Madame la Présidente, le présent projet de loi C-6 dont nous débattons aujourd'hui est essentiellement une réactualisation du projet de loi C-99 de la 42e législature qui n'est jamais arrivé à terme.
Le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté relativement à l'appel à l'action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada propose un changement au serment de citoyenneté rédigé en annexe à l'article 24 de la Loi sur la citoyenneté. L'article 1 propose la modification du texte de l'annexe, c'est-à-dire un nouveau texte pour le serment de citoyenneté, incluant l'affirmation solennelle.
Pour faire une mise en contexte rapide, commençons par dire que le projet de loi C-6 se fonde sur les consultations qui ont été menées auprès des immigrants et des immigrantes et des partenaires autochtones.
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, la CVR, a présenté son rapport final en six volumes ainsi que 94 appels à l'action. Pendant six ans, la CVR a entendu près de 6 500 témoins des quatre coins du Canada et du Québec afin de faire la lumière sur les séquelles laissées par les pensionnats indiens et de faire avancer le processus de réconciliation entre les peuples autochtones et les autres Canadiens.
Pour donner suite à la publication de ce rapport, le gouvernement fédéral s'est engagé à mettre en œuvre les appels à l'action qui relève de sa compétence. Comme je l'ai déjà mentionné, la modification suggérée dans le projet de loi C-6 répond à l'appel à l'action no 94 de la Commision de vérité et réconciliation du Canada. La formulation proposée par le rapport de la Commission est la suivante:
Nous demandons au gouvernement du Canada de remplacer le serment de citoyenneté par ce qui suit: Je jure (ou affirme solennellement) que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j'observerai fidèlement les lois du Canada, y compris les traités conclus avec les peuples autochtones, et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien.
Ensuite, en 2017, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a tenu des groupes de discussions avec des nouveaux immigrants et des nouvelles immigrantes bien établis à propos du libellé du serment de citoyenneté que propose la Commission de vérité et réconciliation du Canada dans ses appels à l'action. La réaction générale des groupes de discussion s'est avérée positive, mais certains participants ont fait valoir que la version modifiée du serment devrait s'accompagner de mesures satisfaisantes de formation des nouveaux arrivants sur les peuples autochtones et les traités. D'autres ont exprimé des doutes sur la modification parce qu'elle pourrait créer un précédent pour d'autres groupes qui voudraient être mentionnés dans le serment.
En collaboration avec les ministères des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada, IRCC a aussi mené des consultations auprès de l'Assemblée des Premières Nations, du Ralliement national des Métis et de l'organisme Inuit Tapiriit Kanatami. Il faut dire que la version du serment qui est proposée dans les appels à l'action a aussi suscité quelques réserves dans les médias. Certains se demandent si les citoyens sont en mesure d'observer fidèlement les traités conclus avec les peuples autochtones. D'autres contestent le fait que le serment ne parle pas des milliers de citoyens autochtones qui appartiennent à des nations n'ayant pas signé de traité.
Le 28 mai 2019, le ministre de l'Immigration et des Réfugiés et de la Citoyenneté a présenté à la Chambre des communes le projet de loi C-99, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté venant modifier le serment de citoyenneté et l'affirmation solennelle, ce qui exige de modifier la Loi sur la citoyenneté. Aucune modification n'a été apportée au serment de citoyenneté depuis plus de 40 ans. Il est important de savoir que le serment de citoyenneté est une déclaration solennelle par laquelle le demandeur jure allégeance ou affirme qu'il portera allégeance à la reine du Canada. Il s'agit de l'exigence juridique ultime à satisfaire pour obtenir sa citoyenneté canadienne.
Le serment de citoyenneté qui figure actuellement à l'annexe de la Loi sur la citoyenneté est libellé ainsi:
Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien.
Avec l'adoption du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui, la nouvelle formulation du serment de citoyenneté serait la suivante:
Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada, y compris la Constitution, qui reconnaît et confirme les droits — ancestraux ou issus de traités — des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien.
Pour sa part, l’affirmation solennelle actuelle est rédigée ainsi:
J’affirme solennellement que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j'observerai fidèlement les lois du Canada et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien.
Elle deviendrait:
J’affirme solennellement que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada, y compris la Constitution, qui reconnaît et confirme les droits — ancestraux ou issus de traités — des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien.
Il est important de noter que le libellé que propose le projet de loi C-6 et que suggérait le projet de loi C-99 diffère de celui que recommande la Commission de vérité et réconciliation du Canada, en ce sens qu’il ne parle pas des traités conclus avec les peuples autochtones, mais des droits ancestraux ou issus de traités des Premières Nations, des Inuits et des Métis reconnus et confirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Les droits ancestraux sont des droits collectifs que détiennent intrinsèquement les peuples autochtones du fait qu’ils étaient historiquement les occupants des terres. Il peut s’agir notamment d’un titre ancestral sur une terre, du droit à l’autonomie gouvernementale, du droit à être sur une terre, du droit à des ressources ou des droits socioculturels. Les droits issus de traités désignent plutôt les droits définis dans les traités historiques ou modernes qui ont été négociés entre la Couronne et des groupes autochtones précis.
Le Bloc québécois reconnaît la légitimité et la pertinence d’introduire une référence aux droits autochtones dans le serment de citoyenneté. Nous reconnaissons aussi les nations autochtones pour ce qu’elles sont: des nations. Au chapitre des relations gouvernementales, le Bloc préconise une approche globale qui favorise le règlement d’ententes de nation à nation. La reconnaissance devrait être le point de départ de toute volonté de réconciliation.
Or, si l'article 35 de la Constitution canadienne reconnaît les droits ancestraux existants ou issus de traités, elle ne définit pas la fédération comme une association libre entre nations égales. Contrairement au projet canadien, le projet d’indépendance du Québec promu par le Bloc québécois propose que les nations autochtones soient au nombre des peuples fondateurs d’un Québec souverain, et que ce dernier soit fondé sur une réelle association basée sur le respect mutuel et l’égalité.
Si le Canada se présentait comme une association entre peuples libres et égaux, il serait plus aisé de demander aux nouveaux arrivants, à l’occasion de la prestation de leur serment de citoyenneté, de s’engager à respecter les droits fondamentaux de chaque peuple fondateur. Le Canada ayant plutôt choisi, sans le consentement du Québec, de se présenter comme une nation majoritaire et multiculturelle au sein de laquelle les cultures nationales sont réduites au rang de folklores régionaux, les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour respecter les peuples sont en quelque sorte toujours malaisants.
Ainsi, en ce qui concerne le serment de citoyenneté, le Bloc québécois ne s’oppose pas à l’inclusion d’une reconnaissance des droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Il en salue même le principe et la sincère volonté, mais il tient à mettre en lumière le fait que cet ajout constitue un détour qui ne serait pas nécessaire si le Canada était un État qui reconnaissait à priori dans sa loi fondamentale les nations qui le constituent.
On est donc en droit de se demander, en tout respect et en toute reconnaissance pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, quel égard le gouvernement libéral manifeste envers les Québécois et les Québécoises lorsqu’il se propose de demander aux nouveaux arrivants de s’engager à respecter les droits des nations qui forment ensemble leur société d’accueil.
En terminant, puisque le Bloc québécois en appuie le principe, il votera en faveur du projet de loi C-6.