Monsieur le Président, le budget et la loi le mettant en œuvre, que nous débattons aujourd'hui, marqueront le visage de la politique fédérale pour de nombreuses années. C'est pourquoi il est capital que nous, les parlementaires, prenions le temps de l'analyser et de poser les questions difficiles qui doivent être posées à la partie gouvernementale. Il va sans dire que ce projet de loi n'est pas petit; cela se comprend, vu le contexte.
Vu le peu de temps de parole dont je dispose, mes commentaires concerneront plus précisément les mesures contenues aux sections 1, 5, 6, 9, 24 et 32.
J'espère que le gouvernement répondra à nos questions écrites, puisqu'il en va de l'intérêt de tous les Québécois et de tous les Canadiens que chaque question trouve sa réponse. C'est d'ailleurs le rôle du gouvernement de rechercher l'adhésion de la Chambre à son budget et à sa loi, et c'est notre travail de le questionner.
Certaines mesures du projet de loi C-30 sont bonnes, évidemment, par exemple la prolongation au 25 septembre des programmes d'aide essentiels, comme la subvention salariale et l'aide au loyer. Je rappelle toutefois que le Bloc québécois avait voté contre le budget, puisque le gouvernement a ignoré nos deux principales demandes, c'est-à-dire le financement suffisant et récurrent de la santé, ce qui était et qui est encore une demande du Québec et des autres provinces et territoires, ainsi que l'augmentation de la pension de la Sécurité de la vieillesse pour les personnes âgées de 65 ans et plus.
Comme je le disais, s'il est évident que certaines mesures contenues dans le budget sont bonnes, en ce qui a trait à ces deux sujets-là, le gouvernement a fait fi du bon sens en offrant simplement des solutions ponctuelles et cosmétiques à des problèmes qui sont autrement beaucoup plus profonds et documentés.
Pire que cela, la Chambre des communes a adopté une motion qui va dans le sens de notre demande. Je peux comprendre que le gouvernement ne veuille pas céder devant le Bloc québécois, mais je dois au moins lui rappeler qu'il doit considérer la volonté des citoyens représentés par les élus de la Chambre.
Je vais lire quelques passages sans équivoque de la motion.
Que la Chambre:
[...] c) souligne le travail du Québec et des provinces pour répondre à la crise sanitaire et constate les effets directs sur leurs budgets respectifs;
d) demande au gouvernement d’augmenter de façon significative et durable les transferts canadiens en santé [...]
Je le répète, qu'il augmente de façon significative et durable les transferts canadiens en santé.
Le gouvernement devrait nous entendre quand nous répétons ad nauseam de faire passer les transferts en santé de 22 % à 35 %. Malheureusement, le projet de loi C-30 n'offre qu'une augmentation ponctuelle des transferts en santé. Ce n'est tellement pas ambitieux que le hasard se moque des libéraux. En effet, le déficit annoncé dans le budget 2021 est d'exactement 28 milliards de dollars moins élevé que le déficit prévu. Ironiquement, c'est précisément le montant que le Québec et les provinces réclament. Le gouvernement fait un choix politique au détriment de la santé de tout le monde et essaie de nous faire croire que c'est un choix budgétaire.
Au sujet de la pension de la Sécurité de la vieillesse, le gouvernement fait encore une fois un geste beaucoup plus politique qu'autre chose en créant deux classes d'aînés: ceux que les libéraux croient pouvoir acheter et les autres.
Je vais être clair: je ne m'opposerai pas à ce qu'une partie des aînés reçoivent l'aide dont ils ont besoin, comme le prévoit le projet de loi C-30. Ce contre quoi j'en ai, c'est que les libéraux ont l'air de penser que la précarité commence à un âge précis alors que, dans les faits, c'est bien plus tributaire du fait de prendre sa retraite et d'arrêter de travailler. En plus de cela, ce que les libéraux suggèrent de donner est nettement insuffisant pour les personnes vulnérables, peu importe leur âge. Soixante-trois dollars par mois, ce n'est même pas assez pour faire une épicerie de quelques jours. Si les libéraux pensaient changer le monde avec cela, ils se trompent.
En plus, cette mesure est une promesse électorale qui date de deux ans et qui a manifestement été pensée avant l'augmentation des prix due à la COVID-19. Quand elle entrera en vigueur, les personnes âgées de 65 à 74 ans, soit pratiquement la moitié des prestataires actuels, vont avoir bien hâte de souffler les bougies de leur gâteau de fête de 75 ans. Malheureusement, ils se rendront compte que les pensions ne seront pas bien plus généreuses qu'elles ne l'étaient.
Par ailleurs, n'en déplaise aux libéraux, certains ont essayé de nier la réalité. Une ministre a déclaré ce qui suit:
[...] contrairement à la suggestion du Bloc québécois, on a choisi de donner plus aux aînés les plus vulnérables financièrement, plutôt que de donner moins à un plus grand nombre.
Je ne suis pas le meilleur en mathématiques, mais 63 $, c'est moins que 110 $. Sachons-le et notons-le: le Bloc québécois est plus généreux que les libéraux pour les aînés, et il va continuer d'exiger une augmentation substantielle, soit 110 $ par mois, et ce, pour tous les aînés, comme il l'a fait au cours des dernières années.
Un autre point sur lequel nous ne nous entendrons pas avec les libéraux est que le projet de loi C-30 jette les bases d'un régime canadien de réglementation des valeurs mobilières. Je n'ai pas besoin de faire un dessin: le Bloc québécois et le Québec s'y opposent forcément et férocement.
C'est bien simple: la section 5 du projet de loi C-30 est la consécration d'un rêve très cher à l'élite financière torontoise, celui de dépouiller le Québec de son secteur financier. Cela se fera aux frais des contribuables québécois et canadiens, qui devront financer à coup de centaines de millions de dollars la suprématie de Bay Street dans une compétence maintes fois confirmée comme provinciale.
Tout le monde au Québec est contre et, fait rare, parle d'une même voix: partis politiques, milieux d'affaires, secteur financier, fonds de travailleurs et syndicats. En plus du gouvernement du Québec et de l'Assemblée nationale du Québec, je cite notamment la Fédération des chambres de commerce du Québec, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Finance Montréal, la corporation du Centre financier international, le Mouvement Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ, Air Transat, Transcontinental, Canam, Québecor, Metro, La Capitale, Cogeco et Molson, parmi bien d'autres.
Une Autorité des marchés financiers québécoise forte, ce sont des milliers d'emplois dans la seule métropole francophone en Amérique du Nord. Près de 150 000 emplois en dépendent au Québec et 20 milliards de dollars en découlent. Ce projet se traduirait inévitablement par un glissement des activités de réglementation à l'extérieur du Québec et serait une attaque contre le maintien de nos sièges sociaux et la préservation de nos entreprises. Il faut être aveugle et sourd pour ne pas le voir. On peut compter sur le Bloc québécois, qui fera tout pour empêcher l'adoption de ce projet.
Dans un autre registre, comme on le sait, je suis porte-parole du Bloc québécois en matière de coopération internationale et vice-président du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Par conséquent, on comprendra que je suis fortement interpellé par la section 6 du projet de loi C-30 concernant la loi de Sergueï Magnitski. L'article 7 de cette loi, qui oblige les banques, les compagnies d'assurances et les sociétés de prêts à communiquer mensuellement certains renseignements, sera modifié par le projet de loi C-30 pour rendre cette obligation trimestrielle, ce que je m'explique plutôt mal. C'est à mes yeux un allégement des obligations des institutions financières et un recul pour les droits de la personne. Cela n’aide en rien à appliquer la loi ou à renforcer les activités de contrôle, alors qu'on sait parfaitement que ces rapports sont d'une importance primordiale pour l'efficacité de la loi. J'espère que mes honorables collègues auront des réponses à ce sujet.
En ce qui concerne la section 9, je dois dire que je suis bien perplexe de voir que le projet de loi C-30 supprime l'obligation de faire approuver par le surintendant des institutions financières la modification de régimes de retraite interentreprises dont les cotisations de l'employeur sont fixées par un accord avec les employés. Je vais me retenir de souligner à gros traits que l'ancien ministre des Finances aurait probablement aimé y penser lui-même. Blague à part, qu'est-ce qui justifie d'abaisser nos exigences spécifiquement pour ce type de régime de retraite? Est-ce que les régimes de pension des grandes entreprises ont des problèmes de capitalisation? Est-ce que la bourse va si mal que les régimes de retraite ont des problèmes de solvabilité qui nécessitent un assouplissement législatif? Cette section du projet de loi me donne l'impression que le gouvernement retranche un garde-fou important qui assure la solvabilité des régimes de retraite. Le gouvernement devra nous éclairer tôt ou tard sur ce sujet.
Le temps file, mais je m'en voudrais de ne pas parler de la section 24 du projet de loi C-30. Je salue le fait qu'on veuille donner davantage de temps aux parents d'enfants décédés ou disparus afin qu'ils puissent réorganiser leur vie et affronter la tragique réalité qu’est la mort d'un enfant. Toutefois, je trouve décevant que le gouvernement accepte de doubler les prestations dans ce cas-ci, mais refuse de le faire pour les prestations de maladie de l'assurance-emploi, un sujet sur lequel j'ai eu l'occasion de prendre la parole il y a deux semaines.
Je ne peux pas être contre le fait de faire augmenter à moins de 25 ans l'âge de l'enfant décédé ou disparu pour lequel le parent aura droit à ces prestations et je ne peux pas être contre le fait de faire passer la durée maximale des prestations de 52 à 108 semaines. Cependant, une question demeure et il serait important que le gouvernement apporte des précisions: est-ce que les parents séparés ont tous deux droit à ces prestations ou est-ce la garde qui détermine l'admissibilité? Il serait important de le savoir parce que c'est un cas de figure qui se présente de plus en plus souvent chez les familles québécoises et canadiennes.
En terminant, le budget mentionne et vante à de multiples reprises le système québécois de garderies, duquel il dit s'inspirer. La mention d'une entente asymétrique avec le Québec est bien, mais il faut que cette entente se traduise par une compensation complète et sans condition du total du coût des mesures du programme. Ces sommes pourraient aider à la relance économique ou encore le système de santé, toujours sous-financé à cause du laxisme du fédéral. Ce programme pancanadien de services de garde se veut une autre ingérence fédérale et ne saurait être considéré autrement.