Madame la Présidente, je suis fier de partager mon temps de parole avec ma formidable collègue la députée d'Edmonton Strathcona.
Je suis heureux d'intervenir dans le débat d'urgence de ce soir sur le secteur canadien de l'énergie.
Comme la députée de Lakeland l'a souligné lorsqu'elle a demandé la tenue de ce débat, l'Alberta a subi de lourdes pertes d'emplois lorsque les cours mondiaux du pétrole se sont effondrés, il y a quatre ans, passant de plus de 100 $ le baril, au milieu de 2014, à moins de 30 $ le baril au début de 2016. Jusqu'à récemment, les cours du pétrole remontaient de façon constante, jusqu'à atteindre plus de 70 $ le baril, il y a seulement six mois, au printemps dernier.
Le pétrole canadien est parfois exporté au rabais par rapport aux cours mondiaux, car on l'exporte sous forme de bitume, qui est plus cher à raffiner, et que seules certaines raffineries sont capables de traiter. Ce rabais tourne habituellement autour de 17 $, mais il peut varier, car certains facteurs ont une incidence sur la capacité des producteurs canadiens d'acheminer leur produit vers les raffineries. Dernièrement, en raison de la fermeture temporaire de raffineries américaines pour des travaux d'entretien, l'écart de prix a augmenté considérablement, puisque les réserves de bitume destiné à l'exportation s'accumulent en Alberta. Aujourd'hui, le cours du Western Canada Select est à environ 50 $ de moins que celui du West Texas Intermediate.
Je tiens à souligner, comme vient de le mentionner ma collègue de Saanich—Gulf Islands, qu'une part importante de la production canadienne de pétrole n'est pas du tout visée par cet écart ou n'est pas touchée par les variations parce que les plus grands producteurs canadiens, comme Suncor, Husky et l'Impériale, ont leurs propres usines de raffinage et de valorisation et produisent du pétrole synthétique qui se vend à peu près aux prix en vigueur sur les marchés mondiaux. Je me suis entretenu avec une représentante de Suncor à mon bureau la semaine dernière. Elle m'a dit que son entreprise se portait très bien et obtenait un très bon prix pour son produit.
Selon certaines estimations, la proportion de la production canadienne exposée à cet écart ne dépasserait pas 10 %. Autrement dit, la majeure partie de notre production est vendue aux cours mondiaux ou presque. La proportion qui est exposée à cet énorme écart de prix va toutefois en augmentant à mesure que de nouvelles quantités de pétrole sont prêtes à être expédiées et se disputent la capacité de transport limitée des pipelines vers les raffineries.
Il y a un projet d'expansion de pipeline en cours à l'heure actuelle, la canalisation 3, qui acheminerait le pétrole de l'Alberta au Wisconsin. J'ai rencontré les représentants de l'industrie des pipelines à mon bureau il y a quelques semaines, et ils m'ont confirmé que cette canalisation serait entièrement opérationnelle d'ici l'automne prochain et réglerait le problème de l'écart de prix.
Les conservateurs, bien entendu, blâment les libéraux pour tous les autres pipelines qui n'ont pas été construits. Nous en avons entendu parler ce soir: Northern Gateway, Énergie Est, Trans Mountain. Pendant ce temps, les libéraux blâment les conservateurs. Eh bien, comme je l'ai déjà dit ici, ils ont tous raison.
Pourquoi ces autres pipelines n'ont-ils pas été construits? Ils n'ont pas été construits parce que les conservateurs ont expédié le processus. Ils ont vidé de leur substance les protections environnementales conformément aux directives des producteurs de pétrole. Ma collègue d'Edmonton Strathcona a utilisé un meilleur mot, « saccager », mais l'idée est la même. Ils ont vidé de leur substance le processus d'évaluation de l'impact environnemental, la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection des eaux navigables.
Puis, ils en ont rajouté et ont qualifié toutes les personnes soucieuses de l'environnement d'ennemis de l'État ou d'extrémistes financés par des intérêts étrangers. J'entends encore ce discours ici. Cela a réveillé toute une génération de Canadiens et les a amenés à prendre parti. Le débat est maintenant complètement polarisé.
Lors de la dernière campagne électorale, tant les libéraux que les néo-démocrates ont fait campagne en promettant d'améliorer le processus d'évaluation de l'Office national de l'énergie et d'abroger les modifications nuisibles que l'on avait apportées à ces protections environnementales. Malheureusement, ce sont les libéraux qui ont été élus, et ils sont immédiatement revenus sur cette promesse électorale.
L'approbation de l'oléoduc Northern Gateway a été annulée par les tribunaux en raison des consultations boiteuses, et les libéraux ont sagement choisi de ne pas tenter de corriger les lacunes de ce projet profondément compromis. Ils ont plutôt concocté une solution miracle: un comité ministériel a parcouru le tracé du projet d'expansion de l'oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan. Il s'agissait d'une tournée des collectivités organisée très rapidement.
On a envoyé des fonctionnaires consulter les gouvernements autochtones, mais, comme nous l'avons appris plus tard, ils ont seulement noté les préoccupations des communautés sans même tenter d'y répondre. En fait, ils semblaient croire qu'ils n'avaient pas le pouvoir de changer la décision de l'Office national de l'énergie concernant l'oléoduc Trans Mountain. Étant donné que la décision d'aller de l'avant avec l'oléoduc Trans Mountain avait déjà été prise avant de tenir ces consultations, il n'est pas surprenant que les fonctionnaires aient cru qu'ils n'avaient pas le pouvoir ou de motif d'apporter des changements.
Les libéraux ont ensuite approuvé le projet d'expansion de l'oléoduc Trans Mountain. Ils l'ont tellement approuvé qu'ils ont fini par l'acheter, ou, du moins, ils ont acheté l'oléoduc de 65 ans pour 4,5 milliards de dollars. Le projet d'expansion nous coûtera 10 milliards de dollars de plus, bien entendu.
Au moment de finaliser la vente — en fait, seulement cinq minutes plus tard — la Cour d'appel fédérale a annulé l'approbation du projet Trans Mountain, pour les mêmes raisons qui avaient motivé l'annulation du projet Northern Gateway.
Encore une fois, les conservateurs ont blâmé les libéraux de ne pas avoir démarré le projet. Cependant, pour être juste envers les libéraux, ils faisaient exactement ce que les conservateurs avaient fait auparavant, c'est-à-dire qu'ils ont voulu accélérer un processus qui ne pouvait et ne devait pas être précipité.
Nous voilà donc, trois ans après les élections, revenus à la case départ sans avoir réalisé un seul projet d'oléoduc. Au fur et à mesure que de nouveaux projets d'exploitation des sables bitumineux sont démarrés en Alberta, la quantité de bitume qui doit être expédié augmente. Lorsque les raffineries sont fermées pour y effectuer des tâches d'entretien ou lorsque l'exploitation des oléoducs est interrompue pour y réparer des fuites, le surplus de pétrole dans les parcs de stockage de l'Alberta augmente et le prix baisse.
Quelles mesures peut-on prendre pour faire augmenter le prix du bitume canadien dont les réserves s'accumulent? À court terme, le gouvernement de l'Alberta pourrait dire aux producteurs de réduire la cadence, et il semble que ce soit la suggestion de Jason Kenney. Il est extrêmement paradoxal de voir ce grand champion du libre marché défendre une intervention gouvernementale directe. Certains s'inquiètent qu'une telle intervention soit perçue comme un obstacle au commerce international. Les États-Unis pourraient dire que le Canada n'a pas une économie de marché.
Le gouvernement de l'Alberta envisage d'acheter plus de wagons pour acheminer le pétrole vers les raffineries américaines. Cette solution pourrait fonctionner à moyen terme après quelques mois, mais elle n'aurait aucun effet dans l'immédiat. D'ici à ce que des wagons supplémentaires deviennent disponibles, la capacité de raffinage sera probablement rétablie et le rabais disparaîtra.
Comme je l'ai déjà dit, la canalisation 3 entrera en fonction l'année prochaine, ce qui permettra de résoudre le problème. Nous pourrions construire des raffineries et des usines de valorisation. Ainsi, non seulement nous produirions du pétrole que nous pourrions vendre à des prix en vigueur sur les marchés mondiaux, mais nous réduirions également le volume à acheminer dans les pipelines. En effet, le transport de pétrole raffiné ou valorisé nécessite beaucoup moins d'espace que celui du bitume qui doit être dilué.
Les véritables solutions visent le long terme. D'abord, il nous faut rétablir la confiance du public dans le processus de réglementation du secteur énergétique et dans les évaluations environnementales au Canada.
Le sondeur Nick Nanos a découvert qu'après des années de compressions et d'affaiblissement de la réglementation, seulement 2 % des Canadiens font encore pleinement confiance à ces processus. La solution, selon ce qu'il a constaté, consiste à écouter davantage la population et les peuples autochtones.
Prenons un instant pour voir ce qui se fait ailleurs dans le monde. En juin dernier, je me suis rendu en Argentine avec l'ex-ministre des Ressources naturelles pour la réunion des ministres de l'Énergie du G20, dont le thème était la grande transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
Le ministre chinois a parlé des vastes investissements à faire dans les infrastructures liées aux énergies renouvelables. Il y est allé de prédictions audacieuses sur la place qu'occuperont les véhicules électriques dans le monde, véhicules que la Chine fabrique à un rythme toujours croissant. Il a aussi dit que, pour la production d'électricité, nous devrions passer directement du charbon aux énergies renouvelables, sans transiter par le gaz naturel. De son côté, le ministre britannique a parlé des centaines de milliers d'emplois que le secteur des énergies propres pourrait créer. « Le beurre et l'argent du beurre », voilà l'expression qu'il a utilisée. De quoi a parlé notre ministre à nous? De l'achat d'un vieux pipeline.
C'est tout à fait possible de créer de bons emplois stables dans le secteur énergétique canadien. Il suffit d'investir dans les énergies propres. Selon une nouvelle étude sur les moyens d'économiser de l'énergie, par exemple en rénovant de fond en comble les grands immeubles du pays, le Canada pourrait économiser pas moins de 54 milliards de dollars par année. C'est 3 % du PIB national.
Si nous fournissons les bons incitatifs et les bons investissements, nous pourrons créer des dizaines de milliers de bons emplois pour toutes les collectivités du Canada, et ce, seulement dans le secteur de l'efficacité énergétique. Nous pourrions en créer tout autant dans le secteur de l'énergie renouvelable. Nous pourrions créer des emplois pour les électriciens, les soudeurs, les travailleurs de la construction et les autres professionnels. Ces emplois survivraient aux cycles d'expansion et de ralentissement et créeraient un avenir propre pour les enfants.
Tirons des leçons de cette crise. Envisageons la question dans une perspective à long terme et suivons la voie sûre vers la prospérité.