Monsieur le Président, c’est avec grand plaisir que je prends la parole aujourd’hui dans cette enceinte pour parler du projet de loi C-7 et des modifications que nous proposons à la Loi canadienne sur l’aide médicale à mourir.
Les mesures proposées répondent à la décision dans l'affaire Truchon de la Cour supérieure du Québec, qui a conclu qu'il est inconstitutionnel de refuser l'accès à l'aide médicale à mourir aux personnes qui remplissent tous les autres critères d'admissibilité, mais qui ne sont pas près de la fin de leur vie.
Alors qu'il se préparait à donner suite à cette décision, le gouvernement du Canada a saisi l’occasion pour envisager d’autres mesures qui reçoivent un large appui. C’est la raison pour laquelle nous proposons des changements qui permettront de rendre la Loi canadienne sur l’aide médicale à mourir à la fois plus claire et plus précise.
Au cours des derniers mois, j’ai été à l’écoute d’un grand nombre de Canadiens, car il était important pour moi, en tant que ministre de la Santé, de savoir exactement ce qu’ils pensaient. Mes collègues et moi avons organisé une série de tables rondes et avons entendu plus de 125 spécialistes, universitaires, éthiciens, médecins, infirmières praticiennes, représentants d’associations de handicapés, groupes autochtones et autres parties prenantes. J’ai également fait des démarches auprès de mes collègues provinciaux et territoriaux, et mes collaborateurs ont travaillé étroitement avec leurs homologues de toutes les régions du Canada.
En janvier, j’ai eu l’occasion de rencontrer Cynthia Clark, à Calgary, dont le mari a reçu l’aide médicale à mourir l’été dernier. Son point de vue, tout comme celui de beaucoup d’autres personnes qui ont personnellement vécu cette situation, m’a été des plus précieux.
J’ai aussi écouté avec beaucoup d’attention les médecins qui, au cours des quatre dernières années, ont dispensé l’aide à mourir avec beaucoup de compassion et de générosité. Ils n’ont pas hésité à me dire ce qui marchait bien et aussi ce qui ne marchait pas très bien.
Nous avons entendu beaucoup de témoignages personnels comme celui de Cynthia, et ces témoignages nous ont aidés à élaborer les changements que nous proposons aujourd’hui. Je m’en voudrais de passer sous silence les nombreux commentaires que nous avons reçus dans le cadre de notre consultation en ligne. En l’espace de deux semaines, nous avons reçu plus de 300 000 réponses.
Il est évident que certains domaines pourraient être améliorés pour faciliter un meilleur accès, protéger la personne vulnérable et respecter son choix.
Je crois qu'avec ce projet de loi, nous avons trouvé une approche équilibrée qui reflète l'intérêt supérieur de tous les Canadiens.
Protéger la sécurité des personnes vulnérables tout en respectant l’autonomie des Canadiens reste notre objectif primordial. C’est la raison pour laquelle le projet de loi propose deux séries de mesures de sauvegarde à respecter, selon que la mort naturelle est raisonnablement prévisible ou non.
La prévisibilité raisonnable d’une mort naturelle ne sera plus un critère pour déterminer si une personne a le droit de recevoir l’aide médicale à mourir. En revanche, cela aidera les médecins à déterminer quelles mesures de sauvegarde doivent être prises. Cette proposition correspond à ce que nous avons entendu pendant nos tables rondes.
Ceux qui décident de l’admissibilité des candidats à l’aide médicale à mourir nous ont dit qu’ils comprenaient bien le concept et qu’ils se sentaient capables de l’appliquer. Avec la nouvelle loi, ils emploieront le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible pour déterminer non pas l’admissibilité du patient, mais les mesures de sauvegarde qui s’appliqueront.
Pour les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible, nous proposons d’assouplir les mesures de sauvegarde actuelles en supprimant notamment la période de réflexion de 10 jours. En effet, les patients en fin de vie ont eu le temps de bien réfléchir avant de demander l’aide médicale à mourir, et il est inutile de prolonger leurs souffrances en imposant un délai supplémentaire.
Le système actuel exige également que deux témoins indépendants confirment que la personne qui recevrait l'aide médicale à mourir est bien celle qui a signé la demande et qu’il n’y a pas d'imposture, comme ce serait le cas si quelqu’un avait imité sa signature. Au cours de nos consultations, nous nous sommes rendu compte que cette condition représentait un obstacle important pour beaucoup de gens, à la fin de leur vie.
Nous proposons de n’exiger qu’un seul témoin et de permettre que ce témoin soit une personne payée pour fournir des services de santé ou des soins personnels. Bien entendu, une personne ne pourra pas agir comme témoin si elle compte parmi les légataires du patient ou si elle est susceptible de recevoir un avantage pécuniaire ou matériel à la mort de celui-ci. Toute personne participant à la détermination de l’admissibilité ou dispensant l’aide médicale à mourir ne pourra toujours pas servir de témoin.
Pour les patients dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, nous proposons de créer une nouvelle série de sauvegardes bien définies. Nous estimons qu’il est important, même si notre objectif est de rendre la procédure plus accessible, de nous assurer que le maximum de considération sera accordé aux demandes d’aide médicale à mourir présentées par des personnes dont la mort n’est pas prévisible.
Ces nouvelles mesures de sauvegarde devraient permettre de mieux protéger les personnes vulnérables. Par exemple, le projet de loi propose une période minimum de 90 jours pour évaluer une demande d’aide médicale à mourir lorsque la mort n’est pas imminente. Ce délai permettra d’envisager et de discuter d’autres options, avec le personnel médical, pour atténuer les souffrances de la personne qui a demandé l’aide médicale à mourir.
Le projet de loi exige également que la personne qui demande l’aide médicale à mourir soit informée s’il existe des services de consultation psychologique, des services de soutien en santé mentale, des services de soutien aux personnes handicapées et des soins palliatifs susceptibles de l’aider à donner un consentement éclairé.
Nous savons que la majorité des médecins s’assurent déjà que leurs patients sont informés de toutes les options et de toutes les formes d'aide qui leur sont accessibles. Cette disposition souligne l’importance de la relation médecin-patient. Elle permet à un médecin et à son patient de décider si l’aide médicale à mourir est une bonne décision et elle donne suffisamment de temps au patient pour envisager d’autres options, ce qui est crucial pour les personnes qui ont ce genre de décisions à prendre. Cette disposition respecte pleinement le principe du consentement éclairé et de l’autonomie individuelle.
En vertu de la loi actuelle, les personnes qui sont frappées d’incapacité ne peuvent pas être admissibles à l’aide médicale à mourir parce qu’il faut donner son consentement immédiatement avant la procédure. Cela signifie que certaines personnes qui étaient admissibles à l’aide médicale à mourir ont choisi de mettre un terme à leur vie plus tôt qu’elles ne l'auraient voulu, par crainte de ne plus avoir la capacité de présenter une demande.
C’est la raison pour laquelle nous proposons une renonciation au consentement final pour les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible et dont l’admissibilité à l’aide médicale à mourir a été approuvée. Ainsi, les patients en fin de vie qui risquent d’être frappés d’incapacité avant la date choisie pourront quand même recevoir l’aide médicale à mourir sans craindre d'être disqualifiés si jamais ils perdent leurs capacités. Cet amendement a reçu un accueil très favorable auprès des parties prenantes, des Canadiens et des médecins.
Le Canada a eu quatre ans pour mesurer l’impact de la loi actuelle, qui a été adoptée en juin 2016, et il y a encore beaucoup d’enjeux complexes qui méritent d’être examinés de façon plus approfondie.
En décembre 2016, le gouvernement du Canada a demandé au Conseil des académies canadiennes de mener des études indépendantes sur trois types de demandes d’aide médicale à mourir qui ne sont pas couvertes par la loi actuelle: les demandes présentées par des mineurs ayant une certaine maturité, les demandes anticipées et les demandes où le trouble mental est la seule condition médicale invoquée.
Le Conseil des académies canadiennes a demandé à un groupe multidisciplinaire de 43 spécialistes d’examiner un grand nombre d’études sur le sujet, y compris des recherches universitaires canadiennes et étrangères.
Nous avons déposé ces rapports au Parlement en décembre 2018. Ils nous fournissent un examen complet et réfléchi de ces sujets très difficiles. J'encourage tous les députés à lire ces rapports alors que nous poursuivrons nos discussions sur les modifications proposées à la loi et à l'examen parlementaire qui sera lancé plus tard cette année.
Les spécialistes reconnaissent en général que le fait d’autoriser les demandes anticipées des personnes souffrant par exemple de la maladie d’Alzheimer bien avant qu’elles n’y soient vraiment admissibles est une question extrêmement complexe et qu’il faut prendre le temps d’y réfléchir et de faire des consultations avant de l’inclure dans la loi.
Pendant les tables rondes, j’ai personnellement entendu des professionnels de la santé exprimer un certain malaise parce qu’ils se sont rendu compte que des malades, au fur et à mesure de l’évolution de leur état, n’avaient plus le même désir d’obtenir l’aide médicale à mourir qu’au moment où ils avaient reçu leur premier diagnostic. Le rapport du groupe de spécialistes du Conseil des académies canadiennes qui examinait la question des demandes anticipées est arrivé à la même conclusion.
D’un autre côté, nous savons que beaucoup de Canadiens aimeraient qu’il soit possible de présenter une demande anticipée, car cela les rassurerait de savoir qu’ils pourront éviter de souffrir plus tard.
Pour toutes ces raisons, nous estimons que ce dossier mérite un examen parlementaire approfondi. Cela nous donnera l’occasion de nous attaquer à des questions plus délicates, auxquelles personne n’a encore trouvé de réponse, même les professionnels de la santé qui prodiguent ce service depuis quatre ans.
Les modifications proposées à la Loi sur l’aide médicale à mourir excluent toutes les demandes où le trouble mental est la seule condition médicale invoquée.
Cela ne signifie pas que les personnes atteintes de maladies mentales ne sont pas admissibles, cela signifie que la maladie mentale ne peut pas être la seule condition sous-jacente. Il s'agit d'un autre domaine complexe qui mérite une discussion plus approfondie.
Depuis que la loi fédérale est entrée en vigueur, en 2016, Santé Canada a publié quatre rapports intérimaires qui contiennent beaucoup d’information sur la façon dont elle est appliquée d'un océan à l'autre.
En novembre 2018, nous avons pris des règlements pour mettre en place un système de surveillance permanent qui définit les obligations des médecins, des infirmiers praticiens et des pharmaciens relativement à la déclaration des cas d’aide médicale à mourir. Un premier rapport sur l’application de ces règlements sera publié au printemps 2020.
Depuis que la Loi sur l’aide médicale à mourir est entrée en vigueur, en 2016, plus de 13 000 Canadiens ont choisi cette option. Nous nous y attendions. Nous avons observé une augmentation progressive de ce nombre au cours des trois dernières années. Il représente un peu moins de 2 % de la totalité des décès recensés au Canada, ce qui est comparable à ce qu'on voit ailleurs dans le monde. Si les Canadiens sont de plus en plus nombreux à recourir à l’aide médicale à mourir, c’est principalement parce qu’ils sont plus nombreux à savoir que c’est une option légale et à la considérer comme acceptable.
Le gouvernement fédéral estime que la déclaration des cas est indispensable à la transparence du système et à la confiance du public dans la loi. C’est la raison pour laquelle nous proposons des modifications visant à rassembler davantage de données afin d’avoir un tableau plus complet de l’aide médicale à mourir au Canada.
À l'heure actuelle, seuls les praticiens qui reçoivent une demande écrite d’aide médicale à mourir et les pharmaciens qui délivrent la substance qui sera utilisée sont tenus de fournir des données, mais il est devenu évident que la collecte des données obtenues uniquement à partir des demandes écrites que reçoivent les médecins et les infirmiers brosse un tableau incomplet de l’identité des demandeurs et de leurs motifs.
Une fois modifiée, la loi permettra de prendre de nouveaux règlements en partenariat avec les provinces et les territoires afin de recueillir des données sur toutes les évaluations de l'aide médicale à mourir, y compris celles réalisées par les autres professionnels de la santé faisant partie de l'équipe soignante. La collecte de données sur toutes les demandes, et tous les cas, d'aide médicale à mourir au Canada cadre tout à fait avec l'objet initial de la loi.
Il me semble que nous pouvons convenir que les Canadiens atteints de maladies limitant l'espérance de vie méritent la meilleure qualité de vie possible lorsqu'ils approchent de la fin de leur vie. Les soins palliatifs et les soins de fin de vie soulagent les patients de la douleur et de la détresse associées à une maladie en phase terminale. Le soutien aux soins à domicile et aux soins palliatifs fait partie de nos grandes priorités et de nos efforts pour améliorer le système de santé.
Dans le budget de 2017, nous avons fait de nouveaux investissements historiques dans les soins de santé afin d'améliorer l'accès aux services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie, ainsi qu'aux soins communautaires et à domicile, y compris les soins palliatifs.
Afin d'améliorer encore l'accès aux soins palliatifs dans tout le pays, le gouvernement a travaillé en étroite collaboration avec les provinces, les territoires et les intervenants pour définir le Cadre sur les soins palliatifs au Canada, qui a été déposé au Parlement en 2018. Nous avons publié un plan d'action en appui à chacune des priorités qui y sont énoncées.
Je tiens à assurer à la Chambre que ce projet de loi répond aux préoccupations exprimées par les professionnels et les experts lors des tables rondes.
Je continuerai de travailler en étroite collaboration avec les provinces et les territoires, ainsi que les principaux partenaires pour soutenir la mise en œuvre des modifications proposées à la loi, si elles sont adoptées au Parlement.
Nous entendons notamment collaborer avec les provinces, les territoires, les partenaires du réseau de la santé et les organismes de réglementation afin de faire connaître les pratiques exemplaires et l'information sur l'encadrement clinique et d'autres aspects de la mise en œuvre, ce qui comprend la formation et les examens rétrospectifs.
J'ai un immense respect pour les professionnels qui, depuis quatre ans, fournissent ce service avec énormément de discernement et de compassion. Leur expérience nous a aidés à rédiger un projet de loi qui répond mieux aux besoins des Canadiens et qui est construit de manière à favoriser l'autonomie, tout en laissant au professionnel et au patient la latitude de travailler en plus étroite collaboration.
L'aide médicale à mourir est un sujet complexe et très personnel. En proposant ces modifications, le gouvernement a soigneusement pris en compte le besoin d'autonomie individuelle et la protection des personnes vulnérables.
Le public est très favorable au changement et je pense que nous avons trouvé une approche qui tient compte de l'intérêt supérieur de tous les Canadiens. J'encourage vivement tous les députés à appuyer les modifications proposées.