Madame la Présidente, je tiens à préciser que je vais partager mon temps de parole avec l'honorable députée de Laurentides—Labelle.
Cette semaine, j'ai eu la chance de voir la comédie La bonne épouse. Cela m'a permis de constater que, il n'y a pas si longtemps, les femmes ne pouvaient pas porter le pantalon ou s'habiller comme elles le souhaitaient. Pour comprendre où je veux en venir, il faut patienter; il y a un lien. Elles étaient vues comme des créatures dont le devoir conjugal devenait une soumission et une obligation envers l'homme. Bien entendu, la société a évolué. Une femme qui porte une jupe plus courte ou un décolleté ou qui prend un verre ne devrait ni être vue comme un vulgaire morceau de viande ni être perçue comme envoyant le signal qu'elle souhaite être violée.
Ayant déjà travaillé auprès de groupes de femmes, je suis particulièrement touchée de prendre la parole au sujet du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel. Tout comme la tarte aux pommes, le projet de loi semble faire l'unanimité.
Je vais diviser mon exposé en trois parties. Tout d'abord, je vais replacer le projet de loi dans le contexte du Comité permanent de la condition féminine. Puis, je vais glisser un mot sur son contexte bien québécois. Enfin, je terminerai par quelques souhaits pour qu'il soit adopté le plus rapidement possible.
Le projet de loi C-337, qui modifie la Loi sur les juges et le Code criminel relativement aux cas d'agression sexuelle, a été déposé à la Chambre des communes le 23 février 2017 par l'honorable Rona Ambrose. Le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes l'a ensuite étudié avant de recommander, dans son rapport, l'amendement de trois articles et l'abrogation d'un autre. La Chambre des communes a adopté le projet de loi avec les amendements du Comité le 15 mai 2017. Cela fait donc plus de deux ans. Après avoir franchi l'étape de la première lecture au Sénat, le 16 mai 2017, le projet de loi C-337 a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles le 31 mai 2018. Malheureusement, je n'étais pas encore membre du Comité permanent de la condition féminine à cette époque.
Le projet de loi C-337, dont le titre abrégé est Loi sur la responsabilité judiciaire par la formation en matière de droit relatif aux agressions sexuelles, comporte trois grands éléments.
Premièrement, il ajoute une nouvelle condition d'admissibilité pour les avocats qui souhaitent devenir juges d'une cour supérieure d'une province: ils doivent avoir suivi, à la satisfaction du commissaire à la magistrature fédérale, un cours de perfectionnement à jour et complet sur le droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social.
Deuxièmement, il impose au Conseil canadien de la magistrature, au CCM, de remettre au Parlement, par l'intermédiaire du ministre de la Justice, un rapport annuel sur les colloques qu'il a organisés sur le droit relatif aux agressions sexuelles ainsi que le taux de participation à ces colloques.
Troisièmement, il exige, dans les affaires d'agression sexuelle, de porter les motifs dans le procès-verbal des débats ou, à défaut, de les donner par écrit.
Bien entendu, le projet de loi, considéré comme l'ancêtre du projet de loi actuel, a connu des améliorations. Or il faut rappeler dans quel contexte médiatique il a été proposé et à quels problèmes il tentait de répondre.
Le traitement judiciaire de cas d'agressions sexuelles faisait souvent la manchette. Dans son témoignage devant le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, l'honorable Rona Ambrose a expliqué qu'elle avait décidé de déposer le projet de loi après avoir remarqué qu'un nombre troublant d'agressions sexuelles avait ébranlé la confiance du public envers notre système de justice.
Il s'agissait d'affaires au cours desquelles des juges avaient fait, à l'issue d'un procès pour agression sexuelle, des déclarations devant les tribunaux ou dans leurs décisions. Selon certains, ces commentaires s'appuyaient sur des stéréotypes discrédités au sujet des victimes d'agressions sexuelles. Dans un des cas, le juge a démissionné après que le CCM a recommandé sa révocation après qu'il ait tenu des propos ou posé des questions qui démontraient de l'aversion pour les lois visant à protéger les témoins vulnérables, à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes et à assurer l'intégrité des procès pour agression sexuelle.
Dans une affaire datant de 2016, un nouveau procès avait été ordonné en appel, après que le juge a été déclaré coupable d'avoir invoqué dans ses motifs d'acquittement des mythes sur le comportement attendu d'une victime d'agression sexuelle. En 2017, un autre juge a été vertement critiqué pour son langage insultant à l'égard d'une femme qui était en état d'ébriété au moment de l'agression sexuelle alléguée. On a déjà entendu des phrases comme « Elle avait un joli visage », « Elle devrait se sentir flattée d'avoir attiré l'attention d'un homme mûr », « Comment étiez-vous vêtue? », « Vous n'aviez qu'à serrer les genoux », « Ce n'était qu'un enfant » ou « Elle en a oublié des bouts, son témoignage n'est donc pas crédible ». En 2020, on ne devrait plus entendre des juges prononcer de telles phrases lors d'un procès pour agression sexuelle.
La sénatrice Raynell Andreychuk, qui parrainait le projet de loi C-337 au Sénat, avait expliqué que ces cas s'ajoutaient aux facteurs qui dissuadent les victimes de signaler une agression sexuelle.
Elle avait souligné que le projet de loi C-337 visait à prévenir d'autres décisions judiciaires fondées sur des stéréotypes concernant les victimes d'agressions sexuelles et à rétablir la confiance de ces dernières à l'égard du processus judiciaire. Voici d'ailleurs quelques extraits de la lettre envoyée par le Comité permanent de la condition féminine en 2017.
Compte tenu des témoignages entendus au cours de l’étude du projet de loi, le Comité encourage la ministre de la Justice et procureure générale du Canada à souligner aux gouvernements provinciaux et territoriaux la nécessité d’offrir la formation en matière de droit relatif aux agressions sexuelles et de contexte social à davantage d’intervenants. Plusieurs témoins ont décrit l’importance d’une telle formation pour toutes les personnes qui jouent un rôle dans l’administration de la justice pénale [...].
En outre, le Comité souhaite que la ministre de la Justice et procureure générale du Canada encourage fortement ses homologues provinciaux et territoriaux à rendre accessibles électroniquement les transcriptions des audiences concernant une agression sexuelle pour tous les tribunaux relevant de leur compétence dans une base de données interrogeable [...]
Le Comité cherchait vraiment à rendre cela plus transparent.
Elaine Craig, professeure associée à la Faculté de droit, Dalhousie University, a indiqué lors de son témoignage devant le Comité « qu'il est indéniable que des décisions écrites procurent un niveau de transparence et de reddition de comptes au public, ce que l'on n'a pas dans le cas des décisions rendues de vive voix ». Le Comité demande que la ministre de la Justice et procureure générale du Canada l’informe à la première occasion des résultats de ces discussions avec ses homologues provinciaux et territoriaux.
Les extraits que je viens de lire datent de 2017. Déjà en 2017, le Comité permanent de la condition féminine faisait parvenir une lettre demandant à la ministre de la Justice d'agir. Ensuite, il y a eu le projet de loi C-5 et la prorogation. Aujourd'hui, nous sommes encore là pour en débattre.
Je vais maintenant parler du Québec.
Depuis ce temps, un groupe de femmes parlementaires de tous les partis à l'Assemblée nationale se penche sur la question de la violence à l'égard des femmes. Récemment, j'ai demandé à l'une de ces membres à quel point le projet de loi actuel est important pour venir en aide aux femmes victimes d'agressions et elle m'a répondu qu'il était très important.
Le projet de loi est très important. Ayant déjà parlé de cet enjeu avec des CALACS, je sais que les femmes hésitent à porter plainte parce qu'elles ne veulent pas revivre les douloureux souvenirs d'une agression dans le cadre d'un procès qui les force à revivre ces moments devant un juge qui manque de compassion ou qui fait des commentaires désobligeants et inappropriés devant elles.
Que l'on me comprenne bien: ici, il n'est pas question de faire une généralisation ou d'envoyer le message que tous les juges ne sont pas sensibles aux cas d'agression sexuelle. La plupart écrivent déjà très bien leurs jugements. Ce n'est pas cela, je ne fais pas de généralisation.
Je pense qu'il est plus que temps que ce projet de loi soit voté et étudié en comité, surtout que le contexte de la pandémie a exacerbé le problème de la violence à l'égard des femmes.
Durant la pandémie, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec une personne du consulat australien concernant l'important enjeu de la formation des juges dans des cas d'agression sexuelle. C'est une question de dignité pour les victimes, car il est important de bien saisir les sensibilités de ces causes d'agression sexuelle. Il est important de les replacer dans leurs contextes sociaux et familiaux.
Pendant la pandémie, j'ai également parlé à plusieurs reprises avec une survivante québécoise. Elle m'expliquait recevoir sur son blogue plusieurs mots de femmes qui, comme elle, ont vécu des expériences difficiles au tribunal. Voici quelques exemples de commentaires: « ils ne peuvent pas juger quelque chose qu'ils ne comprennent pas », « ils ne comprennent pas l'état émotionnel dû au stress post-traumatique de la victime », « avec une mémoire qui se fragmente, on ne peut pas se rappeler avec précision l'ordre des choses et les souvenirs nous reviennent par bribe. C'est non volontaire, c'est la façon dont le cerveau se met en mode survie », « il faut que les juges puissent s'adapter à l'état de la victime, et non l'inverse ».
Elles sont souvent encore en état de choc, elles ne peuvent pas être solides. C'est pourtant ce que la justice attend d'elles. Ce n'est pas réaliste de s'attendre à ce qu'elles témoignent en donnant tous les détails sur un ton calme. C'est impossible pour une victime d'agression sexuelle.
Je ne peux donc que souhaiter que, dans un futur rapproché, le projet de loi soit adopté et appliqué le plus rapidement possible. Nous devons laisser de côté la partisanerie et adopter dès maintenant ce projet de loi afin de lutter contre les mythes et les stéréotypes associés aux trop nombreuses agressions sexuelles.
Il y a 600 000 agressions sexuelles par année au Canada. En moyenne, une femme sur deux sera agressée au moins une fois dans sa vie. Ce taux est encore plus élevé pour les femmes ayant un handicap, sans oublier le dossier des femmes et des filles autochtones.
Il y a beaucoup trop d'agressions. En 2020, la culture du viol n'a plus sa place. Nous devons agir.