Merci beaucoup.
Je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole au nom du Syndicat canadien de la fonction publique, le SCFP, qui est le plus grand syndicat au Canada, puisqu'il représente plus de 700 000 travailleurs dans l’ensemble du pays et environ 2 000 syndicats locaux différents qui œuvrent dans divers secteurs du public et du privé.
Le SCFP se réjouit des améliorations apportées à l’ALENA mis à jour, mais il croit qu’il subsiste des lacunes qui constituent autant d'obstacles à l’efficacité de la lutte contre les changements climatiques, par exemple, et à la protection des services publics. Il n'est pas d'avis non plus qu'il y ait suffisamment d’information sur les dispositions régissant la coopération en matière de réglementation.
À notre avis, l’accord n'est pas progressiste. On pourrait plutôt le considérer comme une amélioration modérée apportée à un modèle dépassé et inefficace de traité sur le commerce et l’investissement.
Nous nous félicitons des changements apportés au chapitre consacré à la propriété intellectuelle que les démocrates de la Chambre aux États-Unis ont pu négocier en décembre. Ils nous éviteront les augmentations prévues du coût des médicaments. Selon le texte initial, nous aurions été tenus de prolonger les périodes de protection des données sur les médicaments biologiques de 8 à 10 ans. Ces périodes plus longues repoussent la mise en marché des versions génériques moins coûteuses de médicaments biologiques. Ce sera utile lorsque nous mettrons en place un programme national universel d’assurance-médicaments, car il sera d'autant plus abordable. Ce même chapitre permet également une réglementation canadienne de la perpétuation des brevets, une pratique par laquelle les pharmaceutiques apportaient des changements mineurs et sans importance médicale aux médicaments pour obtenir un nouveau brevet. La version précédente ne permettait pas d'interdire ce moyen de gonfler le prix des médicaments sans que les patients en tirent quelque avantage, mais nous serons maintenant en mesure de réglementer cette pratique. Nous sommes très heureux de ces modifications, car il nous semble vraiment important de nous doter d'un programme national d’assurance-médicaments.
Les droits des travailleurs ont été renforcés grâce au nouveau mécanisme d’intervention rapide entre le Canada et le Mexique. Vous ne l'ignorez pas, si, dans un lieu de travail donné, on soupçonne des violations de la liberté d’association ou des droits à la négociation collective, qui sont des droits constitutionnels au Canada, un groupe indépendant d’experts peut faire enquête. L’une des lacunes de ce mécanisme, c’est qu’il limite les types de travail visés. Sont exclues l'agriculture, l'exploitation forestière et la pêche, où beaucoup de violations des droits des travailleurs migrants seraient commises. Ce mécanisme de réponse rapide exclut essentiellement les travailleurs migrants, même si les droits de ceux-ci figurent dans l'ensemble du chapitre qui porte sur les droits des travailleurs.
Nous sommes réconfortés du fait que la charge de la preuve pour les infractions en matière de travail et d’environnement a changé; toutes les infractions sont maintenant présumées avoir une incidence sur le commerce et l’investissement, à moins de preuve à l'effet contraire. Ce qui avait été montré dans l'expérience américaine, c’est que cette petite disposition exigeait qu'on prouve l'existence d'un lien avec des violations commerciales. Il était donc à peu près impossible d’assumer la charge de la preuve. Son élimination donne la possibilité d’appliquer le chapitre sur le travail. Il faudra voir comment les choses se passeront, mais c’est certainement encourageant. Il s’agit d’une amélioration importante par rapport à l’accord initial sur la main-d’oeuvre de l’ALENA. Dans un libellé clair, chaque pays s'engage à mettre en œuvre des politiques qui protègent les travailleurs contre la discrimination salariale et en matière d'emploi fondée sur le sexe, notamment en ce qui concerne la grossesse, le harcèlement sexuel, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les responsabilités en matière de soins, ce qui est vraiment important. Cette approche intègre une optique sexospécifique au chapitre sur le travail.
Nous trouvons encourageant que le chapitre sur l’environnement reconnaisse maintenant les obligations que les pays peuvent avoir en vertu de certains traités internationaux sur l’environnement. Il arrive souvent, pensons-nous, que nous signions des traités internationaux sans être contraints de les respecter; ils ne sont pas aussi contraignants qu’un traité commercial et, par conséquent, le traité commercial l’emporte toujours sur le traité en matière d'environnement. Si nos traités commerciaux soulignaient l’importance des traités sur l'environnement ou sur le travail que nous avons signés, cela aiderait à préserver l'équilibre. Que l’Accord de Paris sur le climat ne fasse pas partie des traités reconnus constitue un problème. Cela signifie que l’ALENA continue de faire abstraction de la menace des changements climatiques et limite les réponses des gouvernements à la crise.
Nous savons que le Canada doit réagir rapidement à la crise climatique et qu'une transition équitable et rapide de l’économie ne se fera pas sans des services publics élargis, une propriété publique plus étendue et la revitalisation des secteurs sans but lucratif. Il y aurait aussi des avantages à ce que l'État joue un rôle beaucoup plus important dans la réglementation de l’économie et propose une orientation de l'économie au moyen de stratégies industrielles vertes. L’Ontario, par exemple, a fait des efforts en ce sens, mais elle s'est heurtée à des restrictions imposées par les accords commerciaux en matière de marchés publics.
Nous sommes convaincus que, pour qu’une nouvelle génération, en commerce, puisse opérer une transition rapide, il faut examiner les obstacles que dressent les accords commerciaux.
Le chapitre sur la coopération en matière de réglementation consacre l’approche actuelle du Canada de la réglementation. Il donne aux intérêts industriels multinationaux plusieurs points d’entrée dans son régime de réglementation. L’une des questions clés est l’accent mis sur la réglementation fondée sur des preuves scientifiques. Cela semble louable, mais le recours au principe de précaution s'en trouve limité. L’Europe utilise ce principe pour imposer sa réglementation en matière de santé et de sécurité. Imaginez: on peut montrer pourquoi tel produit risque de causer du tort, mais on ne peut le réglementer tant qu'il n'a pas été mis sur le marché et n'a pas causé un préjudice. Il y a là un problème.
Globalement, selon nous, il faudrait considérer notre approche en matière de commerce et d’investissement comme un moyen d’améliorer notre bien-être financier et social, et non comme une fin en soi. À l'avenir, les propositions d'un programme commercial progressiste devraient être jugées en fonction de principes comme les droits de la personne — y compris les droits sociaux, les droits culturels et environnementaux —, et les droits des personnes et leurs droits environnementaux devraient avoir préséance sur ceux des entreprises et des investisseurs. Il faut imposer des obligations juridiquement contraignantes aux sociétés transnationales. Ces traités ne devraient pas porter uniquement sur les droits des sociétés transnationales; ils devraient aussi les astreindre à leurs responsabilités.
Les gouvernements démocratiques doivent maintenir leur espace politique pour poursuivre et prioriser leurs actions dans l’intérêt public. On nous dit souvent que cela est possible, mais encore et encore, nous nous heurtons à des gouvernements qui se disent incapables de faire telle ou telle chose parce qu’ils ont signé un accord commercial qui leur impose des contraintes. Lorsque c’est le cas, il y a conflit. Une approche respectueuse du climat devrait être adoptée dans toute initiative qui touche le commerce et les investissements. C’est désormais absolument incontestable.
Nous sommes également déçus qu’il n’y ait pas de consultations publiques complètes et transparentes avant que le gouvernement fédéral ne ratifie l’accord. Nous recommandons que, à l’avenir, les délibérations du Comité soient éclairées par une analyse indépendante des répercussions de l’accord sur notre économie. L’analyse devrait tenir compte des critiques du modèle informatique d'équilibre général (modèle IEG) actuel pour l’évaluation économique et, comme l'ont souligné les témoins précédents, examiner le point de comparaison. La comparaison se fait-elle avec la situation qui existerait sans l'ALENA ou avec celle qui existait antérieurement?
Merci beaucoup.