Madame la Présidente, le Bloc québécois appuiera ce projet de loi avec enthousiasme, comme nous l'avons fait pour toutes ses versions antérieures.
Nous pensons effectivement que les victimes d'agression sexuelle se doivent d'être bien soutenues. Le processus judiciaire doit être suivi et, à notre avis, la seule façon de s'assurer que les victimes portent plainte et qu'il y a un procès en bonne et due forme — comme l'exige notre système judiciaire — est de soutenir ces victimes. Nous devons nous assurer que les juges qui entendent ces causes le font avec toute l'ouverture d'esprit nécessaire pour reconnaître la crédibilité des victimes et pour étudier les faits avec objectivité et attention.
Dans le passé, il y a eu trop d'exemples de situations où des victimes ont refusé de porter plainte parce qu'elles avaient peur ou qu'elles n'avaient pas confiance dans le processus judiciaire. Je pense que c'est une de nos principales tâches comme législateur de nous assurer que les victimes de crimes, quels que soient les crimes et quelles que soient les victimes, ont confiance dans le système judiciaire et viennent déposer leur plainte et défendre leur cause.
Cela dit, je ne peux m'empêcher de dire que le Bloc québécois déplore grandement l'instrumentalisation que l'on fait des victimes d'agression sexuelle pour introduire dans cette mouture du projet de loi des notions qui n'y étaient pas dans les versions antérieures et qui n'ont rien à voir avec l'objet du projet de loi. J'entends par là les notions de racisme et de discrimination systémiques.
Qu'on me comprenne bien: je ne suis pas en train de dire qu'il n'y a pas de racisme et qu'il n'y a pas de discrimination au Québec ou au Canada. Il y en a, on s'entend là-dessus. Là où l'on ne s'entend pas, par contre, c'est sur la question de savoir si c'est systémique ou pas, institutionnel ou non.
Ces questions ne sont pas claires et elles font actuellement l'objet d'un débat au Québec. Ce n'est pas clair et personne ne s'entend sur le sens de ces mots. Par ailleurs, lorsque nous avons tenu des audiences en comité sur la version antérieure du projet de loi C-3, nous avons entendu toute une série de témoins. Or, nous n'avons posé à aucun d'entre eux de question sur le racisme systémique, la discrimination systémique et toutes ces autres notions que l'on souhaite introduire dans le projet de loi C-3.
Le Parlement se trouve donc aujourd'hui à voter sur un projet de loi qui partait à l'origine d'un vœu pieux de Rona Ambrose. On se souviendra que le Bloc québécois avait appuyé ce projet de loi avec enthousiasme. J'avais même à l'époque proposé une motion à la Chambre pour envoyer ce projet de loi directement au Sénat et pour que le Sénat l'adopte rapidement, avant la fin de la législature. Or, on le sait, le projet de loi est mort au Feuilleton lorsque l'élection générale a été déclenchée. Ce projet de loi n'ayant pas été adopté, on recommence aujourd'hui.
Jusqu'ici, il n'avait en aucun temps été question de racisme ou de discrimination systémique. Pourtant, nous nous prononçons ici comme législateur en disant que nos juges doivent suivre une formation sur le racisme et la discrimination systémiques, mais sans que nous ayons entendu d'experts sur ce sujet et sans y avoir réfléchi, par un simple processus pernicieux d'amendement de dernière minute, alors que nous en sommes à faire l'étude de chacun des articles du projet de loi.
Ainsi, on vient changer la donne en introduisant des notions abstraites — sur lesquelles il n'y a pas de consensus et aucun expert ne s'est prononcé — dans un projet de loi vertueux sur lequel tout le monde s'entendait et visant à offrir aux magistrats une formation sur les questions d'agression sexuelle. Je le déplore et j'invite mes collègues à faire preuve d'un peu de retenue sur cette façon de procéder.
Si l'on veut faire une tarte aux pommes, ce sont des pommes que ça prend, pas des raisins. Là, on introduit des raisins dans la tarte aux pommes. Au bout du compte, on aura une tarte aux pommes et aux raisins, ce qui est un peu déplorable. Je ne sais pas ce que le Sénat va faire avec cette mouture du projet de loi C-3. On verra.
Encore une fois, le Bloc québécois a toujours été là pour appuyer toutes les victimes d'actes criminels, quels qu'ils soient, particulièrement les victimes d'agression sexuelle. Nous avons été là depuis le début et nous allons continuer de l'être. Nous allons appuyer ce projet de loi, mais ce sera avec la déception de voir y être introduites des notions qui ne devraient pas y être.
Finalement, je dirai qu'il ne faut pas s'arrêter là. Oui, ce sera une bonne chose que nos magistrats aient une formation sur les agressions sexuelles, mais il va falloir aussi que l’on continue à travailler. Les victimes d'agression sexuelle ont besoin d'être accompagnées dans l'ensemble du processus judiciaire. C'est traumatisant d'aller témoigner d'un crime dont on a été victime, et ce l'est encore plus quand il s'agit d'un crime aussi intime qu'une agression sexuelle. Ce sont souvent des témoignages qui sont rendus de nombreuses années après la commission du crime, et on fait revivre ces crimes aux victimes en les faisant témoigner.
Alors, oui, elles ont besoin d'un juge qui est ouvert, qui les entend avec objectivité, qui comprend leur état d'esprit au moment où elles témoignent et qui est en mesure d'évaluer la preuve avec objectivité et efficacité. Toutefois, on a aussi besoin d'accompagner ces victimes de toutes sortes d'autres façons, et le projet de loi C-3 ne nous emmène pas là. Il va falloir que ce soit fait différemment.
On se rappellera d'ailleurs que l'administration de la justice relève des provinces. Quant à nous, nous serons toujours soucieux de veiller à ce que le Québec puisse gérer l'ensemble du processus judiciaire. Toutefois, l'accompagnement des victimes peut être fait grâce à des investissements importants, qui devraient venir du fédéral, dans l'ensemble du processus d'aide aux victimes d'agression sexuelle. Ce n'est pas inclus dans le projet de loi C-3, mais je le mentionne, parce qu'il ne faut pas l'oublier.
Il ne faut pas s'imaginer qu'une formation des juges est une panacée et qu'il n'y aura plus de problème. C'est un élément essentiel et nous sommes toujours d'accord là-dessus, mais ce n'est pas tout. Il va falloir que l’on continue de travailler avec les victimes et qu'on s'impose une certaine réserve quand on traite d'un sujet aussi important que celui des victimes d'agression sexuelle. Il faut éviter d'introduire dans ce projet de loi, comme on l'a fait dans le cas d'autres projets de loi et comme on serait tenté de le faire, des notions imprécises sur lesquelles il n'y a consensus ni au Québec ni au Canada et sur lesquelles on n'a jamais entendu d'experts pour nous éclairer sur la façon de légiférer sur ces importantes questions que sont le racisme et la discrimination systémique.
Alors, je réitère cette réserve, mais le Bloc québécois va appuyer ce projet de loi.