Monsieur le Président, je remercie la députée de Lakeland d'avoir saisi la Chambre de cette motion, et je suis ravie de pouvoir faire entendre la voix des électeurs de Desnethé—Missinippi—Rivière Churchill. Ma circonscription est l'une des plus grosses circonscriptions rurales du pays, et je sais par expérience à quel point les gens qui y habitent tiennent à ce que les lois protègent rigoureusement et concrètement les victimes d'actes criminels et les personnes vulnérables contre les manquements de l'appareil judiciaire.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais prendre un instant pour parler du titre de la motion. Il faut en effet comprendre que l'expression « criminalité en milieu rural » a un passé et qu'elle est connotée pour bien des gens, même si c'est involontaire de la part des rédacteurs. Je suis une Dénée, j'ai grandi avec les Premières Nations et les Métis et je les côtoie encore aujourd'hui, et je sais que, pour bon nombre de Canadiens, l'expression « criminalité en milieu rural » renvoie non pas aux crimes commis dans les campagnes du Canada, mais bien aux crimes commis par les Autochtones contre des non-Autochtones. Bref, les motions et les débats comme aujourd'hui peuvent braquer les Autochtones et faire en sorte qu'ils se sentent exclus. Je demande donc aux députés, lorsqu'ils étudieront le projet de loi ou qu'ils en discuteront avec leurs collègues ou les électeurs de leur circonscription, de ne pas oublier l'origine de cette expression ni la connotation qu'elle peut avoir. Même si mes collègues ne pensent pas à mal quand ils l'emploient, le Canada est loin d'avoir toujours été juste avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Le colonialisme, et le mots qui y sont associés, sont une réalité pour encore trop de gens, et nous devons en être conscients.
Cela dit, je veux parler du projet de loi parce que je sais à quel point il est important d'apporter des améliorations au système de justice en milieu rural au Canada. Mon expérience en tant que mairesse de La Loche m'a appris que travailler de concert avec la GRC, les aînés, les conseils de bande, les municipalités du Nord et les jeunes est essentiel pour améliorer la vie des gens qui vivent dans les régions rurales du Canada. Quant à mon expérience en tant que députée, elle m'a appris que ce ne sont pas toutes les décisions relatives à la justice et au développement communautaire qui peuvent être prises dans les grandes villes, par des gens qui n'ont aucune idée de la vie et de la façon de faire des personnes habitant dans les petites collectivités. Par conséquent, j'aimerais aujourd'hui vous faire part de certaines de mes expériences, et j'espère qu'elles permettront aux députés de mieux comprendre la situation.
La semaine dernière, mon personnel et moi avons eu l'occasion de nous rendre à Prince Albert, en Saskatchewan, pour assister au symposium de New North sur la justice dans le Nord. New North représente 34 municipalités dans le Nord de la Saskatchewan. Des aînés, des jeunes, des membres de la GRC, des représentants du ministère de la Justice en Saskatchewan et des conseils de bande provenant de partout dans la province ont participé à ce symposium. Ce fut un honneur d'en apprendre davantage sur les programmes et les initiatives que les aînés, les jeunes, les municipalités et les bandes ont mis en place pour faire en sorte que la paix et la prospérité règnent dans les collectivités et les réserves.
Nous avons eu l'occasion d'entendre Angie Merasty et Shawna Bear parler du partenariat pour la réduction de la violence chez les jeunes dans le Nord-Est. Donna Partridge nous a parlé des initiatives lancées à Big Island, où l'on sert de la soupe accompagnée de pain bannock. Plusieurs constables et sergents de la GRC nous ont parlé de contrebande, de réduction de la criminalité, des gangs et d'autres programmes, comme Échec au crime. Chacun d'eux a partagé ses connaissances, et je leur suis reconnaissante de nous avoir consacré du temps.
La chose la plus importante que j'ai apprise lors du symposium, c'est l'importance des relations entre les gens. Les collectivités dans ma circonscription sont petites, si petites, en fait, que les voisins deviennent notre famille, et, dans bien des cas, ils le sont déjà. Malgré le fait que nos collectivités sont petites, notre coeur et notre esprit sont grands. Nous veillons les uns sur les autres, notamment en situation de crise. Nous soulignons ensemble nos étapes importantes et nos réussites et nous pleurons aussi ensemble lorsque des tragédies surviennent, parce que nous savons que nos collectivités sont plus fortes lorsque nous nous appuyons les uns les autres.
C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les rapports que nous avons avec la police régionale et la GRC. Il est essentiel que les administrations locales et les membres des communautés aient confiance dans les services policiers, mais ces rapports de confiance ne peuvent être établis que si les services policiers disposent des ressources suffisantes pour répondre aux besoins de la collectivité. Autrement dit, il faut qu'ils aient le matériel et la formation nécessaires pour désamorcer les situations tendues et intervenir en cas d'urgence. Il faut que les forces de l'ordre aient le temps de prêter une oreille attentive aux gens et de discuter avec eux.
Lorsque les policiers sont pressés, qu'ils manquent d'empathie et qu'ils ne comprennent pas les traumatismes qui se perpétuent sur plusieurs générations, ces conditions mènent tout droit à des arrestations trop musclées et à l'apparition d'un climat de peur. Nous savons que les agents de la GRC ont pour rôle de veiller à notre sécurité. Toutefois, si on ne voit que des interventions violentes ou si les policiers se font trop rares, les rapports avec la population ne peuvent pas être positifs. Je sais que les agents de la GRC ont pour rôle de veiller à notre sécurité et que nous pouvons compter sur eux, peu importe l'idée que les gens se font d'eux.
Lorsque j'étais mairesse de La Loche et que j'ai décidé d'évacuer les 3 000 habitants du village, les agents de la GRC ont bien voulu rester sur place pour s'assurer que les gens étaient en lieu sûr. Ils auraient tout aussi bien pu s'en aller pour s'occuper de leurs proches. Ils n'étaient même pas tenus de rester. Ils ont été parmi les dernières personnes à quitter La Loche ce jour-là; quelle que soit la crise, ils ne nous abandonnent pas. Il ne faut donc pas oublier que le débat sur la criminalité dans les régions rurales ne tire pas son origine d'un manque de volonté, mais plutôt d'un soutien insuffisant de notre part. Nous devrions donc discuter des mesures à prendre pour assumer les responsabilités qui nous incombent dans cette relation.
Je ne veux pas dire non plus qu'il y a un manque d'idées quant à savoir ce que nous pouvons faire pour appuyer nos collectivités, car bien que la police ait son rôle à jouer pour intervenir en cas d'activité criminelle, les collectivités ont également la responsabilité de prévenir la criminalité. Comme je l'ai dit plus tôt, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai entendu de nombreuses idées d'organisateurs communautaires et de citoyens inquiets proposant des façons de renforcer nos soutiens et nos réseaux sociaux afin d'éviter que des crimes se produisent. Certains des moments les plus forts de la semaine ont été lorsque des gens ont raconté leur vécu personnel. Il y avait des histoires de traumatismes, de résilience et de survie, des histoires de ce qui aurait pu arriver, de ce qui a été perdu et de comment les gens ont tourné la page.
Nombre de mes collègues députés ont participé à ce que l’on appelle l’« exercice des couvertures », qui est un rappel visuel de l’oppression systémique et de la tentative d’élimination dont a fait l'objet la population autochtone. Des histoires comme celle-ci nous rappellent comment la population autochtone et les communautés nordiques vivent le système de justice. Voilà des histoires que nous, en tant que leaders, agents de police et gendarmes, devons connaître pour mieux comprendre les collectivités rurales. Je trouve encourageant les progrès accomplis dans le Nord de la Saskatchewan. Toutefois, je m’inquiète de tout ce qu’il faut encore faire pour renforcer la puissante dynamique communautaire qui est déjà en place.
Voilà pourquoi les statistiques que l’on cite au sujet de la criminalité dans les régions rurales donnent une fausse impression de chaos et d’anarchie dans les petites villes. Ce sentiment alimente la vigilance au nom de l’autodéfense. Ces statistiques soulignent l’isolement sous le couvert d’abandon et engendrent de la division en dépit de tous les efforts déployés pour l’unité.
Nous ne devrions pas tenir ces sentiments pour acquis et les rejeter comme étant infondés car, après tout, ils témoignent de l’expérience que vivent beaucoup de gens dans les régions rurales. Notre réaction doit être de réconcilier ce sentiment d’abandon avec la réalité des progrès accomplis dans nos collectivités. Il nous incombe de faire notre possible pour combler l’écart entre les sentiments de nos concitoyens et les efforts que déploient les municipalités, les conseils de bande, la police et la GRC.
Nous pouvons y arriver, non seulement en écoutant les expériences vécues par les victimes, mais aussi en consacrant du temps aux forces de justice et aux dirigeants de nos communautés qui accomplissent le travail de terrain pour réduire la criminalité et soutenir des communautés saines et pacifiques. Ce n’est qu’en connaissant les enjeux et en comprenant ce qu’est la vie dans les circonscriptions rurales que nous pourrons, à titre de parlementaires, défendre vraiment leur cause et savoir quelles ressources nous pouvons offrir pour contribuer à bâtir ces communautés.