-nous voter sur un élément du projet de loi alors qu'aucun chiffre n'y est rattaché?
Dans la partie 2, il est question du commissaire au renseignement. Les libéraux ont rejeté les modifications visant à permettre aux juges actuels, qui prendront leur retraite à leur nomination, et aux retraités d'être considérés, et ce, malgré le témoignage du commissaire au renseignement qui assumera ces nouvelles fonctions. Actuellement, on prend seulement des juges retraités. Nous avons dit qu'il y a des juges en fonction qui pourraient faire le travail, mais cela a été refusé. Pourtant, ce n'est rien de compliqué, c'est plein de bon sens. On pourrait avoir les meilleures personnes, dans la force de l'âge, qui ont une énergie peut-être plus grande que celle des personnes qui prennent leur retraite et qui sont moins intéressées à travailler 40 heures par semaine.
Dans la partie 3 sur le Centre de la sécurité des télécommunications ou CST, il y a des problèmes relatifs à la restriction de l'information. En effet, dans le projet de loi C-59, des clauses font en sorte que la capture de l'information sera plus compliquée. Nos agences de renseignement font face à des barrières supplémentaires. Il sera donc plus difficile d'obtenir l'information qui permet à nos agences d'engager des actions, entre autres contre des terroristes.
La partie 4 porte sur le Service canadien du renseignement de sécurité ou SCRS. En ce qui concerne le SCRS, on a souvent fait référence à la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu'à la vie privée. On a souvent reproché cela au projet de loi C-51; on disait qu'en vertu de ce projet de loi, on pouvait interférer dans la vie privée des gens. Des témoins, qui représentaient les groupes d'intérêts pour les droits à la vie privée des gens, et des personnes qui travaillent quotidiennement pour assurer la sécurité des Canadiens, ont comparu. Par exemple, Richard Fadden a dit qu'on travaillait actuellement en silo. Le SCRS, le CST et la GRC travaillent en silo, et c'est trop compliqué. Il n'y a pas moyen de faire un partage d'information, cela ne fonctionne pas.
Ces commentaires ont été faits également par M. Leuprecht, Ph.D., du Collège militaire, par le lieutenant-général Michael Day, des forces spéciales, et par Ray Boisvert, ancien conseiller à la sécurité. L'amendement 12 des conservateurs a été rejeté. Cet amendement demandait une meilleure façon de faire pour le transfert d'information. À ce sujet, je rappelle l'attentat d'Air India en 1985. On nous a donné l'exemple de cet attentat qui a tué plus de 200 personnes dans un vol en partance de de Toronto pour Bombay. Il a été déterminé que si le transfert d'information avait été plus facile à l'époque, on aurait pu éviter cet attentat.
Le point le plus important dans la partie 7 qui traite du Code criminel est le fait d'augmenter le fardeau pour l'obtention de mandats d'arrestation afin d'empêcher des actes terroristes, en se servant de mots importants, Des mesures ont été prises pour modifier la promotion du terrorisme. À l'article 83.221 concernant l'incitation au terrorisme, libéraux ont changé une partie du libellé pour les activités terroristes non identifiées, comme par exemple les vidéos du groupe État islamique sur Youtube. Ils ont donc créé l'article 83.221.
Avec cela, on modifie les ordonnances d'engagement pour terrorisme, afin qu'il soit plus difficile de contrôler les menaces. Maintenant, au lieu de dire « probable », on dit « est nécessaire ». Ce sont tout simplement deux mots, mais ils font toute la différence. Avant, si c'était probable que quelque chose arrive, on pouvait intervenir, alors que maintenant, il faut que ce soit nécessaire. C'est un aspect technique, mais ces deux mots font en sorte que l'ensemble du projet de loi C-59 ne peut être acceptable pour nous. En effet, on augmente la difficulté, alors qu'on devrait aider les agences et nos policiers à faire leur travail.
Nous ne sommes pas contre l'idée de remanier notre projet de loi sur la sécurité nationale. Tout gouvernement a besoin de le faire pour s'adapter à la situation. Le projet de loi C-51, déposé à l'époque par les conservateurs, était un outil essentiel dans les cas d'attentat terroriste au Canada et partout dans le monde. Nous avions besoin d'outils pour aider nos agents. En campagne électorale, les libéraux se sont servis du projet de loi C-51, disant qu'il allait à l'encontre de la liberté des Canadiens, que c'était un outil qui n'avait pas de bon sens. Ils ont d'ailleurs promis de déposer un nouveau projet de loi et nous l'avons devant nous aujourd'hui, le projet de loi C-59.
Au bout du compte, je dirais que le projet de loi C-59, un projet de loi omnibus et majeur, n'est pas nécessairement trop différent du projet de loi C-51. Il y a plusieurs parties dont je n'ai pas parlé, parce que nous n'avons rien à dire et que nous sommes d'accord avec ce qu'elles contiennent. Nous sommes pas contre tout dans la vie. Ce que nous voulons, c'est d'être efficaces et d'assurer la sécurité des Canadiens, peu importe le parti. On s'entend là-dessus.
Par contre, certains éléments sont problématiques. Comme je l'ai dit tantôt, on ne voudra pas accepter de l'information sur des attentats possibles provenant de certains pays, parce qu'elle a peut-être été obtenue sous la torture. Cela ne peut pas être admissible. De plus, on change deux mots, ce qui complique l'accès à l'information afin d'intervenir. On ne peut pas être d'accord avec cela.
Actuellement, on fait le contraire et la plupart des témoins qui sont venus nous voir au Comité, des gens qui s'occupent de la vie privée, n'avaient pas vraiment de problèmes à signaler. Ils ne sont pas arrivés en tapant sur le bureau, en disant que cela n'avait pas de bon sens, qu'il fallait changer cela. Tout le monde y allait de ses propositions, mais enfin de compte il n'y avait pas tant de problèmes. Oui, certains sont arrivés en disant que C-51 était insensé, mais quand on posait nos questions en contre-argument, on arrivait souvent à un compromis et tout le monde disait que la sécurité était importante.
Il demeure que les amendements proposés par les conservateurs ont tous été défaits par les libéraux. Je ne peux pas le comprendre alors que le ministre nous a demandé de faire un travail, d'aider à améliorer C-59 avant de l'amener ici en deuxième lecture — par la suite il va être en troisième lecture. Nous avons fait le travail. Nous avons fait ce que nous avions à faire, comme le NPD, comme le Parti vert. La chef du Parti vert, que je félicite, avait 45 amendements; je n'étais pas d'accord sur tous ses amendements, mais il y a un travail qui a été fait justement pour améliorer C-59 afin d'améliorer la sécurité, dans l'intérêt des Canadiens, tel que promis. Malheureusement, cela n'a pas été fait. Nous allons devoir voter contre le projet de loi.
Puisque j'ai du temps, je vais vous donner des exemples de citations des témoins qui sont venus au Comité. Par exemple, Richard Fadden, tout le monde connaît l'ancien conseiller à la sécurité nationale du premier ministre, a dit que le projet de loi C-59 commençait « à rivaliser de complexité avec la Loi de l'impôt sur le revenu. Certains sous-alinéas sont exclus. S'il y a quelque chose que le Comité peut faire, c'est le simplifier un peu. » M. Fadden se présente au Comité, il nous dit cela. S'il y a quelqu'un qui connaît la sécurité, c'est bien l'ancien conseiller à la sécurité nationale du Canada. Il nous a dit qu'il ne comprenait rien à C-59, que c'était pire que l'impôt. C'est ce qu'il nous a dit en comité. Nous avons acquiescé et essayer d'aider, en vain. Il semble que les libéraux n'étaient pas à la même réunion que moi.
Ensuite, on a eu l'exemple d'une personne connue sous le nom Abu Huzaifa, un gentil petit monsieur. Tout le monde sait qu'il y a deux ou trois semaines à Toronto, le gentil petit monsieur s'est vanté au New York Times puis à CBC d'avoir été avec Daech, en Irak et en Syrie, d'avoir travaillé avec cette organisation comme terroriste. Il a avoué avoir voyagé pour faire du terrorisme et avoir commis des crimes odieux — je pense que cela ne peut même pas se dire ici —, puis nos agents de renseignement apprennent en écoutant les balados du New York Times que cet individu, qui est à Toronto actuellement, se promène en toute liberté. On voit les limites de C-59 avec le cas précis d'un Canadien qui a décidé de se battre contre nous, d'aller faire du terrorisme, de tuer des gens à la façon de l'État islamique — tout le monde sait ce que c'est — puis de revenir ici, et maintenant il se promène en liberté. Là, on nous dit que le loi ne permet pas ceci ou cela. Avec C-51, nous nous faisions dire que nous étions trop restrictifs, mais là on augmente les problèmes pour avoir de l'information avec C-59.
Que pensent les Canadiens de cela? Les Canadiens sont chez eux, ils regardent les nouvelles en se disant que quelque chose doit être fait et se demandent pourquoi les députés sont payés, à Ottawa. On voit cela souvent sur Facebook ou Twitter: les gens demandent que nous fassions quelque chose, car on nous paie pour cela. Nous, les conservateurs nous sommes d'accord et nous poussons. Le gouvernement est de l'autre bord; il penche la tête et il attend que cela passe. Cela ne fonctionne pas de cette manière. Il faut être un peu plus sérieux au chapitre de la sécurité.
C'est ce genre de chose qui fait que les Canadiens perdent confiance envers leurs institutions, envers leurs politiciens. C'est pour cela que les gens en viennent à un moment donné à vouloir prendre en charge leur sécurité eux-mêmes, mais il ne faut pas que cela arrive. Je suis d'accord qu'il ne faut pas que cela arrive. C'est ce qui est dangereux pour une société. Quand les gens perdent confiance envers leurs politiciens, décident de prendre en main leur sécurité, c'est le far west. Nous ne voulons pas cela. Nous avons donc besoin d'outils forts, qui permettent à nos agents de sécurité, nos agents de renseignement, de bien faire leur travail et non pas de les menotter. Les menottes vont aux terroristes, elles ne vont pas à nos agents sur le terrain.
Christian Leuprecht, du Collège militaire royal de l'Université Queen's, a dit qu'il respectait les suggestions selon lesquelles le SCRS devrait s'en tenir au tricotage, c'est-à-dire ne pas intervenir. Selon lui, la GRC devrait faire certaines choses comme des perturbations, mais il estime qu'elle a déjà des difficultés sur bien des fronts et qu'on devrait déterminer l'avantage relatif des différentes organisations et leur permettre de le mettre à profit rapidement.
Les questions que nous avons reçues à la suite des témoignages portaient donc sur le fait qu'on enlève à nos agents de renseignement du SCRS la possibilité d'intervenir et qu'on demande à la GRC de le faire, alors que celle-ci est débordée. Regardons ce qui se passe à la frontière. On doit envoyer des agents de la GRC pour la renforcer parce qu'on fait signe aux gens de venir ici. La GRC est donc débordée et on lui demande de faire des choses qu'on dit au SCRS de ne pas faire, et pendant ce temps, il y a des crimes dans l'Ouest. Mes collègues de l'Alberta parlaient des crimes majeurs qui ont lieu dans des communautés rurales.
La Finlande et d'autres pays d'Europe ont dit que le terrorisme était une question trop importante et qu'ils allaient permettre à leurs agents d'intervenir. On ne peut pas toujours dire que la GRC va tout régler, c'est impossible. À un moment donné, il faut être plus sérieux.
À la suite de ces témoignages, nous avions proposé des amendements pour améliorer le projet de loi C-59 de telle sorte que nous n'ayons plus de raison de nous y opposer à l'étape de la deuxième lecture. Le gouvernement aurait pu entendre raison et accepter nos amendements, puis nous aurions eu un beau vote, mais cela n'a pas été le cas. Selon moi, c'est de la pure partisanerie. Quand on nous demande de faire un travail préalable à la deuxième lecture ou à la troisième lecture et qu'on rejette ensuite tout ce que nous proposons, c'est soit parce qu'on impose son idéologie, soit parce qu'on fait preuve de partisanerie. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il est question de sécurité publique, cela me répugne.
À mes débuts dans les Forces armées canadiennes, à la fin des années 1980, on nous disait qu'au Canada, les militaires ne touchaient pas au terrorisme et que c'était un sujet qui concernait les Américains. C'était les premières choses qu'on nous disait. À l'époque, nous apprenions à nous battre contre le pacte de Varsovie. Il s'agissait des grandes guerres mécanisées; nous ne touchions pas du tout au terrorisme.
Toutefois, les temps ont changé. Évidemment, le 11 septembre 2001 a tout changé. Maintenant, le Canada a des forces spéciales, ce qu'il n'avait pas à l'époque. La FOI 2, une unité de forces spéciales, a été créée. Le Canada a dû s'adapter à la réalité mondiale, puisqu'il peut aussi être la cible d'attentats terroristes. Il faut cesser de se mettre des oeillères et de penser que le Canada est sur une autre planète, isolé de toute forme de méchanceté ou de cruauté. Le Canada est sur la planète Terre et le terrorisme n'a pas de frontières.
Le G7 approche, et n'importe qui pourrait avoir planifié un attentat là-bas. On ne le sait pas. Si on n'a pas d'outils pour prévenir et intercepter les menaces, que va-t-il arriver? C'est cela qui est important. Présentement, au G7, il y a des Américains et des hélicoptères partout. Des reportages télévisés nous montrent l'omniprésence de la sécurité américaine. Pourquoi y a-t-il autant de monde? C'est parce qu'il y a une perte de confiance. Si les Américains ne font pas confiance aux Canadiens en ce qui concerne nos règles, nos forces et notre capacité d'intervention, ils vont apporter tout ce dont ils ont besoin pour se défendre eux-mêmes.
Il faut donc prendre une position forte. Oui, il faut démontrer que nous sommes un pays ouvert et compatissant, bien sûr. Cependant, il ne faut pas se mettre des oeillères; il faut être à l'affût et prêt à agir.