Madame la Présidente, il y a moins d'un mois, j'ai vu des montages photo de femmes et d'enfants émaciés qui étaient alignés dans le camp de la mort d'Auschwitz et j'ai écouté des survivants de l'Holocauste raconter les séquelles découlant de la séparation forcée des familles, de la torture, de la mort d'êtres chers, des chambres à gaz et de l'exploitation de leur corps dans le cadre d'expériences scientifiques.
Le 27 janvier marquait la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste. Six millions de Juifs ont péri dans l'Holocauste. L'expression « plus jamais » est utilisée solennellement: elle sert de rappel que la vigilance est de mise et d'appel à l'action pour prévenir et faire cesser les génocides.
Aujourd'hui, mes collègues conservateurs et moi demandons au gouvernement et à l'ensemble des députés de reconnaître que les Ouïghours et d'autres musulmans d'origine turque sont victimes d'un génocide perpétré par le gouvernement de la République populaire de Chine.
De nombreuses organisations ont conclu que le gouvernement de la Chine commet des actes génocidaires qui incluent des détentions massives, une régulation systémique de la population et des violences sexuelles. Les différents rapports décrivent en détail l'atrocité des abus perpétrés par le gouvernement chinois contre ce groupe minoritaire.
Le 21 octobre 2020, le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international a publié une déclaration où on peut lire ce qui suit:
Le Sous-comité condamne sans réserve la persécution des Ouïghours et des autres musulmans turciques du Xinjiang par le gouvernement chinois. À la lumière des témoignages qu’il a recueillis au cours de ses audiences, en 2018 et en 2020, le Sous-comité est persuadé que les gestes du Parti communiste chinois constituent un génocide aux termes de la Convention sur le génocide.
Je tiens à préciser qu'il s'agit d'une déclaration publiée par un comité qui est formé de députés de toutes les allégeances politiques. CBC News a publié les propos de Bob Rae, qui a affirmé que certains aspects de ce que fait le gouvernement de la Chine peuvent être considérés comme un génocide, selon la définition énoncée dans la Convention sur le génocide. J'aimerais ajouter que Bob Rae est l'ambassadeur du Canada aux Nations unies. La Convention sur le génocide définit trois éléments pour déterminer ce qu'on entend par génocide.
Premièrement, les victimes font partie d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Deuxièmement, les agresseurs commettent un ou des actes contre les membres du groupe dans l'intention de les tuer, de porter atteinte à leur intégrité physique ou mentale, de les soumettre de manière intentionnelle à des conditions d'existence devant entraîner leur destruction physique totale ou partielle, de leur imposer des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, et à transférer de force les enfants du groupe à un autre groupe. Troisièmement, les agresseurs agissent dans l'intention de détruire le groupe en tout ou en partie.
Les actes odieux de persécution visant le peuple ouïghour présentent les trois éléments de la définition du génocide.
Le 19 janvier 2021, le secrétaire d'État américain sortant Pompeo a dit ceci:
Après un examen attentif des preuves disponibles, je suis arrivé à la conclusion que, au moins depuis mars 2017, la République populaire de Chine, sous la direction et le contrôle du Parti communiste chinois, a commis des crimes contre l'humanité contre les Ouïghours, qui sont surtout musulmans, et contre d'autres groupes ethniques et religieux minoritaires au Xinjiang.
L'actuel secrétaire d'État des États-Unis, Antony Blinken, a déclaré à maintes reprises qu'il croit également qu'on perpètre actuellement un génocide contre les Ouïghours. Les responsables étatsuniens reconnaissent qu'il s'agit d'un génocide. Ils sont nos voisins et nos plus proches alliés.
L'existence de camps de détention, où l'on détient 1 million d’Ouïghours, a été confirmée par des documents gouvernementaux, des témoignages et des images satellites. La plupart des détenus sont innocents. Ils n'ont commis aucun crime. Ils n'ont aucun moyen de se défendre. Selon des groupes de défense des droits de la personne, leur crime consiste en ce qu'ils sont musulmans. Ils sont persécutés et tués à cause de leur religion. C'est inacceptable. Ce n'est pas le moment de garder le silence.
Entre 2017 et 2019, plus de 80 000 Ouïghours ont été expulsés de chez eux pour aller travailler dans des usines partout en Chine et dans des camps de détention. Le président du Board of Deputies of British Jews a écrit dans une lettre qu'on fait monter de force les gens dans des trains, qu'on taille la barbe des hommes religieux, qu'on stérilise les femmes, et que cela rappelle les camps de concentration de sinistre mémoire.
Ce scénario ressemble à ce qui s'est passé il y a 75 ans dans l'Allemagne nazie. Jonathan Sacks, ancien grand rabbin du Royaume-Uni, a d'ailleurs publié le gazouillis que voici sur Twitter le 22 juillet:
En tant que Juif et vu notre histoire, quand on rase les cheveux à des gens, qu'on les place en file pour les faire monter dans un train et les envoyer dans un camp de concentration, je trouve cela particulièrement éprouvant.
Des dirigeants juifs reconnaissent qu'il existe d'étranges similitudes entre ce que subissent les Ouïghours et ce qu'ont fait les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce sont des déclarations graves, qui viennent d'une communauté ayant vécu un grand génocide.
Un article de la BBC paru plus tôt ce mois-ci indique que, selon des témoignages indépendants, plus de 1 million de personnes auraient été emprisonnées dans des camps d'internement. D'anciens détenus ont témoigné avoir subi ou vu un système organisé de viols collectifs, d'agressions sexuelles et de torture. Des femmes ont subi une stérilisation ou une pose de stérilet forcée. Beaucoup de femmes se tournent vers l'alcool pour composer avec ces traumatismes. Une femme qui s'est enfuie du Xinjiang a dit, au sujet d'une victime qui est devenue toxicomane, qu'elle était comme une personne qui ne faisait qu'exister et qui autrement était morte, complètement anéantie par les viols. « Leur but est de détruire tout le monde, et tout le monde le sait », a-t-elle dit.
C'est tout simplement odieux. Les séquelles que subissent ces femmes — qui vont des cauchemars à l'anxiété en passant par la peur, la dépression, les problèmes d'estime de soi, la difficulté à avoir des relations intimes et la douleur causée par une stérilité imposée de force — risquent de les suivre toute leur vie, si elles survivent.
Quand les journalistes lui ont demandé pourquoi le gouvernement n'avait toujours pas reconnu que les actions du gouvernement chinois contre la minorité musulmane ouïghoure équivalent à un génocide, le premier ministre a répondu que le mot « génocide » est « extrêmement lourd de sens » et qu'il faut bien étudier la situation avant d'affirmer que c'est de cela qu'il s'agit. Que des dirigeants et des députés de son propre parti, que l'ambassadeur du Canada auprès de l'ONU et que de nombreux pays qualifient la situation de génocide rend particulièrement inquiétant le refus du premier ministre de faire de même.
Le 3 février, mon collègue de Sherwood Park—Fort Saskatchewan a demandé au premier ministre s'il croyait le témoignage des Ouïghoures qui ont été victimes de violence sexuelle systémique, parfois accompagnée de décharges électriques, dans les camps de concentration dirigés par l'État chinois. Voici quelle a été sa réponse:
[D]epuis des années, nous réclamons plus de transparence de la part du gouvernement chinois, de même qu'un meilleur traitement des Ouïghours dans l'Ouest de la Chine [...] Nous avons besoin d'envoyer des enquêteurs internationaux, y compris ceux de l'ONU, pour comprendre ce qui se passe dans la province du Xinjiang afin de protéger les populations locales et partout dans le monde.
Nous savons que le gouvernement de la Chine ne donnera pas aux enquêteurs de l’ONU l’accès à ses installations de torture. Je me demande si le premier ministre comprend vraiment toutes les ramifications de ce qui se passe, parce qu’à la base de sa réponse diplomatique, il me semble, dans mon esprit de femme, qu'il nous dit: « Je vais essayer d’obtenir la permission du malfaiteur pour aller vérifier la scène du crime. Si nous pouvons nous y rendre et que nous constatons que ce que vous dites se produit vraiment, eh bien, nous déciderons de la façon d’agir ».
Croit-il vraiment que le gouvernement chinois va permettre la tenue d’une enquête? Ne croit-il pas ce que disent les victimes? Ce même gouvernement continue de faire fi des droits de la personne et du droit international à Hong Kong, au Tibet ainsi que parmi les adeptes du Falun Gong, les chrétiens et d’autres groupes minoritaires. Et n’oublions pas les deux Michael, qui sont toujours détenus en Chine.
Pour revenir à l’insensibilité du premier ministre, nous venons de débattre du projet de loi C-3 et nous l’avons adopté à l’unanimité. Ce projet de loi devait être adopté, car les victimes de viol sont souvent traitées injustement et victimisées de nouveau par des juges qui, condamnant les femmes et non les agresseurs, rejettent leurs témoignages. Les femmes revivent leur traumatisme et finissent par être victimisées davantage. J'aimerais donc demander au premier ministre s’il a l’intention de manipuler ainsi les femmes ouïghoures, qui ont eu le courage de dévoiler ce qu’elles ont vécu, pour les amener à douter d’elles-mêmes. Lorsqu’il nous dit qu’il consulte directement le gouvernement de la Chine pour l’inciter à mener enquête sur les récits de ces femmes, il nous montre qu’il ne croit pas ce que ces femmes ont souffert.
Mes collègues conservateurs et moi demandons au gouvernement libéral de se joindre à nos alliés aux États-Unis pour reconnaître officiellement le génocide des Ouïghours, pour prendre des mesures coordonnées d’intervention face à ce génocide et pour imposer des sanctions Magnitski contre les responsables des crimes odieux commis contre ce peuple.
Je suis assise dans mon bureau de circonscription aujourd’hui, et derrière moi se trouve la Charte canadienne des droits et libertés. C’est notre patrimoine canadien. Nous le défendons chez nous. C’est la raison pour laquelle nous, les parlementaires, venons à la Chambre des communes. Nous tenons à défendre la dignité de chaque être humain et à faire de notre mieux pour que chacun puisse prospérer à sa façon. Lorsque nous voyons nos semblables à l’étranger souffrir, comme les Ouïghours et les musulmans d'origine turque en Chine, il est temps de reconnaître l’atrocité de ce que nous constatons. C’est un génocide, et nous devons prendre des mesures réalistes et pratiques avec nos alliés pour obliger le gouvernement de la Chine à rendre des comptes.
La décision que nous prenons aujourd’hui se fonde sur nos valeurs, sur l’identité du Canada et sur ce que représentent vraiment la liberté et les droits de la personne. Ne jouons donc pas les hypocrites. Je reconnais que nos relations avec la Chine comportent des aspects économiques et sociaux complexes. Toutefois, un génocide est un génocide, les droits de la personne sont des droits de la personne, et j’implore le gouvernement et mes collègues d’en face d’adopter la position que mes collègues conservateurs et moi leur présentons aujourd’hui.
Dans le cadre de l’étude de cette motion, j’aimerais savoir quel héritage mes collègues désirent laisser derrière eux: la peur, ou le courage moral? Notre nation a tellement progressé. Nous avons encore du chemin à faire pour réellement défendre la liberté avec un grand courage moral. Nous avons maintenant l’occasion de le faire, et je crains qu’en nous demandant s’il s’agit vraiment d’un génocide, nous fassions un pas en arrière. Le Canada a un rôle...